La lettre juridique n°343 du 26 mars 2009 : Entreprises en difficulté

[Questions à...] Impact pratique de l'ordonnance portant réforme du droit des entreprises en difficulté : questions à Jean-Marc Bahans, Greffier en chef du tribunal de commerce de Bordeaux et Professeur associé à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

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[Questions à...] Impact pratique de l'ordonnance portant réforme du droit des entreprises en difficulté : questions à Jean-Marc Bahans, Greffier en chef du tribunal de commerce de Bordeaux et Professeur associé à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211588-questionsaimpactpratiquedelordonnanceportantreformedudroitdesentreprisesendifficultequ
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par Anne-Laure Blouet Patin, Rédactrice en chef du pôle Presse

le 07 Octobre 2010

La loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L5150HGT), entrée en vigueur le 1er janvier 2006, a eu pour objectif de renforcer les chances de sauvetage de l'entreprise, en favorisant l'anticipation et la négociation. A cette fin, il en a été appelé à l'initiative et à la prise de responsabilité du chef d'entreprise : des procédures plus diversifiées ont été mises à sa disposition, lui laissant le choix de la voie la plus adaptée à la situation de son entreprise. C'est dans cette perspective qu'ont été créées les procédures de conciliation et de sauvegarde. Par ailleurs, prenant acte du caractère inévitable des liquidations judiciaires dans certaines hypothèses, le législateur de 2005 a souhaité en accélérer le cours par l'institution d'un régime simplifié destiné aux petites entreprises. Mais, après près de trois années d'application, il est apparu nécessaire de renforcer l'efficacité des dispositifs qu'elle propose et de tirer les conséquences des difficultés rencontrées par les praticiens. Lors du vote de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR), le Parlement a donc habilité le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnance les mesures législatives nécessaires pour atteindre ces objectifs. Annoncée par le Garde des Sceaux le 21 novembre 2008, l'ordonnance portant réforme du droit des entreprises en difficulté (ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, portant réforme du droit des entreprises en difficulté N° Lexbase : L2777ICT) a été publiée au Journal officiel du 19 décembre 2008 et son décret d'application le 13 février dernier (décret n° 2009-160 du 12 février 2009, pris pour l'application de l'ordonnance n° 2008-1345 N° Lexbase : L9187ICA), pour une entrée en vigueur de la réforme au 15 février. Pour faire le point sur l'impact pratique de la réforme, Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Jean-Marc Bahans, Greffier en chef du tribunal de commerce de Bordeaux et Professeur associé à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV.

Lexbase : Depuis la mise en place de la réforme de 2005, combien de procédures de sauvegarde ont-elles été initiées dans le ressort du tribunal de commerce de Bordeaux ? Et, quel va être, selon vous, l'impact de la réforme proposée par l'ordonnance à ce sujet ?

Jean-Marc Bahans : La mise en oeuvre de la réforme de 2005 n'a pas abouti pour l'instant au tribunal de commerce de Bordeaux à l'ouverture d'un grand nombre de procédures de sauvegarde puisque seulement 20 procédures de ce type ont été ouvertes jusqu'à présent.

A cet égard la nouvelle rédaction de l'article L. 620-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3237ICU) définissant les conditions d'ouverture d'une procédure de sauvegarde est intéressante. La procédure est, désormais, ouverte en faveur d'un débiteur qui, sans être en cessation des paiements, justifie de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter. L'ancien texte exigeait que ces difficultés soient de nature à le conduire à la cessation des paiements. Il est clair que la nouvelle définition est préférable à l'ancienne dans la mesure où elle opère une séparation nette entre la procédure de sauvegarde qui n'est pas liée à l'état de cessation des paiements et la procédure de redressement judiciaire qui, elle, est liée à cet état des cessations des paiements. La nouvelle définition facilite de surcroît l'ouverture de la procédure de sauvegarde dans la mesure où il n'est plus nécessaire pour l'entreprise de prouver en quoi les difficultés qu'elle traverse sont de nature à la conduire à la cessation des paiements. Dans le même temps, le législateur a apporté une précision utile concernant l'état de cessation des paiements en assouplissant la rigueur de la définition légale qui tenait simplement à l'impossibilité de faire face au passif exigible avec l'actif disponible. Désormais, le débiteur qui établit qu'il dispose de réserves de crédit ou de moratoires qui lui permettent de faire face à son passif exigible avec son actif disponible n'est pas en état de cessation des paiements. Cette nouveauté est, toutefois, limitée car le législateur a sur ce point entériné la jurisprudence de la Cour de cassation.

