Réf. : Cass. civ. 2, 7 mai 2009, deux arrêts, n° 08-15.738, FS-P+B (N° Lexbase : A9814EGL) et n° 08-15.739, FS-D (N° Lexbase : A9815EGM)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
Les dispositions propres à l'indemnisation des victimes d'infractions sont applicables aux victimes d'un accident du travail imputable à la faute intentionnelle de l'employeur ou de l'un de ses préposés. |
Commentaire
I - Le recours, désormais admis, au régime d'indemnisation des victimes d'infraction en présence d'un accident du travail intentionnellement causé par un préposé
L'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4467ADS) interdit, par principe, à la victime indemnisée par la Sécurité sociale, au titre de la législation spécifique aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, d'invoquer, contre son employeur et ses collègues de l'entreprise, les dispositions du "droit commun". Ce principe supporte certaines exceptions légales auxquelles renvoie, d'ailleurs, l'article L. 451-1 lui-même, en présence d'une faute inexcusable ou intentionnelle de l'employeur ou de l'un de ses substitués, d'un tiers impliqué dans l'accident ou la maladie, d'accident de trajet ou d'accident de la circulation professionnel qui survient sur une voie ouverte à la circulation publique et dans un véhicule dont l'employeur, ou l'un de ses préposés, est gardien.
La détermination du "droit commun", auquel renvoie l'article L. 451-1, a fait, classiquement, difficulté et la jurisprudence s'est résolue à interpréter cette notion largement en y englobant tous les régimes de responsabilité civile et d'indemnisation extérieurs au Code de la Sécurité sociale, qu'il s'agisse de la loi dite "Badinter" du 5 juillet 1985, relative à l'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation (loi n° 85-677 N° Lexbase : L7887AG9) (2), ou aux dispositions des articles 706-3 (N° Lexbase : L5612DYI) et suivants du Code de procédure pénale, relatives à l'indemnisation des victimes d'infractions pénales (3).
Au-delà du caractère éminemment discutable de l'exclusion du régime d'indemnisation des victimes d'infractions admise depuis 2003, se pose la question particulière des règles applicables à l'indemnisation de la victime lorsque l'accident du travail résulte de la faute intentionnelle de l'employeur ou de l'un de ses préposés.
Dans cette hypothèse, et comme le prévoit expressément, d'ailleurs, l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale, la victime est autorisée à invoquer le "droit commun" à son profit (4). Exclu par principe en présence d'un accident du travail "ordinaire" en raison de son appartenance au "droit commun" de l'article L. 451-1 que la victime ne peut invoquer, le régime d'indemnisation des victimes d'infractions devait logiquement redevenir applicable, avec le "droit commun" de l'article L. 452-5 (N° Lexbase : L5304ADS), en présence d'une faute intentionnelle ; il ne saurait logiquement y avoir deux notions distinctes du "droit commun" au sein du même régime d'indemnisation.
Pourtant, en dépit du caractère imparablement logique de cette conclusion, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait choisi, dans un arrêt en date du 7 février 2008, de maintenir l'exclusion du régime d'indemnisation des victimes d'infraction, y compris en présence d'une faute intentionnelle, après avoir relevé, d'une manière lapidaire, que "les dispositions propres à l'indemnisation des victimes d'infractions ne sont pas applicables aux victimes d'un accident du travail, même en cas de faute intentionnelle de l'employeur ou du préposé" (5).
Comme nous avions eu l'occasion de l'écrire à l'époque, cette solution était non seulement illogique, le régime d'indemnisation des victimes d'infractions ne pouvant, à la fois, être inclus et exclu de la catégorie du "droit commun" visé par l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale, mais aussi terriblement inopportune en ce qu'elle prive la victime de la réparation intégrale de son préjudice, sous prétexte qu'elle est, par ailleurs, indemnisée par la Sécurité sociale, créant ainsi une terrible discrimination entre les victimes d'infractions qui n'a pas été voulue par le législateur (6).
On saura gré, dans ces conditions, à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation d'avoir rectifié sa jurisprudence aussi rapidement (7) dans deux décisions rendues le même jour portant sur deux affaires identiques jugées par la même cour d'appel (8). Deux séries d'éléments plaidaient en faveur de ce revirement, indépendamment du principal grief tiré du caractère illogique et injuste de la position adoptée en 2008.
