La lettre juridique n°348 du 30 avril 2009 : Éditorial

Les Misérables II, le retour de Cosette et de Marius : entre droit moral et liberté de création

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Les Misérables II, le retour de Cosette et de Marius : entre droit moral et liberté de création. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211689-ilesmiserablesiiileretourdecosetteetdemariusentredroitmoraletlibertedecreation
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"On a renoncé à me demander l'autorisation de dire mes Oeuvres sur les théâtres. On les dit partout sans me demander la permission. On a raison. Ce que j'écris n'est pas à moi. Je suis une chose publique".

Ces quelques mots de Victor Hugo auraient pu suffire à écarter tout débat sur l'appropriation par le public de l'oeuvre de l'exilé de Guernesey et, par suite, tuer dans l'oeuf toute contestation relative à une adaptation théâtrale ou cinématographique, comme celle relative à la publication d'une suite romanesque. Pourtant, malgré les voeux du grand auteur, on ne peut empêcher une certaine frilosité, voire une aversion, à l'encontre de l'écriture de telles suites ; les "gardiens du temple de la littérature française" considérant, souvent à raison, qu'elles portent atteinte à la mémoire, parfois même à la cohérence et à la philosophie de l'oeuvre originelle. C'est cette apparente contradiction sui generis née de l'exercice d'un droit moral et d'un droit de suite attachés à une oeuvre tombée dans le domaine public que les juges entendent anéantir, à travers un arrêt de la Cour de cassation du 30 janvier 2007, auquel fait écho, pour mieux en caractériser les principes, l'arrêt de la cour d'appel de renvoi du 19 décembre 2008.

La sentence est sans ambages : "sous réserve du respect du droit au nom et à l'intégrité de l'oeuvre adaptée, la liberté de création s'oppose à ce que l'auteur de l'oeuvre ou ses héritiers interdisent qu'une suite lui soit donnée à l'expiration du monopole d'exploitation dont ils ont bénéficié". Et de rappeler que "le droit moral n'est pas absolu et doit s'exprimer au service de l'oeuvre en accord avec la personnalité de l'auteur telle que révélée et exprimée de son vivant". Ainsi, la liberté de création "confère à tout un chacun la faculté de s'essayer à concevoir et à formaliser une suite, une fois l'oeuvre tombée dans le domaine public". Ite missa est ? Vraisemblablement non, comme le souligne Isabelle Camus, avocat associée du cabinet Atem, spécialisée en propriété littéraire et artistique, avec laquelle Lexbase Hebdo - édition privée générale s'est entretenu cette semaine. Des garde-fous en faveur du respect et de la fidélité à l'oeuvre originelle sont ainsi posés.

Et, pour en revenir à l'opposition entre droit moral, droit de suite et liberté de création, souvenons-nous de la polémique née, il y a une quinzaine d'année, autour de Scarlett, suite d'un monument de la littérature américaine (prix Pulitzer en 1937), Autant en emporte le vent. Une polémique à laquelle les héritiers de Margaret Mitchell tentaient de mettre fin avec la sortie, en 2007, du Clan Rhett Butler, "suite officielle" de l'oeuvre écrite en 1936. Et, un nouveau concept d'éclore, celui de "suite officielle" donc, qui tentait de faire la synthèse pratique entre la liberté de création et le droit de propriété littéraire et artistique... Ce qui relève de la cocasserie lorsque l'on sait que l'auteur des Choses vues écrivit : "Que mes descendants n'autorisent pas d'oeuvres choisies. Tout choix dans un esprit est un amoindrissement. L'eunuque est un homme dans lequel on a choisi". Nous voilà donc bien heureux que les magistrats n'aient pas suivi la voie de la "suite officielle", pour lui préférer celle d'une appréciation in concreto du respect global de l'oeuvre originelle.

Le mieux étant, encore, que l'auteur originel prévoit lui-même la suite de son Oeuvre, comme Alexandre Dumas le fit avec Vingt Ans après et Le Vicomte de Bragelonne suites non moins glorieuses des Trois Mousquetaires. Et, l'on se souviendra que Roger Nimier avait écrit, en 1962, D'Artagnan amoureux ou Cinq ans avant, sans encourir la censure : autres temps, autres moeurs... autres intérêts financiers !

Enfin, imagine-t-on rétrospectivement condamner Molière pour avoir repris, en grande partie, la trame de La marmite de Plaute à travers son Avare, ou La Fontaine pour avoir remis au goût du jour (au XVIIème siècle s'entend) la fable du Corbeau et du renard de Julien ? Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, nous rappelle Anaxagore de Clazomènes (maxime injustement attribuée à Lavoisier ; ah ! le droit d'auteur est décidément bel et bien une vieille chimère...).

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