Même si l'on peut espérer raisonnablement que ces deux améliorations législatives conduisent à l'ouverture d'un plus grand nombre de procédures de sauvegarde, il est probable que l'impact de la réforme sur ce point sera limité. En effet, en pratique, l'état de cessation des paiements reste le problème. Les entreprises continuent pour la plupart d'entre elles de solliciter l'ouverture d'une procédure de sauvegarde alors que leur état de cessation des paiements est avéré depuis un temps certain. Les tribunaux de commerce se retrouvent donc très fréquemment en situation de devoir refuser l'ouverture d'une procédure de sauvegarde en raison de cet état de cessation des paiements avéré. L'impact de la réforme ne pourra être significatif que si un véritable changement d'état d'esprit voit le jour dans le milieu des petites et moyennes entreprises. Tous les acteurs impliqués dans la gestion des difficultés des entreprises savent que c'est principalement ce défaut d'anticipation qui conduit à l'échec de la plupart des procédures.

Il faut ajouter qu'il faudrait aller plus loin dans la distinction de la procédure de sauvegarde par rapport à la procédure de redressement judiciaire. En effet la procédure de sauvegarde est trop lourde et trop calquée sur celle du redressement judiciaire. Une procédure plus légère et moins construite par imitation du redressement judiciaire pourrait contribuer à l'attractivité de la sauvegarde.

Lexbase : Le chapitre III de l'ordonnance aménage le redressement judiciaire. A cette fin, la plupart des règles de fonctionnement du redressement judiciaire sont calquées sur celles de la procédure de sauvegarde. Et, en matière de cession d'entreprise, le principe est celui de la poursuite de la période d'observation, aux fins d'arrêté d'un plan de redressement ou de prononcé de la liquidation judiciaire. Cela implique donc que, désormais, le tribunal ne doit plus prononcer le même jour le plan de cession et la liquidation judiciaire. Quel est votre avis sur cette nouveauté ? Pensez-vous qu'elle puisse rassurer les cocontractants de l'entreprise ?

Jean-Marc Bahans : En réalité, comme je le disais en réponse à la question précédente, c'est plutôt la procédure de sauvegarde qui a été conçue par imitation de la procédure de redressement judiciaire lors de la réforme issue de la loi du 26 juillet 2005. Il en résulte à mon sens que la procédure de sauvegarde mise en place reste trop complexe. Il n'en demeure pas moins qu'il est vrai que l'ordonnance du 18 décembre 2008 apporte au régime de la sauvegarde et du redressement judiciaire un certain nombre de modifications et de clarifications heureuses. Vous avez raison de souligner notamment que la nouvelle rédaction de l'article L. 631-22 du Code de commerce (N° Lexbase : L3513IC4) apporte une clarification intéressante par rapport au texte antérieur en précisant que la cession totale ou partielle de l'entreprise en redressement judiciaire ne met pas fin à la période d'observation, laquelle doit se poursuivre aux fins de l'adoption d'un plan de redressement ou du prononcé de la liquidation judiciaire si celui-ci ne s'avère pas possible. Le tribunal ne peut donc plus effectivement prononcer le même jour la cession et la liquidation judiciaire. Il s'agit d'une nouveauté intéressante qui devrait faciliter la tâche des mandataires judiciaires, ceux-ci pouvant se consacrer, dans un premier temps, à la réalisation d'une cession totale ou partielle de l'entreprise avant de se pencher dans un deuxième temps sur le sort définitif de l'entreprise ainsi cédée. Toutefois, je pense qu'en pratique cette clarification a une portée limitée car les tribunaux de commerce ne prononçaient pas très fréquemment la cession et la liquidation en même temps. C'est le cas, notamment, du tribunal de commerce de Bordeaux dont la pratique était celle d'une dissociation des deux décisions. Quant à la confiance des cocontractants de l'entreprise, celle-ci ne provient que du respect des engagements contractuels et du sentiment de certitude que l'on possède à cet égard et je doute fort que cette modification législative ait une influence à cet égard.

