La lettre juridique n°341 du 12 mars 2009 : Fiscalité internationale

[Jurisprudence] Nouvelle victoire pour les fonds de pension néerlandais : la retenue à la source prévue par l'article 119 bis CGI ne leur est pas applicable

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 13 février 2009, n° 298108, Société Stichting Unilever Pensioenfonds progress et a. (N° Lexbase : A1154ED4)

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par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près la cour administrative d'appel de Marseille

le 07 Octobre 2010

Par une décision du 13 février 2009, le Conseil d'Etat a jugé non conforme au droit communautaire la suppression de dispositifs fiscaux de neutralisation de retenue à la source à la suite de la suppression de l'avoir fiscal. En vertu d'une instruction du 31 janvier 1996 (BOI 4 J-1-96, § 19 à 26 : Dr. fisc., 1996, n° 7, instr. 11538), les fonds de pension des Pays-Bas pouvaient bénéficier du taux de retenue à la source de 15 % et de la restitution partielle de l'avoir fiscal à concurrence du montant de la retenue à la source prévus par elle, ce qui aboutissait à une exemption de cette retenue. Toutefois, la suppression de l'avoir fiscal, dont les instructions du 28 février 2005 (BOI 4 J-1-05 N° Lexbase : X9108ACC) et du 28 avril 2005 (BOI 4 J-2-05 N° Lexbase : X0611ADY) avaient tiré les conséquences tout en confirmant le bénéfice du taux réduit de retenue à la source pour les fonds de pension néerlandais, avait eu pour effet de faire, désormais, supporter à ces organismes la charge effective, dans cette mesure, de la taxation des dividendes de source française qu'ils percevaient. Les fonds de pension néerlandais ont donc demandé au ministre de l'Economie l'abrogation des dispositions contenues dans les instructions précitées et ayant pour effet de soumettre les fonds à la retenue à la source du 2 de l'article 119 bis du CGI (N° Lexbase : L3843IAL). Le Conseil d'Etat a fait droit à leur demande. Après avoir relevé que le régime d'exonération prévu par le CGI était applicable aux organismes à raison du caractère non lucratif de leur activité et non d'une charge d'intérêt général qui pèserait sur les seuls organismes résidents de France et qu'en conséquence la restriction à la liberté de circulation des capitaux ne pouvait être justifiée par l'existence d'une différence de situation objective entre organismes français et néerlandais, il a considéré que l'existence d'une raison impérieuse d'intérêt général, telle que la nécessité de sauvegarder la cohérence du régime fiscal ou l'efficacité des contrôles fiscaux, n'était pas démontrée en l'absence d'un lien direct entre l'exonération d'impôt dont bénéficient les organismes français et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé ou d'impossibilité d'exercer un contrôle fiscal efficace sur les organismes néerlandais. Le Conseil a ainsi jugé que la discrimination en cause méconnaissait le principe de liberté de circulation des capitaux posé à l'article 56 du Traité instituant la Communauté européenne .

La décision du Conseil d'Etat intervient dans un contexte de multiplications de recours formés avec succès devant la juridiction administrative par les fonds de pension néerlandais, et tendant à se voir accorder le bénéfice des mêmes règles d'imposition que celles applicables aux organismes français à caractère non lucratif (voir, à propos du prélèvement prévu par les dispositions de l'article 244 bis A du CGI N° Lexbase : L3589IA8), jugé non conforme à la clause de non-discrimination contenue dans la Convention franco-néerlandaise et au principe communautaire de liberté de circulation des capitaux (CAA Paris, 6 décembre 2007, n° 06PA03370, Fondation Stichting Unilever N° Lexbase : A9469D34, RJF, 4/2008, n° 409, chronique S. Austry ; le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté par le Conseil d'Etat : CE, 27 octobre 2008, n° 313135, Ministre c/ Fondation Stichting Unilever, RJF, 2/2009, n° 113).

