La lettre juridique n°344 du 2 avril 2009 : Impôts locaux

[Jurisprudence] Les finances locales ne sauraient s'accommoder de toutes les réductions de base imposable des redevables de la taxe professionnelle

Réf. : CAA Lyon, 2ème ch., 8 janvier 2009, n° 05LY00220, Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Centre France (N° Lexbase : A5026EDI)

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par Guy Quillévéré, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nantes

le 07 Octobre 2010

La cour administrative d'appel de Lyon, dans une décision en date du 8 janvier 2009, juge pour une opération de reprise de biens cédés en location, qu'une caisse régionale de Crédit Agricole de Centre France, propriétaire d'équipements et de biens mobiliers et qui les a cédés avant d'en devenir locataire, relève de l'application du quatrième alinéa du 3° de l'article 1469 du CGI (N° Lexbase : L4903ICL), dès lors qu'elle a été précédemment propriétaire des biens et cela alors même qu'elle n'aurait pas été imposée à la taxe professionnelle sur les biens cédés puis repris en location.

Les faits dans cette affaire sont les suivants : dans le cadre d'une fusion-absorption en date du 21 avril 1995, la caisse régionale de Crédit Agricole de Centre France-première du nom et la caisse régionale de Corrèze ont apporté à la caisse régionale de Crédit Agricole de Centre France-deuxième du nom l'ensemble de leurs éléments d'actif et de passif, avec effet rétroactif au 1er janvier 1995. Cette opération ayant été placée sous le régime de l'article 210 A du CGI (N° Lexbase : L3936HLD), la caisse régionale de Crédit Agricole de Centre France-deuxième du nom a repris les biens à son bilan à leur valeur d'origine. Les équipements et biens mobiliers reçus de la caisse régionale de Corrèze cédés à leur valeur nette comptable soit 13 759 121 francs (2 097 564 euros) ont été inscrits au bilan de la caisse régionale de Crédit Agricole de Centre France-deuxième du nom pour un montant de 59 523 175 francs (9 074 250 euros). Par un acte de cession en date du 29 décembre 1995 et dont la date est contestée, la caisse régionale de Crédit Agricole de Centre France-deuxième du nom a cédé les équipements et biens mobiliers reçus de la caisse régionale de Corrèze à la SNC Mat Alli Dome pour un montant de 13 370 124 francs (2 038 262 euros) pour les reprendre immédiatement en location. Postérieurement, pour l'établissement de la taxe professionnelle des années 1997 et 1998, la caisse régionale de Crédit Agricole de Centre France-deuxième du nom a calculé la valeur locative de ces biens à partir du loyer versé en application des dispositions du deuxième alinéa du 3° de l'article 1469 du CGI, soit respectivement 2 421 329 francs (369 129 euros) et 279 606 francs (42 625 euros). Le service a estimé qu'il y avait lieu de faire application des dispositions du quatrième alinéa du 3° de l'article 1469 et a fixé la valeur locative au plancher de 16 % de la valeur d'origine des biens, telle qu'elle figurait au bilan de la caisse régionale de Corrèze. Puis, en application des dispositions de l'article 310 HO de l'annexe II au CGI (N° Lexbase : L1477HNZ) applicable aux établissements de crédits exerçant leur activité dans plus de cent communes, les redressements notifiés ont été répartis dans les communes d'imposition au prorata des salaires versés.

La décision de la cour administrative d'appel de Lyon du 8 janvier 2009 fait application du quatrième alinéa du 3° de l'article 1469 à une simple opération de location après fusion et non à une opération de crédit-bail (lease-back) suivie d'une fusion. L'apport de cette décision, réside, outre dans le fait d'appliquer "le dispositif anti-abus" à une opération de location après fusion, en ce qu'elle précise qu'il n'est pas besoin, pour mettre en oeuvre le dispositif de neutralisation de réduction des bases imposables que le redevable ait été préalablement imposé à la taxe professionnelle sur les biens cédés puis repris en location.