Lexbase : L'innovation principale de l'ordonnance consiste en l'amélioration de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée. Désormais, elle sera automatiquement prononcée dès lors qu'il apparaîtra que les seuils, définis par décret en Conseil d'Etat et permettant l'ouverture de cette procédure, seront atteints. De plus, lorsqu'elle ne sera pas prononcée, le président du tribunal aura toute liberté de le faire au vu d'un rapport sur la situation du débiteur. Quel est votre avis sur cette innovation et quel va en être l'impact sur l'activité du tribunal de commerce ?

Jean-Marc Bahans : Il s'agit incontestablement d'une innovation très importante qui va avoir un effet significatif sur le nombre de procédures de liquidation judiciaire simplifiée qui vont être ouvertes par les tribunaux de commerce. L'on peut penser que la procédure simplifiée obligatoire pourrait concerner environ 30 % des procédures ouvertes tandis que le cumul des procédures simplifiées obligatoires et facultatives pourrait atteindre 70 %, voire 80 % des dossiers. Toutefois, le succès de la réforme sur ce point peut être entravé par deux difficultés.

La première difficulté touche à la pertinence de l'information donnée au tribunal. En effet, le caractère obligatoire de la procédure simplifiée suppose la réunion de trois critères que sont l'absence de bien immobilier, un nombre de salarié inférieur ou égal à un au cours des six derniers mois et un chiffre d'affaires hors taxes ne dépassant pas 300 000 euros à la date de clôture du dernier exercice comptable. Ces informations ne sont pas toutes présentes dans les dossiers déposés par les débiteurs lorsqu'ils sollicitent l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire et encore moins dans les dossiers des créanciers lorsque la procédure est ouverte sur assignation. Il faut donc que le tribunal à l'audience questionne le débiteur afin d'obtenir les informations correspondantes. Lorsque le débiteur ne comparaît pas à l'audience, le tribunal ne sera bien souvent pas en mesure de posséder l'information requise. L'ouverture des procédures simplifiées à caractère obligatoire sera donc souvent retardée au dépôt du rapport du mandataire devant intervenir dans le mois de la liquidation. Bien souvent, c'est donc le président du tribunal qui devra statuer sur cette question ce qui constitue une innovation qui se traduit par un accroissement très net de son rôle dans la gestion des procédures collectives.

La seconde difficulté est plus d'ordre politique. Elle tient au fait que la procédure de liquidation simplifiée est diversement appréciée par les tribunaux de commerce et par les mandataires judiciaires. Il est donc difficile de savoir quelle sera l'importance numérique des procédures de liquidations simplifiées à caractère facultatif. Ces procédures facultatives concernent un très grand nombre de débiteurs dans la mesure où, comme le montre une étude statistique réalisée sur les procédures collectives ouvertes au cours de l'année 2008 par le tribunal de commerce de Bordeaux qui est jointe en annexe à cet entretien , plus de 80 % des entreprises concernées emploient moins de 5 salariés et pourraient se trouver comprises dans le périmètre des deux autres critères que sont l'absence d'actif immobilier et l'existence d'un chiffre d'affaires hors taxes ne dépassant pas 750 000 euros à la date de clôture du dernier exercice comptable. Il sera intéressant dans quelques mois de dresser un bilan de l'application de cette réforme qui nous permettra de savoir si celle-ci s'est traduite par un succès des procédures de liquidation simplifiée présentant un caractère facultatif ou non. Il semble probable que les tribunaux appliqueront sans hésitation la procédure simplifiée à caractère obligatoire mais que l'on ne constatera pas un recours systématique à la procédure simplifiée dans l'hypothèse ou celle-ci présente un caractère facultatif.


Annexe

Analyse statistique des procédures collectives 2008 - Greffe du tribunal de commerce de Bordeaux - Extraits .