1. Le dispositif instauré par les instructions fiscales attaquées, défavorable aux fonds de pension néerlandais, n'est pas contraire au principe communautaire de liberté d'établissement

1.1. Un dispositif interne qui avait pour objet de soumettre les fonds de pension à une retenue à la source à taux minoré

Le 2 de l'article 119 bis du CGI prévoit que les produits des actions et parts sociales distribués par des personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés ayant leur siège en France, et les revenus assimilés, donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. Le taux normal de la retenue à la source est fixé à 25 % par le 1 de l'article 187 du même code. Cette retenue à la source peut toutefois faire l'objet d'exonérations, et la plupart des conventions fiscales conclues par la France avec d'autres Etats réduisent le taux de la retenue, voire la suppriment totalement. C'est ainsi que la Convention franco-néerlandaise du 16 mars 1973 (N° Lexbase : L6735BHW) prévoit, dans son article 10, l'application d'un taux maximum de retenue à la source de 15 % aux dividendes versés par une société française à un résident néerlandais. Cette même convention prévoit, cependant, le transfert, dans certaines conditions et limites, de l'avoir fiscal éventuellement attaché aux distributions. Le transfert de l'avoir fiscal a, ainsi, pour effet de neutraliser intégralement la retenue à la source.

Ces stipulations ne sont pas directement applicables aux fonds de pension néerlandais. Le paragraphe III-b)-4-i) de l'article 10 prévoit, toutefois, que les sociétés et fonds d'investissement qui ne rempliraient pas les conditions fixées d'un commun accord entre les deux Etats peuvent obtenir le bénéfice du transfert de l'avoir fiscal s'ils remplissent les conditions trouvées d'un commun accord entre les deux Etats parties. Ces dispositions ont été étendues aux fonds de pension néerlandais dans le cadre d'un accord entre autorités françaises et néerlandaises en 1977 (BODGI 14 B-5-77 n° 1).

C'est dans ce contexte que l'instruction 4 J-1-96 du 19 janvier 1996, qui reprenait les termes d'une instruction du 27 mai 1977, avait étendu le mécanisme de retenue à taux minoré et de neutralisation de la retenue par transfert de l'avoir fiscal aux fonds de pension néerlandais. Ce dispositif satisfaisait évidemment les fonds de pension en question. Toutefois, à la suite de la suppression de l'avoir fiscal, deux nouvelles instructions du 25 février et du 28 avril 2005 ont été publiées. L'instruction 4 J-1-05 du 25 février 2005 définissait les modalités selon lesquelles les actionnaires non-résidents qui recevaient des dividendes de source française pourraient obtenir le taux réduit de retenue à la source dès la mise en paiement des dividendes. Elle était applicable aux sociétés et fonds d'investissement non assujettis à l'impôt sur les revenus (§ 7) et aux caisses de retraite des Pays-Bas (§ 8). L'instruction 4 J-2-05 du 28 avril 2005 prévoyait, pour sa part, que la faculté pour les caisses de retraite et fonds de pension de plusieurs pays limitativement énumérés, parmi lesquels les Pays-Bas, d'obtenir le transfert d'une fraction ou de la totalité de l'avoir fiscal attaché aux dividendes de source française était "supprimée pour les dividendes de source française mis en paiement au cours de l'année 2004".

Concrètement, les fonds de pensions néerlandais percevant des dividendes de source française continuaient, donc, de bénéficier du taux réduit de la retenue à la source mais ils devaient désormais en supporter effectivement la charge. La charge fiscale définitive pesant sur eux était donc passée de 0 à 15 %, sans autre forme de neutralisation. C'est pourquoi plusieurs d'entre eux ont demandé au ministre des Finances d'abroger les instructions fiscales 4 J-1-96 du 31 janvier 1996, 4 J-1-05 du 25 février 2005 et 4 J-2-05 du 28 avril 2005, lesquelles avaient pour effet de les soumettre à la retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis du CGI sans neutralisation. Le ministre ayant gardé le silence, les requérants ont demandé l'annulation de la décision implicite de refus opposée par le ministre, et à ce qu'il fût enjoint à l'Etat d'abroger les instructions en cause.

1.2. L'absence de violation du principe de liberté d'établissement

L'argumentation des requérants était fondée sur un seul moyen tiré de ce que le nouveau dispositif résultant des instructions attaquées introduisait une discrimination contraire aux principes de libre circulation des capitaux et de liberté d'établissement , au détriment des fonds de pension néerlandais, qui constituent des caisses de retraite, dès lors qu'il mettait à leur charge une imposition dont sont exonérés les organismes français à but non lucratif similaires en vertu des dispositions du c du 5 de l'article 206. En d'autres termes, les fonds de pension néerlandais estimaient qu'ils étaient soumis à une imposition dont étaient exonérés leurs homologues français, tels que les caisses de Sécurité sociale du régime général, les caisses de régime complémentaire ou encore les sociétés mutualistes.

