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N9840BIB
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le 07 Octobre 2010
La "LME" du 4 août 2008 a, entre autres choses, modifié l'arsenal pour lutter contre la contrefaçon. Ce texte vient s'inscrire dans une démarche volontariste du législateur qui a entrepris, depuis la fin de l'année 2007, de renforcer les droits des titulaires de droits de propriété intellectuelle. La "LME" vient ainsi renforcer le dispositif mis en place par la loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon (loi n° 2007-1544 N° Lexbase : L7839HYY). Ce texte, et son décret d'application du 27 juin 2008 (décret n° 2008-624, pris pour l'application de la loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon et portant modification du code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L5375H79), sont venus transposer avec retard la Directive 2004/48/CE du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2091DY4).
Il est ainsi prévu aux articles 133 et 135 de la "LME" d'importantes modifications, d'une part, à l'égard du régime des actes modifiant ou transmettant des droits de propriété intellectuelle et, d'autre part, à l'égard du régime de l'action en contrefaçon. Si les articles 132 et 134 du même texte, relatifs aux conditions d'enregistrement des brevets et des marques, ont d'ores et déjà reçu une consécration réglementaire par l'ordonnance du 11 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1301, relative aux brevets d'invention et aux marques N° Lexbase : L2092ICH) et le décret d'application de celle-ci du 30 décembre 2008 (décret n° 2008-1471, qui porte application du VI de l'article 132 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie, et relatif à la procédure de limitation des revendications des brevets d'invention N° Lexbase : L3887ICX), il n'en va pas de même pour les dispositions précitées.
L'article 133 de la "LME" précise, en premier lieu, les modalités d'opposabilité des actes modifiant les droits des titulaires de marques, dessins et modèles afin d'unifier le régime de la publicité sur le modèle de celle admise en matière de brevet.
Les articles L. 513-3 (N° Lexbase : L2649IBQ) et L. 714-7 (N° Lexbase : L2153ICQ) du Code de la propriété intellectuelle prévoient désormais pour les dessins et modèles et les marques, à l'instar de l'article L. 613-9 (N° Lexbase : L2728IBN) relatif aux brevets, qu'en dépit du principe selon lequel l'opposabilité des actes modifiant ou transmettant des droits attachés au titre de propriété intellectuelle est réalisée par une inscription sur le registre national, la connaissance des tiers puisse pallier le défaut de publicité. En effet, il est à présent inséré dans ces deux articles un deuxième alinéa en vertu duquel "Toutefois, avant son inscription, un acte est opposable aux tiers qui ont acquis des droits après la date de cet acte mais qui avaient connaissance de celui-ci lors de l'acquisition de ces droits".
Alors que pendant longtemps la jurisprudence (1) comme la doctrine (2) ont hésité sur une analyse objective ou subjective du système de publicité à retenir à l'égard de tous les droits de propriété intellectuelle autres que des brevets, le doute ne semble désormais plus permis. Le législateur a tranché en faveur d'un système de publicité subjectif qui peut donc être pallié par une connaissance effective de l'acte.
Une telle solution doit être approuvée pour l'uniformisation qu'elle consacre quant à l'appréciation qu'il convient de faire de la valeur du système de publicité.
Une uniformisation interne, tout d'abord, entre tous les droits de propriété intellectuelle. Des divergences d'interprétation de la valeur de la publicité des actes modifiant ou transmettant des droits réels sur les titres de propriétés intellectuelles n'étaient en effet pas souhaitables. Elles avaient pour conséquence de complexifier la tâche des opérateurs obligés de distinguer selon les droits en cause pour déterminer la valeur de l'inscription face à la connaissance des tiers de l'existence d'un acte non encore inscrit.
