Réf. : CJCE, 17 février 2009, aff. C-552/07, Commune de Sausheim c/ Pierre Azelvandre (N° Lexbase : A2330EDN)
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
le 07 Octobre 2010
Saisi du litige en dernier ressort, le Conseil d'Etat, par une décision du 21 novembre 2007 (CE 9° et 10° s-s-r., 21 novembre 2007, n° 280969, Commune de Sausheim N° Lexbase : A7249DZI), avait décidé de surseoir à statuer aux fins d'interroger la CJCE, d'une part, sur la notion de "lieu de dissémination" et, d'autre part, sur la faculté des autorités nationales de s'opposer en particulier à la communication de la fiche d'implantation parcellaire et de la carte de localisation des disséminations au motif qu'elle porterait atteinte à l'ordre public ou à d'autres intérêts protégés par la loi. Les questions soumises visaient donc à clarifier la manière dont la Directive 2001/18/CE du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d'OGM dans l'environnement (N° Lexbase : L8079AUR) et abrogeant la Directive 90/220/CE du Conseil du 23 avril 1990, relative à la dissémination volontaire d'OGM dans l'environnement (N° Lexbase : L7696AUL), interagit avec la Directive 90/313/CE du 7 juin 1990, concernant la liberté d'accès à l'information en matière d'environnement (N° Lexbase : L7691AUE).
A la première question, la Cour indique que le lieu de dissémination est déterminé par toute information relative à la localisation de la dissémination soumise par le notifiant aux autorités compétentes de l'Etat membre sur le territoire duquel cette dissémination doit avoir lieu et qu'il est fonction des caractéristiques de chaque opération et de ses incidences éventuelles sur l'environnement. Sur le second point, elle estime "qu'une demande d'informations environnementales peut être rejetée lorsque la divulgation des informations sollicitées serait susceptible de porter atteinte à certains intérêts, au nombre desquels figure la sécurité publique, ne sauraient être utilement opposées aux exigences de transparence". Elle en déduit "qu'une réserve tenant à la protection de l'ordre public ou à d'autres intérêts protégés par la loi ne saurait être opposée à la communication des informations".
Le domaine des organismes génétiquement modifiés fait l'objet d'une activité normative de plus en plus intense au niveau des Etats-membres, la France ayant adopté une loi en ce domaine en juin 2008 (loi n° 2008-595 du 25 juin 2008, relative aux organismes génétiquement modifiés N° Lexbase : L4998H7A), issue des propositions du "Grenelle de l'environnement", qui crée, notamment, un Haut Conseil des biotechnologies ayant pour mission d'éclairer le Gouvernement sur toutes questions intéressant les OGM. La décision du 17 février 2009 de la CJCE s'inscrit parfaitement dans le cadre juridique européen en cette matière, ici constitué par l'article 95 du Traité CE , selon lequel un Etat membre peut, après l'adoption par le Conseil d'une mesure d'harmonisation, maintenir des dispositions nationales en matière de sécurité publique, de protection de la santé ou de propriété industrielle et commerciale, mais surtout par les Directives 2001/18/CE du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d'OGM dans l'environnement et 90/313/CE du 7 juin 1990, concernant la liberté d'accès à l'information en matière d'environnement, qui privilégient l'accès du public à des informations qui, sans cela, ne seraient pas divulguées (I). Cet arrêt traduit, également, un encadrement juridique des OGM de plus en plus poussé au niveau national (II).
I - Une décision qui s'inscrit parfaitement dans le cadre juridique européen en matière d'OGM
A - Les Etats membres doivent mettre dans le domaine public les informations concernant la localisation des disséminations d'OGM
La Directive 2001/18/CE vise, notamment, à rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres et à protéger la santé humaine et l'environnement, lorsqu'il est procédé à la dissémination volontaire d'OGM dans l'environnement à toute autre fin que la mise sur le marché. Elle définit, ainsi, les critères permettant d'évaluer au cas par cas les risques potentiels qui peuvent se présenter. Elle oblige toute personne souhaitant procéder à une dissémination de fournir des informations aux autorités compétentes de l'Etat membre dans lequel la dissémination envisagée devrait avoir lieu. Ces informations, notamment le lieu de la dissémination, ont pour but de permettre à ces autorités de procéder à l'évaluation efficace des risques avant de décider si elles autorisent le notifiant à mettre ses OGM en contact avec l'environnement (1). Si le paragraphe 1 de l'article 25 de la Directive 2001/18/CE énumère un certain nombre de motifs que le notifiant peut invoquer pour demander aux autorités nationales de ne pas divulguer des informations qu'il a fournies au cours de la procédure d'autorisation, le paragraphe 4 de ce même article dispose que, en aucun cas, le "lieu de la dissémination" ne peut être dissimulé au public.