  • Sur le nombre de procédures collectives
2005 2006 2007 2008
Nombre d'ouvertures 1093 1018 1070 1299
Liquidations judiciaires 703 654 666 832
Redressements judiciaires 390 357 401 457
Procédures de sauvegarde 3 10

Nous assistons en 2008 à une augmentation très importante (21 %) du nombre de procédures collectives laissant entrevoir une période de crise économique, notamment avec l'explosion des ouvertures en fin d'année (129 en novembre et 161 en décembre). Cette progression semble cependant s'être amorcée dès 2007.

Apparaît en 2008 une progression très forte du nombre de liquidations judiciaires (+ 25 % en 2008) en comparaison avec le nombre de redressements judiciaires (+ 14 % en 2008).

En revanche, nous pouvons relever un point positif : l'augmentation de 133 % du nombre de sauvegardes. Or, il faut relativiser ce chiffre face au très petit nombre de sauvegardes ouvertes en 2007 et la proportion très faible des sauvegardes dans le total des procédures collectives en 2008 (0,8 %) qui montre la frilosité tenace des entrepreneurs face à cette procédure.

  • Sur les plans homologués
2008 2007
Conversions en liquidation judiciaire 353 281
Plans de continuation 103 76
Plans de cession 2 4
Plans de sauvegarde 3

Le point positif est une augmentation de redressements judiciaires débouchant sur un plan de continuation, alors que le nombre de plans de cession diminue (uniquement 2 !).

Or, une augmentation du nombre de conversions en liquidation judiciaire montre l'échec non négligeable de nombreux plans et vraisemblablement le fait que la procédure de redressement arrive souvent trop tard, la société n'étant plus viable à court terme.

  • Sur les types de clôtures
Clôture pour insuffisance d'actif 947
Clôture pour extinction du passif 21

On assiste en 2008 à une proportion écrasante de clôtures pour insuffisance d'actif.

Il existe clairement un impact inévitable de la défaillance de ces structures sur l'ensemble de leurs partenaires et le système économique entier.

  • Sur les formes de sociétés touchées
Nombre d'entreprises défaillantes Proportion
SARL 910 70 %
Entreprises commerciales en nom propre 191 14,7 %
Entreprises artisanales 152 11,7 %
SAS 21 1,6 %
SA 16 1,2 %
SNC 3 0,23 %
SCS 2 0,15 %
SCOP 2 0,15 %
Sociétés étrangères 2 0,15 %

La majorité des entreprises touchées sont des SARL (dont SARL unipersonnelles), des commerçants et artisans, soit une très forte majorité de petites structures.

Plus solides, les grosses entreprises semblent moins éprouvées (1,6 % de SAS et 1,2 % de SA).

  • Sur les sanctions des dirigeants
2006 2007 2008
Sanctions commerciales 0 0 13
Comblement de passif 4 12 5
Interdiction de gérer 0 0 1
Faillite personnelle 1 1 4
TOTAL 5 13 23

L'on peut constater une augmentation sensible du nombre de sanctions commerciales non patrimoniales et une diminution du nombre des sanctions patrimoniales.

  • Sur la procédure d'alerte
2006 2007 2008
Procédures d'alerte déclenchées par les commissaires aux comptes 35 37 39
Nombre d'entretiens devant la cellule de prévention 1672 1684 1322
Nombre d'affaires nouvelles devant la cellule de prévention 439 412 430

Le nombre d'affaires nouvelles devant la cellule de prévention reste stable depuis 2006.

Le nombre d'entreprises ayant fait le choix de cette cellule est, lui, relativement important au regard du nombre de procédures ouvertes en 2008, soit l'équivalent d'un tiers d'ouvertures en moins.

En revanche, on peut relever une petite diminution du nombre d'entretiens en 2008 (moins 362), résultat d'une politique d'amélioration du ciblage des entreprises devant demeurer sous la surveillance de la cellule de prévention.

Malgré les progrès réalisés dans le ciblage des entreprises devant être convoquées dans le cadre de la prévention, notamment par l'utilisation de critères plus affinés, on peut noter une augmentation du nombre d'entreprises dont les difficultés sont détectées, signe d'une fragilisation du tissu économique.

Etude statistique réalisée par les services du Greffe du Tribunal de commerce de Bordeaux avec la collaboration de Mme Julie Ravaut, élève avocat.

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