Une uniformisation externe, ensuite, à l'égard des titres communautaires. La solution retenue par le législateur a, en effet, le mérite d'uniformiser le droit interne avec le droit des marques communautaires. En application de l'article 23 du Règlement communautaire n° 40/94 du 20 décembre 1993 (N° Lexbase : L5799AUC), modifié par le Règlement n° 422/2004 du 19 février 2004 (N° Lexbase : L0446DY8) "les actes juridiques concernant la marque communautaire visés aux articles 19 [gage et autres droits réels] ne sont opposables aux tiers dans tous les états membres qu'après leur inscription au registre. Toutefois, avant son inscription, un tel acte est opposable aux tiers qui ont acquis des droits sur la marque après la date de cet acte mais qui avaient connaissance de celui-ci lors de l'acquisition de ces droits". La publicité des marques communautaires n'a donc qu'une valeur subjective dans la mesure où elle peut être palliée par la connaissance effective des tiers.
Si cette uniformisation était souhaitable, la solution consacrée par le législateur dans la "LME" du 4 août 2008 peut être critiquée à l'aune des incidences pratiques que risquent de générer une telle analyse subjective de la publicité. En effet, l'opposabilité des actes permet de déterminer l'ordre des créanciers titulaires de droits sur la propriété intellectuelle en cas notamment de pluralité de créanciers. Or le droit commun est fondé sur un principe d'antériorité objective. Ainsi l'article 2340 du Code civil (N° Lexbase : L1167HI3) dispose que "le rang des créanciers est réglé par l'ordre de leur inscription". La règle de l'antériorité ne peut que difficilement se concilier avec une analyse subjective du système de publicité retenue pour l'opposabilité des actes transmettant ou modifiant des droits de propriété intellectuelle.
Les actes ainsi passés sur des droits de propriété intellectuelle pourront, dès lors, souffrir d'un handicap consistant dans la difficulté de détermination de l'ordre des titulaires des actes selon que l'on tient compte du droit commun, qui requiert une publicité aux fins d'opposabilité, ou le droit spécial résultant de la modification législative réalisée par la "LME". En cela on peut légitimement douter du fait que ces mesures permettent de "développer l'économie de l'immatériel" ce qui est pourtant l'objectif affiché par le législateur.
Nonobstant cette critique, l'adoption d'un système subjectif pour déterminer l'opposabilité des actes permettra d'assurer au cessionnaire des droits de propriété intellectuelle la recevabilité, avant toute inscription, de son action en contrefaçon contre le tiers contrefacteur qui a eu connaissance de l'acte. Dès lors, en tant qu'elles facilitent l'exercice de l'action en contrefaçon, ces dispositions peuvent être saluées. Or c'est bien dans ce sens là que doivent semble-t-il s'interpréter ces modifications dès lors que l'efficacité de l'action en contrefaçon constitue certainement une des ambitions essentielles du législateur au regard des évolutions législatives de ces dernières années.
En effet, en modifiant tant les règles relatives aux titulaires de l'action que celles concernant la compétence juridictionnelle, le législateur tend, en second lieu, à renforcer l'efficacité de l'action en contrefaçon.
Le champ des titulaires de l'action en contrefaçon a été, tout d'abord, considérablement élargi sous l'effet des dispositions tant de la loi du 29 octobre 2007 que de celle du 4 août 2008. Alors qu'avant le premier de ces textes il était déjà admis que les cessionnaires et licenciés exclusifs puissent par voie d'action se prémunir contre la contrefaçon dans la mesure où leur contrat ne leur déniait pas une telle faculté, le droit d'agir en contrefaçon a depuis été reconnu à l'ensemble des titulaires de droits exclusifs sur les droits de propriété intellectuelle. L'exercice de ce droit reste, néanmoins, soumis à la mise en demeure du titulaire des droits de propriété intellectuelle inertiel et à l'absence de dispositions contractuelles contraires.