La jurisprudence communautaire, a régulièrement sanctionné des législations nationales au motif qu'elles faisaient supporter à une personne non résidente une charge d'impôt, notamment par voie de retenue à la source à raison de la perception de dividendes, qui n'eût pas pesé sur elle si elle avait été résidente de l'Etat en cause (CJCE, 6 juin 2000, aff. C-35/98, Verkooijen, N° Lexbase : A1828AWM, Rec. p. I-4071 ; CJCE, 7 septembre 2004, aff. C-319/02, Petri Manninen N° Lexbase : A2692DD3 ; CJCE, 15 juillet 2004, aff. C-315/02, Anneliese Lenz N° Lexbase : A0926DDN ; CJCE, 19 janvier 2006, aff. C-265/04, Margaretha Bouanich c/ Skatteverket N° Lexbase : A3727DMY). Une telle discrimination méconnaît, en effet, selon les hypothèses, les stipulations des articles 56 TCE, relatif à la libre circulation des capitaux, voire 43 TCE, relatif à la liberté d'établissement. Si cette discrimination est impliquée par une instruction fiscale, alors même que celle-ci ne ferait qu'appliquer ou expliciter la loi, l'instruction est illégale et encourt, selon la voie contentieuse empruntée, l'annulation ou l'abrogation (cf., s'agissant des recours dirigés précisément contre les instructions fiscales qui méconnaîtraient le sens ou la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu'elles entendaient expliciter, ou qui réitéreraient une règle contraire à une norme juridique supérieure : CE, 19 février 2003, n° 235697, Auberge Ferme des Genêts N° Lexbase : A2732A7C ; CE, 6 mars 2006, n° 262982, Syndicat national des enseignants et des artistes N° Lexbase : A4849DNW : RJF, 2006, n° 573).

En ce qui concerne plus précisément la liberté d'établissement, le Conseil d'Etat avait saisi la CJCE d'une question préjudicielle relative à la compatibilité avec le droit communautaire du dispositif national prévoyant une retenue à la source sur les dividendes versés par des filiales françaises à une société mère étrangère, alors même que, si la société mère avait été résidente en France, les dividendes ainsi versés n'auraient pas été soumis à une telle retenue à la source (CE, 15 décembre 2004, n° 235069, Denkavit N° Lexbase : A4486DEU, RJF, 3/05, n° 233). La Cour de justice a jugé que la retenue à la source sur des distributions à une société mère néerlandaise, alors qu'une société mère française est presque intégralement dispensée d'imposition sur de tels revenus, est contraire à la liberté d'établissement, malgré l'existence d'une convention fiscale qui permet d'imputer aux Pays-Bas la retenue sur l'impôt dû, dès lors que la société mère, qui se trouve être exonérée dans son pays, ne peut user de cette faculté d'imputer (CJCE, 14 décembre 2006, aff. C-170/05, Denkavit International BV et Denkavit France N° Lexbase : A8816DSC : RJF, 3/07, n° 374).

Le raisonnement ainsi retenu par la CJCE n'était cependant pas transposable aux fonds de pension néerlandais, dès lors que ceux-ci n'exercent aucun contrôle sur les sociétés françaises qui leur versent des dividendes et qu'ils n'ont aucune présence en France (cf., sur l'importance de ce dernier critère, CJCE, 14 septembre 2006, aff. C-386/04, Centro di musicologia Walter Stauffer N° Lexbase : A9708DQM : RJF, 12/06, n° 1645, § 19). Recourant au principe de l'économie de moyens, le Conseil d'Etat n'a cependant pas eu à se prononcer sur ce point puisqu'il a pu se borner à considérer que le dispositif instauré par les instructions fiscales attaquées était contraire au principe de liberté de circulation des capitaux.

