La lettre juridique n°363 du 17 septembre 2009 : Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - septembre 2009

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N9154BLM

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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ont été sélectionnés, ce mois-ci, deux arrêts rendus pas la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 7 juillet 2009, tous deux promis à un publication au Bulletin de la Cour : le premier répond par la négative à la question de savoir si le mécanisme de la péremption d'instance peut s'appliquer à la contestation d'une créance déclarée au passif ; le second apporte, quant à lui, d'utiles précisions sur l'incidence, au regard de la caution, de l'absence d'inscription modificative d'un nantissement de fonds de commerce postérieurement à la cession du fonds de commerce dans le cadre d'un plan de cession.

  • Déclaration de créance et péremption d'instance (Cass. com., 7 juillet 2009, n° 07-14.455, F-P+B N° Lexbase : A7203EIM)

La déclaration de créance est l'acte procédural par lequel le créancier antérieur et, depuis la loi de sauvegarde (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), le créancier postérieur non éligible au traitement préférentiel, manifestent leur intention d'obtenir, dans le cadre de la procédure collective, paiement de ce qui leur est dû par le débiteur.

Substitut de l'action en paiement, laquelle est fermée du fait de la règle de l'arrêt des poursuites individuelles, la déclaration de créance a été analysée par la Cour de cassation comme équivalente à une demande en justice (1). C'est la solution du droit positif, bien qu'il soit possible de discuter très sérieusement du bien-fondé de l'analyse assimilant la déclaration de créance à une demande en justice (2). Nombreuses sont, en effet, les situations dans lesquelles l'analyse de la déclaration de créance en une demande en justice est tenue en échec.

La présente espèce peut, en ce sens, être versée au débat doctrinal relatif à l'analyse juridique de la déclaration de créance.

En l'espèce, une société est déclarée en redressement judiciaire, puis placée en liquidation judiciaire. Un créancier déclare sa créance, laquelle est contestée par le liquidateur. Les parties sont convoquées à l'audience des créanciers contestés devant le juge-commissaire en 1999 et, à plusieurs reprises, l'affaire est reportée. Un ultime renvoi a lieu et les parties sont convoquées à l'audience en 2004. Le liquidateur s'avise alors d'invoquer la péremption de l'instance, devant le juge-commissaire, ce qu'admet ce dernier. La cour d'appel infirme cette décision. Le liquidateur se pourvoit en cassation en soutenant que l'instance en contestation d'une créance déclarée au passif d'une entreprise en difficulté, introduite par la déclaration de créance, est périmée lorsque, à compter de la convocation des parties par les soins du tribunal en l'audience de contestation devant le juge-commissaire, aucune des parties n'a accompli de diligences pendant deux ans. Il en résulte l'extinction de la créance déclarée.

La question posée à la Cour de cassation est donc celle de savoir si le mécanisme de la péremption d'instance peut s'appliquer à la contestation d'une créance déclarée au passif. A cette question, en rejetant le pourvoi, la Cour de cassation va clairement répondre par la négative. Elle énonce, en ce sens, que "la péremption d'instance a pour objet de sanctionner le défaut de diligence des parties ; que les créanciers du débiteur en liquidation judiciaire n'ont aucune diligence à accomplir une fois effectuées leurs déclaration de créances, les opérations de vérification des créances incombant au liquidateur agissant comme représentant des créanciers et la direction de la procédure de contestation de créance leur échappant".

La Cour de cassation avait déjà eu l'occasion de se prononcer en ce sens (3), l'un des précédents arrêts ayant, d'ailleurs, eu les honneurs de la publication au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation. Cette décision avait énoncé que "la péremption a pour objet de sanctionner le défaut de diligence des parties. Attendu que les créanciers du débiteur n'ont aucune diligence à accomplir une fois effectuées leurs déclarations de créances, les opérations de vérification des créances incombant au liquidateur agissant comme représentant des créanciers". La formulation employée par la Cour de cassation en 2009 est donc strictement identique à celle déjà utilisée en 2004. Elle se contente d'ajouter, en 2009, que la direction de la procédure de contestation de créances échappe aux créanciers, ce qui permet de justifier davantage encore la solution posée.