En conséquence, l'on peut estimer que le terme de "lieu de la dissémination" ne laisse aux Etats membres aucune marge d'appréciation leur permettant d'arbitrer entre les principes de sécurité publique et de droit du public d'accéder à l'information. En outre, l'examen des termes de l'article 31 de cette même Directive permet de se convaincre du bien-fondé de cette hypothèse. En effet, celui-ci exige que les Etats membres "établissent des registres publics où est enregistrée la localisation de la dissémination des OGM". L'on peut raisonnablement penser qu'il serait impossible de satisfaire à cette obligation, qui se retrouve, d'ailleurs, à l'article 10 de la loi n° 2008-595 du 25 juin 2008, si les informations concernant la localisation de la dissémination pouvaient bénéficier de la confidentialité visée à l'article 25, paragraphe 1, précité. Un bémol réside, cependant, dans le fait que, si les autorités nationales compétentes reçoivent des informations qui ne sont pas nécessaires à l'évaluation du risque environnemental, ces informations n'auront pas à être communiquées à un éventuel demandeur.
B - Les motifs tirés de la sécurité publique ne peuvent s'opposer à la nécessaire communication d'informations concernant la localisation des disséminations d'OGM
La Directive 90/313/CE facilite l'accès à l'information du public en matière d'environnement détenue par les autorités nationales, tout en prévoyant un certain nombre de dérogations permettant, dans certaines circonstances, aux Etats membres de refuser la divulgation de cette information. L'article 2 de ce texte décrit comme telles la sécurité publique et "les données dont la divulgation aurait plutôt pour effet de porter atteinte à l'environnement auquel elles se réfèrent". Le conflit entre ces deux principes a déjà fait l'objet de décisions jurisprudentielles, tant au niveau communautaire que national. Dans un arrêt rendu le 12 juin 2003, la CJCE s'était prononcée sur une demande d'informations relatives aux mesures administratives de contrôle de produits alimentaires fabriqués à partir d'OGM, en relevant qu'en vertu de l'article 2 de la Directive 90/313/CE, ne constituent pas des informations relatives à l'environnement au sens de cette disposition, et donc communicables au public, le nom du fabricant et la dénomination des denrées alimentaires ayant fait l'objet de mesures administratives de contrôle, le nombre de sanctions administratives infligées à la suite de ces mesures, ainsi que les producteurs et les produits concernés par de telles sanctions (CJCE, 12 juin 2003, aff. C-316/01, Eva Glawischnig c/ Bundesminister für soziale Sicherheit und Generationen N° Lexbase : A7809C8Q). Plus récemment, dans une décision du 7 août 2007, le Conseil d'Etat avait indiqué que la possibilité d'opposer un refus à une demande de communication d'informations environnementales ne concerne que le seul cas où celle-ci porte sur des documents inachevés (CE 9° et 10° s-s-r., 7 août 2007, n° 266668, Association des habitants du littoral du Morbihan, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon N° Lexbase : A8913DXE).
Dans le cas d'espèce, la commune et le Gouvernement français faisaient valoir que l'article 95 CE et la Directive 2003/4/CE du 28 janvier 2003, concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement (N° Lexbase : L4791A9C), permettent aux autorités nationales de décider que l'information se rapportant à la localisation des essais relatifs à une dissémination volontaire d'OGM peut rester confidentielle pour des motifs tirés de la protection de l'ordre public et de la sécurité publique. A cet argument, la Cour de Luxembourg réplique que l'article 25, paragraphes 1 à 3, de la Directive 2001/18/CE instaure un régime qui définit avec précision la confidentialité dont peuvent bénéficier les différentes données qui sont communiquées dans le cadre des procédures de notification et d'échange d'informations prévues par la même Directive. Or, selon la Cour, ne sont visées par ce texte que "les informations confidentielles notifiées à la Commission et à l'autorité compétente ou échangées au titre de ladite directive, ainsi que les informations susceptibles de nuire à une position concurrentielle, et que les droits de propriété intellectuels afférents auxdites données doivent être protégés".
