La lettre juridique n°353 du 4 juin 2009 : Commercial

[Jurisprudence] La cession de dettes ne peut être imposée au créancier qui doit y avoir expressément consenti

Réf. : Cass. civ. 1, 30 avril 2009, n° 08-11.093, M. Eric Jany, F-P+B (N° Lexbase : A6483EG9)

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par Philippe Hontas, Avocat à la cour de Bordeaux, Spécialiste en droit commercial et droit social

le 07 Octobre 2010

Conformément à l'article 1165 du Code civil (N° Lexbase : L1267ABK), un acte de cession de dette ne peut avoir d'effet à l'égard du créancier qui n'y a pas consenti. Tel est le rappel énoncé par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 30 avril 2009.
En l'espèce, un maître de l'ouvrage assigne les différents intervenants à l'opération de construction et ce en raison de l'apparition de malfaçons qui affectent l'immeuble réalisé. Toutefois entre temps, le constructeur a cédé son fonds de commerce en vertu d'un acte qui comportait une clause particulière aux termes de laquelle "les créances et la totalité des dettes générées par l'activité du cédant sont transmises à l'acquéreur[...]. Des décisions de justice doivent en établir aussi bien le principe que le quantum". Dans un arrêt du 20 septembre 2007, la cour d'appel d'Aix-en-Provence prononce différentes condamnations à l'encontre du seul cessionnaire du fonds de commerce, jugeant "qu'à la suite de cette cession de dette, [le cédant] ne peut qu'être mis hors de cause". Tel n'est pas l'avis de la première chambre civile de la Cour de cassation qui casse sur ce point l'arrêt de la cour d'appel, au visa de l'article 1165 du Code civil, et ce au motif que l'acte de cession de fonds de commerce, qui comporte une clause particulière aux termes de laquelle les créances et la totalité des dettes générées par l'activité du cédant sont transmises à l'acquéreur, "ne peut avoir effet à l'égard du créancier qui n'y avait pas consenti". De manière générale, la problématique de la cession de dette s'appréhende différemment selon qu'elle s'opère à titre universel, avec le patrimoine dont elle est l'une des composantes, ou à titre particulier.
La cession de dette à titre universel est un élément indissociable du passif afférent au patrimoine auquel elle appartient et, en conséquence, lors de la transmission de celui-ci, le créancier est généralement contraint d'accepter le changement de débiteur (par exemple au titre d'une succession).

A l'inverse, la cession de dette à titre particulier se produit généralement dans le cadre d'une opération juridique isolée où elle apparaît comme l'accessoire de la cession d'un bien ou d'un contrat. Dans ce cas, l'objet d'une telle stipulation est d'organiser le transfert de la charge d'une dette du patrimoine du cédant vers celui du cessionnaire et ce "sans que cette dette soit modifiée juridiquement et sans imposer au créancier cédé un changement de débiteur contre sa volonté" (1).

L'un des intérêts de l'arrêt commenté est de rappeler que la cession de dette obéit à des particularismes qu'il convient de ne pas méconnaître.
Au surplus, parce que le fonds de commerce n'est pas constitutif d'un patrimoine doté d'une autonomie juridique propre, sa cession, sauf effet de la loi ou accord de volonté des parties, n'emporte pas automatiquement celle des contrats qui ont été conclus dans le cadre de son exploitation, pas plus d'ailleurs que celle de ses créances ou de ses dettes (I).
Dès lors, à l'occasion d'une vente du fonds de commerce, le rédacteur de l'acte devra veiller à ce que l'opposabilité de la cession de dette conventionnelle à l'égard des tiers soit efficacement assurée (II).

I - Le sort des dettes du fonds de commerce lors de sa cession

De manière générale à l'issue de la cession d'un fonds de commerce, les créanciers du cédant ne pourront pas agir à l'encontre du cessionnaire pour le contraindre à payer les dettes du précédent exploitant.

Une illustration de ce principe peut être trouvée dans un arrêt récent de la Cour de cassation rendu au visa de l'article L. 141-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L5670AIT), aux termes duquel "la vente d'un fonds de commerce ne transmet pas au cessionnaire les dettes du cédant et, si, selon l'article L. 2327-11 du Code du travail, le comité mis en place dans le cadre d'un établissement cédé demeure en fonction, il n'en résulte pas que le nouvel employeur est tenu des dettes de l'ancien" (2).