En premier lieu, de nombreuses juridictions du fond étaient entrées en résistance, ce qui démontrait que la Cour de cassation allait éprouver les plus grandes difficultés à imposer pareille solution.
En second lieu, les faits de l'espèce rendaient la tâche plus facile, parce que plus évidents encore apparaissaient les inconvénients de la position adoptée en 2008. Ces faits étaient, tout d'abord, particulièrement odieux puisque les victimes, placées sous un régime de curatelle, indiquant par là-même qu'elles devaient souffrir d'une légère altération de leurs facultés mentales, avaient été victimes d'un viol et d'agressions sexuelles, perpétrés par leur supérieur hiérarchique, et n'avaient, de surcroit, pas été indemnisées du tout par la Sécurité sociale à laquelle elles n'avaient rien demandé (9). Comment, dans ces conditions, fermer la porte du régime d'indemnisation des victimes d'infractions alors que si le viol avait été commis dans un contexte non professionnel, ces deux femmes auraient été normalement indemnisées ?
II - L'extension souhaitable du principe du cumul même en l'absence d'une faute intentionnelle
Plusieurs questions subsistent à la lecture de l'arrêt.
Le premier doute concerne le rôle joué par les circonstances de l'espèce dans l'élaboration de la décision et, singulièrement, le fait que, dans l'une des affaires au moins, la victime n'avait pas été indemnisée par la Sécurité sociale au titre de la législation professionnelle, avant de saisir une Commission d'indemnisation des victimes d'infractions. S'agit-il, ici, d'une simple circonstance de fait n'altérant pas la portée de la solution admise ou, au contraire, d'une véritable condition limitant implicitement la possibilité reconnue à la victime d'un accident du travail d'invoquer le bénéfice du régime d'indemnisation des victimes d'infraction en cas de faute intentionnelle ? En d'autres termes, la Cour de cassation pourrait appliquer la solution lorsque la victime n'a pas sollicité d'indemnisation auprès de la Sécurité sociale, mais pas lorsqu'elle a préalablement été indemnisée par celle-ci ; serait donc admis le principe d'une option entre les deux régimes, mais pas celui d'un cumul.
Il ne nous semble pas que cette interprétation restrictive doive prévaloir et que la solution autorise bien le cumul.
Au-delà de la question de l'opportunité douteuse qu'il y aurait à restreindre, ainsi, la portée de la règle nouvelle, il nous semble que telle n'est pas l'intention de la Cour qui n'a pas fait apparaître cette circonstance dans la justification du rejet. Il s'agirait donc d'une simple circonstance de fait n'affectant pas le sens et la portée de la règle de droit appliquée. L'admission du cumul, qui nous semble résulter directement des deux décisions, ne pose, d'ailleurs, pas de problème particulier puisqu'il s'agit simplement de compléter les indemnités versées par la Sécurité sociale jusqu'à réparation intégrale de l'intégralité des chefs de préjudice, ce qui englobe les préjudices personnels et la fraction de la perte des revenus professionnels affectée par la méthode de calcul de la rente-loi (10).
La solution conduit, en second lieu, à s'interroger sur la subsistance de la priorité accordée au régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail et de maladie professionnelle sur le régime d'indemnisation des victimes d'infractions, priorité fondée sur le caractère "d'ordre public" des dispositions du Code de la Sécurité sociale (11).
Or, pareille priorité n'a pas été évoquée dans les deux arrêts rendus le 7 mai 2009, alors, pourtant, qu'elle était en cause, puisque la salariée n'avait pas saisi la Sécurité sociale de demandes d'indemnisation au titre de la législation sur les accidents du travail. Même si nous sommes personnellement très favorables à l'abandon de toute idée d'ordre de priorité entre ces deux régimes d'indemnisation, et que cet abandon s'évince naturellement des deux décisions commentées, il convient de demeurer prudent et d'attendre que la question soit directement posée à la Haute juridiction qui pourrait vouloir épargner au FGVAT les démarches et risques d'une action récursoire contre la Sécurité sociale.
