La lettre juridique n°361 du 30 juillet 2009 : Avocats

[Questions à...] Soumission des dividendes de SEL aux cotisations sociales : recours en annulation du décret du 16 avril 2009 - Questions à Maître Jean-Yves Mercier, avocat associé du cabinet CMS Francis Lefebvre

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N1391BL4

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[Questions à...] Soumission des dividendes de SEL aux cotisations sociales : recours en annulation du décret du 16 avril 2009 - Questions à Maître Jean-Yves Mercier, avocat associé du cabinet CMS Francis Lefebvre. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211920-questionsasoumissiondesdividendesdeselauxcotisationssocialesrecoursenannulationdudecre
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

le 02 Mars 2012

L'article 22 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, de financement de la Sécurité sociale pour l'année 2009 (LFSS 2009) (N° Lexbase : L2678IC8) a modifié l'article L. 131-6 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8948HWC), qui détermine l'assiette des cotisations sociales (dont la CSG et la CRDS) dues par les travailleurs non salariés des professions non agricoles. Alors que seul le revenu professionnel retenu pour le calcul de l'impôt sur le revenu entrait dans cette assiette, la loi y soumet, désormais, dans les sociétés d'exercice libéral (SEL), "la part des revenus mentionnés aux articles 108 (N° Lexbase : L2059HLT) à 115 du Code général des impôts [...] et des revenus visés au 4° de l'article 124 (N° Lexbase : L2139HLS) du même code qui est supérieure à 10 % du capital social, des primes d'émission et des sommes versées en compte courant". Autrement dit, les dividendes perçus par les associés des SEL entrent pour partie dans l'assiette des cotisations sociales. Le décret n° 2009-423 du 16 avril 2009 (N° Lexbase : L0987IEB), publié au Journal officiel du 18 avril 2009, insère un nouvel article R. 131-2 (N° Lexbase : L1009IE4) dans le Code de la Sécurité sociale, venant préciser ce qui entre dans la définition des apports et des sommes versées en compte courant, dans le cadre de la détermination de cette franchise d'impôt de 10 %. Ce texte a fait l'objet d'un recours en annulation, introduit le 6 juin dernier, devant le Conseil d'Etat par le Conseil national des barreaux (CNB) et l'association des Avocats conseils d'entreprises (ACE). Ces derniers font valoir, à l'appui de leur critique du décret, la méconnaissance par la modification législative introduite par la LFSS de règles supra-législatives, eu égard au but poursuivi par le législateur, à savoir lutter contre les abus de certains gérants majoritaires de SELARL, consistant à se verser une rémunération dérisoire au titre de leur activité professionnelle et à laisser le surplus dans la caisse de la société, afin d'en récupérer une partie sous forme de dividendes. Ces pratiques créaient un manque à gagner pour les caisses de retraites, qui ne pouvaient appeler de cotisations sur les dividendes distribués et dont les contestations ont été entendues par le législateur.

Lexbase Hebdo - édition privée générale avait fait le point sur le dispositif proposé par la LFSS 2009 avec Maître Jean-Yves Mercier, avocat associé du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre, peu avant l'adoption du projet de loi (1). Celui-ci a été chargé, aux côtés de Maître Stéphane Austry, d'introduire, devant le Conseil d'Etat, le recours en annulation du décret, sur lequel nous avons choisi de revenir avec lui cette semaine.

Lexbase : Que sont venues préciser les dispositions du décret n° 2009-423 du 16 avril 2009 ?

Jean-Yves Mercier : Depuis la LFSS pour 2009, l'article L. 131-6 du Code de la Sécurité sociale soumet une partie des dividendes distribués dans les SEL aux cotisations sociales. Ainsi, le montant des dividendes distribués supérieur à 10 % du capital social, des primes d'émission et des sommes versées en compte courant entre dans l'assiette des cotisations.

