La lettre juridique n°352 du 28 mai 2009 : Impôts locaux

[Jurisprudence] Evaluation des locaux commerciaux par application de la méthode par comparaison, en l'absence de local-type dans la commune

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 27 avril 2009, n° 296920, Commune de Valdoie, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon (N° Lexbase : A6400EG7)

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par Guy Quillévéré, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nantes

le 07 Octobre 2010

Dans le cadre de l'évaluation des locaux commerciaux pour l'établissement des impôts locaux, le Conseil d'Etat retient, dans un arrêt du 27 avril 2009, qu'en l'absence de locaux-types situés dans la commune, le juge a l'obligation de regarder si chaque local à évaluer peut être regardé comme présentant un caractère particulier au sens du a du 2° de l'article 1498 du CGI (N° Lexbase : L0267HMT). Le Conseil d'Etat, par cet arrêt "Commune de Valdoie", poursuit la construction jurisprudentielle qui vise à pallier les carences nées de l'absence de révision des valeurs locatives cadastrales afin d'en faciliter leur détermination. Les faits dans cette affaire sont les suivants : la commune de Valdoie a, par lettre du 17 août 1999, demandé à l'administration fiscale de procéder, en vue de l'établissement des cotisations de taxe professionnelle et de taxe foncière sur les propriétés bâties pour l'année 2000, à la rectification de la valeur locative de divers locaux, en particulier des locaux commerciaux situés sur son territoire, et d'émettre pour ces locaux des rôles supplémentaires au titre des années 1998 et 1999. Le directeur des services fiscaux du Territoire de Belfort a signé le 23 décembre 1999, un procès verbal complétant la liste des locaux types ce qui a permis, à partir de l'année 2000, l'évaluation de la valeur locative des locaux commerciaux concernés en utilisant, pour l'application de la méthode par comparaison prévue à l'article 1498 du CGI pour l'établissement de la taxe foncière sur les propriétés bâties, de nouveaux locaux types. L'administration a cependant rejeté la demande de la commune aux fins d'émettre des rôles supplémentaires pour les mêmes immeubles au titre des années 1998 et 1999. En première instance, le tribunal administratif de Besançon avait, par un jugement en date du 3 avril 2003, partiellement fait droit aux conclusions de la commune (TA Besançon, 3 avril 2003, n° 0000281 N° Lexbase : A7970EGB), alors que la cour administrative d'appel de Nancy avait rejeté ses demandes (CAA Nancy, 2ème ch., 29 juin 2006, n° 03NC00584 N° Lexbase : A3233DQS). La cour avait jugé que les immeubles commerciaux en litige ne présentaient pas, par eux-mêmes, un caractère particulier ou exceptionnel et que, dès lors, leur valeur locative devait être déterminée par comparaison avec des locaux-types situés dans la commune puis, qu'en l'absence de tels immeubles pouvant servir de termes de comparaison pour les années 1998 et 1999, l'administration avait pu refuser d'émettre des rôles supplémentaires pour l'ensemble des locaux commerciaux dont la liste lui avait été communiquée par la commune de Valdoie. Le Conseil d'Etat vient censurer l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel et juge qu'il appartenait à celle-ci, en l'absence de terme de comparaison approprié dans la commune, de s'assurer d'office si chaque local à évaluer pouvait être regardé comme présentant un caractère particulier au sens du a du 2°) de l'article 1498 du CGI, de nature à autoriser le service à recourir à un terme de comparaison pris hors de la commune.

L'arrêt "Commune de Valdoie" tire les conséquences pour l'office du juge de l'arrêt "Société Darty Alsace-Lorraine" (CE Contentieux, 18 juillet 2006, n° 267894, Société Darty Alsace Lorraine N° Lexbase : A6470DQP), qui avait tranché le débat entre la conception absolue ou relative de "la notion d'immeuble à caractère particulier", et se place dans le prolongement de plusieurs décisions rendues en 2008 par lesquelles le Conseil d'Etat assouplit le recours à la méthode par comparaison, organise les conditions d'un dialogue plus efficace entre administration et contribuables sur le choix des termes de comparaison, et surtout rappelle que le juge de l'impôt, juge de plein contentieux, lorsqu'il censure la décision de l'administration, se doit de la remplacer par sa propre décision.