La loi du 4 août 2008 a encore étendu le champ de la protection contre la contrefaçon sans, toutefois, admettre un droit d'action en dehors des titulaires de droits exclusifs. Il est en effet prévu à l'article 133 que le licencié non exclusif en matière de dessins et modèles, brevets et marques puisse intervenir à l'action en contrefaçon exercée par le titulaire des droits de propriété intellectuelle afin d'obtenir réparation de leur préjudice personnel. Il s'agit là d'une importante avancée dans la mesure où elle offre une certaine protection pour les licenciés non exclusifs.
On peut, néanmoins, regretter la timidité du législateur sur cette question de l'extension du champ de l'action en contrefaçon.
D'une part, car la faculté reconnue aux licenciés non exclusif ne leur permettra pas de vaincre l'inertie du titulaire des droits. L'interprétation qui est faite de l'action en contrefaçon comme une action à caractère personnel ne leur permet pas d'exercer l'action par la voie oblique au lieu et place du titulaire. Or en reconnaissant aux licenciés non exclusifs uniquement la faculté de se protéger par voie d'intervention, la soumission de leur protection à l'action nécessaire et préalable du titulaire est maintenue.
D'autre part, en envisageant nominativement les licenciés non exclusifs le législateur exclut de fait du champ de l'action en contrefaçon, d'autres titulaires d'un démembrement de droit de propriété intellectuelle qui auraient pourtant un intérêt à bénéficier de la protection qu'offre la contrefaçon. Il en va notamment ainsi des titulaires de sûretés réelles (3) constituées sur des droits de propriété intellectuelle qui voient la valeur de l'assiette de leur garantie diminuer du fait de la contrefaçon sans pouvoir pallier l'inertie du titulaire/débiteur, voire même seulement intervenir à l'action en contrefaçon exercée par celui-ci dans le but d'obtenir réparation de leur préjudice.
La compétence des tribunaux de grande instance est, ensuite, désormais affirmée pour le contentieux de la contrefaçon. Cette spécialisation du contentieux organisée par l'article 135 de la "LME" du 4 août 2008 est prévue tant pour les droits d'auteur que pour les dessins et modèles, les marques et les indications géographiques.
Là encore, le législateur ne fait qu'unifier le régime des différents droits de propriétés intellectuelles. Le décret n° 2005-1756 du 30 décembre 2005 avait déjà réservé la compétence de sept tribunaux de grande instance en matière de brevet (Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Paris, Strasbourg et Toulouse). En dépit du fait que les tribunaux de grande instance appelés à connaître des actions et des demandes en matières de dessins et modèles, marques et indications géographiques ne soient pas encore déterminés par la voie réglementaire, la spécialisation du contentieux doit être saluée. Cette spécialisation permettra sans aucun doute un meilleur traitement des actions dans un domaine particulièrement technique.
En outre, il est prévu que la compétence des tribunaux de grande instance soit retenue également lorsque l'action exercée présentera des questions connexes en matière de concurrence déloyale. Ce regroupement du contentieux est certainement souhaitable afin d'éviter un encombrement des juridictions pour des faits semblables ou similaires quoique susceptibles de qualifications et de sanctions différentes.
Une crainte pourrait toutefois être émise relativement au fait que la spécialisation et le regroupement du contentieux de la concurrence déloyale et de la contrefaçon risquent d'accroître la confusion entre les conditions de recevabilité de ces actions aux domaines pourtant distincts.
La confusion qui peut régner entre le domaine de l'action en concurrence déloyale et celui de l'action en contrefaçon vient d'ailleurs d'être illustrée dans un arrêt rendu par la Chambre commerciale le 10 février 2009. Parce que le plus souvent les faits qui fondent l'action en concurrence déloyale sont les mêmes que ceux avancés au soutien de l'action en contrefaçon, il est fréquent que les plaideurs invoquent des moyens de défense issus du régime de la propriété intellectuelle. Or si les domaines de ces actions se recoupent souvent en pratique ces deux actions sont, néanmoins, fondamentalement différentes ainsi que vient de le rappeler la Cour de cassation dans une décision destinée à une large publication.
