La lettre juridique n°344 du 2 avril 2009 : Durée du travail

[Jurisprudence] Interprétation stricte de la dérogation au repos dominical

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 11 mars 2009, n° 308874, Fédération nationale de l'habillement, nouveauté et accessoires et autres (N° Lexbase : A6910EDB)

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par Sébastien Tournaux, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Le travail dominical est l'objet, depuis quelques mois, d'une véritable tempête médiatique (1). Après que le Président de la République ait annoncé sa volonté de faciliter le travail dominical dans le but de soutenir le pouvoir d'achat des salariés concernés, les passions se sont déchaînées autour de cette question (2). C'est dans cette ambiance que le Conseil d'Etat était amené à se prononcer, dans un arrêt du 11 mars 2009, sur les conditions dans lesquelles le préfet peut autoriser, par dérogation, une entreprise de vente au détail placée dans une zone touristique à ouvrir le dimanche et, partant, à contraindre ses salariés à prendre le repos hebdomadaire par roulement. Alors qu'elle aurait pu se laisser influencer par les débats populaires sur la question, la Haute juridiction administrative refuse logiquement, dans cette espèce, la faculté de déroger à la règle du repos dominical (I). L'annonce d'une modification législative ne pouvant produire les effets d'une loi nouvelle, l'interprétation stricte opérée par le juge administratif doit être saluée (II).
Résumé

Les produits de maroquinerie, de joaillerie, vêtements et accessoires qui sont mis à la disposition du public par l'établissement Vuitton des Champs-Elysées ne revêtent pas le caractère de biens et services destinés à faciliter l'accueil du public ou les activités de détente ou de loisirs d'ordre sportif, récréatif ou culturel, au sens des dispositions de l'article L. 3132-25 du Code du travail (N° Lexbase : L0481H9P). De la même manière, si les livres d'art et de voyage qui y sont également commercialisés peuvent être regardés comme facilitant les activités de loisirs d'ordre culturel, ils ne sont destinés qu'à accompagner ou promouvoir la vente des autres articles de la marque, leur mise à disposition du public revêtant dès lors un caractère accessoire. Enfin, les espaces d'exposition et les manifestations culturelles, accessibles gratuitement aux visiteurs du magasin, n'entrent pas dans les prévisions de l'article L. 3132-25 du Code du travail. Dans ces conditions, le préfet de Paris ne pouvait légalement accorder aux sociétés requérantes, sur ce fondement, l'autorisation de donner le repos hebdomadaire par roulement pour tout ou partie du personnel de l'établissement.

Commentaire

I - La non-conformité de l'autorisation préfectorale aux dispositions du Code du travail

  • Le repos dominical : une règle de principe hautement affirmée

L'article L. 3132-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0457H9S) est d'une concision et d'une limpidité auxquelles le juriste est peu habitué dans cette discipline, puisqu'il dispose très simplement que "le repos hebdomadaire est donné le dimanche". La simplicité de la règle va de pair avec la forte protection qui lui est reconnue.

En effet, l'interdiction de faire travailler les salariés le dimanche s'impose à tous les salariés (3). Sa violation constitue une contravention de cinquième classe punie d'amende, étant entendu que les contraventions donnent lieu à autant d'amendes qu'il y a de salariés travaillant en violation des règles relatives au repos dominical (4).

Outre ces sanctions pénales, le fait de faire travailler des salariés le dimanche constitue un trouble manifestement illicite permettant d'obtenir en référé la fermeture du magasin le dimanche (5), si nécessaire sous astreinte (6). Le salarié est, d'ailleurs, loin d'être seul face à l'employeur dans cette hypothèse, puisque l'inspecteur du travail dispose lui aussi du pouvoir de demander la fermeture du magasin en référé (7).

Enfin, au titre des sanctions civiles, le salarié ayant été contraint à travailler le dimanche peut obtenir des dommages et intérêt réparant son préjudice (8), lequel est constitué par l'atteinte portée à sa vie personnelle (9).

  • Les exceptions au principe du repos dominical

Hautement proclamée, la règle souffre cependant des exceptions de plus en plus nombreuses, exceptions que l'on peut juger nécessaires à certaines activités pour lesquelles une fermeture le dimanche serait trop préjudiciable (10). L'article L. 3132-12 du Code du travail (N° Lexbase : L0466H97) renvoie ainsi à une liste réglementaire d'activités dans lesquelles le repos hebdomadaire peut être pris par roulement (11).

