La lettre juridique n°361 du 30 juillet 2009 : Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Cessions d'actions d'un dirigeant à une société ayant pris l'engagement de les racheter dans le cadre d'un plan d'actionnariat au regard de la qualification d'avantage occulte

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 3 juillet 2009, n° 306363, Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique c/ M. du Plessis de Pouzilhac (N° Lexbase : A5623EI4) ; CE 3° et 8° s-s-r., 3 juillet 2009, n° 301299, M. Hérail (N° Lexbase : A5618EIW)

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[Jurisprudence] Cessions d'actions d'un dirigeant à une société ayant pris l'engagement de les racheter dans le cadre d'un plan d'actionnariat au regard de la qualification d'avantage occulte. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211922-jurisprudence-cessions-dactions-dun-dirigeant-a-une-societe-ayant-pris-lengagement-de-les-racheter-d
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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes

le 07 Octobre 2010

Le Conseil d'Etat, par deux arrêts rendus le 3 juillet 2009 apporte d'utiles précisions sur la qualification de revenus occultes en cas de rachat par une société de titres proposés à un dirigeant dans le cadre d'un plan d'actionnariat. Le Conseil d'Etat rappelle que la valeur vénale d'actions non admises à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue. Le Conseil d'Etat invalide la position de l'administration qui a considéré que l'acquisition d'actions à un prix majoré par rapport à la valeur vénale des titres constituait une libéralité représentant un avantage occulte au sens du c de l'article 111 du CGI (N° Lexbase : L2066HL4), ces revenus majorés de 125 % devant être soumis au barème progressif de l'IR entre les mains du bénéficiaire de la libéralité. Dans la première affaire "Plessis de Pouzilhac", les faits sont les suivants : M. P., président du conseil d'administration des sociétés HDM et HDMI, filiales de la société Eurocom, a acquis en 1984, 4 400 actions de la société HDM au prix unitaire de 262 francs (soit 40 euros environ) et en 1987, 4 400 actions au prix unitaire de 752,95 francs (soit 115 euros environ) dans le cadre d'un plan d'actionnariat des cadres de cette société comportant une promesse de rachat de titres. M. P. a cédé à la société HDMI, le 27 février 1989 et le 17 janvier 1990 la totalité de ces actions, par moitiés, à un prix unitaire de 6 985 francs (soit 1 065 euros environ). Postérieurement à une vérification de comptabilité de la société Eurocom, venant aux droits de la société HDMI, l'administration a estimé que le prix payé par cette société avait été délibérément majoré, sans contrepartie, par rapport à la valeur vénale de ces titres et que, par suite, l'écart entre leur valeur réelle et celle dont le cédant avait bénéficié lors de ce rachat devait être regardé comme une libéralité accordée par la société HDMI. En conséquence, elle a notifié à M. P. un redressement des bases de l'impôt sur le revenu au titre des années 1989 et 1990 sur le fondement du c) de l'article 111 du CGI. Le ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique se pourvoyait en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai en date du 4 avril 2007 (CAA Douai, 3ème ch., 4 avril 2007, n° 05DA00413 N° Lexbase : A2863DWX) en tant qu'il avait rejeté le recours tendant à l'annulation du jugement en date du 17 décembre 2004 du tribunal administratif de Rouen dès lors que les premiers juges avaient réduit les bases de l'impôt sur le revenu assigné à M. P. au titre de l'année 1989 et prononcé la réduction des droits et des pénalités correspondant à cette réduction.

La décision du Conseil d'Etat "Plessis de Pouzilhac" tout comme l'arrêt "Herail" rendue le même jour, pour le directeur général de la société Eurocom et de ses filiales les sociétés HDM et HDMI, prolonge l'analyse retenue par la cour administrative d'appel de Nancy rendue le 13 mai 2009 (CAA Nancy, 2ème ch., 13 mai 2009, n° 08NC00905, M. et Mme Bleger N° Lexbase : A4052EHK), décision dans laquelle la cour administrative d'appel de Nancy avait retenu que la société actionnaire pouvait avoir un intérêt propre à accroître la valeur des titres de sa filiale en associant les dirigeants à son développement, et considéré que la réalité de l'intention libérale n'était pas établie. L'arrêt du Conseil d'Etat "Plessis de Pouzilhac", dans lequel il ne s'agit pas de vente à un prix minoré mais d'acquisition à un prix majoré, s'inscrit dans un courant jurisprudentiel constant pour ce qui est des critères constitutifs d'une libéralité représentative d'avantage occulte sur le terrain de l'article 111 c du CGI, notamment en matière de cession de valeurs mobilières : l'avantage octroyé ne peut être qualifié de libéralité que si l'écart de prix est significatif et dépourvu de contrepartie.