La CJCE en conclut que des considérations tenant à la sauvegarde de l'ordre public ne sauraient constituer des motifs susceptibles de restreindre l'accès à certaines informations, parmi lesquelles figure le lieu de la dissémination. Le Gouvernement français ayant rappelé qu'une communication détaillée de la localisation peut conduire à la destruction des récoltes, notamment par les "faucheurs anti-OGM", la Cour a rappelé que la crainte de difficultés internes ne saurait justifier l'abstention par un Etat membre d'appliquer correctement le droit communautaire (CJCE, 9 décembre 1997, aff. C-265/95, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A1710AWA, Rec. p. I-6959, point 55). En particulier, s'agissant de la dissémination volontaire d'OGM dans l'environnement, la CJCE a jugé, dans un arrêt du 9 décembre 2008 (CJCE, 9 décembre 2008, aff. C-121/07, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A5514EBT), qu'"un Etat membre ne saurait exciper de difficultés d'application apparues au stade de l'exécution d'un acte communautaire, y compris celles liées à la résistance de particuliers, pour justifier le non-respect des obligations et délais résultant des normes du droit communautaire".
Si la réglementation sur la dissémination volontaire des OGM s'inscrit, comme on vient de le voir, dans un cadre communautaire, la mise en oeuvre de la réglementation visant à l'utilisation confinée d'OGM se situe essentiellement dans un cadre national, lequel se fait de plus en plus directif pour encadrer cette nouvelle technique de génie génétique.
II - Un encadrement juridique accru de l'utilisation des organismes génétiquement modifiés
Une ordonnance rendue par le juge des référés du Conseil d'Etat, le 19 mars 2008, a confirmé l'interdiction temporaire de la mise en culture du maïs génétiquement modifié "MON 810" (CE référé, 19 mars 2008, n° 313547, Association générale des producteurs de maïs et autres N° Lexbase : A4313D7U). Il a rejeté la demande de suspension, sur le fondement de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS), de l'arrêté du 7 février 2008 (N° Lexbase : L9898ICL), par lequel le ministre de l'Agriculture et de la Pêche a interdit sur le territoire national la mise en culture, en vue de la mise sur le marché, des variétés de semence de maïs issues de la lignée de maïs génétiquement modifié "MON 810". Le juge des référés indique que les décisions relatives à ce type de maïs ne pouvaient être prises que sur le fondement du Règlement communautaire du 22 septembre 2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés (N° Lexbase : L5629DL3). Cependant, l'existence d'une clause de sauvegarde, à l'article 34 de ce Règlement, ne fait pas obstacle à ce qu'un Etat membre prenne des mesures conservatoires, en cas de possibles atteintes à la santé humaine ou à l'environnement.
Dans un arrêt du 17 octobre 2008, la Haute juridiction administrative a annulé la décision du 19 mai 2006 par laquelle le ministre de l'Agriculture avait autorisé la dissémination volontaire de maïs génétiquement modifiés dans l'environnement en vue de leur "testage", à toute autre fin que la mise sur le marché, dans le cadre d'un programme expérimental de quatre ans sur le territoire de plusieurs communes (CE 3° et 8° s-s-r., 17 octobre 2008, n° 295388, Association France Nature Environnement N° Lexbase : A7911EAA). Le Conseil a, ici, rappelé qu'il résulte des dispositions des articles L. 531-4 (N° Lexbase : L8096IA4) et L. 533-3 (N° Lexbase : L8002IAM) du Code de l'environnement que l'administration est tenue, à l'occasion d'une décision d'autorisation d'expérimentation d'OGM, de vérifier les conditions précises dans lesquelles s'inscrit cette expérience et en particulier si, en raison de circonstances physiques ou climatiques, il peut exister un risque de diffusion des organismes autorisés dans l'environnement immédiat ou plus lointain du lieu d'expérimentation. En l'espèce, la commission du génie biomoléculaire, seulement informée de la liste des communes dans lesquelles "pourra être implanté le programme d'essai", n'ayant pas été mise à même de porter, sur les risques liés à l'expérimentation, l'appréciation qui lui incombait, la décision du 19 mai 2006 devait être annulée.