Les spécialistes de la procédure civile présentent la péremption d'instance comme un "mode d'extinction de l'instance fondée sur l'inertie procédurale des parties pendant deux ans. Réglementée par les articles 386 (N° Lexbase : L2617ADB) à 393 du Code de procédure civile, elle repose principalement sur l'idée de désistement tacite" (4).

Ce mécanisme a vocation à jouer devant toutes les juridictions de l'ordre judiciaire civil et peut être invoqué que la représentation soit ou non obligatoire, et peu important que la procédure soit orale, ce qui est le cas devant le juge-commissaire. Il est donc incontestable que la péremption d'instance peut être invoquée devant ce dernier.

Il est, cependant, établi en règle que la péremption d'instance ne peut être invoquée à l'occasion de procédures dans lesquelles les initiatives procédurales échappent aux parties (5). La solution a, par exemple, été posée en matière de contestation des honoraires d'un avocat (6). C'est, également, l'explication retenue dans la présente espèce par la Cour de cassation à propos de la contestation de la créance déclarée. Le mandataire judiciaire ou le liquidateur conduit la procédure de contestation de créance. Il la déclenche et sollicite du greffe de la juridiction une date pour appel de la cause devant le juge-commissaire à une audience, qualifiée, en pratique, d'audience des créanciers contestés. Le créancier, dont la créance est contestée, subit, en conséquence, la procédure de contestation de créance. Il est, dès lors, logique qu'il ne puisse lui être reproché un défaut de diligence.

Il n'est pas absolument exact, comme le fait la Cour de cassation, d'énoncer que, une fois la déclaration de créances accomplie, la procédure de contestation échappe aux créanciers, dans la mesure où ces créanciers contestés ont l'obligation de répondre à la contestation. C'est, sous l'empire de la législation du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L4126BMR), applicable aux fins d'espèce, une condition de la convocation devant le juge-commissaire. Certes, la solution a été abandonnée sous l'empire des textes d'origine de la loi de sauvegarde des entreprises. Toutefois, le décret du 12 février 2009 (décret n° 2009-160, pris pour l'application de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté et modifiant les procédures de saisie immobilière et de distribution du prix d'un immeuble N° Lexbase : L9187ICA) a rétabli le principe selon lequel la convocation devant le juge-commissaire du créancier contesté ne s'impose que si ce dernier a répondu au courrier de contestation. Il a donc bien au moins une diligence à accomplir, de sorte qu'il pourrait être soutenu, tant sous l'empire de la législation du 25 janvier 1985, que sous celui issu de l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345, portant réforme du droit des entreprises en difficulté N° Lexbase : L2777ICT) et du décret du 12 février 2009, que le créancier contesté, qui n'a pas répondu à la lettre de contestation, encourt la péremption d'instance deux ans après la réception du courrier de contestation.

Il faut encore ajouter que, à défaut de contestation de créance, le créancier a accompli toutes les diligences qui lui incombaient, une fois qu'il a procédé à la déclaration de sa créance. Dès lors, à défaut de contestation de créance, aucune péremption d'instance ne peut le concerner.

Il faut rapprocher la solution ici posée par la Cour de cassation, à propos de la créance déclarée par le créancier, de la situation dans laquelle le créancier a engagé une action en justice avant le jugement d'ouverture, laquelle a été interrompue par l'effet de l'ouverture de celui-ci. Il appartient à ce créancier, en application des textes du Code de commerce, de déclarer sa créance pour pouvoir reprendre l'instance aux fins de faire fixer ses droits au passif. Que se passe t-il, sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, qui a, on le sait, supprimé l'extinction des créances non déclarées, si le créancier ne procède pas à la déclaration de sa créance ? Peut-il reprendre son instance ? La Cour de cassation, consultée pour avis (7), va répondre que "en l'absence de déclaration de créance, les conditions de la reprise d'instance ne sont pas réunies, même si la créance du créancier forclos n'est pas éteinte ; en l'espèce, l'instance demeure interrompue jusqu'à la clôture de la liquidation judiciaire".