1. La caisse régionale de Crédit Agricole de Centre France entre dans le champ d'application du quatrième alinéa du 3° de l'article 1469 du CGI

La mise en oeuvre du dispositif de neutralisation fiscale des minorations de base de taxe professionnelle en cas de cession de biens repris en location (1.1) n'impose pas que les biens cédés puis repris en location ait été préalablement imposés à la taxe professionnelle (1.2)

1.1. Le dispositif de neutralisation fiscale institue une valeur "plancher" des biens entrant dans le calcul de la taxe professionnelle

Pour l'établissement de la taxe professionnelle, la valeur de certains biens est déterminée à partir de leur prix de revient. La valeur locative se trouve donc modifiée lorsque ces biens sont cédés à un autre redevable. Cette situation peut résulter soit d'une opération de cession-bail qui est aussi appelée opération de "lease-back" et qui consiste pour l'entreprise à céder à une société de crédit un bien dont elle est propriétaire et à reprendre ce même bien en crédit-bail à cette société, soit d'une opération de cession assortie d'une location portant sur le même bien. Nous sommes, en l'espèce, dans cette seconde configuration.

Dans la décision de la cour administrative d'appel de Lyon, la caisse régionale de Crédit Agricole de Centre France a cédé le 31 décembre 1995 les équipements et biens mobiliers reçus de la caisse régionale de Corrèze à la SNC "Mat Alli Dome", avant de les reprendre immédiatement en location. Cette opération a permis à la caisse régionale de réduire la valeur locative des équipements et biens mobiliers concernés et donc sa base d'imposition à la taxe professionnelle.

Les dispositions de l'article 1469-3° du CGI prévoient que la valeur locative des biens et équipements mobiliers est égale, pour les biens pris en crédit-bail, à 16 % du prix de revient stipulé dans l'acte ; pour les biens pris en location, au montant du loyer dû au cours de la période de référence sans que ce montant puisse différer de plus de 20 % de la valeur locative qui serait obtenue en multipliant par 16 % le prix de revient.

L'article 1469-3°, quatrième alinéa, du CGI déroge à ces règles lorsque le contrat de crédit-bail ou de location porte sur des biens dont le contribuable était précédemment propriétaire. Cette disposition, issue de l'article 95 de la loi de finances n° 92-1376 du 30 décembre 1992, vise à faire échec aux opérations consistant à céder des matériels pour les reprendre, ensuite, en crédit-bail ou en location afin de réduire les bases de taxe professionnelle imposables au profit des collectivités locales (instruction 19 mars 1993, 6 E-5-93 N° Lexbase : X3247ACA ; D. adm. 6 E-2222 n° 13 et 14, 10 septembre 1996). Les dispositions du quatrième alinéa du 3° de l'article 1469 définissent donc un minimum de valeur locative imposable pour les équipements et biens mobiliers loués ou faisant l'objet d'un crédit-bail lorsque le propriétaire desdits biens les cède à une entreprise qui, aussitôt, les remet à la disposition du cédant, soit par un contrat de location, soit par un contrat de crédit-bail.

La cour administrative d'appel de Lyon, par sa décision du 8 janvier 2009, a fait application de ces dispositions à une simple opération de reprise en location de bien dont la caisse régionale de crédit était auparavant propriétaire et complète ainsi, en la prolongeant, la jurisprudence élaborée pour des opérations de lease-back.

1.2. L'application des dispositions de l'article 1469-3°, quatrième alinéa, du CGI, n'implique pas que le redevable ait été préalablement imposé à la taxe professionnelle sur les biens cédés

Dans la décision de la cour administrative d'appel de Lyon du 9 janvier 2009, au titre des années d'imposition en litige, la caisse régionale de Crédit Agricole n'était pas propriétaire des biens. Il convenait donc a priori, de faire application pour calculer le prix de revient de la "fourchette de normalisation" prévue par les dispositions du deuxième alinéa du 3° de l'article 1469 du CGI. En effet, en présence d'immobilisations cédées par un contribuable à un tiers puis reprises en location, le prix de revient à considérer pour apprécier l'écart de 20 % par rapport au montant du loyer dû est constitué par le prix d'acquisition par le tiers (CE 9° et 7° s-s-r.., 22 janvier 1992, n° 68486, Société GEO N° Lexbase : A5091ARY). Dans la décision de la cour administrative d'appel de Lyon, la caisse régionale avait repris en location, auprès de la SNC Mat Alli Dome, des biens dont elle avait été propriétaire.

