La lettre juridique n°363 du 17 septembre 2009 : Responsabilité médicale

[Panorama] Panorama de responsabilité médicale (avril à juillet 2009) (troisième partie)

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N9249BL7

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de l'Encyclopédie de Droit médical

le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la troisième partie du panorama de responsabilité civile médicale de Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit médical", consacrée à l'actualité d'avril à juillet 2009 (pour la première partie, voir, Panorama de responsabilité civile médicale (avril à juillet 2009) (première partie), Lexbase Hebdo n° 359 du 16 juillet 2009 - édition privée générale N° Lexbase : N0028BLM ; pour la deuxième, voir, Panorama de responsabilité civile médicale (avril à juillet 2009) (deuxième partie), Lexbase Hebdo n° 360 du 23 juillet 2009 - édition privée générale N° Lexbase : N0107BLK). Seront abordés, dans cette dernière partie, en premier lieu, la responsabilité pour faute médicale dans l'élaboration du diagnostic, puis, en deuxième lieu, la responsabilité du fait des produits de santé et, plus précisément, la notion d'information à délivrer, enfin, en dernier lieu, l'auteur revient sur l'indemnisation des enfants nés handicapés et l'appréciation de la perte de chance de recourir à une interruption volontaire de grossesse, au regard du droit français. I - Responsabilité pour faute médicale (diagnostic médical)
  • Cass. civ. 1, 25 juin 2009, n° 08 15.560, M. Philippe Nevière et a. c/ M. Jean Louis Masse, F D (N° Lexbase : A4234EIN)

Ne commet pas de faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement le médecin qui commet une erreur de diagnostic, alors qu'avant le passage à l'acte de la victime rien ne permettait de déterminer si les symptômes présentés par la patiente permettaient de privilégier l'hypothèse d'une psychose puerpérale plutôt que celle d'une dépression post puerpérale, que la psychose puerpérale présente des difficultés de diagnostic mises en évidence dans la documentation médicale, en raison tant de la rareté de cette maladie (2/1000) que de l'absence de sémiologie caractéristique de celle-ci, la difficulté étant aggravée, en l'espèce, compte tenu du tableau clinique que présentait la victime qui s'apparentait à celui de la dépression post partum, que le médecin, intervenu sans retard, avait mis en oeuvre tous les moyens et précautions nécessaires pour parvenir à un bon diagnostic, en consacrant du temps et toute son attention à sa patiente et à son entourage à deux reprises en deux jours.
Ne manque pas non plus à son obligation d'information à l'égard de l'entourage familial de la patiente le médecin en présence d'une pathologie non diagnostiquée.

Exigence d'une faute. La responsabilité des médecins et des établissements de santé est depuis les origines une responsabilité pour faute prouvée. L'arrêt "Mercier" rendu en 1936 (Cass. civ. 1, 20 mai 1936, Dr Nicolas c/ Mercier N° Lexbase : A7395AHD) a, par ailleurs, précisé que le praticien était tenu d'une simple obligation de moyens, ce qui impose au juge, même en présence d'une erreur de comportement, de caractériser en quoi celle-ci constitue une faute en la comparant au comportement attendu d'un médecin type placé dans la même situation (1).

Appréciation de la faute en l'espèce. C'est cette méthode d'appréciation in abstracto de la faute dans le diagnostic qu'illustre parfaitement cet arrêt inédit rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 25 juin 2009 (2).

Dans cette affaire, un psychiatre s'était trompé dans le diagnostic de la pathologie dont souffrait une patiente qui venait d'accoucher par césarienne et qui, dans une crise de délire paroxystique, avait défénestré son nourrisson ; ce dernier, gravement blessé, est demeuré depuis lors handicapé. Les parents avaient assigné l'établissement aux fins de  le voir condamner à réparer leur préjudice moral, ainsi que le dommage subi par l'enfant.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence, au prix d'un arrêt fortement motivé, les avait déboutés de leurs prétentions, ce que confirme le rejet du pourvoi après un examen minutieux de nombreux indices.