Alors que l'action en concurrence déloyale a pour but la réparation d'un préjudice commercial constitué par une atteinte à la clientèle, l'action en contrefaçon a pour objectif la protection d'un droit privatif d'exploitation conféré par le droit de propriété intellectuelle. L'espèce soumise à la Cour dans cet arrêt ne s'illustre pas par son originalité. Une société avait commandé à une société chinoise des sacs dont le motif était suffisamment proche de celui de la marque Louis Vuitton Malletier pour que les autorités douanières françaises décident de retenir les marchandises imitant la marque. Le titulaire de la marque a agi contre la société importatrice en contrefaçon et en concurrence déloyale. L'arrêt d'appel (CA Paris, 4ème ch., sect. A, 17 octobre 2007, n° 06/18790, SARL Parisac c/ SA Louis Vuitton Malletier N° Lexbase : A1686DZH) ayant prononcé une condamnation tant sur le fondement de la contrefaçon que sur celui de la concurrence déloyale, la société importatrice s'est pourvue en cassation.
Dans un premier moyen, était contesté de manière inopérante la condamnation au titre de la contrefaçon, la Cour de cassation ayant décidé que la solution quant à l'appréciation du préjudice appartenait au pouvoir souverain des juges du fond.
Dans un second moyen, le pourvoi contestait la recevabilité de l'action en concurrence déloyale du fait, d'une part, d'une prétendue absence d'originalité du produit imité et, d'autre part, de l'absence de préjudice en raison de la non-commercialisation des produits contrefaisants retenus en douane.
Mais la Cour de cassation refuse de suivre ce raisonnement et rappelle de manière très didactique que "l'action en concurrence déloyale peut être intentée par celui qui ne peut se prévaloir d'un droit privatif, qu'il n'importe pas que les faits incriminés soient matériellement les mêmes que ceux allégués au soutien d'une action en contrefaçon rejetée pour défaut de constitution de droit privatif". Ce principe étant rappelé, elle rejette très logiquement le pourvoi de la société importatrice au motif que "l'originalité d'un produit n'est pas une condition de l'action en concurrence déloyale à raison de sa copie, cette circonstance n'étant que l'un des facteurs possibles d'appréciation d'un risque de confusion".
Cette solution n'est pas nouvelle (4), et la Cour de cassation avait déjà eu l'occasion de souligner les différences relatives aux conditions de recevabilité de ces actions. Toutefois, à l'heure où le contentieux se spécialise et où la jonction des procédures est plus que jamais la règle, la démarche pédagogique de la Cour de cassation est la bienvenue.
Ce faisant, la Cour de cassation vient également préciser les conditions propres de recevabilité de l'action en concurrence déloyale. Traditionnellement fondée sur l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), l'action en concurrence déloyale suppose pour prospérer que soit rapportée la preuve d'une faute, l'acte de concurrence déloyale, d'un préjudice, l'atteinte à la clientèle, et d'un lien de causalité entre ces deux éléments. Toutefois, l'appréciation de ces conditions est réalisée avec la bienveillance qui sied aux buts poursuivis par cette action. La concurrence déloyale a moins pour objectif la réparation d'un préjudice que de faire cesser une atteinte à la concurrence et partant à la clientèle. Ce que l'on cherche à sanctionner c'est l'acte de déloyauté lui-même davantage que le dommage résultant de cet acte.
Cette analyse justifie alors que le préjudice ne soit pas apprécié avec autant de rigueur qu'il l'est en matière de responsabilité civile pour faute ainsi qu'en atteste la solution retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt rendu par la Chambre commerciale le 10 février 2009.