Outre ces secteurs d'activités spécifiques, le Code du travail permet au préfet d'autoriser l'ouverture le dimanche de certains magasins en raison de leur situation dans une zone touristique. En effet, l'article L. 3132-25 du Code prévoit que "dans les communes touristiques ou thermales et dans les zones touristiques d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente, le repos hebdomadaire peut être donné par roulement pour tout ou partie du personnel, pendant la ou les périodes d'activités touristiques, dans les établissements de vente au détail qui mettent à disposition du public des biens et des services destinés à faciliter son accueil ou ses activités de détente ou de loisirs d'ordre sportif, récréatif ou culturel", la liste de ces établissements étant déterminée par arrêté préfectoral. C'est au sujet d'une telle autorisation que le juge administratif avait été saisi dans cette affaire.

  • L'espèce : ouverture du magasin Vuitton des Champs-Elysées le dimanche

Le magasin Vuitton des Champs-Elysées avait été autorisé, par décision du préfet de Paris, à donner à ses salariés leur repos hebdomadaire par roulement. Sans contestation possible, la boutique se situe dans une "zone touristique d'affluence exceptionnelle". Elle revêt bien les caractéristiques d'un "établissement de vente au détail". Enfin, le préfet avait estimé que l'établissement mettait bien "à disposition du public des biens et des services destinés à faciliter son accueil ou ses activités de détente ou de loisirs d'ordre sportif, récréatif ou culturel".

Sur recours formé par plusieurs organisations syndicales, cet arrêté avait été annulé par le tribunal administratif de Paris. En appel, la cour administrative d'appel de Paris revenait sur la décision des juges de première instance et se prononçait en faveur de la légalité de l'arrêté préfectoral ( CAA Paris, 3ème ch., 28 mai 2007, n° 06PA02061, SA Louis Vuitton Malletier N° Lexbase : A1810DXC). Saisi comme juge de cassation, le Conseil d'Etat était à son tour saisi d'une demande en annulation de la décision de la cour de Paris, ainsi que d'une annulation de l'arrêté préfectoral.

Le Conseil d'Etat, par cet arrêt du 11 mars 2009, annule la décision de la cour administrative d'appel de Paris et, par la même occasion, l'arrêté préfectoral autorisant le travail dominical. Pour ce faire, la Haute juridiction estime que les produits de maroquinerie, de joaillerie, vêtements et accessoires vendus par la boutique n'étaient pas des biens destinés à faciliter l'accueil du public ou ses activités de détente ou de loisirs d'ordre sportif, récréatif ou culturel. Il juge, en outre, que si des "livres d'art et de voyage" étaient bien commercialisés par le magasin, cela ne représentait qu'une activité accessoire ne justifiant pas le recours au travail dominical. Enfin, il décide que les "espaces d'exposition et les manifestations culturelles, accessibles gratuitement aux visiteurs du magasin" ne sont pas des biens et services mis à disposition du public "à titre onéreux" et n'entrent pas, par conséquent, dans les hypothèses de dérogation au travail dominical.

II - L'interprétation stricte des conditions de dérogation posées par le Code du travail

  • Les exceptions au repos dominical sont d'interprétation stricte

On peut d'abord observer que le Conseil d'Etat apporte quelques précisions sur l'interprétation qu'il convient de retenir des conditions posées par l'article L. 3132-25 du Code du travail. Le juge administratif ne conteste à aucun moment que les Champs-Elysées constituent un haut-lieu touristique, ni que l'activité de la boutique Vuitton soit celle de la vente au détail. En revanche, il procède à une analyse fine des biens et services mis à la disposition du public.

Ainsi, la vente de maroquinerie, de joaillerie, de vêtements et d'accessoires ne permettent pas au public de se détendre, de faire du sport ou de s'éveiller à la vie culturelle parisienne. Le shopping de quelques clients étrangers fortunés n'est donc pas un loisir !

De manière plus étonnante, le juge administratif considère que la vente de livres d'art et de voyage ne peut permettre d'obtenir une dérogation au repos dominical, non parce qu'une telle activité ne permettrait pas de faciliter l'accueil des touristes ou d'accéder à des loisirs, mais parce que cette activité ne serait qu'accessoire dans la boutique. S'il ne fait aucun doute que les magasins Vuitton ne sont pas les lieux les plus adaptés pour trouver un guide de visite de Paris, l'article L. 3132-25 ne distingue pourtant pas selon que l'activité de l'établissement est principale ou accessoire.

Dans le même ordre d'esprit, le Conseil juge que le fait que la boutique mette à disposition de la clientèle des espaces d'exposition et de manifestations culturelles ne peut entrer dans le cadre des dérogations permettant de déroger au repos dominical, cela en raison de la gratuité de cette mise à disposition. Or, le Code du travail ne distingue nullement, en cette matière, entre mise à disposition de biens et services à titre gratuit ou à titre onéreux.