1. En l'absence d'un local de référence, le juge doit d'office apprécier si le local à évaluer doit être regardé comme présentant un caractère particulier

L'arrêt "Commune de Valdoie" apporte sa pierre à l'effort jurisprudentiel initié depuis plusieurs années par le Conseil d'Etat et qui vise à faciliter la fixation des valeurs locatives cadastrales.

1.1. La notion d'immeuble à caractère particulier est "relative"

L'article 1498 du CGI prévoit que les immeubles commerciaux peuvent être évalués selon un bail en cours au 1er janvier 1970 (CGI, art. 1498 1°), ou bien par comparaison à des locaux eux-mêmes loués au 1er janvier 1970 (CGI, art. 1498 2°), ou enfin, à défaut par appréciation directe (CGI, art. 1498 3°). En l'absence d'un terme de comparaison approprié dans la commune, le local à évaluer peut être regardé comme présentant un caractère particulier au sens du a du 2° de l'article 1498 du CGI, de nature à autoriser l'administration a recourir à un terme de comparaison pris hors de la commune.

C'est l'arrêt de section en date du 18 juillet 2006, "Société Darty Alsace-Lorraine" qui a tranché entre deux conceptions de la notion de "local présentant un caractère particulier". Pour les uns, le caractère particulier ou exceptionnel d'un immeuble dépend de caractéristiques intrinsèques, tel un aspect architectural, des dimensions ou une affectation particulière (CE Contentieux, 17 novembre 1986, n° 47250, Société française immobilière de location pour l'industrie et de commerce (SOFILIC) N° Lexbase : A7595AMA ou CE 8° s-s., 25 novembre 2005, n° 263670, Société Groupe Envergure N° Lexbase : A8211DLP). La Haute juridiction a reconnu un tel caractère à un hypermarché (CE, 15 décembre 1982, n° 24895, Société anonyme Sovac-Sovabail N° Lexbase : A0614ALC) ou à un grand magasin (CE Contentieux, 28 juillet 1993, n° 76560, Société Samadoc N° Lexbase : A0486ANC). Pour les autres, un local présente un caractère particulier, dès lors qu'il n'existe pas dans la commune de terme de comparaison. Cette seconde conception rallie les plus importants suffrages et a été retenue pour un supermarché de quartier situé en banlieue parisienne (CE Contentieux, 24 juin 1987, n° 48627 et n° 72132, Société française des magasins Uniprix N° Lexbase : A2874AP7 : RJF, 8-9/87 n° 890) ou pour une "supérette" (CE 23 mars 1992, n° 72936, M. Payot N° Lexbase : A5278ARW), ou encore, pour un garage situé à Saint-Martin, dans l'île du même nom (CE 9° et 10° s-s-r., 12 janvier 2005, n° 250135, SA Automar N° Lexbase : A0956D3S). La section du contentieux est venue clore le débat d'école en jugeant, à propos d'une grande surface spécialisée dans l'électroménager, qu'un local présente un caractère particulier dès lors qu'il n'existe pas de terme de comparaison approprié sur le territoire de la commune (CE section, 18 juillet 2006, Société Darty Alsace-Lorraine, précité). La solution retenue par le Conseil d'Etat, dans l'arrêt de section "Darty Alsace-Lorraine", permettait d'allier droit et mise en pratique du droit en donnant plus de souplesse au service dans la détermination des valeurs locatives, le nombre de locaux types pertinents se réduisant, et la solution ne privant pas le contribuable d'une garantie.

Si l'arrêt de section du 18 juillet 2006 précise "la notion de caractère particulier d'un local" au sens du a du 2° de l'article 1498 du CGI, il ne circonscrit pas l'office du juge dans la mise en oeuvre de ces dispositions en l'absence d'un terme de comparaison dans la commune, c'est cette lacune que comble l'arrêt du Conseil d'Etat "Commune de Valdoie".

