Réf. : TGI Nanterre, 15ème ch., 2 juillet 2009, n° 0817245202, Société entreparticuliers.com, Romanyszyn Stéphane c/ Association fédérale des consommateurs Que Choisir (UFC - Que Choisir) et autres (N° Lexbase : A1216EKA)
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N9248BL4
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par Malo Depincé, Maître de conférences à l'Université de Montpellier I, Avocat au Barreau de Montpellier
le 07 Octobre 2010
On remarquera néanmoins, par l'une des premières applications de l'article L. 121-1 nouveau du Code de la consommation, que les pratiques commerciales sans être nécessairement mensongères demeurent sanctionnables pour autant qu'elles puissent être considérées comme "déloyales" ou plus précisément, selon les termes mêmes de la Directive qu'elles sont "trompeuses" ou "agressives" (Directive 2005/29, art. 5). En l'espèce, pour commenter le présent jugement, il semble donc opportun de tenter une qualification précise des faits reprochés aux prévenus avant de présenter les sanctions prononcées par le tribunal.
La qualification de pratiques trompeuses puis agressives et déloyales. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) avait reçu au cours des années 2007 et 2008 de nombreuses plaintes de consommateurs (en l'occurrence plus d'une centaine) à l'encontre d'un site de mise en ligne d'annonces immobilières par des particuliers. Les services proposés par la société gestionnaire du site étaient évidemment payants mais bien des consommateurs s'étaient plaints de ne pas avoir pu pleinement comprendre les prix pratiqués en quelque sorte avant qu'ils leur aient été facturés. Quatre pratiques étaient précisément visées par l'action publique dans cette affaire.
Premièrement, les consommateurs n'étaient informés du prix de la mise en ligne de leur annonce que tardivement. Les agents de la DGCCRF, qui avaient fait procéder à des tentatives d'insertion d'annonces sur le site incriminé, avaient pu constater que "le coût de la parution intervenait à la fin, alors même qu'aucune indication n'avait été donnée au consommateur sur le fait qu'il était sur un site d'annonces payant, avec une tarification claire, cette information se déduisant de la proposition tarifaire". Pire encore "une fois l'annonce remplie [ par conséquent avant d'avoir été clairement informé sur les prix pratiqués], l'affichage de l'écran n'offrait pas d'autre solution que de cliquer sur la touche valider', le client ne pouvant modifier son choix i.e. revenir sur sa décision avant qu'elle soit définitive, qu'en arrêtant son ordinateur pour annuler la procédure". Le consommateur n'était donc pas informé du prix de la prestation comme l'impose pourtant le Code de la consommation, information qu'il doit en vertu de l'article L. 111-1 et en toute logique être nécessairement fourni avant la conclusion du contrat (v., également, C. consom., art. L. 113-1 N° Lexbase : L0333ICC et R. 113-1 N° Lexbase : L6824ABD). Par la première pratique incriminée, procédant d'une véritable contrainte technique sur le consommateur, ce dernier était en quelque sorte forcé à contracter. Or une telle pratique est directement visée à l'article 9 de la Directive en tant que "pratique agressive" (alors que les dispositions du Code français de la consommation transposant la Directive semblent plus restrictives à une action pénale en cette hypothèse, ne visant exclusivement que les contraintes "physique ou morale" : C. consom., art. L. 122-11 N° Lexbase : L2524IB4). Pour le tribunal de Nanterre, du fait de l'architecture du site le consommateur "est obligé de donner des informations avant de connaître les modalités du contrat et donc de savoir s'il souhaite contracter ou non avec ce site". Il s'agit là d'une pratique commerciale que le tribunal reconnaît comme trompeuse pour 2007 et déloyale pour 2008. Le tribunal prend d'ailleurs soin, au-delà du seul fondement de l'action engagée, de préciser que la méthode en cause "pourrait par ailleurs recevoir une autre qualification pénale".
En deuxième lieu, une autre pratique pourrait, encore une fois pour les juges de Nanterre, faire l'objet d'une autre qualification pénale ajoutant encore un peu au rejet total de ce type de pratiques. En l'occurrence, les annonces étaient en certaines hypothèses publiées sans l'accord de l'intéressé. Certains consommateurs qui n'étaient pas allés jusqu'à la fin de la procédure dématérialisée d'enregistrement de leur annonce s'étaient plaints "d'avoir été contactés par la société pour payer la prestation du fait que l'annonce était parue sur le site alors qu'ils n'avaient ni validé ni payé leur annonce". Sans surprise, le tribunal y a vu une pratique commerciale déloyale en ce qu'elle consistait à "forcer la vente".
Troisième pratique, à l'ambiguïté des tarifs qui étaient non seulement précisés tardivement (cf. supra) s'ajoutaient le fait qu'ils étaient également "de nature à induire en erreur" le consommateur. Pour le tribunal, le site internet opérait une confusion entre le paiement forfaitaire et le paiement mensuel. Un seul tarif, la formule de base, était affiché clairement tout en sous-entendant clairement qu'il en existait d'autres. Pour avoir accès à un second tarif, assurant la publication d'une photo, le consommateur intéressé devait déclarer son intention de voir publier une photo. Ce n'est qu'alors qu'il était contacté par téléphone pour que lui soient notifiées les modalités du service et son tarif. L'opérateur annonçait au consommateur, selon une formule préparée et identique pour chacun "vous ne paierez que 145 € pour six mois d'annonce" alors que les 145 euros étaient en réalité à payer chaque mois. Ce tarif, certes plus intéressant, était en réalité conditionné à la souscription d'un abonnement de six mois, "pour six mois d'annonces" donc. Le prix réel payé par le consommateur était largement supérieur à ce qu'il pouvait comprendre de l'explication donnée par l'opérateur téléphonique.