Prise en compte des difficultés de l'acte médical réalisé. En premier lieu, les juges mettent l'accent sur les difficultés du diagnostic de la maladie dont souffrait la patiente, compte tenu de sa rareté et du caractère non spécifique de ses symptômes ; la situation était, d'ailleurs, rendue plus complexe encore en l'espèce dans la mesure où la patiente, qui venait d'accoucher, pouvait également présenter les symptômes d'une simple dépression post-partum. La prise en compte des difficultés du diagnostic est une constante que l'on retrouve assez fréquemment (3), ce qui est logique puisqu'elle rend d'autant plus excusable l'erreur que peut commettre le médecin.

Prise en compte de la rapidité d'intervention du médecin. En deuxième lieu, le médecin avait réagi avec la rapidité nécessaire, écartant ici un retard qui aurait pu paraître fautif (4).

Prise en compte des diligences accomplies. En troisième lieu, les juges avaient relevé que le médecin avait mis en oeuvre les diligences nécessaires pour parvenir à poser le bon diagnostic en consacrant du temps et toute son attention à sa patiente et à son entourage à deux reprises en deux jours.

Mise à l'écart d'un défaut d'information. La famille se plaignait, également, de ne pas avoir été informée de l'état exact de la patiente et de n'avoir donc pas pu exercer la surveillance nécessaire qui aurait pu permettre d'éviter le drame. L'argument est écarté pour les mêmes raisons que précédemment ; dans la mesure où le médecin ne pouvait pas raisonnablement connaître l'état de santé mentale exacte de la patiente, il ne pouvait, par la force des choses, faire état à la famille des risques existants. Le manquement à l'obligation d'information du patient suppose donc que le médecin retienne volontairement, et pour des raisons non légitimes, des informations qui sont en sa possession. La Cour aurait, d'ailleurs, également pu rejeter la demande de la famille en se fondant sur le fait que celle-ci n'avait aucun droit d'être informée de l'état de santé de leur parent dans la mesure où celui-ci ne souffrait d'aucune incapacité (5).

II - Responsabilité du fait des produits de santé

A - Défaut du produit par défaut d'information du patient

Est défectueux le produit lorsque, eu égard à la gravité des effets nocifs constatés dont ni la notice d'information remise au praticien ni la brochure publicitaire destinée à la patiente ne faisaient état, celui-ci n'offrait pas, dans ces circonstances, la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre, alors même qu'il avait fait l'objet d'un certificat de libre vente.

Cadre juridique applicable. Le patient qui a subi un dommage du fait d'un produit de santé dispose de plusieurs recours pour obtenir réparation.

Il peut, en premier lieu, agir directement contre le médecin ou l'établissement qui l'a soigné ; on sait, toutefois, que ce recours risque de ne pas aboutir compte tenu de l'interprétation de l'article L. 1142-1 du Code de santé publique (N° Lexbase : L1910IEH) qui semble prévaloir et qui imposerait d'examiner cette question par le prisme du régime spécial des victimes de produits défectueux. Or, les médecins et les établissements qui se contentent de prescrire et d'administrer des produits de santé fabriqués par d'autres pourront s'exonérer dès lors qu'ils identifieront le producteur, vers lequel la victime devra alors impérativement se tourner (6).

Le patient peut, en deuxième lieu, agir directement contre le producteur soit en se fondant sur un manquement à son obligation de sécurité de résultat, pour les produits mis en circulation avant l'entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998, soit sur les dispositions des articles 1386-1 (N° Lexbase : L1494ABX) et suivants du Code civil pour les produits mis en circulation après.

Enfin, s'il ne parvient pas à obtenir réparation auprès du producteur, le patient pourra être indemnisé par l'ONIAM, au titre de la solidarité nationale, dans le cadre de la prise en charge des affections iatrogènes, à condition que l'acte médical soit postérieur au 4 septembre 2001 et que le seuil de gravité ait été atteint (7).

