Réf. : Cass. soc., 12 mars 2009, 2 arrêts, n° 07-40.587, M. Edmond Villate, F-D (N° Lexbase : A0801EEE) et n° 07-45.715, Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), F-D (N° Lexbase : A0846EE3)
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par Fany Lalanne - Rédactrice en chef Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Décisions
Pourvoi n° 07-40.587 : est un travail effectif au sens de l'article L. 3121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0291H9N), le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. Ayant constaté que le salarié, disposant de liaisons téléphoniques lui permettant d'être informé de l'heure d'arrivée du camion relais, ainsi que de sa propre heure de départ, et bénéficiant sur place de la possibilité de prendre son repos en toute quiétude, pouvait vaquer librement à des occupations personnelles, la cour d'appel a légalement justifié sa décision déboutant le salarié de ses demandes en paiement des heures d'attente. Pourvoi n° 07-45.715 : ayant relevé, dans l'appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis et du rapport d'expertise, que le trajet entre le domicile des salariés et leur lieu de travail dérogeait au temps normal du trajet d'un travailleur entre son domicile et son lieu de travail habituel, la cour d'appel qui a décidé, en application de l'article L. 212-4 du Code du travail (N° Lexbase : L8959G7X, art. L. 3121-1, recod.), que ce temps de trajet constituait un temps de travail effectif, a légalement justifié sa décision. |
Commentaire
I - Une définition désormais classique du temps de travail effectif
Traditionnellement, la durée du travail effectif se définit comme le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles (C. trav., art. L. 3121-1). Les trois critères de disponibilité du salarié, de la soumission à l'autorité de l'employeur et de la possibilité de vaquer à des occupations personnelles sont cumulatifs. Aussi, le législateur a-t-il précisé que le temps nécessaire à la restauration, ainsi que les temps consacrés aux pauses, sont considérés comme du temps de travail effectif, lorsque les critères définis à l'article L. 3121-1 du Code du travail sont réunis (C. trav., art. L. 3121-2 N° Lexbase : L0292H9P). De même, le temps d'habillage et de déshabillage peut être considéré, sous ces mêmes conditions, comme temps de travail effectif (C. trav., art. L. 3121-3 N° Lexbase : L0293H9Q).
Logiquement et au cas par cas, la jurisprudence est amenée à en préciser les contours. Ainsi, elle a reconnu comme étant du temps de travail effectif la demi-heure que le salarié est tenu de consacrer quotidiennement au chargement d'outils et au temps de transport sur le lieu du chantier (3), le temps durant lequel le salarié, veilleur de nuit ou gardien pendant la fermeture de l'entreprise, se tient à la disposition de l'employeur, sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles (4), le temps de repas et les temps où le salarié demeure dans une chambre de veille (5), le temps durant lequel le salarié est tenu de rester sur le lieu du travail afin de répondre à toute nécessité d'intervention, dans des locaux déterminés par l'employeur, peu important les conditions d'occupation de tels locaux (6), ou, même, le temps quotidien de douche, dès lors qu'il n'est pas contesté que les salariés effectuent des travaux nécessitant la prise d'une douche, il en résulte que l'employeur doit payer le temps quotidien de douche au tarif normal des heures de travail (7). Elle a retenu, a contrario, que, dès lors que le salarié ne doit pas se tenir en permanence dans le magasin et qu'il peut vaquer à des occupations personnelles dans la maison attenante, les horaires d'ouverture du magasin ne correspondent pas en totalité à un temps de travail effectif (8).
Ainsi, la jurisprudence est constante sur ce point, à partir du moment où un salarié se tient à la disposition de l'employeur sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles, le temps de travail doit être défini comme temps de travail effectif (9).