La société requérante soutenait, toutefois, que les dispositions du quatrième alinéa du 3° de l'article 1469 du CGI, ne lui étaient pas opposables dès lors qu'elle n'avait pas été imposée à la taxe professionnelle sur les biens cédés. Mais l'assujettissement à la taxe professionnelle sur les biens cédés n'est pas une condition de mise en oeuvre du dispositif prévu par les dispositions de l'article 1469-3°, quatrième alinéa, il suffisait simplement que la caisse régionale de crédit ait été propriétaire des biens cédés puis repris en location. La société faisait plus précisément valoir que le mécanisme du quatrième alinéa du 3° de l'article 1469 du CGI ne pouvait lui être opposé que pour des biens cédés au titre desquels elle aurait été préalablement redevable de la taxe professionnelle. L'argument avancé par la caisse régionale pouvait se comprendre puisque, en définitive, il ne pouvait y avoir de sa part une volonté artificielle de réduction des bases si les biens cédés puis repris en location n'étaient pas à la date de leur cession compris dans les bases d'impositions de sa taxe professionnelle. Reste qu'est compris dans la base d'imposition de la taxe le bien utilisable matériellement pour la réalisation des opérations que le redevable effectue et dont il dispose au terme de la période de référence qu'il en fasse ou non effectivement usage (CE 9° et 10° s-s-r., 18 février 2002, n° 220796 Société Bic N° Lexbase : A1669AYH).

La cour administrative d'appel de Lyon, dans sa décision du 8 janvier 2009, rappelle alors qu'au titre de l'année d'imposition à la taxe professionnelle, soit l'année 1997, la caisse régionale de crédit n'était pas propriétaire des biens mobiliers et des équipements et souligne qu'à ce titre elle entrait donc dans le champ d'application du deuxième alinéa du 3° de l'article 1469 du CGI. La caisse avait été antérieurement propriétaire de ces même biens et, par suite, il y avait donc lieu de faire application du quatrième alinéa du 3° de l'article 1469, neutralisant par là-même la réduction de la base d'imposition et cela indépendamment du fait que la requérante ait été imposée ou non à la taxe professionnelle sur les biens cédés.

2. Pour l'application du quatrième alinéa du 3° de l'article 1469 du CGI, le redevable de la taxe professionnelle doit avoir été propriétaire des biens cédés puis repris en location, le service pouvant aussi éventuellement conduire le redressement sur le terrain de l'abus de droit

Le Conseil d'Etat a précisé, dans un arrêt en date du 13 décembre 2006 (CE 9° et 10° s-s-r., 13 décembre 2006, n° 275239, SNC Rocamat Pierre Naturelle N° Lexbase : A8853DSP), la notion de "précédent propriétaire" qui doit être remplie pour l'application du quatrième alinéa du 3° du 1469 du CGI (2.1.) mais le service peut aussi trouver un autre terrain pour les redressements du côté de l'abus de droit (2.2.).

2.1. Une notion de propriété des biens cédés puis repris en location précisée par le juge

Le Conseil d'Etat s'était penché, préalablement à la décision de la cour administrative d'appel de Lyon en date du 9 janvier 2009, sur l'application des dispositions du deuxième alinéa du 3° de l'article 1469 du CGI et, dans son arrêt du 13 décembre 2006 "SNC Rocamat Pierre Naturelle", était venu préciser la notion de "précédent propriétaire". Ces précisions étaient nécessaires car la chronologie des faits des opérations de restructuration n'est pas toujours aussi claire que dans la décision de la cour administrative d'appel de Lyon du 9 janvier 2009.