1. La libéralité représentative d'un avantage occulte est révélée par une intention pour la société d'octroyer et du cocontractant de recevoir

L'existence d'une libéralité constitue l'élément subjectif révélant une distribution occulte et doit ressortir des circonstances de l'espèce.

1.1. La libéralité, élément subjectif nécessaire à la qualification de rémunération ou d'avantage occulte au sens de l'article 111 c du CGI

En cas d'acquisition par une société de titres à un prix que les parties ont délibérément majoré par rapport à la valeur vénale de l'objet de la transaction ou, s'il s'agit d'une vente délibérément minorée, sans que cet écart de prix ne comporte de contrepartie, l'avantage ainsi octroyé doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices au sens des dispositions du c) de l'article 111 du CGI. La preuve d'une telle distribution suppose que soit établie une intention pour la société d'octroyer et pour le cocontractant de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession. Dans l'arrêt "Plessis de Pouzilhac" et dans l'arrêt "Herail", le Conseil d'Etat juge que les différences de prix constatées pour des transactions portant sur les cessions d'actions par le président du conseil d'administration des sociétés HDM et HDMI ("Plessis de Pouzilhac") et le directeur adjoint de la société Eurocom et de ses filiales, HDM et HDMI ("Herail"), effectuées à des dates proches ne révèlent pas, par elles-mêmes, l'existence d'une libéralité. Dans les deux cas, une société HDMI s'était engagée dans le cadre du plan d'actionnariat proposé aux dirigeants de la société HDM, à racheter leurs actions à une valeur de marché fixée à dire d'expert.

La mise en oeuvre des dispositions de l'article 111 c du CGI est redoutable et, sans passer par l'acte anormal de gestion, permet de regarder une libéralité comme représentant un avantage occulte. Toutefois, cette libéralité peut être neutralisée. L'administration doit établir l'intention pour la société d'octroyer et pour le cocontractant de recevoir une libéralité du fait des conditions de la cession. Le Conseil d'Etat ne retient pas que cette intention soit établie du fait d'une succession des transactions à des dates proches. En l'espèce, M. P. avait cédé à deux reprises des actions à HDMI, les 27 février 1989 et 17 janvier 1990, il en allait de même pour M. H. les 15 mars 1989 et 17 janvier 1990.

L'existence d'une telle libéralité a été retenue non pas pour des actionnaires mais à propos de sommes comptabilisées en salaires et imposant le détour par l'acte anormal de gestion. La cour administrative d'appel de Marseille a jugé que le versement de sommes par une société à un bénéficiaire n'exerçant aucune fonction dans l'entreprise doit être considéré comme un avantage occulte constitutif d'un revenu distribué au sens de l'article 111, c du CGI, malgré sa comptabilisation comme salaire par la société. Ces sommes doivent, par conséquent, être imposées dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers (CAA Marseille, 4ème ch., 6 janvier 2009, n° 06MA01264, Mme Lesot N° Lexbase : A9143EGQ ; et aussi CE, 28 février 2001, n° 199295, M. Thérond N° Lexbase : A0777ATX). En l'espèce, dans la décision "Plessis de Pouzilhac", le gain né de la majoration du prix d'acquisition, s'il avait été qualifié de libéralité, aurait emporté rehaussement mécanique à l'IR dans la catégorie des revenus de capitaux mobilier en application du 111 c du CGI. Mais autant la libéralité née de la minoration du prix de vente d'action pouvait être neutralisée en faisant valoir qu'il s'agissait de fidéliser un talent comme dans la décision "Bleger" de la cour administrative d'appel de Nancy, autant il était difficile de retenir l'argument s'agissant du rachat par la société des titres cédés au dirigeant dans le cadre du plan d'actionnariat.