Quatrième et dernier point enfin, cette fameuse offre pour six mois était assortie d'une garantie spéciale de remboursement si le bien n'était pas vendu à la fin de l'abonnement facturé 145 euros par mois. Le consommateur, néanmoins, n'avait accès aux conditions spécifiques de mise en jeu de cette garantie qu'à la fin de son abonnement et après avoir téléphoné au service concerné. Dans la même veine que les méthodes déjà sanctionnées, les conditions de remboursement étaient strictement encadrées, à la grande surprise évidemment des consommateurs trompés. Pour le tribunal la pratique est constitutive "d'une omission trompeuse".
L'ensemble des quatre pratiques incriminées, condamnables isolément, permet de considérer "une tromperie qui aboutit à ce que le consommateur contracte dans des conditions où les éléments essentiels du contrat, notamment le prix, la durée et les conditions de remboursement, sont soit présentés d'une manière ambiguë et déloyale soit sont totalement absents ". Le tribunal voit alors dans la construction du site une manoeuvre "volontaire". Il restait alors à apprécier la juste sanction d'un tel comportement.
Les sanctions. Les prévenus ont été reconnus coupables des faits qui leur était reprochés et condamnés à des amendes (à la fois donc pour publicité trompeuse ou de nature à induire en erreur et pour pratique commerciale déloyale). La société qui gérait le site a été condamnée à 150 000 euros, somme conséquente voire exceptionnelle mais qui au regard de la jurisprudence antérieure semble correspondre à l'ampleur de la pratique incriminée. Le Code de la consommation fixe en l'occurrence l'amende maximale qui peut être prononcée à 37 500 euros, somme qui peut être comme en l'espèce dépassée et atteindre jusqu'à 50 % des dépenses de publicité (C. consom., art. L. 121-6 N° Lexbase : L2554IB9). L'importance de l'amende prononcée est justifiée dans le jugement par le caractère volontaire de ces pratiques et l'importance du préjudice porté aux consommateurs. Il a pu être établi que le dirigeant et fondateur de la société "déjà condamné pour des faits similaires" avait directement et personnellement été, pour le tribunal, l'instigateur des pratiques pénalement sanctionnées. Il a été lui aussi condamné à titre personnel.
Le tribunal ordonne, également, la publication du jugement, sanction sans doute la plus efficace, et ce d'autant plus qu'en cette affaire elle est ordonnée sur le site internet de la société et dans un grand quotidien national (C. consom., art. L. 121-4 N° Lexbase : L5790H9C).
En l'espèce, plusieurs personnes s'étaient, par ailleurs, constituées parties civiles, bénéficiant dans cette affaire des conseils d'une association de consommateurs qui recherchait pour sa part la réparation de l'atteinte à l'intérêt collectif des consommateurs. On ne pourra que remarquer le caractère minime des indemnisations accordées à chacun des consommateurs lésés, de 90 à 1 070 euros selon les sommes indûment versées par les victimes et selon l'importance de leur préjudice moral qui a été reconnu (l'une des victimes n'ayant pas chiffré son préjudice n'a pas été indemnisée par le juge qui dans ces hypothèses ne se substitue pas à la carence des parties).
L'association de consommateurs a reçu 30 000 euros au titre de dommages et intérêts, somme qui en l'absence d'un préjudice qui puisse être évalué sans discussion, ressemble plus à une peine privée qu'à une véritable réparation. L'atteinte à l'intérêt collectif des consommateurs est, en effet, impossible à caractériser puisqu'elle n'est constituée en réalité ni de l'atteinte aux droits de l'association elle-même, ni, comme le confirme ici l'allocation d'indemnités individuelles à certains consommateurs, la somme des préjudices individuels. Elle est, par conséquent, une sanction dont profite l'association de consommateurs pour le financement de son activité sans que ni les faits de l'espèce, ni la loi ne permettent de fixer son montant. Les plus cyniques n'y verront qu'une tarification "à la louche", dernier avatar de la notion de dommages et intérêts "punitifs" qu'il conviendrait aujourd'hui probablement d'encadrer.
Cette affaire appelle bien évidemment une dernière remarque : plusieurs consommateurs ont pu se constituer parties civiles dans cette affaire et obtenir indemnisation. Pour autant ici, la procédure suivie montre rapidement ses limites. En imposant que chaque partie civile se prononce sur l'étendue de son préjudice, la procédure allongeait encore un peu le temps du procès. Sans publicité aucune, tous les consommateurs lésés n'ont probablement pas pu faire valoir leurs droits devant le tribunal de Nanterre, faute d'en avoir été informés ou faute d'en avoir les moyens au regard de l'indemnisation espérée (rappelons que l'une des parties civiles a reçu 90 euros !). Il s'agit là encore d'une affaire qui milite pour l'instauration d'une véritable class action (ou pour ne choquer personne une "action de groupe") à la française.
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