Réf. : Cass. com., 3 mars 2009, n° 07-16.527, Société Eurovia Bourgogne, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A5632EDX)
Lecture: 11 min
N9829BIU
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Nicolas Ferrier, Agrégé des Facultés, Professeur à l'Université Toulouse I, membre du CERDAC
le 07 Octobre 2010
Sous la forme d'un attendu de principe destiné à une large publicité (2), l'arrêt applique l'article L. 441-6 aux contrats en cours et en l'absence de toute stipulation particulière prévoyant de telles pénalités. Se trouve ainsi affirmé le principe d'une application immédiate (I) et impérative (II) du dispositif relatif aux pénalités de retard prévu à l'article L. 441-6 du Code de commerce.
I - L'application immédiate du dispositif
L'affirmation selon laquelle "les dispositions de la loi du 15 mai 2001 modifiant l'article L. 441-6 du Code de commerce, qui répondent à des considérations d'ordre public particulièrement impérieuses, sont applicables, dès la date d'entrée en vigueur de ce texte, aux contrats en cours" peut ici surprendre car, en l'occurrence, la question de l'application de la loi dans le temps ne faisait pas débat. Certes, le marché de travaux ayant donné lieu aux impayés a été conclu deux mois avant la loi dite "NRE" modifiant l'article L. 441-6, dont l'application au contrat en cours semble de prime abord posée. Il ressort, toutefois, de l'arrêt d'appel que la question n'a pas été soulevée par l'une ou l'autre des parties et, surtout, que les juges du fond ont bien appliqué le texte en cause dans sa nouvelle rédaction.
L'affirmation, inutile pour justifier la solution, pourrait s'analyser comme un obiter dictum qui répondrait à d'autres interrogations relatives à l'application dans le temps de l'article L. 441-6, en raison des nombreuses réformes successives dont il a fait l'objet (3) sans toujours s'accompagner de règle transitoire. On peut, en effet, raisonnablement penser que les considérations d'ordre public particulièrement impérieuses ont motivé les multiples modifications de l'article L. 441-6 et non celles résultant exclusivement de la loi du 15 mai 2001. Dans cette perspective, chaque nouvelle version de l'article L. 441-6 du Code de commerce s'appliquerait aux contrats en cours, sauf dispositions contraires (4).
II - L'application impérative du dispositif
En décidant que "les pénalités de retard pour non paiement des factures sont dues de plein droit, sans rappel et sans avoir à être indiquées dans les conditions générales des contrats", la Cour de cassation met fin à un à un débat né à l'occasion de la loi du 31 décembre 1992, relative aux délais de paiement entre entreprises (loi n° 92-1442 [LXB=PANIER]) qui modifia l'article 33, alinéa 1er, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (Ordonnance n° 86-1243, relative à la liberté des prix et de la concurrence N° Lexbase : L8307AGR), codifié à l'art. L. 441-6 du Code de commerce, en disposant que "les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les modalités de calcul et les conditions dans lesquelles des pénalités sont appliquées dans le cas où les sommes dues sont versées après la date de paiement figurant sur la facture, lorsque le versement intervient au-delà du délai fixé par les conditions générales de vente. Ces pénalités sont d'un montant au moins équivalent à celui qui résulterait de l'application d'un taux égal à une fois et demie le taux de l'intérêt légal".
On s'est, à l'époque, demandé si les pénalités de retard ainsi prévues étaient dues en l'absence de toutes précisions dans les conditions générales. Plus précisément, la question était de savoir si le dispositif prévu à l'article L. 441-6 revêtait un caractère impératif ou supplétif et, dans la seconde hypothèse, si la dérogation conventionnelle pouvait se déduire du simple silence des conditions générales.