La réponse est absolument sans surprise et mérite entière approbation. Le jugement d'ouverture a pour effet, selon la lettre-même des articles L. 622-21 (N° Lexbase : L3452ICT) et L. 622-22 (N° Lexbase : L3742HB9) du Code de commerce, d'emporter interruption de l'instance. L'événement, le seul selon l'article L. 622-22, susceptible de permettre la reprise de l'instance, est la déclaration de créance au passif. En effet, le texte énonce que "les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance". Pour sa part, l'article R. 622-20 du Code de commerce (N° Lexbase : L0892HZ3), dans la rédaction que lui a donnée le décret du 28 décembre 2005 (décret n° 2005-1677, pris en application de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L3297HET), ajoute que "l'instance interrompue en application de l'article L. 622-22 du Code de commerce est reprise à l'initiative du créancier demandeur, dès que celui-ci a produit à la juridiction saisie de l'instance une copie de la déclaration de sa créance et mis en cause le mandataire judiciaire ainsi que, le cas échéant, l'administrateur lorsqu'il a pour mission d'assister le débiteur ou le commissaire à l'exécution du plan". Dès lors, faute de déclaration de créance au passif, et indépendamment du sort de cette créance, il ne peut être discuté que la reprise d'instance est impossible pendant toute la durée de la période d'observation, mais encore pendant toute celle de liquidation judiciaire.

Il est tout aussi indiscutable que l'interruption de l'instance, par l'effet du jugement d'ouverture d'une procédure collective, dure le temps de celle-ci. Cette interruption de l'instance se rattache logiquement à la règle de l'arrêt des poursuites individuelles et doit avoir la même durée que cette dernière. En conséquence, une fois la procédure collective terminée, l'arrêt des poursuites individuelles prend fin et l'interruption de l'instance, consécutive à l'arrêt des poursuites individuelles, prend identiquement fin. S'agissant non d'une simple suspension, mais bien techniquement d'une interruption de l'instance, le temps déjà couru avant le jugement d'ouverture est effacé et la prescription reprend son cours pour son entière durée. En outre, le créancier peut encourir la péremption d'instance s'il n'accomplit aucune diligence dans les deux ans qui suivent la clôture de la procédure.

Refuser le jeu de la péremption d'instance en matière de déclaration et de vérification des créances est un argument qui peut être utilisé au soutien de l'idée que la déclaration de créance ne devrait pas être assimilée à une demande en justice. En effet, la Cour de cassation justifie l'analyse par l'idée que l'initiative appartient au seul mandataire de justice en charge de la vérification des créances. Assurément, à ce stade seulement commence la procédure contentieuse. De là à dire que la prétention juridique est émise par le mandataire judiciaire, il n'y a qu'un pas que nous serions assez enclin à franchir. Une fois vérifié le respect du délai de l'action, le mandataire judiciaire va demander au juge-commissaire de statuer sur les déclarations de créances qu'il lui transmet et seulement sur celles-ci. D'ailleurs, cette demande au juge-commissaire ne sera pas systématiquement formulée. Il est en effet des hypothèses dans lesquelles le mandataire judiciaire ne sollicite pas de décision de justice de la part du juge-commissaire, celle où il n'y a pas place à vérification des créances. Il en est ainsi dans la procédure de liquidation judiciaire, pour les créances chirographaires, s'il apparaît que l'intégralité du produit de la vente des actifs sera absorbée par les créanciers privilégiés, à moins que des sanctions pécuniaires contre les dirigeants ne soient envisagées. Il en est de même, dans la liquidation judiciaire simplifiée, pour les créances non susceptibles de venir en rang utile. Si la déclaration de créance devait être réduite à une demande en justice, il y aurait alors déni de justice de la part du juge-commissaire.

