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par Anne Lebescond - Journaliste juridique
le 03 Mars 2011
Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Véronique Furnal, avocate associée du cabinet Gatienne Brault & Associés, pour dresser un premier état des lieux du régime applicable aux avocats fiduciaires et en comprendre tous les enjeux.
Lexbase : Pourquoi le Gouvernement a-t-il choisi d'étendre aux avocats la qualité de fiduciaire ?
Véronique Furnal : La fiducie requiert des qualités que tout avocat a nécessairement développées dans le cadre de ses fonctions, en particulier de conseil.
En premier lieu, la fiducie est soumise à un certain formalisme, la plupart du temps, à peine de nullité. Elle nécessite, donc, des qualités rédactionnelles et des réflexes juridiques. Le contrat de fiducie est, ainsi, un contrat écrit (C. civ., art. 2012 N° Lexbase : L6996IC4), devant contenir un certain nombre de mentions à peine de nullité (C. civ., art. 2018 N° Lexbase : L2324IBP) (4).
En deuxième lieu, la mission du fiduciaire relevant de la liberté contractuelle (C. civ., art. 2018, 6°), la gestion des biens objets de la fiducie peut s'avérer complexe et nécessiter, de ce fait, une pratique contractuelle solide et rigoureuse, pour éviter tout problème d'interprétation ultérieur.
En troisième lieu, des règles d'enregistrement et de publicité s'appliquant à l'occasion de la mise en oeuvre de tout contrat de fiducie, les avocats et, en particulier, ceux qui conseillent les entreprises, accomplissent déjà ce type de formalités légales. En effet, le contrat de fiducie et ses avenants doivent être enregistrés dans un délai d'un mois à compter de leur date au service des impôts du siège du fiduciaire ou, le cas échéant, celui des non-résidents (C. civ., art. 2019 N° Lexbase : L6515HW9), tout comme l'acte de transmission des biens ou la désignation du bénéficiaire, quand elle ne figure pas dans le contrat d'origine. La convention doit, en outre, faire l'objet d'une publication au registre national des fiducies (C. civ., art. 2020 N° Lexbase : L6516HWA).
En quatrième lieu, l'ouverture aux avocats de la qualité de fiduciaire se justifie, également, par les applications concrètes de ce contrat. Compte tenu de la souplesse qu'elle permet (notamment, en termes de liberté contractuelle), la fiducie devrait connaître un certain succès dans quasi tous les aspects de la vie des affaires, sur lesquels les avocats interviennent. Ainsi, la fiducie peut porter sur des biens tels que des machines et des stocks, des créances, des immeubles, des droits sociaux, des brevets et autres droits de propriété intellectuelles, des sommes d'argent et toutes autres universalités de biens. Elle peut être constituée, aussi bien, à des fins de gestion (la fiducie-gestion), que de garantie (la fiducie-sûreté). Compte tenu de la protection qu'elle offre aux créanciers du constituant en cas de procédures collectives (les biens objets de la fiducie ne peuvent, en effet, être appréhendés, en ce qu'ils appartiennent à un patrimoine distinct de celui de l'entreprise en difficulté), la fiducie-sûreté devrait être privilégiée par rapport aux autres formes de sûreté (sauf, sans doute, la cession Dailly qui offre, elle aussi, une très grande sécurité). Elle devrait certainement être utilisée, dans le cadre de montages LBO, très probablement à la demande des banquiers prêteurs, pour garantir leur dette senior. Les parties pourront, également, avoir intérêt à recourir à la fiducie dans le cadre de la gestion temporaire des entreprises connaissant des difficultés financières ou, encore, dans celui du portage d'actions ou autres actifs mobiliers ou immobiliers. Elle sera, enfin, opportune dans le cadre de la gestion des pactes d'actionnaires, l'inexécution des obligations qui en découlent donnant lieu, actuellement, à un contentieux souvent long et difficile. Le fiduciaire pourra, ainsi, jouer le rôle du gardien du pacte, aux lieu et place du mandataire généralement désigné par les parties à cet effet. Elle devrait, également, trouver toute sa place dans le cadre des garanties d'actif et de passif dont l'exécution pourrait être confiée à un tiers impartial. Il est indéniable que les avocats sont rompus aux problématiques sous-jacentes à tous ces domaines. Leur expérience, d'une part, et leur rigueur, d'autre part, constituent une garantie, tant pour le constituant, que pour le bénéficiaire.