Pour certains auteurs "sanctionnées par des dispositions pénales, reconnues comme lois de police', il s'agit, sans nul doute, de dispositions impératives" (5), qui s'appliquent donc dans le silence des conditions générales. Il a, toutefois, été objecté que si la loi venait "insérer un impératif au milieu de cette liberté contractuelle, il ne semble pas qu'elle ait rendu le paiement des pénalités obligatoire en tout état de cause. Elle a pour but de protéger le fournisseur, y compris contre son propre gré, puisque c'est lui qui encourt, au premier chef, une amende [(6)]. Mais s'il ne mentionne pas dans ces documents l'application des pénalités pour paiement tardif, celles-ci n'entreront pas dans le champ contractuel, et il ne pourra réclamer que les intérêts légaux conformément à l'art. 1153 c. civ. Il semble donc que si ces pénalités prennent leur source dans la loi, elles ne tiennent leur force que du contrat" (7).
Si le doute était permis sous l'empire de la loi de 1992, la loi "NRE" du 15 mai 2001 était de nature à le dissiper en faveur de la première interprétation. Il faut, en effet, rappeler que cette loi est venue transposer la Directive 2000/35/CE du 29 juin 2000, concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions (N° Lexbase : L8022AUN), dont l'article 3 dispose : "Les Etats membres veillent à ce que [...] des intérêts [...] soient exigibles le jour suivant la date de paiement ou la fin du délai de paiement fixée dans le contrat". Cette disposition milite pour le caractère impératif des pénalités de retard au sein de la Directive et, partant, de la loi qui la transpose (8).
Cette analyse est aujourd'hui consacrée de manière solennelle par la Cour de cassation, qui, après avoir affirmé le caractère d'ordre public des dispositions issues de la loi "NRE", les applique dans le silence des conditions générales.
La Cour de cassation censure les juges du fond qui, pour écarter l'application du texte, relevaient que "la société Eurovia ne justifiait pas des conditions générales de règlement fixées à ses clients en général" (9). S'agissant en l'occurrence d'un contrat de prestation de service, on pourrait déduire de cette censure la reconnaissance implicite de la généralité du dispositif en matière de pénalités de retard, applicable à tout contrat conclu par un prestataire de service, y compris lorsque le contrat a un objet spécifique et non commun, c'est-à-dire lorsque l'élaboration de conditions générales de prestation de service ne sont pas envisageables (10). La solution mérite approbation car, même dans ce cas, des conditions générales de règlement restent possibles (11).
L'affirmation selon laquelle le régime des pénalités de retard répond "à des considérations d'ordre public particulièrement impérieuses" conduit, enfin, à s'interroger sur la possibilité d'y renoncer. La question doit être envisagée au regard du droit commun, du droit de la concurrence et du droit fiscal.
En droit commun, la renonciation à un droit, même d'ordre public, est généralement admise à condition qu'il soit acquis. En effet, "une partie peut toujours, après la naissance de son droit, renoncer à l'application d'une loi, fût-elle d'ordre public" (12). A suivre cette solution, le vendeur ou prestataire de service ne pourrait renoncer par avance aux pénalités de retard mais pourrait seulement, une fois ces pénalités acquises, c'est-à-dire le retard de paiement avéré, renoncer à les réclamer. Certains arrêts écartent toutefois la renonciation à un droit d'ordre public (13) et on souligne que "l'abdication à un droit est parfois proscrite pour des raisons tenant à l'ordre public de direction" (14). La question est alors de savoir si le dispositif ici en cause a été édicté dans un intérêt public de nature à interdire toute renonciation (15) La lecture des travaux préparatoire permet de répondre par la négative, car il fût alors précisé que l'exigibilité de plein droit des pénalités prévue à l'article L. 441-6 n'obligeait pas le vendeur ou prestataire de service à les réclamer, ce qui revient à admettre qu'il puisse y renoncer. On soulignera que la Commission des pratiques commerciale relevait, en 2005, l'application trop rare des pénalités de retard prévues par l'article L. 441-6 (17).