2. Ce dispositif est cependant contraire au principe de liberté de circulation des capitaux sans que la restriction apportée à cette liberté soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général

2.1. Un dispositif proche de celui sanctionné par la CJCE et de ce fait contraire au principe de liberté de circulation des capitaux

Le dispositif introduit par les instructions contestées visait à instaurer une différence de traitement de principe entre les fonds de pension et caisses de retraite résidents des Pays-Bas et leurs homologues résidents en France. En effet, si les fonds de pension en cause avaient eu leur siège en France, les dividendes qu'ils auraient reçus en tant qu'organismes à but non lucratif auraient été exonérés d'impôt sur les sociétés en application de l'article 206, 5° c) du CGI (N° Lexbase : L2389IB4) ainsi que de la retenue à la source prévue par l'article 119 bis de ce même code.

La CJCE s'était d'ailleurs prononcée sur un dispositif assez proche qui avait conduit à l'imposition en Allemagne, à raison de revenus tirés de la location d'un immeuble situé dans ce pays, d'une fondation culturelle sans but lucratif, résidente d'Italie et qui aurait été exonérée d'impôt si elle avait été résidente d'Allemagne (CJCE, 14 septembre 2006, aff. C-386/04, Centro di musicologia Walter Stauffer, précité). Tout l'intérêt de l'arrêt rendu par la Cour de justice, arrêt qui est expressément visé par la décision du Conseil d'Etat du 13 février 2009, consiste à déterminer à quelles conditions une fondation étrangère peut être considérée comme comparable à une fondation résidente. Devant la cour, l'Etat allemand avait, en effet, fait valoir qu'une fondation reconnue d'intérêt général en Allemagne n'était pas forcément comparable à une fondation d'intérêt général italienne, dès lors que la première serait intégrée dans la vie sociale allemande et se chargerait de missions qui devraient autrement être assurées par la collectivité ou par les autorités nationales, ce qui grèverait le budget de l'Etat, tandis que les activités d'intérêt général de la seconde, à la fois statutaires et effectives, ne concerneraient pas l'Allemagne. L'Etat allemand soumettait en quelque sorte à la Cour de justice l'argument que l'on trouve exprimé dans les commentaires précités de l'article 24 du modèle OCDE pour justifier que les Etats parties à une convention bilatérale traitent différemment des organismes sans but lucratif résidents et de tels organismes non résidents. La réponse de la Cour de justice des Communautés européennes est toute en nuance. Loin de poser, comme on pourrait hâtivement le penser, un principe d'assimilation systématique entre fondations italiennes et allemandes, la cour énonce que "le droit communautaire n'impose pas aux Etats membres de faire en sorte que les fondations étrangères reconnues d'intérêt général dans leur Etat membre d'origine bénéficient automatiquement de la même reconnaissance sur leur territoire". En effet, les Etats membres disposent, à cet égard, d'un pouvoir d'appréciation qu'ils doivent exercer conformément au droit communautaire (voir, en ce sens, CJCE, 9 février 2006, aff. C-415/04, Kinderopvang Enschede, point 23 N° Lexbase : A7249DMG : RJF, 6/06, n° 807). Ils sont libres, dans ces conditions, de décider quels sont les intérêts de la collectivité qu'ils veulent promouvoir, en octroyant des avantages à des associations et à des fondations qui poursuivent de manière désintéressée des objectifs liés auxdits intérêts (point 39). Cependant, la Cour estime qu'"il n'en demeure pas moins que, lorsque une fondation reconnue d'intérêt général dans un Etat membre remplit également les conditions imposées à cette fin par la législation d'un autre Etat membre et a comme objectif la promotion d'intérêts de la collectivité identiques, ce qu'il appartient aux autorités nationales de ce dernier Etat, y compris les juridictions, d'apprécier, les autorités de cet Etat membre ne sauraient refuser à cette fondation le droit à l'égalité de traitement pour la seule raison qu'elle n'est pas établie sur leur territoire" (point 40). Elle en déduit, au cas d'espèce, que l'Allemagne ne pouvait réserver un traitement défavorable à une fondation étrangère dont les objectifs étaient conformes à ceux prévus par la législation allemande pour bénéficier d'une exonération d'impôt.