Il est donc, en réalité, préférable de situer la demande en justice non au stade de la déclaration de créance, mais à celui de l'établissement de la liste des créances déclarées et vérifiées transmises par le mandataire de justice au juge-commissaire. Cette analyse de la déclaration de créance en un acte simplement conservatoire serait de nature à supprimer un contentieux aussi pléthorique qu'artificiel, lié à la qualité du déclarant, la fameuse question du pouvoir.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe) et Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

  • L'incidence, au regard de la caution, de l'absence d'inscription modificative d'un nantissement de fonds de commerce postérieurement à la cession du fonds de commerce dans le cadre d'un plan de cession (Cass. com., 7 juillet 2009, n° 08-17.275, FS-P+B N° Lexbase : A7421EIP)

Dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt rapporté, une banque avait accordé un prêt à une société, mise ultérieurement en redressement judiciaire, garanti à la fois par un nantissement sur le fonds de commerce et par le cautionnement du dirigeant de la société. La société emprunteuse avait fait l'objet d'un plan de cession incluant le fonds de commerce nanti sans que le banquier ne procède cependant, postérieurement à sa cession, à une inscription modificative de son privilège au nom du cessionnaire du fonds. Poursuivi par le prêteur, la caution avait résisté en se prévalant des dispositions de l'article 2314 du Code civil (N° Lexbase : L1373HIP), aux termes desquelles la caution se trouve déchargée si, par le fait du créancier, elle ne peut plus être subrogée dans un droit préférentiel dont disposait ce dernier. En l'occurrence, la caution soutenait que l'absence d'inscription modificative du privilège postérieurement à la cession du fonds de commerce nanti dans le cadre du plan de cession de la société emprunteuse entraînait la perte du nantissement dont bénéficiait le créancier et, par voie de conséquence, la décharge de la caution qui ne pouvait plus, par le fait de la banque, être subrogée dans les droits du créancier nanti. La cour d'appel de Versailles dans un arrêt du 19 juin 2008 avait suivi l'argumentation de la caution et l'avait déchargée. La banque s'était alors pourvue en cassation.

Par un arrêt du 7 juillet 2009, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé l'arrêt d'appel au motif "que la cession du fonds de commerce grevé d'un nantissement garantissant le remboursement d'un crédit consenti à l'entreprise pour en permettre le financement, ordonnée par le jugement ayant arrêté le plan de cession, opère transmission de plein droit au cessionnaire de la charge de la sûreté qui n'est pas perdue et que le privilège du créancier gagiste suit le fonds de commerce en quelques mains qu'il passe". Il en résulte donc qu'aucun droit préférentiel n'avait été perdu par le créancier du fait de l'absence d'inscription modificative, de sorte que la caution ne pouvait pas se prévaloir d'une décharge fondée sur les dispositions de l'article 2314 du Code civil.

Cet arrêt est particulièrement intéressant, comme en témoigne d'ailleurs le fait qu'il soit appelé à la publication au Bulletin. La question se posait, en effet, de savoir quelles pouvaient être les conséquences de l'absence d'inscription modificative par le créancier de son privilège postérieurement à la cession du fonds de commerce nanti dans le cadre d'un plan de cession. Les Hauts magistrats considèrent que la sûreté n'est pas perdue. Cette position est adoptée au visa des articles L. 143-12 (N° Lexbase : L5704AI4) et L. 621-96 (N° Lexbase : L6948AI8) du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 (devenu depuis, l'article L. 642-12 du Code de commerce N° Lexbase : L3377IC3). Au terme du premier de ces textes, "les privilèges du vendeur et du créancier gagiste suivent le fonds en quelques mains qu'il passe". L'article L. 642-12, alinéa 4 (ancien article L. 621-96) dispose, pour sa part, que "la charge des sûretés immobilières et mobilières spéciales garantissant le remboursement d'un crédit consenti à l'entreprise pour lui permettre le financement d'un bien sur lequel portent ses sûretés est transmise au cessionnaire".