Aux termes de la loi, un décret en Conseil d'Etat devait préciser la nature des apports retenus pour la détermination du capital social, ainsi que les modalités de prise en compte des sommes versées en compte courant. C'est, précisément, l'unique objet du décret n° 2009-423 du 16 avril 2009, insérant l'article R. 131-2 dans le Code de la Sécurité sociale. Le texte définit ce qu'il convient d'entendre par les notions d'"apports retenus pour la détermination du capital social" et de "sommes versées en compte courant d'associé", dans le cadre de la détermination de la franchise d'impôt de 10 %. Il s'agit :

- pour les premiers, des apports en numéraire intégralement libérés et des apports en nature à l'exclusion de ceux constitués par des biens incorporels qui n'ont fait l'objet, ni d'une transaction préalable en numéraire, ni d'une évaluation par un commissaire aux apports ;

- et, pour les secondes, des sommes versées en compte courant qui correspondent au solde moyen annuel du compte courant d'associé (étant précisé que celui-ci est égal à la somme des soldes moyens du compte courant de chaque mois divisée par le nombre de mois compris dans l'exercice).

L'article R. 131-2 précise, enfin, que le montant du capital social, des primes d'émission et des sommes versées en compte courant d'associé est apprécié au dernier jour de l'exercice précédant la distribution des dividendes.

Lexbase : Sur quels fondements repose le recours en annulation du décret n° 2009-423 du 16 avril 2009 ?

Jean-Yves Mercier : Le CNB et l'ACE ont décidé d'intenter un recours devant le Conseil d'Etat en annulation du décret n° 2009-423 du 16 avril 2009.

Ce décret met, en effet, en oeuvre une disposition législative qui est en contradiction, à plusieurs titres, avec les engagements internationaux de la France -en particulier, ceux contractés dans le cadre de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (CESDH)-.

Le dispositif mis en place porte atteinte au droit au respect des biens (les cotisations sociales revêtant cette qualification) (2), au sens de l'article 1er du Protocole n° 1 à la CESDH (N° Lexbase : L1629AZ9). Il met des cotisations indues à la charge des professionnels libéraux exerçant au sein de SEL en frappant leurs dividendes. En effet, ces sommes ne représentent pas des revenus d'activité, puisqu'elles ne sont pas générées directement par l'activité professionnelle, mais constituent une rémunération de nature patrimoniale, comme l'a d'ailleurs jugé le Conseil d'Etat (3). Or, les cotisations sociales ne doivent être prélevées que sur des revenus d'activité. La loi s'affranchit, donc, de ces principes, afin de lutter contre une prétendue évasion fiscale, ainsi que l'ont indiqué les débats parlementaires. La lutte contre l'abus d'optimisation fiscale et sociale revient comme une incantation dans le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, sur les prélèvements obligatoires des indépendants, publiés en mars 2008, puis dans le rapport "Fouquet" (4). Pourtant, aucun constat réel d'abus, ni aucun exemple chiffré ne vient dans ces documents étayer l'affirmation.

La fixation d'un plafond d'exonération des dividendes à 10 % du montant des apports recueillis par la SEL est inadaptée au but que les auteurs de la loi prétendent poursuivre, à savoir lutter contre la surpondération des dividendes par rapport à la rémunération. Cette mesure ne permet pas, en premier lieu, de réserver la sanction aux titulaires de rémunérations anormalement faibles en comparaison du montant des dividendes prélevés. En second lieu, elle frappe aveuglément aussi bien les associés dont les apports sont à l'origine de la création de la SEL que ceux qui ont acquis leurs titres auprès d'un précédent associé pour un prix dépassant la valeur des apports auxquels correspondaient les titres ainsi achetés : alors que leur investissement est plus élevé que celui réalisé par les premiers, ce qui justifierait que le seuil d'assujettissement de leurs dividendes aux cotisations soit rehaussé, ils vont supporter les mêmes cotisations qu'eux. Enfin, la loi néglige le fait que la SEL, notamment s'il s'agit d'une société ancienne issue de la transformation d'une société commerciale à forme classique, a pu, au fil du temps, constituer d'importantes réserves valorisant son actif net à un montant pouvant atteindre plusieurs fois, voire plusieurs dizaines de fois, le montant des apports qu'elle a recueillis de ses associés : en pareille situation, il n'est pas illégitime que le dividende versé dépasse et de loin la limite fixée à 10 % du montant des apports.