Enfin, et c'est certainement ce qui a déterminé le législateur, l'avocat, dans l'exercice de ses fonctions, est soumis à une déontologie très forte, principalement fondée sur le secret professionnel, l'indépendance de la profession et la capacité à gérer les conflits d'intérêts. Cette déontologie a emporté la confiance du législateur et emportera celle du constituant.
Lexbase : L'encadrement de l'activité fiduciaire s'intègre-t-il au régime existant applicable à la profession d'avocat ou bien coexiste-t-il avec lui ?
Véronique Furnal : L'activité de fiduciaire est à la périphérie des fonctions classiques de l'avocat, qu'elles aient trait au conseil ou au contentieux. La question s'est, donc, posée de l'articulation des règles spécifiques à cette activité fiduciaire avec les règles existantes, aménagées dans le RIN. Le Conseil national des Barreaux a opté pour la création d'un corps de règles spéciales (à l'image de ce qui a été fait à l'époque pour la rédaction d'actes), insérées à l'article 6.2.1. du règlement, "plutôt que d'introduire dans l'énoncé de chacun de principes essentiels, les spécificités de l'activité fiduciaire", ceci pour des raisons de cohérence déontologique et de lisibilité (5).
S'appliquent, donc, désormais à l'avocat fiduciaire l'ensemble des règles contenu dans le RIN. En effet, l'avocat fiduciaire n'en demeure pas moins avocat, l'application des règles spécifiques n'ayant pas vocation à exclure les règles générales. L'article 6.2.1.1. du règlement le mentionne expressément : "l'avocat fiduciaire demeure, dans l'exercice de cette activité, soumis aux devoirs de son serment et aux principes essentiels de sa profession ainsi que, plus généralement, à l'ensemble des dispositions du présent règlement intérieur national". Néanmoins, certaines particularités ont nécessité des adaptations des principes essentiels.
Lexbase : Comment sont déclinés les principes essentiels régissant la profession dans le cadre de l'activité fiduciaire ?
Véronique Furnal : La fiducie a dû être appréhendée au regard des principes essentiels qui gouvernent l'exercice de la profession d'avocat. En particulier, elle a dû être envisagée sous les angles du secret professionnel, de l'indépendance, des conflits d'intérêts, de la compétence, des incompatibilités et des mesures de contrôle et d'assurance.
L'avocat fiduciaire est soumis au secret professionnel. Pour autant, concernant la fiducie, certaines matières, notamment, dans les domaines financiers, justifient des aménagements de l'opposabilité du secret professionnel vis à vis des autorités judiciaires et/ou de contrôle. Les articles 6.2.1.3, 6.2.1.4 et 6.2.1.5, alinéas 2 et 3, du règlement fixent un dispositif permettant de trouver un équilibre entre ces impératifs relatifs à l'activité fiduciaire et le secret professionnel dont doivent pouvoir bénéficier les autres activités de l'avocat. Ce dispositif consiste en :
- l'obligation de bien identifier les parties contractantes et les bénéficiaires de l'opération ;
- l'obligation pour l'avocat fiduciaire d'utiliser un papier à lettre distinct et de faire mention de cette qualité dans toute correspondance ou document, en vue d'une bonne information des tiers ;
- l'obligation de mentionner le caractère non-confidentiel, à l'égard des organes de contrôle de la fiducie, des correspondances échangées avec le destinataire au titre de cette mission ;
- l'obligation de séparer tous documents relatifs à l'activité fiduciaire des autres dossiers de l'avocat, les premiers devant faire l'objet d'un rangement et d'un archivage distinct et tous les supports informatiques utilisés dans l'exercice de l'activité de fiducie devant être consacrés exclusivement à cette activité et identifiés distinctement ;
- et l'obligation de tenir une comptabilité séparée relative à l'activité fiduciaire, chaque fiducie devant faire l'objet d'un compte identifié.