1.2. L'arrêt "Commune de Valdoie" tire les conséquences pour l'office du juge du relativisme de la notion de local à caractère particulier

Il appartient au juge de rechercher si, en l'absence de terme de comparaison approprié dans la commune, chaque local à évaluer peut être regardé comme présentant un caractère particulier au sens du a du 2° de l'article 1498 du CGI. L'arrêt "Commune de Valdoie" étend la portée de l'arrêt de section "Société Darty Alsace-Lorraine" et renforce les pouvoirs du juge. Les règles de la méthode en matière de détermination des valeurs locatives cadastrales ont été progressivement précisées par le juge administratif. Le juge doit, tout d'abord, se prononcer sur les différents locaux types proposés par les services fiscaux ou par le contribuable pour fixer la valeur locative du bien en litige et doit, en l'absence de locaux types pertinents, ordonner un supplément d'instruction (CE 8° s-s., 8 mars 2006, n° 264561, SCI Champ Redon N° Lexbase : A4855DN7). Ce rôle actif du juge est régulièrement expliqué par les rapporteurs publics du Conseil d'Etat par le caractère "réel" des impositions foncières qui supposent qu'aucune propriété ne doit demeurer non taxée.

Dans l'arrêt "Commune de Valdoie", le renforcement des pouvoirs du juge peut aussi s'expliquer par la volonté de ne pas exposer l'administration à des actions en responsabilité. D'une certaine façon, il faut, vaille que vaille, trouver des termes de comparaisons et fixer une valeur locative cadastrale. Dans l'arrêt du 27 avril 2009, le service a refusé d'émettre des rôles supplémentaires pour l'ensemble des locaux commerciaux dont la liste lui avait été communiquée par la commune de Valdoie. Ce refus est illégal et les erreurs commises par le service lors de l'exécution d'opérations qui se rattachent aux procédures d'établissement de l'impôt sont, en principe, susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat dans le cas où elles constituent une faute lourde.

L'arrêt "Commune de Valdoie" apporte sa pierre à un mouvement qui renforce les pouvoirs du juge, initié depuis plusieurs années.

2. L'arrêt "Commune de Valdoie" : une nouvelle étape dans la clarification des pouvoirs du juge de l'impôt saisi d'une contestation sur la valeur locative des biens à évaluer

Les pouvoirs du juge, juge de plein contentieux, ont été progressivement renforcés, et lui confèrent un rôle actif dans la fixation des valeurs locatives cadastrales qui rencontre, toutefois, une limite économique.

2.1. Un portefeuille d'obligations classiques contraint par un critère d'analogie économique

Les pouvoirs du juge pour la fixation des valeurs locatives cadastrales dérogent assez largement au droit commun. Ainsi, le juge de l'impôt examine la portée de la contestation du local retenu par l'administration que le contribuable propose une alternative ou non. Il se prononce sur les termes avancés par le service et aussi sur ceux proposés par le contribuable. Si le local-type ne convient pas, le juge doit obligatoirement statuer sur les mérites des propositions alternatives formulées par le contribuable (CE, 8 mars 2006, n° 264561, SCI Champ Redon, précité). Lorsque, comme dans l'arrêt "Commune de Valdoie", l'instruction fait apparaître qu'aucun des locaux-types soumis au débat n'est adapté, sauf à ce qu'il soit établi qu'aucun autre local-type ne pourrait l'être, le juge ne peut légalement faire droit aux conclusions de l'une ou l'autre des parties, et il ordonne, dans ce cas, un supplément d'instruction (CE 3° et 8° s-s-r., 5 mai 2006 n° 268395 Société Monoprix N° Lexbase : A2346DPL).