En l'état actuel de la jurisprudence, tout cumul est impossible entre le régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail et celui des victimes d'infraction, dès lors que la législation professionnelle exclut le recours au droit commun contre l'employeur. La prohibition suppose, toutefois, que l'on soit en situation de cumul possible, c'est-à-dire que la victime relève potentiellement des deux régimes. Si elle ne peut prétendre au régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail, par exemple, parce qu'elle n'appartient pas à la catégorie des "ayants droits" au sens où l'entend le livre IV du Code de la Sécurité sociale, alors elle pourra normalement bénéficier du dispositif propre aux victimes d'infractions (12).
Cette impossibilité est justifiée par la Cour de cassation, d'une part, par la priorité accordée au régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail et des maladies professionnelles et, d'autre part, par l'assimilation du régime d'indemnisation des victimes d'infraction au "droit commun" exclu par l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale. Cet interdit peut, également, s'expliquer par le fait qu'en permettant à la victime d'être indemnisée par le FGVAT, la jurisprudence exposerait ce dernier à des charges financières irrécupérables puisqu'agissant dans le cadre de la subrogation dans les droits de la victime indemnisée, le FGVAT se heurterait à l'immunité protégeant l'employeur et le salarié dès lors que les conditions d'application de l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale seraient réunies (13).
Pourtant, nous pensons que cette extension devrait logiquement s'imposer et ce, pour différentes raisons.
Le premier argument qui milite en ce sens est évident : il est injuste de priver les victimes d'infractions des droits qu'elles tirent des dispositions du régime spécial sous prétexte que cette infraction constitue, par ailleurs, un accident du travail. D'ailleurs, c'était le sens de la jurisprudence avant le revirement intervenu en 2003, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ayant justement relevé, à l'époque, que "l'article 706-3 du Code de procédure pénale n'interdit pas aux victimes d'accidents du travail de présenter une demande d'indemnisation du préjudice résultant de faits présentant le caractère matériel d'une infraction" (14). Or, cette lecture nous semble exacte, ne serait-ce que parce que les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles ne figurent pas dans la liste d'exclusion de l'article 706-3 du Code de procédure pénale (15).
On sait que l'exclusion repose sur une conception historiquement très large du "droit commun" visé à l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale, formule héritée de la loi du 9 avril 1898 qui excluait, de manière plus explicite sans doute, "d'aucunes dispositions autres que celles de la présente loi" (16). Il nous semble que le changement de formulation intervenu en 1945 est loin d'être anodin et qu'il doit, au contraire, produire pleinement son effet, en cantonnant l'exclusion aux seules dispositions du Code civil, à l'exclusion des régimes d'indemnisation, à plus forte raison lorsque leur création est postérieure à 1945. Or, la création du régime d'indemnisation des victimes d'infractions résulte d'une loi du 3 janvier 1977 (17) et ce régime ne pouvait donc être exclu par un article de code qui lui est antérieur de plus de trente ans.
Dans ces conditions, ce n'est pas dans le désir de sauvegarder les grands équilibres du régime d'indemnisation des victimes de dommages professionnels qu'il faut rechercher le fondement de la solution, mais dans des raisons propres au régime d'indemnisation des victimes d'infractions. Or, dans la mesure où ce régime n'écarte pas les victimes de dommages professionnels, pourquoi empêcher ces victimes d'être indemnisées (18) ? Certes, le Fonds ne disposera d'aucun recours contre l'employeur et devra donc supporter définitivement la charge des indemnités complémentaires versées aux victimes. Mais, non seulement, c'est le propre d'un régime de solidarité que d'assumer ce risque financier, mais, de surcroît, la situation n'est pas différente lorsque le dommage résulte de faits commis par une personne non identifiée.
Décisions
1° Cass. civ. 2, 7 mai 2009, n° 08-15.738, FS-P+B (N° Lexbase : A9814EGL) Rejet, CA Douai, 3ème ch., 13 mars 2008 Textes visés : CSS, art. L. 452-5 (N° Lexbase : L5304ADS) ; C. pr. pén., art. 706-3 (N° Lexbase : L5612DYI) Lien base : 2° Cass. civ. 2, 7 mai 2009, n° 08-15.739, FS-D (N° Lexbase : A9815EGM) Textes visés : CSS, art. L. 451-1(N° Lexbase : L4467ADS) et art. L. 452-5 (N° Lexbase : L5304ADS) ; C. pr. pén., art. 706-3 (N° Lexbase : L5612DYI) Rejet, CA Douai, 3ème ch., 13 mars 2008 Lien base : |
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