La deuxième branche du moyen faisait en effet grief à la cour d'appel d'avoir admis la recevabilité de l'action en concurrence déloyale alors même qu'en l'absence de commercialisation des produits contrefaisants, la société titulaire de la marque n'avait souffert d'aucun préjudice. La Cour de cassation rejette cependant là encore l'argument en soulignant que "les sacs litigieux avaient été commandés en vue de leur revente" ce qui pouvait être qualifié de "faute constitutive de concurrence déloyale". La Cour de cassation prend donc le soin de qualifier avec précaution la faute, mais elle reconnaît implicitement que cette faute, l'acte de concurrence déloyale, est suffisante pour condamner son auteur sur le fondement de cette action, marquant ainsi une fois encore son autonomie mais ici à l'égard de la responsabilité civile qui lui sert de fondement.
Par une décision de la Chambre criminelle du 13 janvier 2009, la Cour de cassation préfigure ce qui sera désormais admis sans la moindre hésitation sous l'égide du dispositif qui sera mis en place par la future loi "favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet" (5).
La solution retenue par la Cour de cassation n'allait cependant pas de soi sous l'empire du droit positif. L'espèce était là encore des plus classiques. Un agent assermenté de la SACEM décide de procéder à une vérification systématique sur le réseau de l'internet afin de découvrir des actes de contrefaçon réalisés par l'échange en peer to peer de morceaux sans autorisation. Ces investigations ont conduit à la constitution de fichiers contenant différentes informations dont l'adresse IP de l'internaute, le nombre d'oeuvres musicales mises à disposition par celui-ci dans le dossier de partage, le nom du fournisseur d'accès ou encore le pays d'origine.
Alors qu'en première instance, l'internaute a été condamné, la cour d'appel (CA Rennes, 3ème ch., 22 mai 2008, n° 07/01495, Cyrille S. N° Lexbase : A5458D9Z) a retenu la relaxe au motif que le traitement des informations récoltées par l'agent assermenté, constituant des données personnelles devait être soumis à une autorisation préalable de la CNIL en vertu des articles 2, 9 et 25 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 (loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés N° Lexbase : L8794AGS). Dès lors, en l'absence d'une telle autorisation le procès-verbal de constat qui sert de fondement aux poursuites devait être annulé, de même que l'ensemble de la procédure subséquente pour laquelle le procès-verbal sert de fondement nécessaire conformément aux dispositions de l'article 593 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3977AZC).
La validité des investigations et du traitement des données obtenues en l'absence d'autorisation de la CNIL était donc posée à la Cour de cassation. Celle-ci censure la cour d'appel en décidant que les investigations menées par l'agent et les renseignements ainsi obtenus rentrent dans les pouvoirs conférés par l'article L. 331-2 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L1774H34) et ne constituent pas un traitement de données à caractère personnel. Il n'y a donc pas lieu de faire droit à l'exception de nullité soulevée par le prévenu.
Cette solution s'accorde parfaitement avec le nouveau système mis en place par la loi "création et internet" dans la mesure où les agents assermentés de la future autorité administrative qui sera consacrée par la nouvelle loi, l'HADOPI, la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet disposeront "pour les nécessités de la procédure" du pouvoir "d'obtenir tous documents, quel qu'en soit le support, y compris les données conservées et traitées par tous les opérateurs de communication électronique". Il sera, en effet, admis dans le nouvel article L. 331-20 du Code la propriété intellectuelle (art. 2 du projet) que ces agents puissent avoir accès à l'identité, l'adresse postale et électronique ainsi que les coordonnées téléphoniques de l'internaute qui a utilisé à des fins de reproduction, représentation, de mise à disposition ou de communication au public des oeuvres ou objets protégés sans l'autorisation des titulaires des droits intellectuels.
Si les intentions du législateur, comme celles de la Cour de cassation en l'espèce, sont louables, la lutte contre la contrefaçon ne devrait pas se faire au mépris des libertés publiques et des droits fondamentaux (6).
Que la Cour de cassation anticipe le dispositif qui sera mis en place prochainement par le législateur nous semble contestable. Si la loi peut en effet régler un conflit entre des droits et libertés fondamentales, il n'appartient pas à la Cour de cassation d'opérer un tel arbitrage en requalifiant des informations indubitablement personnelles afin de faire échapper aux dispositions de la loi informatique et liberté le mécanisme employé par les agents de la SACEM pour débusquer les internautes contrefacteurs.
