Réf. : Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-15.899, M. Christian Lemaire, FS-P+B (N° Lexbase : A9822EGU)
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par Anne-Laure Blouet Patin, Rédactrice en chef du Pôle Presse
le 07 Octobre 2010
La solution de la cour d'appel. La cour d'appel de Paris, par un arrêt du 18 mars 2008 (5), a exonéré l'avocat de toute responsabilité énonçant qu'il n'était tenu que d'une obligation de moyens. Ce faisant, les juges du fond ont fait droit aux demandes de M. G. qui soutenait que le principe posé dans l'arrêt "Costedoat", prononcé dans une affaire purement civile, avait fait l'objet de nombreux commentaires en doctrine, et que certains auteurs éminents émettaient de sérieuses réserves quant à son applicabilité en matière pénale, en raison de l'article 2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L1108H4S) s'y opposant. Il expliquait, également, que ce principe ne saurait être considéré comme constituant une jurisprudence, le seul fait qu'il émane d'un arrêt de l'Assemblée plénière et qu'il soit intervenu depuis une année n'étant pas suffisant pour lui conférer ce caractère. Mais, même si la cour d'appel considère que la Chambre criminelle a reconnu l'applicabilité de ce principe en janvier 2001 (6), elle retient que "l'avocat ayant, en l'espèce, plaidé devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion le 15 février 2001, c'est-à-dire à une date à laquelle il ne pouvait être matériellement en possession dudit arrêt, eu égard au délai nécessaire de publication, il ne saurait lui être fait grief de ne pas s'en être prévalu dans ses moyens de défense". Et de conclure qu'il ne peut être fait au conseil juridique obligation de prévoir ou de tenir compte d'une évolution jurisprudentielle, ce qui était le cas en l'espèce, dès lors que son obligation n'est que de moyens.
La censure de la Cour de cassation. C'est au visa de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) que la Haute juridiction va censurer la position retenue par la cour d'appel de Paris, dans un attendu aux allures de principe : "un avocat n'engage pas sa responsabilité professionnelle en ne soulevant pas un moyen de défense inopérant ; que, toutefois, tenu d'accomplir, dans le respect des règles déontologiques, toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client et investi d'un devoir de compétence, l'avocat, sans que puisse lui être imputé à faute de n'avoir pas anticipé une évolution imprévisible du droit positif, se doit de faire valoir une évolution jurisprudentielle acquise dont la transposition ou l'extension à la cause dont il a la charge a des chances sérieuses de la faire prospérer ". La messe est dite : l'avocat doit être au fait des évolutions jurisprudentielles ! Et la Cour de préciser le caractère impropre du motif retenu par les juges du fond pour exonérer l'avocat de sa responsabilité, dès lors qu'il résultait des faits de l'espèce que M. L., préposé titulaire d'une délégation de pouvoirs, avait agi dans l'exercice normal de ses attributions, de sorte qu'en omettant d'invoquer le principe dégagé un an auparavant par l'Assemblée plénière et transposable, dans l'instance sur intérêts civils, au préposé dont la responsabilité civile était recherchée à la suite d'infractions non intentionnelles ayant causé un préjudice à un tiers qu'il avait commises dans l'exercice de ses fonctions, son avocat lui avait fait perdre une chance de bénéficier de l'immunité civile.
Une continuité de la solution dégagée le 5 février 2009. La première chambre civile de la Cour de cassation avait amorcé cette solution, le 5 février dernier, en retenant la responsabilité d'un avocat pour ne pas avoir tenu compte de l'évolution de la jurisprudence en matière de motivation d'une lettre de licenciement. Et, le Professeur Christophe Radé avait souligné (7) que "à s'en tenir, provisoirement, à la seule question de la responsabilité professionnelle de l'avocat, la solution ne prête guère à discussion. La connaissance de l'état du droit positif implique, en effet, non seulement de connaître la loi, mais, également, la jurisprudence qui en précise les contours. Seule l'hypothèse d'un revirement ou d'une évolution imprévisible de la jurisprudence sont, alors, logiquement susceptibles d'expliquer pourquoi un avocat n'a pas pu anticiper pareille évolution. Reste, alors, à déterminer si, en l'espèce, l'évolution en cause de la jurisprudence était de nature à être prévue par l'avocat, ou non". En effet, la solution ne prête guère à discussion. Que l'on s'en réfère à l'obligation de formation continue qui incombe aux avocats en vertu de la loi "professions" du 11 février 2004 (8), aux termes de laquelle la formation continue doit assurer la mise à jour et le perfectionnement des connaissances nécessaires à la profession d'avocat. Le Conseil national des Barreaux considérant même que le manquement à cette obligation relevait de la déontologie. Et un auteur de souligner "Etre incompétent est un manquement déontologique car la compétence s'acquiert en bonne part par la formation continue. Etre incompétent engage souvent la responsabilité civile" (9).