En droit de la concurrence, la circulaire "Dutreil" du 16 mai 2003 (circ., relative à la négociation commerciale entre fournisseurs et distributeurs N° Lexbase : L0101BIL) soulignait que la renonciation aux pénalités de retard ne devait pas donner lieu à des pratiques discriminatoires fustigées à l'article L. 442-6-I, 1° du Code de commerce. Le principe de non-discrimination ayant été supprimé par la "LME", une telle renonciation est désormais possible, sauf à constituer une pratique anticoncurrentielle au sens des articles L. 420-1 (N° Lexbase : L6583AIN) et L. 420-2 (N° Lexbase : L3778HBK) du Code de commerce. Par ailleurs, la renonciation aux pénalités de retard peut caractériser l'obtention par le débiteur défaillant de conditions manifestement abusives au sens de l'article L. 442-6-I, 4° du Code de commerce (N° Lexbase : L8644IBR).
En droit fiscal, le traitement de la renonciation aux pénalités de retard a évolué. Dans un premier temps, l'Administration fiscale a considéré que, dans la mesure où, depuis 2001, les pénalités sont dues de manière automatique et sans rappel, elles sont considérées fiscalement comme perçues alors même qu'elles ne seraient pas réclamées (18). La solution a été considérée comme trop pénalisante pour les entreprises qui n'ont pas obtenu le paiement des pénalités de retard. L'article 20 de la loi de finances rectificative pour 2002, codifié à l'article 237 sexies du CGI (N° Lexbase : L4750HLI), a alors modifié le régime fiscal des pénalités pour paiement tardif, dont les produits et charges correspondant sont désormais rattachés à l'exercice de leur encaissement.
(1) CA Lyon, 3ème ch., 19 avril 2007, n° 06/02201, Société Eurovia Bourgogne SNC c/ SARL Sophorat-FIT (N° Lexbase : A6866DZC).
(2) P+B+R+I.
(3) L'article L. 441-6 a été modifié en 2001 (loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques N° Lexbase : L8295ASZ), 2002 (ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000, portant adaptation de la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs N° Lexbase : L0609ATQ), 2005 (loi n° 2005-882 du 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises N° Lexbase : L7582HEK), 2006 (loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006, relative à la sécurité et au développement des transports N° Lexbase : L6671HES) et 2008 (loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie N° Lexbase : L7358IAR).
(4) Ainsi, l'article 21 de la "LME" prévoit que les dispositions relatives aux délais de paiement maximaux "s'appliquent aux contrats conclus à compter du 1er janvier 2009". Pour autant, toutes les difficultés ne sont pas résolues, s'agissant plus particulièrement des contrats conclus postérieurement à cette date, en application d'un contrat-cadre conclu antérieurement (sur cette question, L.-M. Augagneur, Application dans le temps et dans l'espace de la LME sur la réduction des délais de paiement impératifs, JCP éd. E, 2008, 2365, n° 13 et s.).
(5) M. et J.-M. Mousseron et D. Mainguy, Le droit français nouveau de la transparence tarifaire, 2ème éd. Litec, 1998, n° 72.
(6) La loi imposant au vendeur ou prestataire de services de mentionner l'existence des pénalités pour retard de paiement, sous peine d'amende.
(7) F. Labarthe, La nature juridique des pénalités instituées par la loi n° 92-1442 du 31 décembre 1992 relative aux délais de paiement entre les entreprises, D., 1995, chron., p. 61.
(8) En ce sens, G. Lardeux, La lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, Contrats, conc. consom., 7/2000, chron. 12. Retenant, également, le caractère impératif du dispositif, S. Giulj, Rédaction des conditions de vente et des factures depuis la loi NRE : mentions obligatoires relatives aux conditions de règlement, LPA, 1er novembre 2002, p. 6 ; M.-P. Wagner, Pénalités de retard : encore des interrogations, D., 2004, chron. 2634. Contra M.-V. Jeannin, Transparence tarifaire : conditions générales de vente, coopération commerciale, facturation, J-Cl Com., fasc. 277, n° 11. Sur la question, v., également, R. Gouyet, La répression des retards de paiement dans les transactions commerciales à travers le primes de la loi NRE, Contrats, conc. consom., 5/2002. chron. 11.