L'article 6.2.1.3. du RIN précise, également, que la correspondance dépourvue de la mention "officielle" adressée à l'avocat fiduciaire par un confrère non avisé de cette qualité demeure confidentielle et couverte par le secret professionnel.
Le principe d'indépendance implique qu'en aucune façon, l'avocat fiduciaire, qui exécute sa mission dans l'intérêt exclusif du constituant et du bénéficiaire, ne doit être soupçonné d'être intéressé de près ou de loin à la rémunération des autres intervenants. Pour dissiper tout doute sur la question, l'article 6.2.1.5. du règlement impose que la rémunération de l'avocat soit distincte de celle de ces derniers.
Quant aux conflits d'intérêts, l'article 6.2.1.5. précise, d'une part, qu'ils s'apprécient par rapport au constituant et au bénéficiaire et, d'autre part, que l'avocat fiduciaire et l'avocat chargé, en application de l'article 2017 du Code civil (N° Lexbase : L6970IC7), de s'assurer de la préservation des intérêts du constituant ne peuvent appartenir à la même structure. Enfin, le texte dispose que l'avocat fiduciaire ne peut être bénéficiaire de la fiducie.
Concernant la compétence, le RIN impose à l'avocat de suivre une formation spécifique dans les matières liées à l'exécution de ses missions fiduciaires.
Sur la question des incompatibilités, la solution traditionnelle s'applique : l'article 6.2.2.1. du règlement dispose que "dans le cadre de sa mission fiduciaire, l'avocat ne peut exercer une mission incompatible avec sa profession au sens des articles 111 et suivants du décret du 27 novembre 1991 (décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat N° Lexbase : L1114ARP)". Ainsi, dans le cadre de sa mission fiduciaire, l'avocat ne peut devenir l'exploitant direct d'un fonds de commerce dont la propriété lui aurait été transférée ou accepter un mandat social dans une société dont il serait devenu associé.
Enfin, l'activité fiduciaire implique une prise de risque de la part de l'avocat. En vertu de l'article 2023 du Code civil (N° Lexbase : L6519HWD), il bénéficie de pouvoirs élargis, puisque "dans ses rapports avec les tiers, le fiduciaire est réputé disposer des pouvoirs les plus étendus sur le patrimoine fiduciaire, à moins qu'il ne soit démontré que les tiers avaient connaissance de la limitation de ses pouvoirs". L'article 2026 du même code (N° Lexbase : L6522HWH) pose le principe de sa responsabilité : "il est responsable, sur son patrimoine propre, des fautes qu'il commet dans l'exercice de sa mission". Dans ce cadre, le RIN impose à l'avocat de souscrire à titre individuel une assurance spéciale pour garantir cette responsabilité, ainsi que la restitution des fonds, effets, titres ou valeurs concernés par la fiducie. Il doit justifier à l'Ordre d'une telle souscription, lorsqu'il notifie son intention d'effectuer l'activité fiduciaire, et il doit justifier, annuellement, au bâtonnier, du maintien de cette assurance.
Lexbase : Quels points sont encore à préciser ?
Véronique Furnal : Aucune des normes régissant l'activité fiduciaire des avocats ne se penche véritablement sur la question de la formation de l'avocat. L'article 6.2.1.5. énonce, simplement, que "l'avocat s'oblige à suivre une formation spécifique dans les matières liées à l'exécution de ses missions fiduciaires", cette formation spécifique pouvant s'inscrire dans le cadre de la formation continue. Il s'agit d'une disposition a minima, car, comme le rappelle le Conseil national des Barreaux, dans le cadre de ses obligations déontologiques, il ne peut pas légiférer, en ajoutant des conditions de diplômes ou d'expérience que les textes législatifs ou réglementaires ne prévoient pas. La Commission des règles et usages a, toutefois, recommandé que soit créée d'urgence et indépendamment des réflexions en cours sur la formation une spécialité supplémentaire consacrée au droit fiduciaire. Tant que ce point essentiel n'est pas réglé, l'ouverture de la fiducie aux avocats paraît relativement théorique.