Le 5 décembre 2008, c'était le tribunal administratif de Nîmes qui reconnaissait au conseil municipal d'une commune le droit de s'opposer à toute culture d'OGM sur son territoire (TA Nîmes, 5 décembre 2008, n° 0802882, Préfet de Vaucluse c/ Commune de Le Thor N° Lexbase : A2188ECZ). Pour le tribunal, ce conseil s'est ainsi borné à rendre publique une position de principe sur la question de la culture des OGM, sans édicter d'interdiction de ce type de culture dans la commune. Ainsi, il n'a pas méconnu les dispositions de la loi n° 92-654 du 13 juillet 1992 (N° Lexbase : L6941IC3), relative au contrôle de l'utilisation et de la dissémination des organismes génétiquement modifiés et modifiant la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 (N° Lexbase : L6346AG7), relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, adoptée en vue de la transposition de la Directive(CE) 90/220 du 23 avril 1990, relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement (N° Lexbase : L7696AUL), qui confient au seul ministre de l'Agriculture un pouvoir de police spécial en la matière.
Dans un cadre plus général, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rappelé la portée du principe du droit à l'information du public en matière d'environnement, et plus précisément en matière de déchets ménagers (CAA Bordeaux, 6ème ch., 15 avril 2008, n° 06BX01822, Préfet des Landes c/ M. Laurent Duval N° Lexbase : A2531EAY). Rappelant qu'en matière de déchets, une commission locale d'information et de surveillance doit donner son avis avant l'octroi de l'autorisation administrative d'exploitation, la cour, constatant qu'alors que les administrations publiques concernées, les collectivités territoriales et l'exploitant sont dotés chacun de trois représentants, les associations de protection de l'environnement ne disposent que de deux représentants au total au sein de cette commission. Est donc irrégulier l'avis émis par cette commission, dés lors que ces associations y étaient sous-représentées.
Cette volonté ne semble qu'imparfaitement suivie par les autorités nationales, la CJCE ayant infligé une amende forfaitaire de 10 millions d'euros à la France pour non-transposition partielle de la Directive 2001/18/CE du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d'OGM (CJCE, 9 décembre 2008, aff. C-121/07, Commission des Communautés européennes c/ République française (N° Lexbase : A5514EBT) (2). L'on peut y voir une sorte de "schizophrénie" de la part de ces autorités, puisque la décision de la France d'utiliser la clause de sauvegarde sur le maïs génétiquement modifié de la firme américaine Monsanto, le "MON810", par l'arrêté du 7 février 2008 précité, a été jugée infondée par l'Autorité europénne de sécurité des aliments (EFSA) au mois de novembre 2008. Selon l'EFSA, "aucune preuve scientifique spécifique" n'a été présentée par la France "pour justifier l'invocation de la clause de sauvegarde" qui a permis l'interdiction provisoire de la culture ou de la vente du "MON810", autorisée dans l'UE, en invoquant un risque pour la santé ou l'environnement.
La position de la France s'est, toutefois, trouvée confortée par le Conseil des ministres de l'Environnement qui a rejeté à une large majorité, le 2 mars 2009, la levée de trois clauses de sauvegarde nationales relatives à des maïs génétiquement modifiés proposée par la Commission, permettant, ainsi, à l'Autriche et à la Hongrie d'interdire la culture de deux OGM sur leur territoire. Une preuve supplémentaire, s'il en était besoin, de la difficulté d'arbitrer entre progrès technologiques, enjeux financiers et protection de la santé publique.
(1) Conclusions de l'avocat général Madame Eléanor Sharpston, présentées le 22 décembre 2008 sur l'affaire C-552/07.
(2) Lire, à ce sujet, les observations de Christophe De Bernardinis, Condamnation de la France pour durée importante de persistance de manquement dans la transposition de la Directive OGM, Lexbase Hebdo n° 93 du 7 janvier 2009 - édition publique (N° Lexbase : N2178BII).
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