Une libéralité peut ne pas représenter un avantage occulte à la condition rarement réalisée d'être pure. La notion de libéralités pures a été précisée dans le cadre de la fiscalité des personnes. Deux conditions sont demandées pour que l'on se trouve en présence d'une pure libéralité. La somme ne doit, tout d'abord, comporter aucune contrepartie pour le donateur, ni pour le passé ni pour l'avenir. Une seconde condition retient que le gain doit avoir un caractère bénévole pour le donateur. L'aide apportée doit l'avoir été sans aucune obligation juridique. Ainsi, n'est pas une libéralité le versement effectué en vertu d'un jugement, d'un contrat ou d'une obligation légale. Pour identifier cette intention bénévole, le Conseil d'Etat paraît tenir compte du comportement du bénéficiaire ; sera considérée comme bénévole la libéralité qui ne découle pas d'un certain comportement adopté par le bénéficiaire de façon à recueillir cette libéralité.

1.2. La charge de la preuve de l'existence de l'intention libérale incombe à l'administration

Lorsqu'il n'est pas démontré que le dirigeant a exercé une activité en dehors du cadre normal de ses fonctions en vue d'en tirer un revenu et que les actionnaires cédants n'étaient pas mus par une intention libérale, il y a lieu de considérer que le supplément de gain obtenu par suite de l'achat ou de la vente de titres à un prix différent de la valeur vénale résulte de la négociation avec les autres actionnaires par le jeu normal de l'offre et de la demande, et se rattache à la catégorie de plus-values de cession de valeurs mobilières.

L'administration a la charge d'apporter la preuve de l'intention libérale du cédant à partir des circonstances de la cession de titres (CE, 3° et 8° s-s-r., 7 février 2007, n° 279588, Société Weil Besançon N° Lexbase : A9638DT7). Lorsque le prix de cession est surévalué mais correspond, pour partie, à une indemnité versée pour mettre un terme à des poursuites pénales engagées à l'encontre de la société acquéreuse, les juges regardent le prix payé comme ne constituant pas une libéralité (CAA Versailles, 3ème ch., 27 mars 2008, n° 06VE02302, Société Finindusco N° Lexbase : A0695D8A). Le service, dans la décision "Plessis de Pouzilhac" tentait bien de démontrer l'intention libérale en faisant valoir que d'autres opérations de rachat d'actions au profit de cadres dirigeants de la société HDM avaient été effectuées sur la base d'un prix par action inférieur à celui des cessions litigieuses, mais le Conseil d'Etat écarte cet argument en faisant valoir, d'une part, que les différences de prix ne suffisent pas à démontrer la surévaluation du prix obtenu par M. P. et en estimant que les différences de prix constatées reflétaient le pouvoir de négociation des vendeurs et leur niveau de connaissance du marché et des données particulières à l'entreprise. L'équation personnelle du dirigeant, sans doute son talent, apparaît ainsi comme un élément d'appréciation de la valeur vénale sur un marché non réglementé.

2. L'écart significatif entre le prix d'acquisition et la valeur vénale présume une distribution occulte faute pour le bénéficiaire d'établir la réalité de contreparties

La distribution occulte est établie lorsque, à l'intention libérale, se conjugue l'élément objectif constitué par un écart significatif de prix de cession ou d'acquisition des actions.

2.1. L'intention libérale est présumée lorsqu'une différence significative existe entre le prix de cession ou d'acquisition et la valeur réelle des titres

Dans les deux affaires du 3 juillet 2009, "Plessis de Pouzilhac" et "Herail", le service ne critiquait pas utilement la pertinence des approches méthodologiques des experts et ne mettait pas, ce faisant, en évidence l'existence d'un écart significatif de prix. Lorsqu'un écart significatif de prix est mis en évidence, l'intention libérale est présumée et le bénéficiaire ne peut neutraliser la libéralité que s'il montre l'existence de contreparties. Dans la décision "Bleger", la cour administrative d'appel de Nancy avait jugé que le service ne pouvait déduire de l'anormalité du prix l'intention de la société d'accorder une libéralité, dès lors qu'elle ne contredisait pas le contribuable lorsque celui-ci faisait état de ce que l'opération visait à fidéliser les cadres de l'équipe de direction. La cour reprochait à l'administration de ne pas avoir recherché, puisque le contribuable l'y invitait, si la minoration de prix, loin d'être un effet de la générosité de l'actionnaire, avait pour objet d'encourager les dirigeants à devenir actionnaires pour renforcer leurs liens avec l'entreprise, ce dont il devait résulter une perspective de gain plus importante pour l'actionnaire. L'administration, sans analyser l'existence de ces contreparties, s'était bornée à déduire l'intention libérale de la société actionnaire de la simple existence d'un écart de prix.

