La lettre juridique n°353 du 4 juin 2009 : Éditorial

Mutation d'une profession libérale, avocat : des gloires de l'indépendance à celles de l'interdépendance*

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Mutation d'une profession libérale, avocat : des gloires de l'indépendance à celles de l'interdépendance*. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211773-mutation-dune-profession-liberale-avocat-des-gloires-de-lindependance-a-celles-de-linterdependance
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Il y a peu de temps, nous nous étions fait l'écho de cet arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 5 février 2009, qui avait retenu la responsabilité d'un avocat pour avoir méconnu l'évolution de la jurisprudence tendant à un renforcement des exigences de motivation de la lettre de licenciement pour motif économique. Ce faisant, nous nous étions permis de rappeler l'exigence d'une information juridique fiable et réactive et celle d'une formation continue accessible pour tout avocat de quelque Barreau qu'il soit. Les voeux que nous formulions pouvaient paraître bien alarmistes au regard d'une profession d'avocat fortement structurée, aux vertus déontologiques éprouvées et aux représentants ordinaux et nationaux bien conscients de la nécessité d'excellence qui oblige la profession d'avocat.

C'eut été compter sans une chambre civile récidiviste qui, à travers un arrêt du 14 mai dernier, sur lequel revient, cette semaine, notre Rédactrice en chef du Pôle Presse, Anne-Laure Blouet Patin, retient que, si l'avocat n'engage pas sa responsabilité professionnelle en ne soulevant pas un moyen de défense inopérant, il se doit de faire valoir une évolution jurisprudentielle acquise. Ainsi, l'omission par son avocat de l'invocation du principe dégagé un an auparavant par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, transposable dans l'instance sur intérêts civils au préposé dont la responsabilité civile était recherchée à la suite d'infractions non intentionnelles ayant causé un préjudice à un tiers, qu'il avait commises dans l'exercice de ses fonctions, lui avait fait perdre une chance de bénéficier de l'immunité civile. Un avocat averti en vaut deux ! Alors lorsqu'il est averti à deux reprises...

On comprend, dès lors, tous les atouts d'une information juridique pertinente, rapidement analysée et, surtout, aisément accessible (par fil RSS, newsletters ; et, bientôt, radiotéléphonique et télévisuelle). Mais, finalement, afin d'éviter l'écueil d'une évolution législative ou jurisprudentielle passée à la trappe des connaissances, de plus en plus pléthoriques, de l'avocat, qu'il nous soit permis de souligner que l'activité au sein d'une structure d'avocats, la collégialité, donc, permet, à n'en pas douter, l'échange d'informations, le travail collaboratif sur différents dossiers, et le regroupement des moyens d'information et de formation juridiques propices à répondre à cette exigence du savoir.

Pour autant, la collaboration au sein d'un cabinet d'avocats souffre d'une ambiguïté inhérente qui fait osciller la profession entre indépendance et interdépendance ; une ambiguïté qui met parfois mal à l'aise l'avocat dans l'ignorance précise de l'étendue de sa liberté et, pourquoi pas, de sa propre responsabilité. En effet, si la loi du 31 décembre 1990 rappelle que "la profession d'avocat est une profession libérale et indépendante", la Cour de cassation énonce, dans un arrêt du 14 mai 2009, sur lequel revient, cette semaine, Gille Auzero, Professeur à l'Université de Montesquieu -Bordeaux IV, que si, en principe, la clientèle personnelle est exclusive du salariat, le traitement d'un nombre dérisoire de dossiers propres à l'avocat, lié à un cabinet par un contrat de collaboration, ne fait pas obstacle à la qualification de ce contrat en contrat de travail, lorsqu'il est établi que cette situation n'est pas de son fait, mais que les conditions d'exercice de son activité ne lui ont pas permis de développer effectivement une clientèle personnelle. La cour d'appel, qui en a souverainement déduit que les conditions réelles d'exercice de l'activité de la requérante ne lui avaient effectivement pas permis de se consacrer à sa clientèle et que le cabinet avait manifestement omis de mettre à sa disposition les moyens matériels et humains lui permettant de développer sa clientèle personnelle, a, dès lors, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de requalifier le contrat de collaboration libérale conclu entre les parties en contrat de travail. Ce faisant, la Haute juridiction ne peut qu'entériner le lien de subordination qui prévaut entre l'avocat collaborateur et sa structure d'exercice ; seule l'existence -à tout le moins, la possibilité réelle- d'une clientèle personnelle justifiant son rattachement à la liste des professions indépendantes.

"Développe en toi l'indépendance à tout moment, avec bienveillance, simplicité et modestie", nous enseigne Marc-Aurèle dans Pensées pour moi-même.

Mais, "l'indépendance, c'est la clochardisation" ; le Général n'appréhendait pas toujours toutes les subtilités qu'un tel mot d'esprit pouvait couvrir...

La situation n'est donc pas des plus claires pour les avocats collaborateurs, comme pour les avocats associés. En effet, la rétrocession d'honoraires justifie un certain encadrement et un certain rendement de l'activité de l'avocat collaborateur ; pour autant, de la même manière que le lien de subordination n'est pas aisé à caractériser ou non entre journalistes et maisons d'éditions -chacun verra midi à sa porte-, il n'est pas plus facile d'établir une frontière entre l'exercice indépendant et l'exercice salarial de la profession d'avocat. Nous remarquerons simplement que les cabinets anglo-saxons ont eu le mérite de simplifier la donne en salariant nombre de leurs collaborateurs. Et, il ne faut pas être devin (cf. Les avocats d'affaires à l'heure des charrettes, Valérie de Senneville, Les Echos du 16 avril 2009) pour prévoir que le fort ralentissement des deals et autres dossiers juridiques adossés au crédit bancaire ravivera, de facto, cette lourde question d'équilibre des conditions de travail des avocats collaborateurs (mais gageons que la forte spécialisation en matière sociale et contentieuse des avocats français permettra, justement, de concilier parfaitement les intérêts légitimes en présence).

D'autant que le business devrait reprendre, certes avec la conjoncture économique, mais aussi à l'aune d'une petite révolution dans les missions allouées aux avocats : la fiducie. En effet, la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (LME), a ouvert la possibilité aux avocats de devenir fiduciaire, permettant ainsi aux professionnels les plus avisés dans la gestion d'affaires de bénéficier, au service de leurs clients, d'un cadre légal favorable au développement de leur activité de conseil. Et, Véronique Furnal, avocate associée du cabinet Gatienne Brault & Associés, d'avoir accepté de répondre à nos questions sur l'état des lieux du régime applicable aux avocats fiduciaires afin d'en comprendre tous les enjeux envisagés sous les angles du secret professionnel, de l'indépendance, des conflits d'intérêts, de la compétence, des incompatibilités et des mesures de contrôle et d'assurance. Mais, le "marché de la fiducie" ne pourra bénéficier qu'aux entités pluridisciplinaires, tant les implications juridiques sont variées et les responsabilités importantes. Une pluridisciplinarité, fer de lance du travail collaboratif des avocats officiant en structure associative.

*"Chacun de nous a appris les gloires de l'indépendance. Que chacun de nous apprenne les gloires de l'interdépendance", Franklin Delano Roosevelt, extrait du Discours à la conférence de Buenos-Aires du 1er décembre 1936.

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