Si, aux seules fins de la répression, la Cour de cassation a anticipé le dispositif légal, afin de satisfaire cet objectif, elle refuse, au contraire, de suivre le raisonnement d'une cour d'appel qui avait admis que les dispositions relatives à l'exception de reproduction aux fins d'information puisse être interprétées à la lumière de la Directive du 22 mai 2001 (Directive 2001/29 du Parlement européen et du Conseil, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information N° Lexbase : L8089AU7) qui reconnaît une telle exception aux oeuvres de toutes natures (CA Paris, 14ème ch., sect. B, 12 octobre 2007, n° 07/04232, SA Société de conception de presse et d'édition -SCPE- c/ Société 1633 N° Lexbase : A3085DZB).
La Cour de cassation dans un arrêt rendu le 22 janvier 2009 devait, en effet, se prononcer sur l'existence d'un acte de contrefaçon du fait de l'utilisation d'une photographie dans un magazine en l'absence d'autorisation de l'auteur de l'oeuvre photographique. Ce faisant, la Cour de cassation avait à déterminer l'application dans le temps de la Directive européenne du 22 mai 2001, pour des faits réalisés antérieurement à la loi de transposition (7).
La cour d'appel de Paris avait refusé d'admettre la contrefaçon au motif que "la reproduction des oeuvres photographiques, fut-elle intégrale, doit recevoir la qualification de courtes citations dès lors qu'elle reproduit [...] à un but d'information". Pour justifier sa solution la cour d'appel s'était fondée sur l'article L. 122-5, 3° du Code de la propriété intellectuelle "interprété à la lumière de l'article 5-3 c de la Directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 non transposée au moment des faits alors que le délai pour le faire était expiré".
La Directive du 22 mai 2001 avait admis très largement cette exception de reproduction aux fins d'information, celle-ci ayant été reconnue quelque soit la nature de l'oeuvre, y compris pour des photographies. Le législateur, après d'âpres débats, et comme il y était autorisé par la directive en raison du caractère facultatif de la transposition de cette disposition, avait par la loi du 1er août 2006 (loi n° 2006-961, relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information N° Lexbase : L4403HKB) exclu ces oeuvres du champ de l'exception.
La censure opérée par la Cour de cassation se comprend donc parfaitement. La première chambre civile décide en effet de casser la décision d'appel au motif qu'en statuant comme elle l'a fait "quand les dispositions de la directive européenne à la lumière de laquelle elle interprétait L. 122-5 3° du CPI, [...] n'étaient que facultatives et ne pouvaient servir au juge national de règle d'interprétation pour étendre la portée d'une disposition de la loi nationale à un cas non prévu par celle-ci, la cour d'appel a par fausse application violé ces dispositions".
Il est certain que le législateur n'ayant pas en définitive retenue cette exception, il semblait difficile d'admettre que l'on puisse la faire jouer dans la période transitoire précédant la transposition de la Directive grâce à l'artifice d'une interprétation des dispositions légales à la lumière de la Directive.
Cette analyse se justifie d'autant plus que la Cour de cassation retient un raisonnement identique lorsqu'il s'agit d'interpréter un texte à la lumière d'une Directive qui a, contrairement au cas d'espèce, été finalement transposée. On se souviendra en effet qu'en matière de responsabilité du fait des produits défectueux le législateur a refusé d'admettre la cause d'exonération pour risque de développement dans la mesure où celle-ci n'était que facultative pour les Etats selon la Directive du 25 juillet 1985 (Directive 85/374, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux N° Lexbase : L9620AUT), et alors même que le législateur français l'a finalement retenue dans le dispositif mis en place par la loi du 19 décembre 1998 (8).