Confirmation du caractère défectueux du Dermalive. Cet arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 25 juin 2009 concernait un produit dont le caractère défectueux avait déjà été établi par la Haute juridiction, le Dermalive (8).

Dans cette nouvelle affaire, un chirurgien esthétique avait, en mars et avril 1999, procédé à plusieurs injections de Dermalive pour combler les rides du visage d'un patient, ce produit ayant été fabriqué par la société Dermatech et mis sur le marché en octobre 1998. Ayant présenté, dès septembre 1999, des nodules au niveau des sites d'injection et ayant dû subir l'ablation de nombreux granulomes, ce patient avait assigné le médecin et le fabricant du produit en insistant sur le caractère insuffisant des informations qui lui avaient été communiquées sur les risques associés à l'utilisation de ce produit.

Le médecin avait été condamné, mais le fabricant avait été mis hors de cause. Pour ce faire, la cour d'appel d'Aix-en-Provence avait considéré que, compte tenu, d'une part, de ce que les éléments de la notice d'utilisation, à laquelle le praticien devait se référer, faisant état, au titre des effets indésirables, du risque de réactions inflammatoires (rougeurs, oedèmes) susceptibles "d'être associées à des démangeaisons, des douleurs à la pression pouvant survenir après l'injection", devaient être portés à la connaissance de la patiente, et, d'autre part, de la récente mise sur le marché, la patiente ne pouvait prétendre que le produit devait offrir une sécurité absolue, et que la société Dermatech, ayant obtenu un certificat de libre vente délivré par l'AFSSAPS, autorité sanitaire placée sous la tutelle du ministre de la Santé, démontrait de ce fait avoir procédé à l'ensemble des tests exigés par les dispositions légales et réglementaires en vigueur au moment de la mise en circulation.

C'est la mise hors de cause de la société Dermatech qui vaut à l'arrêt des juges aixois la cassation pour violation des articles 1386-4 (N° Lexbase : L1497AB3) et 1386-10 (N° Lexbase : L1503ABB) du Code civil. Selon la Haute juridiction, en effet, "le produit, eu égard à la gravité des effets nocifs constatés dont ni la notice d'information remise au praticien ni la brochure publicitaire destinée à la patiente ne faisaient état, n'offrait pas, dans ces circonstances, la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre, alors même qu'il avait fait l'objet d'un certificat de libre vente".

L'obligation de délivrer une information précise sur le produit. Cet arrêt est particulièrement intéressant (9) dans la mesure où il démontre que l'information due au patient sur les effets indésirables ou risques associés au produit doit porter non seulement non seulement sur leur nature, ce qui avait d'ailleurs conduit à la qualification de défaut dans la première affaire en 2007, mais également sur leur gravité. Une chose est, en effet, de dire qu'un produit est susceptible de provoquer des nodules, une autre est de préciser que ces nodules peuvent être d'une taille telle qu'une opération chirurgicale peut s'avérer nécessaire pour procéder à leur ablation.

Cette exigence d'une information qualitative permettant au patient de connaître exactement le degré de sécurité du produit utilisé est parfaitement justifiée car cette obligation doit effectivement permettre une décision prise en connaissance de cause.