Il résulte de ces deux dispositions, l'une propre au nantissement du fonds de commerce, l'autre propre au droit des procédures collectives, que le transfert du fonds de commerce nanti permettra au créancier nanti d'exercer son droit de suite, mais que cet exercice sera cantonné aux échéances qui restent dues à compter du transfert de la propriété du fonds sur lequel porte la garantie dès lors que l'alinéa 4 de l'article L. 642-12 poursuit en précisant que le cessionnaire "est alors tenu d'acquitter entre les mains du créancier les échéances convenues avec lui et qui restent dues à compter du transfert de la propriété [...] du bien sur lequel porte la garantie".

Le visa de cet arrêt nous semblerait consacrer la position selon laquelle le transfert de la charge de la sûreté en plan de cession s'avèrerait être l'expression du droit de suite (8). Cependant, le repreneur semble être tenu de façon hybride. En effet, devant subir le droit de suite du créancier nanti, il s'avère être un obligé réel à la dette -il est tenu propter rem-. Cependant, en application des dispositions de la deuxième phrase de l'article L. 642-12, alinéa 4, du Code de commerce, il est tenu d'acquitter personnellement entre les mains du prêteur les échéances qui restent dues à compter du transfert de la propriété du bien sur lequel porte la garantie. Ainsi, le cessionnaire semble-t-il à la fois tenu réellement et personnellement dans la limite des échéances restant dues, ce qui l'empêchera de délaisser le bien pour tenter d'être dégagé -faculté ouverte à l'obligé réel-. On est donc bien, a priori, en présence d'un mécanisme sui generis, obligeant le repreneur à payer personnellement une fraction de la dette du débiteur, parce qu'il a entre les mains le bien grevé de la sûreté, sans que cette adjonction de débiteur n'ait d'effet novatoire, le débiteur d'origine restant tenu aux côtés du repreneur (9).

Il convient de remarquer que l'on cherchera en vain dans le Code de commerce une disposition imposant au créancier inscrit sur le fonds de commerce de procéder à une inscription modificative du nantissement en cas de vente du fonds. Tout au plus, l'article R. 143-15 du Code de commerce (N° Lexbase : L0029HZ4) précise que "le greffier mentionne en marge des inscriptions les antériorités, les subrogations ou radiations totales ou partielles dont il lui est justifié". Le texte ne fixe, en outre, aucun délai pour procéder à ces inscriptions modificatives.

Dès lors, au regard des textes, l'absence d'accomplissement par le créancier nanti sur fonds de commerce d'une inscription modificative de son privilège postérieurement à la cession du fonds de commerce nanti dans le cadre du plan de cession de la société emprunteuse n'emporte aucun effet, de sorte que la garantie doit être maintenue. La caution ne peut donc soulever, pour ce motif, les dispositions de l'article 2314 du Code civil pour tenter d'être déchargée.

La position ici adoptée par la Cour de cassation l'est dans un contexte où, au regard des faits portés à notre connaissance, le cessionnaire du fonds de commerce est in bonis. La solution vaudrait-elle en cas de procédure collective atteignant le cessionnaire du fonds de commerce ?

Une réponse positive nous semble devoir être apportée, et ce pour plusieurs motifs. Les deux premiers sont identiques à ceux qui viennent d'être énoncés : les privilèges du vendeur et du créancier gagiste suivent le fonds en quelques mains qu'il passe et aucun texte ne vient imposer au créancier inscrit sur fonds de commerce de procéder à une inscription modificative en cas de transfert du fonds. En outre, si à l'occasion de la procédure collective du repreneur, le mandataire judiciaire ou un créancier tentait de se prévaloir d'une inopposabilité de l'inscription prise sur le fonds de commerce qui n'a pas fait l'objet, par la suite, d'une inscription modificative, il pourrait, par analogie, être statué comme en matière de cession judiciaire de contrat de crédit-bail mobilier.

