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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Pourtant, le tribunal de grande instance de Paris, par une décision rendue le 24 juin 2008, avait débouté partiellement l'association de consommateurs UFC - Que Choisir dans un litige l'opposant à la société Darty et relatif à de la vente liée. L'association dénonçait, comme contraire à l'article L. 122-1 du Code de la consommation, la pratique opérée par l'enseigne Darty consistant à vendre des ordinateurs équipés de logiciels d'exploitations. Cette pratique aurait empêché le consommateur, d'une part, de choisir le logiciel de son choix et, d'autre part, de connaître le prix du logiciel vendu afin de pouvoir le comparer avec d'autres. Dans sa décision, si le tribunal n'imposa pas la vente de PC nus, il accéda à la demande des consommateurs de distinguer les tarifs du matériel de l'offre des logiciels.
L'affaire a fait grand bruit puisque, quelques temps après, Luc Chatel, secrétaire d'Etat à la Consommation, s'était exprimé lors du Forum mondial du Libre, sur la vente liée dans le secteur informatique. Selon lui, dès début 2009, l'affichage du coût des logiciels et la vente découplée entre l'ordinateur et ses logiciels préinstallés devait être expérimentés. Le secrétaire d'Etat à la consommation faisait, ainsi, volte-face en se déclarant hostile à la vente liée, quelques jours après y avoir été favorable.
Ah ! Les enchantements médiatiques de Circée...
Finalement l'Europe s'est emparée de la question et, à l'issue d'une enquête ouverte à la suite d'une plainte de l'éditeur norvégien Opera Software, Microsoft a reçu une lettre de griefs de la part de la Commission européenne, relative à la vente liée entre Internet Explorer et Windows qui contreviendrait au droit communautaire relatif à l'abus de position dominante.
Et les vents les poussèrent vers Ismare, la cité des Cicones...
Mais, pour revenir à la jurisprudence française, pourquoi, à s'en tenir à l'actualité la plus récente, le tribunal de commerce de Paris a-t-il sanctionné le 23 février 2009 l'opérateur de communications électroniques France Télécom pour vente subordonnée ; les juges considérant que "l'offre Orange Foot en ce qu'elle conditionn[ait ] l'abonnement à la chaîne Orange Foot à un abonnement internet Orange, constitu[ait] une vente subordonnée". Selon le tribunal, l'offre Orange Foot privait, ainsi, le consommateur de sa liberté de contracter. Mal lui en a pris, puisque la cour d'appel de Paris s'empressait d'infirmer cette décision le 14 mai 2009 ; selon la cour d'appel, "le fait que l'accès à la chaîne Orange Sports soit associé exclusivement à l'offre ADSL d'Orange [n']altère [pas] de façon significative sa liberté de choix à l'égard des offres ADSL [...]" (cf. le Bulletin d'actualités DLA Piper - Département Intellectual Property and Technology (IPT) - Mai 2009, publié la semaine prochaine).
Telle Pénélope, la jurisprudence défaisait le soir ce qu'elle avait tissé la journée...
Mais, c'est alors que la parole communautaire tonna : par un arrêt rendu le 23 avril 2009 par la Cour de justice des Communautés européennes, sur lequel revient cette semaine Malo Depincé, Maître de conférences à l'Université de Montpellier I, Avocat au Barreau de Montpellier, il est dit pour droit que la Directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, s'oppose à une réglementation nationale qui, sauf certaines exceptions et sans tenir compte des circonstances spécifiques du cas d'espèce, interdit toute offre conjointe faite par un vendeur à un consommateur. En l'espèce, la Cour relève que les offres conjointes constituent des actes commerciaux s'inscrivant clairement dans le cadre de la stratégie commerciale d'un opérateur et visant directement à la promotion et à l'écoulement des ventes de celui-ci. Il s'ensuit qu'elles constituent bien des pratiques commerciales au sens de la Directive et relèvent, en conséquence, du champ d'application de celle-ci. Ensuite, la Cour rappelle que la Directive procède à une harmonisation complète, au niveau communautaire, des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales. Dès lors, les Etats membres ne peuvent pas adopter des mesures plus restrictives que celles définies par la Directive, même aux fins d'assurer un degré plus élevé de protection des consommateurs. Or, à cet égard, force est de constater que, en établissant une présomption d'illégalité des offres conjointes, une règlementation nationale telle que celle en cause ne répond pas aux exigences posées par la Directive. Ainsi, les ventes liées ou offres conjointes ne sont pas vouées aux gémonies, il faut distinguer et placer le curseur de la déloyauté (cf. Offres conjointes : la CJCE lance un pavé dans la mare, par Laurence Neuer, Le Point.fr du 27 avril 2009). Tout simplement, il s'agira de déterminer si la pratique commerciale, légale par nature, bénéficie, in fine, au consommateur ou non. L'intérêt du consommateur semble ainsi le seul critère permettant de conclure à la légalité ou à l'illégalité de la vente liée ou offre conjointe. Le pouvoir souverain d'appréciation des juges ne pourra que s'en porter garant...
Et Polyphème de recouvrir son unique oeil, après qu'il eut été crevé par un pieu !
"Ce n'est pas assez de faire des pas qui doivent un jour conduire au but, chaque pas doit être lui-même un but en même temps qu'il nous porte en avant" (Johann Wolfgang von Goethe, extrait de Conversation).
* Joachim Du Bellay, Les Regrets
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