B - Exonération du fabricant

Si le juge national, saisi d'un litige entrant dans le domaine d'application d'une Directive, est tenu d'interpréter son droit interne à la lumière du texte et de la finalité de cette Directive, c'est à la condition que celle-ci soit contraignante pour l'Etat membre et ne lui laisse pas une faculté d'option pour l'adaptation de son droit national au droit communautaire ; que l'article 15-1 c de la Directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (N° Lexbase : L9620AUT), leur laissait la faculté d'introduire ou non dans leur législation interne l'exonération pour risque de développement, de sorte que les dispositions de l'article 7, e) de la Directive, alors non encore transposée, prévoyant ce cas d'exonération, ne pouvaient donner lieu à une interprétation conforme des textes de droit interne, dans un litige entre particuliers.
Ayant constaté que l'affection dont avait souffert la patiente était en relation directe et certaine avec l'administration de l'Isoméride, ce dont il résultait que la société Les Laboratoires Servier avait manqué à son obligation de fournir un produit exempt de tout défaut de nature à créer un danger pour les personnes et les biens, c'est à dire un produit offrant la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre, sans faculté d'exonération pour risque de développement, la cour d'appel a violé les articles 1147
(N° Lexbase : L1248ABT) et 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) du Code civil.

Condamnation du fabricant de l'Isoméride. La Cour de cassation confirme ici la condamnation du fabricant de l'Isoméride, déjà admise en 2006, et fondée sur les insuffisances relevées dans la notice d'information de ce produit utilisé contre l'obésité, et impliqué dans des affaires ayant provoqué des hypertensions artérielles pulmonaires primitives (HTAPP) et des complications gravissimes (10).

Cette fois-ci, la cour d'appel de Versailles avait exonéré le fabricant de toute responsabilité en se fondant sur l'état des connaissances scientifiques à l'époque de la mise en circulation du produit qui ne permettaient pas de connaître l'existence de ce risque d'HTAPP, et s'était appuyée sur les dispositions de la Directive du 25 juillet 1985 qui prévoient cette faculté d'exonération.

Les faits étant antérieurs à 1998, les magistrats versaillais avaient considéré qu'il y avait lieu d'interpréter le droit commun à la lumière de la Directive et donc d'accorder au producteur le bénéfice de l'exonération pour "risque de développement" retenue, d'ailleurs, par le législateur français dans l'article 1386-11 (N° Lexbase : L1504ABC) depuis la loi de transposition intervenue le 19 mai 1998 (loi n° 98-389, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux N° Lexbase : L2448AXX).

Une exonération du producteur provocatrice. La position adoptée par la cour de Versailles apparaissait comme une sorte de provocation dans la mesure où pareille argumentation avait déjà valu la cassation à la cour d'appel de Paris, dans l'affaire du Pentasa (11).

Rappelons simplement, ici, que l'obligation faite au juge national d'interpréter son droit à la lumière de la Directive suppose que celle-ci ne laisse pas aux Etats une option de transposition, ce qui est précisément le cas s'agissant du caractère ou non exonératoire du risque de développement. Dès lors, le juge qui s'estimerait lié par les termes de la Directive s'exposerait immanquablement à une cassation.

Il est, toutefois, intéressant de constater que même si rien ne contraint le juge français à modifier sa jurisprudence, de nombreux éléments pourraient l'y inciter.

On sait, en effet, que, classiquement, la jurisprudence refuse d'exonérer le responsable sous prétexte qu'au moment où son produit a été mis en circulation l'état des connaissances scientifiques ne lui permettait pas de déceler le défaut (12).

Or, le législateur français a fait un autre choix lorsqu'il a transposé la Directive du 25 juillet 1985 en consacrant cette cause d'exonération (13), hormis pour les éléments du corps humain et les produits issus de celui-ci (14), et la jurisprudence sur la force majeure exonératoire a également changé puisque le critère de l'extériorité a été abandonné en 2006 (15), il est vrai dans des affaires ne concernant pas la responsabilité médicale.

Cet arrêt du 9 juillet 2009 démontre la volonté persistante de la Cour de cassation de demeurer très protectrice des intérêts des victimes, ce dont on ne pourra que se réjouir. Sur un plan strictement juridique, on sait que le Code civil n'a pas défini la force majeure, laissant ainsi au juge le soin d'en ajuster les critères en fonction des circonstances. On ne saurait, par conséquent, reprocher à la Cour de cassation de jouer son rôle !