Une solution applicable aux autres professions. La solution retenue par la Cour de cassation s'appliquait déjà au notaire rédacteur d'acte qui doit être au fait de l'état du droit positif et des dernières évolutions jurisprudentielles (10), précisions étant apportées que cette connaissance se vérifie au jour de la rédaction de l'acte et non postérieurement (11). A ce sujet, le parallélisme pourrait être effectué avec les professions médicales et la notion de "données de la science". Sur ce point, le débat a longtemps existé entre les termes de "données acquises" et de "données actuelles" de la science. Et la Cour de cassation a finalement tranché pour les premiers dans un arrêt du 6 juin 2000 (12) estimant que le médecin est tenu de donner à son patient des soins conformes aux données acquises de la science à la date des soins et que donc il n'est pas possible de se référer à la notion erronée de données actuelles.
Moyen inopérant et état de la jurisprudence. Le fait que l'avocat n'engage pas sa responsabilité en soulevant un moyen de défense inopérant a été affirmé très clairement par la Cour de cassation le 31 janvier 2008 (13). Ce faisant la Cour clarifiait une jurisprudence qui pouvait, parfois, s'avérer ambigüe, les juges laissant entendre que l'avocat devait faire "feu de tout bois" dans l'accomplissement de sa mission (14). Commentant cet arrêt de janvier 2008, un auteur avait pu anticiper la solution que rendrait la Cour de cassation un an et demi plus tard en approuvant l'attendu dégagé par la Haute juridiction mais en l'assortissant d'une interrogation : comment être sur que le moyen qui n'a pas été soulevé soit réellement inopérant ? (15). De là découle toute la question de savoir à partir de quand une jurisprudence est bel et bien établie...
Dans l'arrêt sous examen, la solution dégagée par l'arrêt "Costedoat" était acquise, la Cour ayant souvent eu l'occasion de la rappeler, voire de l'étendre à d'autres professions (16).
(1) Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-12.966, Cabinet Jacques Bret c/ Mme Séverine Couzon, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9766EGS) et les obs. de G. Auzero, Requalification d'un contrat de collaboration libérale en contrat de travail : l'importance de la clientèle personnelle, Lexbase Hebdo n° 353 du 4 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6304BKP).
(2) Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-13.422, M. Christophe Gassiat, FS-P+B (N° Lexbase : A9777EG9), lire (N° Lexbase : N0796BKP) et cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" (N° Lexbase : E7179ADA).
(3) Cass. civ. 1, 5 février 2009, n° 07-20.196, M. Pierre Laschon, membre de la SCP Bodin et Laschon, F-P+B (N° Lexbase : A9489ECG) et les obs. de Ch. Radé, L'avocat doit être au fait de l'évolution de la jurisprudence, Lexbase Hebdo n° 340 du 5 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7651BI9).
(4) Ass. plén., 25 février 2000, n° 97-17.378, M. Costedoat c/ M. Girard et autres (N° Lexbase : A8154AG4).
(5) CA Paris, 1ère ch., sect. A, 18 mars 2008, n° 06/15543 (N° Lexbase : A5675D8P).
(6) Cass. crim., 23 janvier 2001, n° 00-82.826, Union nationale du commerce de gros en fruits et légumes (N° Lexbase : A2835AYN).
(7) Cf., obs. préc..
(8) Loi n° 2004-130 du 11 février 2004, réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques (N° Lexbase : L7957DNZ).
(9) Y. Avril, Le fondement de la responsabilité civile de l'avocat, D., 9 avril 2009, n° 14, p. 995.
(10) Cass. civ. 1, 15 octobre 1985, n° 84-12.309, Monsieur Marchand c/ Madame Noël (N° Lexbase : A5508AAA).
(11) Cass. civ. 1, 25 novembre 1997, n° 95-22.240, Banque immobilière européenne c/ M. X et autres (N° Lexbase : A0801ACN) ; JCP éd. N, 1998, jur. p. 893, note C. Géraud ; JCP éd. G, 1998, I, n° 23, obs. G. Viney ; RTDCiv., 1998, p. 367, n° 4, obs. P. Jourdain ; LPA, 12 octobre 1998, p. 7, note M.-P. Blin-Franchomme ; RTDCiv., 1998, p. 210, obs. N. Molfessis.
(12) Cass. civ. 1, 6 juin 2000, n° 98-19.295, M. X c/ M. Y et autres (N° Lexbase : A9072AG4) ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" .
(13) Cass. civ. 1, 31 janvier 2008, n° 04-20.151, Mme Pascale Calaudi, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5974D4Z).
(14) Cass. civ. 1, 27 février 2001, n° 98-10.756, M. Dominique Remy c/ Société Parfumerie Gradit (N° Lexbase : A0325AT9).
(15) Frédéric Buy, note sous Cass. civ. 1, 31 janvier 2008, n° 04-20.151, JCP éd. E, 5 juin 2008, n° 23, 1742.
(16) Cass. civ. 1, 9 novembre 2004, n° 01-17.908, Société Le Sou médical c/ Caisse régionale d'assurance maladie des professions libérales d'Ile-de-France, FS-P+B (N° Lexbase : A8403DDL) ; Cass. civ. 2, 5 octobre 2006, n° 05-18.494, Société Sauvegarde, F-P+B ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 2478666, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. civ. 2, 05-10-2006, n\u00b0 05-18.494, F-P+B, Cassation partielle sans renvoi", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A5002DRP"}}).
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