Les pouvoirs larges du juge ont pour objet de faciliter la mise en oeuvre de l'article 1498, 2° du CGI et de permettre la taxation des valeurs locatives. Ils rencontrent, toutefois, une limite, dès lors qu'ils doivent aussi respecter la règle selon laquelle le local-type doit se situer dans une commune présentant une analogie suffisante, d'un point de vue économique, avec la commune d'implantation du local à évaluer (CE, 1er février 1989, n° 66144, Société des grands hôtels d'Aix en Provence N° Lexbase : A0698AQW). Le Conseil d'Etat a récemment jugé que l'administration, qui supporte la charge de la preuve, n'établit pas l'existence d'une analogie économique suffisante entre la commune de Buc (Essonne) et la ville de Paris (CE, 8 mars 2006, n° 267987 SARL Invest hôtel N° Lexbase : A4869DNN), ou entre les communes de Meyreuil et d'Aix-en-Provence, toutes deux situées dans les Bouches-du-Rhône, eu égard à l'importance respective de leur population, 4 000 habitants pour l'une et 130 000 pour l'autre ainsi qu'au volume et à la nature de l'activité économique, 30 entreprises pour l'une et un millier pour l'autre (CE 3° et 8° s-s-r., 19 juin 2006, n° 262650, Société Groupe Envergure N° Lexbase : A9764DPC). La mise en oeuvre du critère d'analogie économique a pu apparaître trop sévère et comme devant être limité aux cas où les disparités économiques entre communes sont susceptibles d'exercer une influence réelle sur la valeur locative des locaux ; un arrêt du 6 novembre 2006 semble infléchir quelque peu la sévérité dans la mise en oeuvre du critère de l'analogie économique (CE 9° et 10° s-s-r., 6 novembre 2006, n° 266429, GIE Good' Year Mireval N° Lexbase : A2870DS4).

2.2. L'arrêt "Commune de Valdoie" participe d'une évolution de la jurisprudence contraire au principe d'interdiction pour le juge de procéder lui-même à la substitution de base légale

Antérieurement à l'arrêt "Commune de Valdoie", une série d'arrêts récents en date du 19 novembre 2008, relevant d'un même esprit que ce dernier, est venue préciser que, dans le cas où le juge retient une appréciation par voie de comparaison, il doit, pour l'application du 2 de l'article 1498 du CGI, statuer d'office sur le terme de comparaison qu'il estime, par une appréciation souveraine, pertinent et dont il a vérifié la régularité, au vu des éléments dont il dispose ou qu'il a sollicités par un supplément d'instruction (CE 8° et 3° s-s-r., 19 novembre 2008, n° 305318, Société Euro Disney SCA N° Lexbase : A3164EBS, n° 305319, Société Hôtel New-York associés N° Lexbase : A3165EBT, n° 305320, Société Newport Bay Club Associés N° Lexbase : A3166EBU, n° 305321, Société Cheyenne Hôtel Associés N° Lexbase : A3167EBW, et n° 305322, Société Hôtel Santa Fé Associés N° Lexbase : A3168EBX). Ainsi, bien que sous contrainte du critère de l'analogie économique, l'office du juge en matière de taxe foncière lui impose de fixer la valeur locative des biens dont il est saisi. Ce pouvoir emporte des conséquences étonnantes, par exemple lorsque le juge décharge l'ancien propriétaire, il est tenu simultanément d'assujettir le redevable légal (CE 8° et 9° s-s-r., 24 mars 1999 n° 170982, M. Vilain N° Lexbase : A4722AX8). Les décisions de 2008 et l'arrêt "Commune de Valdoie", laissent penser qu'au moins en ce qui concerne la fixation d'une imposition primitive, il relève de l'office du juge de déterminer la valeur locative, soit à partir de termes proposés par le contribuable, soit en l'absence de ceux-ci de les chercher sur le territoire de communes voisines dans le respect du critère de l'analogie économique. La recherche de ces termes de comparaison conduit donc le juge à procéder d'office à une substitution de base légale quand bien même celle-ci n'aurait pas été demandée par le service. Ce pouvoir déroge à une règle classique selon laquelle il n'appartient pas au juge lorsqu'il n'y est pas invité par le service défendeur, de substituer au fondement de l'imposition contestée un autre fondement sur lequel serait justifié le maintien de cette imposition (CE section, 21 mars 1975, n° 85496 N° Lexbase : A6892AYW). L'arrêt "Commune de Valdoie", en renforçant les pouvoirs du juge, vise à s'assurer que chaque propriété foncière puisse être imposée.

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