III - Indemnisation des enfants nés handicapés

  • Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, Mme Vered Elbaz et a., c/ M. Herbert Pfeffer et a., pourvoi n° 08 12.457, Mme Vered Elbaz, FS-D (N° Lexbase : A7260EIQ)

La mise en oeuvre d'une interruption volontaire de grossesse pour motif médical, requiert que les conditions prescrites par l'article L. 2213-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L3675DLP) soient réunies. La cour d'appel, qui a constaté que la preuve n'était pas rapportée que l'affection dont était atteinte l'enfant, bien qu'incurable, présentait le seuil de particulière gravité exigée par le texte, en a déduit que les parents n'avaient perdu aucune chance de procéder à une interruption de grossesse.
La perte de chance de recourir à une interruption volontaire de grossesse s'apprécie au regard du droit français seul applicable en l'espèce.

Cadre juridique applicable. On sait que l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 1er de la loi "Kouchner" du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé N° Lexbase : L1457AXA) n'a pas totalement tari le contentieux de la naissance d'enfants nés handicapés après qu'une faute médicale a privé les parents de la possibilité d'interrompre la grossesse avant terme, dans la mesure où l'application de ces dispositions à des enfants nés avant le 6 mars 2002 viole l'article 1er du Protocole n° 1 additionnel à la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9) (16).

Il n'est pas étonnant de voir arriver devant la Cour de cassation des affaires s'inscrivant dans le contexte des arrêts "Perruche" (Ass. plén., 17 novembre 2000, deux arrêts, n° 99-13.701, M. X, ès qualités d'administrateur légal des biens de son fils mineur Nicolas et autre c/ Mutuelle d'assurance du corps sanitaire français et autres N° Lexbase : A1704ATB et n° 99-12.701, M. P. c/ Mutuelle d'assurance du corps sanitaire français, X, Laboratoire de biologie médicale de Yerre, Caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne N° Lexbase : A7724AHK), comme c'est le cas de cet arrêt.

L'affaire. Dans cette affaire, un enfant était né fin 1996 avec une agénésie de l'avant-bras droit non détectée lors des treize échographies effectuées par deux praticiens différents. Les parents avaient assigné ces praticiens et leurs assureurs en responsabilité et réparation de leurs préjudices propres ainsi que du préjudice causé à leur fille, leur reprochant des examens insuffisamment consciencieux qui n'avaient pas permis de s'assurer de l'absence de malformation du foetus, les privant ainsi de la possibilité de recourir à une interruption de grossesse pratiquée pour motif médical. Déboutés en appel, ils avaient formé un pourvoi en cassation mais sont de nouveau déboutés, comme on pouvait s'y attendre.

Un rejet des prétentions des victimes justifiées. Le succès des prétentions des parents d'enfants nés handicapés est en effet lié à deux conditions, l'une subjective, liée à la décision que les parents auraient prise s'ils avaient eu connaissance du handicap dont souffrait le foetus, l'autre objective, dépendant du caractère effectif du droit à interrompre la grossesse dont ils ont été privés. Dès lors, et pour ne s'intéresser qu'à la seconde condition, l'imputabilité du dommage, résultant de la naissance de l'enfant handicapé, aux fautes médicales, suppose que les conditions légales du recours à une interruption de grossesse aient été réunies, soit avant la fin des douze premières semaines de la grossesse, soit dans le cadre d'une interruption pour un motif médical (17).

Dans cette affaire, les parents se fondaient non pas sur les dispositions du Code de la santé publique français, mais sur les dispositions du droit israélien qui autorise le recours à une interruption de grossesse pour motif thérapeutique dans des conditions semble-t-il plus larges que le droit français.

L'argument est balayé par la première chambre civile de la Cour de cassation qui considère que le juge français ne doit se situer qu'au regard de la loi française, "seule applicable en l'espèce", et non d'une loi étrangère qui se montrerait plus favorable aux intérêts des demandeurs, et considère que la malformation dont souffrait le foetus n'aurait pas été de nature à justifier une interruption de la grossesse pour un motif médical.

