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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Pour répondre à ces questions, faisant fi de la lutte éternelle relative à l'émancipation ou l'influence des grands systèmes juridiques, depuis l'oil et l'oc, certaines branches du droit permettent l'expérimentation normative, afin de déterminer quels concepts, règles ou principes, il serait de bon aloi d'importer afin de compléter notre arsenal juridique. C'est précisément le cas de l'arbitrage, et ce à double titre. D'une part, il s'agit d'une branche du droit fortement internationalisée et, d'autre part, il permet de mettre en oeuvre des principes de droits d'origine différente tant sur le fond de l'affaire, qu'en matière procédurale. Et c'est notamment, sur ce dernier théâtre, que s'est répandue la théorie de l'estoppel, règle ou principe selon lequel il est interdit de se contredire au détriment d'autrui.
Règle procédurale apparue en pays de common law, la théorie de l'estoppel fut bâtie sur le socle de l'equity, pour se rattacher aux concepts de "confiance légitime" et plus précisément, en France, de "bonne foi" inhérent à tout contrat. Introduite en 1947 par l'affaire "High Trees", c'est seulement en 2005 que la Cour de cassation en reconnaît solennellement l'application... toujours en matière d'arbitrage (arrêt "Golshani"). L'adoubement des Hauts magistrats ainsi entériné, les juridictions du fond, et notamment la cour d'appel de Paris, n'ont cessé de confirmer l'application de cette règle qui, pour faire simple, interdit un demandeur à l'instance de se contredire, manquant ainsi de cohérence, lorsqu'il y va du préjudice certain du défendeur. C'est le cas, par exemple, de la partie qui demande l'annulation d'une sentence arbitrale pour défaut de compétence, après avoir suivi la procédure et y avoir été activement associée pendant plusieurs années. Mais, jusqu'à présent, le cheval de Troie de la théorie de l'estoppel était toujours l'arbitrage commercial. L'importation en matière de procédure civile, au sens général, tardait quelque peu... Jusqu'à un arrêt de l'Assemblée plénière rendu le 27 février dernier, sur lequel revient, à travers sa chronique bimestrielle, Etienne Verges, Professeur à l'Université de Grenoble II.
L'arrêt du 27 février 2009 est un exemple topique de la prudence avec laquelle les magistrats français entendent manier des règles ou principes d'origine étrangère. Tout d'abord, les Hauts magistrats associent, presque pour lui substituer, l'obligation de bonne foi de l'article 1134 du Code civil à la théorie de l'estoppel. Ensuite, ils reconnaissent son application au-delà du cadre de l'arbitrage comme principe général de procédure civile. Mais enfin, la Cour en exclut l'application, en l'espèce, la conditionnant au fait que la contradiction relevée par le juge doit être de même nature, fondée sur les mêmes conventions et opposant les mêmes parties. Ce faisant, la Cour de cassation entend, d'une part, encadrer strictement l'application de cette théorie d'origine étrangère -marquée du sceau du vieux français- et, d'autre part, se réserver le droit d'en contrôler les conditions d'application au détriment du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond. Les tentations de l'ostracisme sont écartées, mais la prudence reste de mise.
Il est écrit dans Le Talmud (Les hébreux) que "Tromper la bonne foi d'autrui est pire que de le léser". La Cour de cassation, dans sa formation la plus solennelle, va au-delà et confirme que tromper la bonne foi d'autrui c'est le léser. "La bonne foi est une vertu essentiellement laïque, que remplace la foi tout court", nous dirait Gide (dans son Journal 1889-1939).
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