Dans l'affaire "SNC Rocamat Pierre Naturelle", le locataire n'avait jamais été en droit, avant comme après la vente des équipements et biens mobiliers par la société dissoute, propriétaire des biens loués. Le Conseil d'Etat confirmait alors la décision de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 9 juin 2005 (CAA Bordeaux, 4ème ch., 9 juin 2005, n° 02BX01876 N° Lexbase : A0325DKA). Les dispositions de l'article 1469-3°, quatrième alinéa, du CGI, relatives à la valeur locative des biens repris en crédit-bail ou en location, après cession, par leur précédent propriétaire, ne s'appliquent pas dans le cas où des biens ont été cédés à un tiers par des sociétés avant leur dissolution par confusion de patrimoine entre les mains de leur associé unique, ce dernier ne pouvant être regardé comme le précédent propriétaire alors même qu'il a immédiatement repris ces biens en location pour une valeur identique.

L'intérêt de la décision "SNC Rocamat Pierre Naturelle" au regard de l'application du dispositif anti lease-back reposait sur l'approche strictement juridique retenue par le Conseil d'Etat pour définir la notion de "propriétaire apparent". La Haute juridiction écarte en effet, dans cet arrêt, l'approche plus économique que lui suggérait de retenir l'administration. Dans l'affaire "caisse régionale de crédit" du 9 janvier 2009 qui concerne une simple location de biens mobiliers et d'équipements acquis toutefois au terme d'une opération placée sous le régime de l'article 210 A du CGI, il n'était pas réellement contesté que la caisse régionale de crédit ait été propriétaire des biens à la date de leur cession, le 29 décembre 1995. La chronologie des faits ou des opérations est importante, dans l'affaire jugée par la cour administrative d'appel de Lyon ; la fusion intervient avant et non après la cession des biens mobiliers et équipements. La cour administrative d'appel de Lyon peut alors se borner à réaffirmer le nécessaire examen de la condition de propriété préalable des biens, avant d'appliquer la valeur plancher de taxe professionnelle, en l'espèce, la cession des biens mobiliers et équipement étant intervenue avant le 31 décembre 1995, la caisse n'était pas propriétaire des biens pour l'établissement de la taxe professionnelle dès l'année 1997.

2.2. En présence d'une opération à but exclusivement fiscal destinée à minorer la base imposable, l'administration fiscale peut se placer sur le terrain de l'abus de droit ou sur celui de la fraude à la loi

Si les dispositions du quatrième alinéa du 3° de l'article 1469 constituent un dispositif anti-abus, l'administration face à des situations de minoration de la charge fiscale manifestement abusives n'est pas démunie et peut être amenée à mettre en oeuvre la procédure de répression des abus de droit.

Dans l'affaire jugée par la cour administrative d'appel de Lyon, la cession des équipements puis leur reprise en location avait un autre but que minorer la base de la taxe professionnelle. Cette opération participait aussi d'une gestion plus rationnelle de moyens, elle était le simple prolongement d'une opération plus complexe initiée par le rapprochement de deux caisses régionales de crédit, celle de Centre France et celle de Corrèze. Certes, l'opération avait été conduite sur le fondement des dispositions de l'article 210 A du CGI, mais l'opération de fusion paraissait justifiée en elle-même et ne laissait pas pressentir une volonté de fraude à la loi. Surtout, la fusion était intervenue en l'espèce, avant la location. Il est certainement plus tentant de mettre en oeuvre la procédure d'abus de droit face à une succession d'opérations pouvant prendre par exemple la forme de la succession d'une opération de lease-back et d'une fusion afin d'éluder une partie de la taxe professionnelle ou dans une situation telle que celle de la cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 9 juin 2005 (CAA Bordeaux, 4ème ch., n° 04BX00010, Ministre c/ CRCAM Charente-Maritime Deux Sèvres N° Lexbase : A2931DKR), affaire dans laquelle la cour avait jugé qu'une société issue de la fusion de deux sociétés ne peut être regardée comme le précédent propriétaire des installations informatiques et du matériel de bureau que des sociétés ont cédé trois mois avant leur fusion à une société tierce qui leur a donné ces mêmes biens en location. Selon que la fusion intervient avant ou après lease-back ou location, la situation des biens inclus dans les bases de la taxe professionnelle n'est donc pas la même.

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