Une argumentation discutable. Qu'il nous soit permis de contester cette dernière affirmation et le rejet des prétentions des demandeurs au prétexte que seule la loi française serait applicable au litige.

Faut-il le rappeler, le différend portait non pas sur la question de savoir si les parents peuvent ou non avoir recours à une interruption de grossesse pour motif médical, dans le cadre du droit français, mais seulement de déterminer s'ils ont perdu une chance de recourir à une interruption de grossesse. Certes, dans la plupart des hypothèses, la question se règlera par référence au droit français, qu'il s'agisse d'apprécier le délai de l'interruption pour cause de détresse de la mère ou les conditions de l'interruption pour motif médical. Mais la référence à la loi française n'a ici rien d'obligatoire et ne constitue qu'une simple indication, compte tenu des faits de l'espèce. Puisqu'il s'agit de déterminer si une chance a été perdue, alors il convient de tenir compte des données concrètes propres à l'espèce : les demandeurs ont-ils déjà eu recours à une interruption de grossesse en dehors du sol français, résident-ils près d'une frontière d'un état à la législation plus libérale que la nôtre, ou sont-ils enclins, par leur nationalité ou leur origine, à envisager un acte médical à l'étranger ? Or, les demandeurs résidaient en Israël ; est-il dès lors impensable qu'ils aient pu envisager de demander l'autorisation d'interrompre la grossesse dans ce pays s'ils en avaient l'opportunité et s'ils pensaient que leur demande aurait plus de chances d'aboutir ? Certainement non (18). En fermant la porte, par principe, à l'analyse de la situation au regard du fait que les demandeurs étaient susceptibles de faire interrompre la grossesse à l'étranger, la première chambre civile de la Cour de cassation nous semble particulièrement mal inspirée et singulièrement dogmatique, dans un domaine où il ne convient pas de l'être à l'excès.