Concernant les conflits d'intérêts, le RIN se contente d'énoncer le principe selon lequel les conflits d'intérêts s'apprécient par rapport au constituant et au bénéficiaire, sans apporter plus de précision, notamment, lorsque ces deux personnes sont distinctes. Il s'agit, ici, d'un choix délibéré, comme l'indique le rapport adopté lors de l'assemblée générale du Conseil national des Barreaux des 13 et 14 mars 2009 ("la Commission a choisi de s'en tenir à l'affirmation du principe suivant lequel c'est bien par rapport au constituant et au(x) bénéficiaire(s) que doivent s'apprécier les conflits d'intérêts : elle a, en effet, considéré qu'en l'état actuel de notre analyse, mieux valait affirmer un principe fort que de chercher à régler dans le détail des situations pratiques").
Néanmoins, ce rapport donne des clefs de résolution d'éventuels conflits. Il décline, en effet, les différentes situations envisageables :
- si le constituant est, également, le bénéficiaire, le fiduciaire agit dans son intérêt exclusif (il n'est pas envisageable, par exemple, qu'il constitue une fiducie au profit d'un débiteur de celui-ci) ;
- si ces deux personnes sont différentes, il semble que ce soit principalement par rapport à la personne du constituant que doivent être envisagés les éventuels conflits d'intérêts qui surviennent en cours d'exécution du contrat. En outre, l'avocat fiduciaire ne pourra, a priori, accepter cette mission s'il est déjà conseil de l'un ou de l'autre.
Malgré ces indications, des questions demeurent à ce sujet. Par exemple, que doit faire l'avocat lorsque un conflit apparaît en cours d'exécution de la convention de fiducie ? A-t-il la faculté ou l'obligation de se retirer ?
La question de la sous-traitance et de la co-traitance des missions fiduciaires, bien qu'elle ait été envisagée dans le rapport d'étape de la Commission des règles et usages présenté à l'Assemblée générale du Conseil national des Barreaux des 13 et 14 février 2009, ne fait l'objet d'aucun point particulier dans le règlement. Est-ce à dire que la co-traitance et la sous-traitance sont permises ? C'est fort probable, toutefois, aucune certitude n'existe.
Enfin, les comptes et sous-comptes CARPA étant exclus dans le cadre de l'activité fiduciaire, le Conseil national des Barreaux souhaite que la profession réfléchisse à la création d'une structure d'accueil comparable pour les fonds relatifs à l'activité fiduciaire.
(1) La fiducie trouve son origine dans le droit romain et a, toujours, fait partie intégrante des droits anglo-saxon, tandis qu'en France, son introduction n'est sérieusement envisagée que depuis ces vingt-cinq dernières années. Trois projets de loi sur la question ont été abandonnés, avant que la loi n° 2007-211 du 19 février 2007, instituant la fiducie (N° Lexbase : L4511HUM) ne parvienne à introduire cette notion dans notre droit positif.
(2) J.-B. Lenhof, La fiducie ou un contrat nommé du Code civil peut-il remplacer certaines opérations du droit des affaires ?, Lexbase Hebdo n° 256 du 19 février 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N6592BAE).
(3) Cette décision ayant, elle-même, donné lieu à la décision n° 2009-01 du avril 2009, publiée au Journal officiel du 24 avril 2009, modifiant le RIN.
(4) Ces mentions concernent les biens, droits ou sûretés transférés, la durée du transfert, l'identité du ou des constituants, l'identité du ou des fiduciaires, l'identité du ou des bénéficiaires ou, à défaut, les règles permettant leur désignation et la mission du ou des fiduciaires et l'étendue de leurs pouvoirs d'administration et de disposition.
(5) Cf. Rapport sur la fiducie adopté par l'Assemblée générale du Conseil national des Barreaux des 13 et 14 mars 2009, p. 2.
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