Toutefois, conséquence de l'effet de la loi ou de la volonté des parties, ce principe connaît des exceptions aux termes desquelles il apparaît que la vente du fonds de commerce ne constitue pas un obstacle absolu à la cession d'une dette :

En premier lieu, c'est la loi qui organise dans certaines conditions la transmission de dettes à l'acquéreur.

Ainsi, l'article L. 1224-2 du Code du travail (N° Lexbase : L0842H93) prévoit la prise en charge par le nouvel employeur des obligations qui incombaient à son prédécesseur au titre des contrats de travail.
L'article L. 141-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L5682AIB) dispose que "l'acquéreur qui paie son vendeur sans avoir fait les publications dans les formes prescrites, ou avant l'expiration du délai de dix jours, n'est pas libéré à l'égard des tiers".
En cas d'apport d'un fonds de commerce par une société à une autre société, notamment par suite d'une fusion ou d'une scission, l'article L. 141-22 du Code de commerce (N° Lexbase : L5687AIH) prévoit les conditions dans lesquelles le bénéficiaire de l'apport sera solidairement tenu du passif "déclaré" du précédent exploitant.
Enfin, l'article 1684,1 du Code général des impôts (N° Lexbase : L3267HMX) édicte une solidarité fiscale entre le cessionnaire et le cédant pour le paiement de l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés et la taxe d'apprentissage afférents aux bénéfices réalisés par ce dernier pendant l'année ou l'exercice de la cession jusqu'au jour de celle-ci, ainsi qu'aux bénéfices de l'année ou de l'exercice précédent lorsque, la cession étant intervenue dans le délai normal de déclaration, ces bénéfices n'ont pas été déclarés par le cédant avant la date de la cession.

En second lieu, la Cour de cassation admet la licéité des clauses contractuelles qui autorisent la cession à l'acquéreur de certaines dettes dont le vendeur est tenu en raison des engagements préexistants (par exemple, une clause de garantie solidaire pour les dettes résultant du bail).
Aussi, il est possible de distinguer trois catégories d'aménagements contractuels qui conduisent à la cession d'une dette.

Tout d'abord, la cession de dette dite "interne" est le produit d'un accord intervenu seulement entre le cédant et le cessionnaire, lequel n'a pas pour effet de libérer le débiteur initial à l'égard du créancier (3). Cette possibilité est admise par le droit français qui autorise le paiement pour le compte d'autrui (C. civ., art. 1236 N° Lexbase : L1349ABL et art. 1277 N° Lexbase : L1387ABY).

Ensuite, la cession de dette est dite "imparfaite", lorsque le créancier accepte l'engagement du cessionnaire sans pour autant décharger le cédant de son obligation. Dans ce cas, certains auteurs et une certaine jurisprudence estiment "qu'une obligation s'ajoute à l'autre" et que la nouvelle situation créée autorise le créancier à actionner cumulativement le débiteur initial et le cessionnaire de la dette (4). En l'absence de clause ou de convention expresse, une jurisprudence ancienne admet que l'obligation à la dette peut être supportée par l'ayant cause particulier "lorsque celui-ci a accepté, au moins tacitement, la charge de la convention, l'acceptation pouvant résulter de l'usage d'un droit dont cette charge est la contrepartie indivisible" (5). Bien entendu en cas de litige, l'appréciation de la portée de "l'accord de volonté tacite" relèvera de l'appréciation souveraine des juges (6).

Enfin, la cession de dette dite "parfaite" est, quant à elle, la conséquence d'une convention tripartite conclue entre le créancier, le cessionnaire et le débiteur initial qui matérialise leur accord.

Ceci étant exposé, il convient, désormais, de se préoccuper de la question de l'opposabilité de la cession de dette au créancier cédé.

II - L'opposabilité de la cession de dette à l'égard du créancier cédé

En cas de non paiement, quels sont les effets d'une cession de dette à l'égard du créancier ?