Le régime dérogatoire introduit par l'article 22 de la LFSS pour 2009 présente, également, un certain nombre de discriminations, en violation de l'article 14 de la CESDH (N° Lexbase : L4747AQU), notamment :

- une discrimination entre les différentes formes sociales permettant l'exercice des professions salariées non agricoles (est-il justifié que la loi s'en prenne aux associés des seules SEL sans viser, alors que leur situation est identique, ceux des SCP ayant opté pour leur assujettissement à l'impôt sur les sociétés, ceux des associations d'avocats ayant exercé la même option et ceux des sociétés de capitaux de droit commun constituées par certains professionnels libéraux ?) ;

- une discrimination entre les associés ayant le statut de travailleur indépendant et ceux soumis au régime des salariés (ces deux cas de figure pouvant se rencontrer au sein d'une même structure) ;

- et une discrimination entre les associés exerçants et les associés non exerçants (qui sont soumis au même régime d'assujettissement de leurs dividendes aux cotisations, alors même que leurs situations sont très différentes).

Lexbase : Vous mentionnez l'absence d'optimisation fiscale et sociale significative. Pouvez-vous nous fournir un exemple chiffré ?

Jean-Yves Mercier : Prenons le cas de l'associé d'une SEL unipersonnelle qui, après s'être alloué une rémunération annuelle de 100 000 euros entièrement soumise aux cotisations, s'interroge sur l'opportunité, soit de s'allouer un complément de rémunération de 30 000 euros, soit de maintenir cette somme dans la caisse sociale en vue de se verser un dividende de 30 000 euros. Nous dirons qu'il est avocat.

Coût social et fiscal de la rémunération complémentaire :

Dans la situation considérée, les cotisations sociales additionnelles atteignent globalement un taux de 19,3 % : 5,4 % pour les allocations familiales, 5,9 % pour l'assurance maladie et 8 % pour la cotisation retraite due à la CNBF. Ces cotisations venant en déduction du revenu professionnel formant leur base de calcul, le versement global revenant aux caisses concernées se limiteront à 16,177 % de 30 000 euros, soit 4 853 euros (4 853 représente 19,3 % de 30 000 - 4 853).

Le revenu complémentaire de 30 000 euros donnera prise à la CSG/CRDS au taux de 8 %, soit une charge additionnelle de 2 400 euros (à hauteur de 5,1 %, soit 1 530 euros, la CSG viendra en déduction de la base de l'impôt sur le revenu -IR-).

La base d'imposition de la rémunération complémentaire de 30 000 euros s'établira à : 30 000 - (4 853 + 1 530) = 23 617 euros.

On supposera que ce revenu additionnel donne prise à l'IR au taux de 30 % : l'IR correspondant sera, donc, de 7 085 euros.

A raison de sa rémunération additionnelle de 30 000 euros, l'associé aura supporté en définitive des coûts sociaux et fiscaux s'élevant à 14 338 euros (4 853 + 2 400 + 7 085), somme représentant 47,79 % du montant de ladite rémunération.

Coût fiscal et social du dividende :

Il faut, alors, commencer par déterminer le montant de l'impôt sur les sociétés (IS) que la SEL aura eu à supporter pour dégager le bénéfice nécessaire à la distribution du dividende de 30 000 euros. Même au taux réduit de 15 % applicable à la tranche du résultat fiscal n'excédant pas 38 120 euros, l'IS acquitté par la société pour dégager une marge de distribution de 30 000 euros aura représenté 5 292 euros (il faut un résultat fiscal de 35 292 euros pour qu'après paiement de l'IS de 15 % grevant ce résultat, 5 292 euros, la société dispose d'un bénéfice distribuable de 30 000 euros).

Le dividende de 30 000 euros supportera, lors de son versement, les prélèvements sociaux s'élevant à 12,1 % : 3 630 euros.

La base d'imposition du dividende à l'IR représentera son montant brut, diminué :

- de l'abattement de 40 % : 12 000 euros ;

- de la fraction déductible de la CSG : 1 740 euros (soit 5,8 % de 30 000 euros) ;

- de l'abattement fixe annuel : 3 050 euros (on se place dans le cas le plus favorable où cet abattement n'a pas déjà été épuisé par d'autres dividendes encaissés la même année).

La somme à taxer s'établira donc à 13 210 euros, ce qui, au taux de 30 %, créera une imposition de 3 963 euros, ramenée à 3 743 euros après application du crédit d'impôt de 50 % sur dividendes, plafonné à 220 euros (même hypothèse favorable où aucun autre dividende n'a été encaissé).