(1) Le siège de la responsabilité médicale pour faute est actuellement l'article L. 1142-1, I du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH).
(2) Sur la responsabilité des établissements psychiatriques, et singulièrement l'absence de faute de surveillance : Cass. civ. 1, 17 janvier 2008, n° 07-14.284, Mme Marie-Christine Couffin, épouse Mourlhou, F-D (N° Lexbase : A7813D3R), et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (janvier à mars 2008), Lexbase Hebdo n° 299 du 3 avril 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N6278BEA).
(3) Cass. civ. 1, 31 mai 2007, n° 06-12.641, M. Gérald Bureau, F-D (N° Lexbase : A5130DWW), et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (période du 15 avril 2007 au 15 septembre 2007), Lexbase Hebdo n° 273 du 19 septembre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N4649BC8) : "ne commet pas de faute le médecin qui ne peut poser le diagnostic exact lorsque les symptômes rendent ce diagnostic particulièrement difficile à établir".
(4) Pour une condamnation d'un médecin en raison, notamment, du caractère fautif de l'intervention : Cass. civ. 1, 28 juin 2007, n° 06-17.968, inédit (N° Lexbase : A9486DWA), et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (période du 15 avril 2007 au 15 septembre 2007), préc. ; Cass. crim., 2 décembre 2008, n° 07-87.821, Chantal X, inédit (N° Lexbase : A7484EEW), et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (décembre 2008 à mars 2009) (première partie), Lexbase Hebdo n° 345 du 8 avril 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N0099BKU).
(5) Cass. civ. 1, 6 décembre 2007, n° 06-19.301, Mme Jeanne Champarnaud, épouse Larénaudie, FS-P+B (N° Lexbase : A0359D3P), et nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (novembre 2007 - janvier 2008) (première partie), Lexbase Hebdo n° 288 du 17 janvier 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N8050BDI).
(6) C. civ., art. 1386-7 (N° Lexbase : L1375HIR). Sur ce débat, nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (octobre à décembre 2008), Lexbase Hebdo n° 333 du 15 janvier 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N2339BIH).
(7) C. santé. publ., art. L. 1142-1, II.
(8) Cass. civ. 1, 22 novembre 2007, n° 06-14.174, Société Dermatech, F-P+B (N° Lexbase : A7100DZY), et les obs. in Panorama de responsabilité médicale (novembre 2007 - janvier 2008) (seconde partie), préc..
(9) S'agissant de l'impact sur l'autorisation de distribution du produit délivrée par l'AFSSAPS, la loi elle-même (C. civ., art. 1386-10) nous dit clairement qu'elle ne saurait exonérer le producteur de sa responsabilité ; la cour d'Aix-en-Provence avait par conséquent été bien mal avisée de se fonder sur cette circonstance dans sa décision.
(10) Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, n° 02-16.648, Société Les Laboratoires Servier c/ Mme Anna Ferreira, épouse Paulos, FS-P+B (N° Lexbase : A6042DMQ), Resp. civ. et assur., 2006, comm. 90, et Anne-Laure Blouet-Patin, Responsabilité des produits défectueux : la Cour de cassation persiste et signe, Lexbase Hebdo n° 201 du 9 février 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N4240AKA).
(11) Cass. civ. 1, 15 mai 2007, préc. et les obs. préc., RDC, 2007, p. 1147, note J.-S. Borghetti.
(12) Notamment, Cass. civ. 1, 12 avril 1995, n° 92-20.747, Consorts X c/ Centre régional de transfusion sanguine de l'hôpital Purpan (N° Lexbase : A4877ACM), JCP éd. G, 1995, II, 22467, note P. Jourdain. Ce refus a été confirmé d'ailleurs dans l'affaire du Pentasa (préc.).
(13) C. civ., art. 1386-11, 4°.
(14) C. civ., art. 1386-12 (N° Lexbase : L9248GU3).
(15) Ass. plén., 14 avril 2006, n° 04-18.902, M. Stéphane Brugiroux c/ Régie autonome des transports parisiens (RATP), P (N° Lexbase : A2092DP8), Resp. civ. et assur., 2006, chron. 8, L. Bloch ; D., 2006, p. 1577, note P. Jourdain, p. 1566, chron. D. Noguéro ; JCP éd. G, 2006, II, 10087, note P. Grosser.
(16) Cass. civ. 1, 8 juillet 2008, n° 07-12.159, M. Eric Lallement, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5290D9S), et nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (avril à septembre 2008), Lexbase Hebdo n° 321 du 7 octobre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N3835BHI).
(17) Ass. plén., 13 juillet 2001, 3 arrêts, n° 97-17.359, Epoux X c/ M. Y et autres (N° Lexbase : A1078AUH), n° 97-19.282, Epoux X c/ Mme Y et autre (N° Lexbase : A1079AUI) et n° 98-19.190, Consorts X c/ M. Y et autres (N° Lexbase : A1080AUK), D., 2001, jurispr. p. 2325, note P. Jourdain, somm. p. 1314, obs. D. Mazeaud ; également, Ass. plén., 28 novembre 2001, 2 arrêts, n° 00-11.197, M. X (N° Lexbase : A2337AXT) et n° 00-14.248, Mme X (N° Lexbase : A2338AXU), JCP éd. G, 2002, II, 10018, concl. J. Sainte-Rose, note F. Chabas ; lire M. Fabre-Magnan, Avortement et responsabilité médicale, RTDCiv., 2001, p. 285-318 et notre chron. Retour sur le phénomène Perruche : vrais enjeux et faux semblants, dans Mélanges en l'honneur de Ch. Lapoyade Deschamps, PUB, Bordeaux, 2003, p. 231 s..
(18) On estime chaque année à environ 5 000 le nombre d'IVG pratiqués à l'étranger, sur un total de 220 000 actes pratiqués chaque année.

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