On ne peut que saluer l'orthodoxie dont le législateur a fait preuve en l'espèce en dépit du fait que l'on puisse déplorer qu'une telle rigueur n'ait pas motivé l'ensemble des décisions rendues en matière de propriété intellectuelle. Force est en effet de constater que la rigueur s'exerce toujours en faveur de la lutte contre la contrefaçon y compris parfois au mépris d'autres intérêts.
Nathalie Martial-Braz, Maître de conférences, Université Rennes 1 - CDA-PR
(1) V., en faveur d'un système de publicité objective, en matière de marques, CA Paris, 5 juillet 1974, Ann. propr. ind., 1975, 212 ; Cass. com., 16 mai 1984, n° 82-13.277, Durand c/ SA Vygon, Société des laboratoires pharmaceutiques Vygon (N° Lexbase : A9970AGD), Bull. civ. IV, n° 171 ; CA, Paris, 12 décembre 1997, RJDA, 1998, n° 53. De même, en matière de dessins et modèles, CA Paris, 18 décembre 1998, PIBD, 1999, III, p. 151 ; CA Paris, 11 décembre 1998, PIBD, 1999, III, p. 155 ; Cass. com., 16 juin 1992, n° 90-20.741, Société Gewe c/ Société Exclusifs internationaux (N° Lexbase : A4320ABM), Bull. civ. IV, n° 236, p. 165.
(2) V., sur cette question, nos travaux, Le droit des sûretés réelles sur propriétés intellectuelles à l'aune de la réforme du droit des sûretés, in Propriété intellectuelle et droit commun, PUAM, 2007, p. 307 et s., spé. n° 20 et s..
(3) V. nos travaux, Droit des sûretés réelles sur propriétés intellectuelles, PUAM, 2007, Préface D. Legeais, Avant-propos M. Vivant, n° 229 et s..
(4) Cass. com., 22 mars 2005, n° 02-21.105, Société à responsabilité limitée Compagnie du grand large c/ Société Pen Duick, F-D (N° Lexbase : A4090DHX), D., 2005, Pan. 2462, obs. Y. Auguet, CCC, 2005, n° 132, obs. M. Malaurie-Vignal, CCE, 2005, n° 101, obs. Ch. Caron, RLDC, 2005, n° 2, p. 67, obs. D. Fasquelle et R. Mésa ; Cass. civ. 1, 20 mars 2007, n° 06-11.522, M. Guillaume Janssens, F-P+B (N° Lexbase : A7513DUS), Bull. civ. I, n° 119, D., 2008, Pan. 253, obs. Y. Auguet, JCP éd. E, 2007, n° 107, obs. Ch. Caron, RLDC, 2007, n° 2, p. 130, obs.D. Fasquelle et R. Mésa ; Cass. com. 12 juin 2007, Société Bollé protection, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A7837DW8), Bull. civ. IV, n° 159, D., 2008, Pan. 253, obs. Y. Picod ; Cass. com. 6 novembre 2007, n° 06-15.227, Société industrielle du Ponant (IDP), F-D N° Lexbase : A4169DZG), CCE, 2008, n° 5, obs. Ch. Caron.
(5) DADVSI 2, HADOPI "Création et internet"... de bonnes questions ? de mauvaises réponses, article collectif, D., 2008, p. 2290 ; J. Daleau, Diffusion et protection de la création sur internet : première lecture, D., 2008, p. 2709.
(6) Sur cette question, v. article collectif précité, DADVSI 2, HADOPI, "création et internet"... de bonnes questions? De mauvaises réponses, op. cit., n° 5 et 6.
(7) Sur cette question, M. Vivant, Les exceptions nouvelles au lendemain de la loi du 1er août 2006, D., 2006, p. 2159; C. Geiger, "Exception d'information" et droit du public à l'information: une application cumulative, D., 2009, p. 542.
(8) Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, n° 02-16.648, FS-P+B, SA Les laboratoires Servier c/ Anna X, épouse Y et autres (N° Lexbase : A6042DMQ), JCP éd. G, 2006, II, 10082, note L. Grynbaum.
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