A raison du dividende de 30 000 euros, l'associé aura supporté, en définitive, des coûts sociaux et fiscaux s'élevant à 12 665 euros (5 292 + 3 630 + 3 743), somme représentant 42,21 % du montant de ce dividende. Mais en contrepartie du léger allégement que cette formule lui procure, il se sera privé du bénéfice des droits à retraite que, moyennant la cotisation de 8 % (2 400 euros), il se serait constitués en se versant une rémunération plutôt qu'un dividende.

Toutes considérations confondues, les deux solutions font, ainsi, quasiment jeu égal.

Il nous paraît, donc, très aventureux de parler d'abus ou d'optimisation, voire de perte significative de recettes, dès lors que les recettes sont, en fait, transférées de la Sécurité sociale à l'Etat (la diminution des prélèvements revenant aux organismes sociaux s'accompagnant du renforcement des recettes revenant à l'Etat sous la forme de l'IS).

Les caisses de retraites, qui sont à l'origine de la modification législative introduite par la LFSS pour 2009, se sont, en outre, "tiré une balle dans le pied". Certains professionnels qui n'exercent pas au sein de SEL s'acquittaient habituellement des cotisations retraite sur les dividendes qu'ils se distribuent, lorsque les caisses les appelaient. Or, maintenant que la loi énonce expressément le principe selon lequel seuls les associés des SEL, et dans certaines circonstances seulement, sont redevables de ces cotisations, les caisses n'auront plus aucun titre pour appeler des cotisations sur des dividendes provenant des sociétés des autres formes.

Lexbase : Quel est, selon vous, l'avenir de ce dispositif ?

Jean-Yves Mercier : Je ne peux pas, bien entendu, prédire ce que pourra être la position du Conseil d'Etat, même si je considère, évidemment, que les arguments invoqués à l'appui de ce recours sont sérieux.

Le Conseil, s'il prend la décision espérée, ne fera que gommer les effets négatifs du décret et, par là, de la loi, sans, toutefois, faire disparaître ce texte de l'ordonnancement juridique. Ainsi, il demeurera, ce qui n'est pas une mauvaise chose puisqu'il a, au moins, eu le mérite de faire barrage à la jurisprudence de la Cour de cassation issue d'un arrêt de principe du 16 mai 2008 (5). Il aurait pu résulter de cette jurisprudence l'assujettissement automatique et sans limite de l'ensemble des dividendes prélevés dans les sociétés de toute forme par les associés exerçant leur activité professionnelle dans la structure, dès lors qu'ils ont le statut social de travailleur indépendant.

Le recours qui vient d'être déposé se situe essentiellement sur le terrain de la discrimination. Mais on peut, en outre, faire valoir, nous semble-t-il, que la loi critiquée méconnaît certaines exigences constitutionnelles. Il aurait été prématuré d'en faire également état, puisque le droit positif ne le permet pas encore.

(NDLR : L'article 29 de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, de modernisation des institutions de la Vème République (N° Lexbase : L7298IAK) instaure la question préjudicielle de constitutionnalité, permettant aux justiciables de contester devant le Conseil constitutionnel une loi promulguée. La saisine du Conseil interviendra à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, lorsqu'il sera soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. L'entrée en vigueur de cette réforme est, toutefois, subordonnée à l'adoption d'une loi organique par le Parlement, afin d'en préciser les modalités d'application.)


(1) Lire, Soumission des dividendes perçus par les associés des sociétés d'exercice libéral aux cotisations sociales : entretien avec Jean-Yves Mercier, avocat associé du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre, Lexbase Hebdo n° 332 du 8 Janvier 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N9167BHY).
(2) CEDH, 21 février 1997, Req. 108/1995/614/702, Van Raalte c/ Pays-Bas (N° Lexbase : A8294AW4).
(3) Not. CE 1° et 6° s-s-r., 14 novembre 2007, n° 293642, Association nationale des sociétés d'exercice libéral (ANSEL) (N° Lexbase : A5808DZ7).
(4) Cotisations sociales : stabiliser la norme, sécuriser les relations avec les Urssaf et prévenir les abus, rapport au ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique, présenté par M. Olivier Fouquet, président de Section au Conseil d'Etat, juillet 2008.
(5) Cass. civ. 2, 15 mai 2008, n° 06-21.741, M. Patrice Lagravière, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5228D87).

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