Comme l'a jugé la Cour de cassation dans son arrêt du 30 avril 2009, il convient d'appliquer l'article 1165 du Code civil qui dispose que "les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l'article 1121 [du Code civil N° Lexbase : L1209ABE]"

A cet égard, il convient de souligner la différence qui existe entre la cession de dette et la cession de créance sur le terrain de l'opposabilité :
- la cession de créance pour qu'elle soit opposable au débiteur cédé, exige soit son accord, soit l'accomplissement par le cessionnaire de la formalité de la signification telle que prévue par l'article 1690 du Code civil (N° Lexbase : L1800ABB) ;
- en revanche, pour produire des effets équivalents, la cession de dette oblige, quant à elle, le créancier à accepter expressément le principe de la transmission de l'obligation passive.

En effet, comme l'énonçait le Doyen Carbonnier, "on ne peut se contenter, pour opérer une cession parfaite de dette, de signifier au créancier la convention de cession passée entre les deux débiteurs successifs ; le respect de ses droits interdit toute symétrie avec la cession de créance et rend son consentement absolument indispensable à la libération du premier débiteur" (7)

La jurisprudence a également été amenée à préciser "qu'on ne peut enlever son débiteur à un créancier, ni lui en attribuer un autre à la place, sans son consentement, la personnalité du débiteur jouant un rôle essentiel pour le créancier et la fongibilité n'existant pas entre les personnes" (8).
Ainsi, lorsque la cession de dette est régie par la loi, la question de son opposabilité ne pose pas de difficulté de principe.
En revanche, si la cession de dette est le produit d'un aménagement ayant donné lieu à l'insertion d'une clause contractuelle, l'efficacité de cette stipulation à l'égard des tiers dépendra non seulement de la bonne rédaction de l'acte, laquelle est à cet égard déterminante (9), mais surtout de l'accord du créancier.
En effet, la jurisprudence rappelle que, pour libérer valablement le débiteur d'origine, le créancier cédé doit expressément décharger le cédant de son obligation afin que celle-ci puisse produire pleinement ses effets (10).

Dès lors, la solution posée par la Cour de cassation dans son arrêt du 30 avril 2009 apparaît tout aussi classique que justifiée par le souci du nécessaire respect de la préservation des droits du créancier cédé.


(1) TGI de Strasbourg, 24 mars 1971, D., 1973, jurisprudence p.16, note Larroumet.
(2) Cass. soc., 28 mai 2008, n° 07-40.904, Comité d'entreprise de la société par actions simplifiée Goodrich Actuation Systems, FS-P+B (N° Lexbase : A7921D8U), et les obs. de G. Auzero, Transfert d'entreprise et subvention de fonctionnement du comité d'entreprise, Lexbase Hebdo n° 308 du 12 juin 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N2397BGU).
(3) J. Carbonnier, Les obligations, n° 127 ; Cass. com., 16 novembre 1993, n° 90-11.028, M Santiago c/ Epoux Petit (N° Lexbase : A5418ABB) ; Cass. civ. 1, 2 juin 1992, n° 90-17.499, Banque nationale de Paris (BNP) c/ Mme Y et autre (N° Lexbase : A5409AHS).
(4) TGI de Strasbourg, 24 mars 1971, préc. et note préc. ; Carbonnier, Les obligations, n° 127.
(5) Cass. civ. 1, 21 décembre 1960, n° 58-12.866, Veuve Lartigau c/ Société Barat (N° Lexbase : A2796AU4), Bull civ. I, n° 559.
(6) Cass. civ. 1, 21 décembre 1960, préc..
(7) J. Carbonnier, Les obligations, n° 127.
(8) TGI de Strasbourg, 24 mars 1971, préc. et note préc..
(9) J.-G. Raffray, La rédaction de l'acte de vente de fonds de commerce, JCP éd. N, 7 février 1997, 3929, p. 217 ; Cass. com., 3 octobre 2006, n° 04-16.890, Société Le Bihan Tmeg, F-D (N° Lexbase : A7661DR8) ; Cass civ. 3, 7 décembre 2005, n° 04-12.931, Société Malard c/ Société Paul Boussicault, FS-P+B (N° Lexbase : A9200DLC), et les obs. de D. Bakouche, Les effets à l'égard des ayants cause à titre particulier des contrats conclus par leur auteur, Lexbase Hebdo n° 196 du 5 janvier 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N2456AK8).
(10) Cass. com., 25 janvier 2005, n° 03-14.926, Société BNP Paribas Lease Group c/ M. Guy Meunier, F-D (N° Lexbase : A3002DGB).

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