On sait, en effet, en matière de contrat de crédit-bail, que le bailleur doit procéder à la publicité de son contrat (C. mon. fin., art. L. 313-10 N° Lexbase : L2972G9X), laquelle doit mentionner l'identité des parties au contrat (C. mon. fin., art. R. 313-3 N° Lexbase : L5047HCW). A défaut, le droit de propriété du crédit-bailleur est inopposable (C. mon. fin., art. L. 313-10 et R. 313-10). Dans le cadre de la cession judiciaire du contrat de crédit-bail, s'était posée, en jurisprudence, la question de savoir quelle était l'incidence de l'absence de publicité modificative tenant à l'identité du preneur, à la suite de la cession judiciaire du contrat de crédit-bail. Dans l'hypothèse où le repreneur fait l'objet, à son tour, d'une procédure collective, le droit de propriété du crédit-bailleur qui n'a pas procédé à une publicité modificative doit-il être déclaré inopposable ? La Chambre commerciale de la Cour de cassation avait répondu à cette question par la négative au visa de l'article L. 621-65 (N° Lexbase : L6917AIZ) applicable en la cause (devenu, depuis la loi de sauvegarde des entreprises, C. com., art. L. 642-5, al. 3 N° Lexbase : L3316ICS), lequel dispose que "le jugement qui arrête le plan [de cession] en rend les dispositions opposables à tous". Puisque le jugement arrêtant le plan de cession faisait mention de la cession judiciaire du contrat de crédit-bail en cause et que les dispositions de ce jugement étaient opposables à tous du fait de la publication qui en avait été faite, les créanciers du repreneur étaient donc censés avoir eu connaissance de l'existence des droits du crédit-bailleur sur le matériel faisant l'objet du contrat de crédit-bail. Les Hauts magistrats en avaient donc déduit que le crédit-bailleur devait échapper à l'inopposabilité de son droit de propriété résultant d'une absence de publicité conforme de son contrat (10). Cette solution adoptée en matière de cession judiciaire de contrat de crédit-bail pourrait, par analogie, être transposée en matière de transfert de la charge de la sûreté : puisque le jugement qui arrête le plan de cession est opposable à tous, dès lors que le jugement arrêtant le plan de cession mentionne que le prêteur est inscrit sur le fonds de commerce et bénéficie du transfert de la charge de la sûreté, la sûreté doit être opposable à tous, y compris aux créanciers et aux organes de la procédure du repreneur faisant l'objet, à son tour, d'une procédure collective. Remarquons, toutefois, que le jeu du transfert de la charge de la sûreté est automatique et que, contrairement à la cession judiciaire de contrats, il n'est pas besoin de le mentionner dans le jugement arrêtant le plan de cession.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon


(1) Cass. com., 14 décembre 1993, n° 93-11.690, Société financière pour le crédit-bail c/ Société européenne de location de véhicules et de matériels industriels et autres, publié (N° Lexbase : A4985CH4), Bull. civ. IV, n° 471, RJDA, 1994, n° 1, p. 12, concl. M.-C. Piniot, Bull. Joly, 1994, 196, note Jeantin, JCP éd. E, 1994, II, 573, note M.-J. Campana et J.-M. Calendini, JCP éd. G, 1994, II, 22200, note J.-P. Rémery, Banque, avril 1994, 93, obs. J.-L. Guillot, Rev. sociétés, 1994, 100, note Y. Chartier, RTDCom., 1994, p. 367, obs. A. Martin-Serf ; Cass. com., 14 février 1995, 2 arrêts, n° 93-12.064, Société Solovam crédit et autre c/ Société européenne de location de véhicules et de matériels industriels et autre, publié (N° Lexbase : A1126ABC) et n° 93-12.398, Mme Poincheval, ès qualités de syndic de la liquidation judiciaire de la Société européenne de location de véhicules et de matériels industriels c/ Société Fina France et autres, publié (N° Lexbase : A4010CHY), Bull. civ. IV, n° 43, LPA, 1995, n° 91, p. 13, note P. Alix, Bull. Joly, 1995, 442, note J.-J. Daigre ; Cass. com., 3 juin 2009, n° 08-10.249, Mme Monique Blanguernoun, épouse Schott, F-D (N° Lexbase : A6255EH7), D., 2009, AJ p. 1691, note A. Lienhard.
(2) Nos obs., Déclaration, vérification, admission des créances et procédure civile, LPA, 28 novembre 2008, n° 239, p. 72 et s. ; J.-L. Vallens, obs. RTDCom., 2009/1, p. 214, n° 9.
(3) Cass. com., 27 novembre 2001, n° 98-18.971, M. Louis Frault, F-D (N° Lexbase : A2799AXX), Rev. proc. coll., 2003, p. 112, n° 24 ; Cass. com., 19 mars 2002, 2 arrêts, n° 00-11.218, M. Marcel Ducler c/ Société Crédit agricole Indosuez, F-D (N° Lexbase : A3154AYH) et n° 00-11.219, M. Marcel Ducler c/ Société Procrédit Probail, F-D (N° Lexbase : A3155AYI), Act. proc. coll., 2002/10, n° 122 ; Cass. com., 9 novembre 2004, n° 01-16.726, M. Hubert Coulon c/ Mme Gisèle Courret-Guguen, FS-P+B (N° Lexbase : A8398DDE), Bull. civ. IV, n° 192, Rev. proc. coll., 2005/2, p. 130, n° 10, obs. S. Gorrias ; Cass. com., 9 novembre 2004, n° 01-17.358, M. Hubert Coulon c/ Mme Gisèle Courret-Guguen, FS-D (N° Lexbase : A8398DDE), D., 2004, AJ p. 3070, D., 2005, pan. p. 297, nos obs..
(4) Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz action, 6ème éd., 2009/2010, dir. S. Guinchard, n° 352.340.
(5) Droit et pratique de la procédure civile, préc., n° 352.342.
(6) Cass. civ. 2, 12 juillet 2007, n° 05-14.655, M. Hubert Bischoff, FP-P+B (N° Lexbase : A3166DXK), Procédures, 2007, comm. 240, obs. R. Perrot.
(7) Cass. avis, 8 juin 2009, n° 0090002P (N° Lexbase : A0523EI9), D., 2009, AJ p. 1603, note A. Lienhard.
(8) En ce sens, G. Amlon, J.-cl. Com., fasc. 2383, éd. 2007, Créanciers antérieurs titulaires de sûretés spéciales, n° 78 ; contra, Ph. Froehlich et M. Sénéchal, De la réalisation de l'actif, LPA n° spécial, 9 février 2006, n° 29, p. 21 et s., sp. p. 32.
(9) Sur cette question, v. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 2010-2011, 5ème éd., à paraître en novembre 2009, n° 542.41.
(10) Cass. com., 11 février 1997, n° 94-14.243, M. Dutour, ès qualités de liquidateurde la liquidation judiciaire de c/ Compagnie générale de crédit-bail, publié (N° Lexbase : A1505ACQ), Bull. civ. IV, n° 48, Rev. proc. coll., 1997, 189, n° 1, obs. B. Soinne, RJDA, 1997/6, n° 843 ; Cass. com., 28 octobre 2008, n° 07-16.443, Société Natexis lease, F-P+B (N° Lexbase : A0593EBL), D. 2008, AJ p. 2866, note A. Lienhard, Gaz. proc. coll., 2009/1, p. 53, note F. Pérochon, Act. proc. coll., 2008/20, n° 309, note F. Pérochon, JCP éd. E, 2009, 1008, n° 7, obs. M. Cabrillac, et nos obs. in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - novembre 2008, Lexbase Hebdo n° 327 du 20 novembre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N7494BHZ).

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