(9) Nous soulignons. La cour d'appel ajoutait que la reconnaissance de dette signée par le débiteur ne rentrait pas "dans la catégorie des conditions contractuelles de règlement au sens de l'article [L. 441-6], qui ne peuvent avoir qu'un caractère général" (nous soulignons).
(10) Comp. P. Arhel, Rép. civ. V° Transparence tarifaire et pratiques restrictives, n° 106 : "un distributeur qui choisit de rendre des services communs (non spécifiques) doit, comme tous les prestataires de services, établir des conditions générales de services" (nous soulignons).
(11) Comp. J.-J. Biolay, Transparence tarifaire et pratiques relatives aux prix, J.-Cl. conc. consom., fasc. 286, n° 65 : "Les prix des services effectués sur devis, qui ne peuvent par définition pas faire l'objet de barèmes pré-établis, ne sont pas susceptibles d'être communiqués aux acheteurs, exception faite des taux horaires habituellement pratiqués ou tout autre élément stable permettant la comparaison des tarifs entre prestataires. A fortiori doivent être portées sur les factures les conditions générales de vente relatives aux délais de paiement et aux escomptes pour paiement comptant, qui sont invariables (Rep. min. n° 3027 : JO Sénat Q, 3 févr. 1993)". Adde. M. et J.-M. Mousseron et D. Mainguy, ouvr. préc., n° 53, qui, à propos de la loi du 17 décembre 1992, relative aux délais de paiement entre les entreprises, relèvent : "La discussion parlementaire a soustrait à l'exigence de barème de prix -et non nécessairement de conditions générales de vente ou de prestation de services- les seules opérations non barémables'".
(12) Cass. civ. 3, 27 octobre 1975, n° 74-11.656, SCI Le Parc de Lésigny c/ Epoux Mettout, publié au bulletin (N° Lexbase : A2350CKA), Bull. civ. III, n° 310. Adde. Cass. civ. 1, 17 mars 1998, n° 96-13.972, Epoux Orieux c/ Société Trabeco Ile-de-France (N° Lexbase : A2249ACB), Bull. civ. I, n° 120, Défrenois, 1998, art. 36815, n° 15, obs. J.-L. Aubert : "s'il est interdit de renoncer par avance aux règles de protection établies par la loi sous le sceau de l'ordre public, il est en revanche permis de renoncer aux effets acquis de telles règles" ; Cass. soc., 5 février 2002, n° 99-45.861, M. Guy Sales c/ Société Wynn'S, FS-P (N° Lexbase : A9102AXE), Bull. civ. IV, no 54.
(13) Cass. civ. 3, 4 décembre 1984, n° 83-13.485, Société La Fraternelle SA c/ Société HLM Le Renouveau, société Dumont et Besson, société Conchon Dumont et Besson, Garnier (N° Lexbase : A2477AAY), Bull. civ. III, n° 204 ; Cass. civ 1, 9 décembre 1997, n° 95-15.494, Mme Savoie c/ Banque Sovac immobilier (N° Lexbase : A0515AC3), Bull. civ. I, n° 368 ; Cass civ. 3, 9 juillet 2003, n° 02-10.644, Société Gessey c/ Société Proteor, FS-P+B (N° Lexbase : A1146C9C), Bull. civ. III, n° 153, Defrénois, 2004, art. 37903, note H. Périnet-Marquet.
(14) D. Houtcieff, Rép. civ., V° Renonciation, n° 41 et les exemples cités.
(15) Sur cette question, M. et J.-M. Mousseron et D. Mainguy, ouvr. préc., n° 72 et s., qui admettent la renonciation.
(16) Sur cette question, M. et J.-M. Mousseron et D. Mainguy, ouvr. préc., n° 72 et s., qui admettent la renonciation.
(17) Recomm. Comm. exam. prat. com., n° 05-01, 21 mars 2005, BOCC 23 juin 2005 sur les délais de paiement et leur application.
(18) Instruction du 7 mai 1997, BOI 4 A-9-97 (N° Lexbase : X7245ABX), Contrats, conc. consom., 1997, n° 121, obs. Vogel.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:349829