  • Une interprétation stricte parfaitement justifiée

En réalité, le Conseil d'Etat opère une interprétation très stricte des dispositions du Code du travail. Cette interprétation stricte suscite deux sentiments relativement opposés.

D'un côté, on peut penser qu'une telle rigueur d'interprétation est parfaitement justifiée compte tenu du fait que la dérogation à la règle du repos dominical est une exception et, qui plus est, une exception à un principe très fermement affirmé par le droit français. La règle selon laquelle il convient d'interpréter strictement les exceptions joue donc avec une force accentuée par l'aura du principe auquel elle déroge.

D'un autre côté, il faut bien reconnaître que la question du travail dominical est, depuis quelques mois, au centre de nombreux débats politiques et médiatiques. La tendance annoncée, mais non encore mise en oeuvre, d'un élargissement des facultés de travail le dimanche aurait pu mener le Conseil d'Etat à interpréter de manière plus souple la faculté de dérogation entre les mains du préfet. Cela d'autant que la proposition de loi a vocation à généraliser à l'ensemble des commerces de détails placés dans les zones touristiques la possibilité d'obtenir une dérogation préfectorale (12).

Parfois décrié comme n'étant finalement qu'un appendice du pouvoir exécutif, le Conseil d'Etat n'en demeure pas moins une juridiction dont l'un des rôles essentiels est de s'assurer de la conformité des actes administratifs à la loi. Or, l'annonce d'une évolution législative n'étant pas une loi nouvelle, il convient de se féliciter de la très stricte application faite par le juge administratif du Code du travail.


(1) V., par ex., sur internet les sites "Le dimanche, j'y tiens !" et "Travailler le dimanche, c'est mon choix".
(2) Annonce traduite par une proposition de loi restée jusqu'ici lettre morte.
(3) C. trav., art. L. 3111-1 (N° Lexbase : L0289H9L). V., également, Cass. crim., 2 octobre 1984, n° 84-90.030 (N° Lexbase : A8236AAB).
(4) C. trav., art. R. 3135-2 (N° Lexbase : L9477H9U).
(5) Cass. soc., 26 mars 2008, n° 07-13.016, Société Conforama France, F-D (N° Lexbase : A6127D73).
(6) Cass. soc., 1er juin 2005, n° 03-18.897, Mme Simone Vincent c/ Société Euro Textile, FS-P+B (N° Lexbase : A5115DIB) ; Cass. soc., 2 novembre 2005, n° 03-17.440, Direction départementale du travail et de l'emploi de l'Essonne c/ Société Districom Sodep, F-D (N° Lexbase : A3274DLT).
(7) C. trav., art. L. 3132-31 (N° Lexbase : L0489H9Y).
(8) Cass. soc., 29 janvier 1981, n° 79-41.406, SARL Janin c/ Chabouni, publié (N° Lexbase : A4063CKP).
(9) Cass. soc., 19 décembre 2007, n° 06-41.770, Société Conforama France, F-D (N° Lexbase : A1313D3Z).
(10) Le fait que le jour de repos hebdomadaire soit pris obligatoirement le dimanche paraît, en revanche, ne pas avoir une aussi grande importance aux yeux du juge communautaire. V. CJCE, 12 novembre 1996, aff. C-84/94, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord c/ Conseil de l'Union européenne (N° Lexbase : A4974AW7). Lire, également, G. Rivel, L'ouverture dominicale des commerces au regard du droit communautaire, Petites affiches, 13 septembre 2006, n° 183, p. 5.
(11) C. trav., art. R. 3132-5 (N° Lexbase : L9434HZG).
(12) V. la proposition de loi précitée. V., également, M. Véricel et S. Lecocq, Faut-il conserver le régime actuel du repos dominical ?, RDT, 2008, p. 642.


Décision

CE 1° et 6° s-s-r.., 11 mars 2009, n° 308874, Fédération nationale de l'habillement, nouveauté et accessoires et autres (N° Lexbase : A6910EDB)

Annulation, CAA Paris, 3ème ch., 28 mai 2007, n° 06PA02061, SA Louis Vuitton Malletier (N° Lexbase : A1810DXC)

Textes cités : C. trav., art. L. 221-5 (N° Lexbase : L5878ACP, art. L. 3132-3 recod. N° Lexbase : L0457H9S) ; C. trav., art. L. 221-8-1 (N° Lexbase : L5881ACS, art. L. 3132-25 recod. N° Lexbase : L0481H9P)

Mots-clés : repos hebdomadaire ; travail dominical ; dérogation préfectorale ; zone touristique ; activités concernées

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