Le service doit, toutefois, dans un premier mouvement, établir la réalité d'un écart significatif de prix, ce qui impose alors aux bénéficiaires de démontrer la réalité de contreparties justifiant le supplément de prix constitutif d'une libéralité. Dans la décision "Herail" du Conseil d'Etat, le service pensait avoir établi la réalité d'un écart significatif de prix en estimant que les évaluations de titres auxquelles concluaient les trois rapports d'expertise devaient être corrigées pour tenir compte d'un abattement pour non-liquidité de 33 % au motif que les titres en cause n'étaient pas admis sur un marché réglementé. Mais les règles de rachat des titres avaient été précisées dans l'engagement permanent pris par la société HDMI vis-à-vis de M. H. et cet engagement ne garantissait nullement une liquidité permanente, pas plus qu'il ne prévoyait d'appliquer, faute d'être étayée, une décote de minorité de 20 %.

De même, dans la décision "Plessis de Pouzilhac", le Conseil d'Etat juge que la surévaluation n'est pas établie. La valeur fixée par les experts n'est pas critiquée utilement et ne révèle pas l'existence d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale des titres. De plus, l'administration n'a pas suffisamment pris en compte dans ses évaluations les perspectives favorables du marché de la publicité jusqu'au début des années 1990 et le développement très rapide de la société HDM, devenue en 1989 le premier groupe français de conseil en communication après avoir multiplié par plus de treize son résultat net consolidé par rapport à 1985. Par ailleurs, le Conseil d'Etat écarte la circonstance que d'autres opérations de rachat d'actions au profit de cadres dirigeants de la société HDM avaient été effectuées sur la base d'un prix par action inférieur à celui des cessions litigieuses. Cette seule circonstance ne suffisant pas à établir la réalité d'un écart de prix. Les différences de prix pour le juge reflétant simplement le pouvoir de négociation des vendeurs et leur niveau de connaissance du marché et des données particulières à l'entreprise.

2.2. Il appartient au bénéficiaire de la cession de titres, lorsque l'écart de prix est significatif, de démontrer l'existence d'une contrepartie

Dans l'arrêt "Plessis de Pouzilhac", le bénéficiaire n'a pas à établir la réalité de la contrepartie puisque l'écart de prix n'est pas significatif. Toutefois, quand les conditions de la transaction font apparaître que le prix de cession s'est écarté de la valeur vénale, c'est au contribuable de faire état de contrepartie mais le juge recherche aussi si le contribuable s'est livré à des diligences particulières qui expliqueraient cette différence, en entraînant la réalisation d'un "profit" au sens fiscal (CE, 8° et 9° s-s-r., 9 novembre 1987, n° 46887 et n° 47894, M. Gentizon N° Lexbase : A2530APE). Dans cette affaire, le contribuable était intervenu en qualité de mandataire de ses coassociés pour permettre le dénouement des cessions de titres qui lui avaient été confiées ; le juge a retenu que la répartition inégalitaire du prix de cession qui s'était faite à son avantage, rémunérait en fait les démarches et diligences auxquelles il s'est livré. Cette contrepartie peut être appréciée de manière large. Ainsi, le Conseil d'Etat a encore jugé qu'une cession de titres pour un prix inférieur à la valeur vénale ne présentait pas un intérêt propre pour le cédant, qui soutenait pourtant que la vente conditionnait la stabilité de l'actionnariat nécessaire au développement de l'activité de la société compte tenu de l'implication personnelle des associés (CE, 8° et 3° s-s-r., 19 novembre 2008, n° 308449, SARL Financière François Dufour N° Lexbase : A3176EBA). On peut se demander si des motivations économiques sont admises comme contreparties ? De fait, la référence faite par le Conseil d'Etat à "tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui entraîné par le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue", laisse penser que puisse être inclus parmi les éléments à prendre en compte pour apprécier la réalité de contrepartie, la motivation de ces opérations d'achat d'actions dans le cadre d'un plan d'actionnariat de cadre : fidéliser le cadre et récompenser son talent.

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