Dans la première affaire commentée (pourvoi n° 07-40.587), le salarié, chauffeur routier, était affecté à la ligne Vannes-Niort dans le cadre d'une organisation en relais. Il devait laisser à Niort son semi-remorque chargé, lequel était, ensuite, acheminé dans le Sud de la France par un autre conducteur, puis il récupérait un véhicule en provenance de cette dernière destination, qu'il reconduisait à Vannes. L'échange des véhicules ayant lieu la nuit et le temps d'attente des chauffeurs variant de trois quarts d'heure à quatre heures, l'entreprise avait mis à leur disposition un local de repos auquel le salarié avait préféré sa propre caravane, qu'il avait installée sur le site. Soutenant que ses heures d'attente constituaient un temps de travail effectif, l'intéressé a saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir le paiement d'un rappel de rémunération. Il fait grief à l'arrêt de l'avoir débouté de ses demandes en paiement des heures d'attente, des congés payés et repos compensateur afférents, d'un complément d'indemnité de départ à la retraite et d'une indemnité compensant le retard de paiement. En effet, selon lui, en se bornant à affirmer qu'il pouvait vaquer à ses occupations personnelles quand il n'était pas contesté que le temps d'attente pouvait varier entre trois quarts d'heures et quatre heures, en sorte qu'il ne pouvait organiser à l'avance son temps d'attente, ni, en conséquence, librement vaquer à ses occupations personnelles, la cour d'appel a violé l'article L. 3121-1 du Code du travail.
Tel n'est pas l'avis de la Cour de cassation. Après avoir repris la définition légale du temps de travail effectif, la Haute juridiction considère, qu'en l'espèce, le salarié, disposant de liaisons téléphoniques lui permettant d'être informé de l'heure d'arrivée du camion relais, ainsi que de sa propre heure de départ, et bénéficiant sur place de la possibilité de prendre son repos en toute quiétude, pouvait vaquer librement à des occupations personnelles. A l'instar de la cour d'appel, la Cour de cassation estime, ainsi, que le temps d'attente devait être assimilé à un temps de repos exclu du temps de travail effectif par l'accord d'entreprise.
A première lecture, la solution pourrait surprendre. Il est vrai que les temps de pause ne sont traditionnellement pas consacrés comme temps de travail effectif (C. trav., art. L. 3121-2 N° Lexbase : L0292H9P) (10), sauf lorsque le salarié reste à disposition de l'employeur et doit se confirmer à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à ses occupations (cqfd) (11). Il convient donc d'appliquer, une nouvelle fois, les critères de la définition du temps de travail effectif établis par le législateur.
La difficulté réside, ici, non pas tant en la définition du temps d'attente, l'accord d'entreprise excluant le temps de repos du temps de travail effectif, mais davantage en la question de savoir si le salarié pouvait vaquer librement à ses occupations. L'interrogation est d'autant plus légitime qu'il ne faut pas perdre de vue que, dans cette affaire, le salarié disposait d'un téléphone portable le reliant à son employeur. La frontière peut sembler mince. Mais la Cour de cassation estime, ici, que, dans la mesure où la société mettait à la disposition des chauffeurs un local de repos à proximité du parking où s'effectuaient les relais ; que ce temps ne comportait aucune attente pour charger ou décharger ; qu'il s'agissait d'un temps prévisible et, que pendant ce temps, le salarié était libre de bénéficier du local ou d'aller à l'hôtel et de vaquer à ses occupations personnelles, il n'y a pas travail effectif. Les demandes en paiement des heures d'attente, des congés payés et repos compensateur afférents, d'un complément d'indemnité de départ à la retraite et d'une indemnité compensant le retard de paiement, doivent donc être logiquement rejetées.
II Le temps de trajet : temps de travail effectif ?
La question de savoir si les temps de trajet doivent être considérés comme du temps de travail reste pour le moins délicate. En effet, les temps de déplacement effectués dans le cadre professionnel et qui sont caractérisés par une initiative de l'employeur ne sont pas toujours évidents à qualifier (12). Plusieurs types de trajet doivent, à ce titre, être distingués.
Il est, aujourd'hui, unanimement reconnu que le temps habituel de trajet entre le domicile et le lieu de travail ne constitue pas, en soi, un temps de travail effectif (13). Dès lors, le régime des heures supplémentaires ne peut leur être appliqué (14), ce temps ne peut être rémunéré, sauf disposition conventionnelle ou usage contraire.
En revanche, le temps de trajet entre l'entreprise et le chantier est considéré comme un temps de travail effectif, lorsque le salarié est à la disposition de son employeur pendant le trajet et exécute une prestation à sa demande (15).
Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif (C. trav., art. L. 3121-4 N° Lexbase : L0294H9R). Ces dispositions, issues de la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005, visent le temps de trajet effectué par le salarié pour se rendre de son domicile à un lieu de mission (cas du salarié en déplacement professionnel). Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il doit faire l'objet d'une contrepartie. Cette contrepartie peut se faire soit sous forme de repos, soit être financière, déterminée par convention ou accord collectif. En l'absence de convention ou d'accord collectif, l'employeur peut librement déterminer cette contrepartie après consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, lorsqu'ils existent. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail ne doit pas entraîner de perte de salaire.
Ainsi, la Cour de cassation a récemment jugé que le temps du trajet effectué par le salarié dans les locaux de l'entreprise entre le vestiaire et le lieu de pointage n'est pas un temps de déplacement professionnel au sens de l'article L. 3121-4 du Code du travail (16). De même, dès lors que les salariés n'étaient tenus de passer au dépôt de l'entreprise ni avant, ni après leur prise de service et ne s'y rendaient que pour des raisons de convenance personnelle, ces trajets ne sont pas assimilés à du temps de travail effectif (17).
Dans la seconde affaire commentée (pourvoi n° 07-45.715), deux salariés, exerçant les fonctions d'ingénieurs de formation, ont saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir le paiement de rappels de salaires au titre d'heures supplémentaires, liées à leur temps de déplacement sur l'ensemble du territoire. En effet, en exécution des ordres de mission liés à l'exercice de leurs fonctions, ils étaient amenés à effectuer de nombreux déplacements impliquant des temps de trajet importants entre le domicile ou l'entreprise et les différents lieux de mission. La question était donc de savoir si ces temps de trajet dérogeaient au temps normal du trajet du salarié se rendant de son domicile à son lieu de travail habituel (voir supra). La cour d'appel a retenu que l'ensemble des éléments contenus dans le rapport d'expertise, l'importance et le caractère habituel du temps consacré aux trajets et aux déplacements, la longueur des dits déplacements démontrent qu'il était dérogé au temps normal de trajet d'un travailleur entre son domicile et son lieu de travail. C'est, donc, à bon droit que les premiers juges ont considéré que les heures ainsi passées, déduction faite du temps normal de trajet domicile-lieu de travail constituait un temps de travail effectif.
La Cour de cassation retient, dans cette affaire (pourvoi n° 07-45.715), qu'ayant relevé, dans l'appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis et du rapport d'expertise, que le trajet entre le domicile des salariés et leur lieu de travail dérogeait au temps normal du trajet d'un travailleur entre son domicile et son lieu de travail habituel, la cour d'appel qui a décidé que ce temps de trajet constituait un temps de travail effectif a légalement justifié sa décision. La solution n'est guère surprenante. La difficulté est, en effet, dans cette hypothèse, de définir le temps normal de trajet habituel. Or, ici, un rapport d'expertise l'avait établi et avait, ainsi, mis en exergue un temps de trajet bien supérieur au temps de trajet habituel.
La solution, si elle est conforme à la jurisprudence antérieure, pourrait, cependant, décevoir. En effet, elle ne répond toujours pas à la question de savoir ce qu'est un temps de travail "normal". Le législateur ne l'ayant pas défini, il revient, certes, aux juges d'en apprécier, au cas par cas, la véracité et le bien-fondé, pour autant, l'on reste, une nouvelle fois, sur notre faim.
Décisions
1° Cass. soc., 12 mars 2009, n° 07-40.587, M. Edmond Villate, F-D (N° Lexbase : A0801EEE) CA Rennes, 8ème ch. prud., 7 décembre 2006, n° 06/00896, SAS JLG Services c/ M. Edmond Villate (N° Lexbase : A5721DYK) Texte visé : C. trav., art. L. 3121-1 (N° Lexbase : L0291H9N) Mots-clefs : temps de travail effectif ; temps de repos Lien base : 2° Cass. soc., 12 mars 2009, n° 07-45.715, Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), F-D (N° Lexbase : A0846EE3) CA Toulouse, 4ème ch., sect. 1, ch. soc., 31 octobre 2007 C. trav., art. L. 3121-1 (N° Lexbase : L0291H9N) Mots-clefs : temps de travail effectif ; temps de trajet ; appréciation souveraine des juges Lien base : |
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