Au vu de l'arrêt rendu par la Cour de justice dans l'affaire "Centro di Musicologia Walter Stauffer", le principe d'identité de traitement entre organismes à but non lucratif résidents et non résidents est teinté de relativisme. L'obligation de traitement identique suppose, en effet, l'identification préalable du lien établi par le législateur fiscal national entre les activités exercées par l'organisme à but lucratif et l'exonération. C'est lorsque l'organisme étranger présente les mêmes caractéristiques que celles exigées des entités nationales exonérées (concernant tant les conditions que les fins de l'exonération) qu'il peut demander un régime fiscal aligné sur celui de ces dernières.

Or, les fonds de pension néerlandais se trouvent bien dans une situation objectivement identique à celle des organismes de retraite français. En effet, les organismes de retraite en France sont exemptés de l'impôt sur les sociétés pour les dividendes qu'ils perçoivent de sociétés établies en France, conformément au c) du 5° de l'article 206 du CGI, alors qu'ils sont assujettis à l'impôt sur les sociétés à raison des autres revenus de capitaux mobiliers dont ils disposent. Contrairement à ce que soutenait le ministre, cette exonération d'impôt sur les sociétés n'est pas justifiée par une quelconque activité d'intérêt général pour l'Etat français, mais par le fait qu'elles n'exercent pas d'activités lucratives. A cet égard, rappelons que le régime d'exonération prévu par les dispositions des articles 206 et 207 (N° Lexbase : L3753IAA) du CGI s'applique, également, aux associations, fondations et autres organismes à raison du caractère non lucratif de leur activité et non d'une charge d'intérêt général qui pèserait sur eux. Au regard de ces dispositions, seul le caractère lucratif ou non des organismes peut donc être discuté. Or, cette question de la comparabilité des organismes français et néerlandais est délicate et a, d'ailleurs, été au coeur des litiges de plein contentieux devant les juges du fond, qui ont retenu le caractère non lucratif des organismes en cause (voir CAA Paris, 6 décembre 2007, n° 06PA03370, précité).

En l'espèce, à supposer même que les fonds néerlandais ne remplissaient pas les critères des organismes à but non lucratif tels qu'entendus en droit français, c'est-à-dire dans les conditions fixées par la jurisprudence "Association Jeune France" (CE, 1er octobre 1999 n° 170289, Association Jeune France N° Lexbase : A4697AXA : RJF, 11/99, n° 1354), cette objection ne pouvait en elle-même justifier par principe une discrimination à l'égard de l'ensemble des caisses de retraite et fonds de pension de plusieurs pays étrangers, en raison de leur seule nationalité. D'ailleurs, dans l'instruction de 1996, l'administration avait expressément constaté, s'agissant des fonds de pension requérants, qu'"il s'agit des fonds de pension ("Stichting pensioenfonds") dont le siège est aux Pays-Bas, qui ne poursuivent pas un but lucratif et qui de ce fait sont exonérés d'impôt sur les sociétés aux Pays-Bas" (point n° 20), et elle n'était jamais expressément revenue sur cette qualification. Si l'administration veut exclure tel ou tel fonds du bénéfice de l'exonération, il lui appartiendra donc de le faire sur le fondement d'un examen au cas par cas, et non d'une disposition de principe prise en méconnaissance du droit communautaire et en contradiction avec ses appréciations antérieures.

2.2. Un dispositif non justifié par l'existence d'un motif impérieux d'intérêt général

L'arrêt précité "Centro di Musicologia Walter Stauffer" a rappelé qu'une différence de traitement entre organismes nationaux et étrangers pouvait être justifiée, exceptionnellement, si elle portait sur des situations qui n'étaient pas objectivement comparables ou s'il existait un motif impérieux d'intérêt général, tel que la nécessité de sauvegarder la cohérence du système fiscal (cf. déjà CJCE, 28 janvier 1992, C-204/90, Bachmann N° Lexbase : A9890AUT ; CJCE, 6 juin 2000, Verkooijen, précité, point 43 ; CJCE, 7 septembre 2004, aff. C-319/02, Petri Manninen, précité, point 29) et l'efficacité des contrôles fiscaux (CJCE, 20 février 1979, C-120/78, Rewe-Zentral, dit "cassis de Dijon", § 8 N° Lexbase : A5743AUA, Rec. p. 649). En cas de justification, la légalité de la discrimination doit alors être appréciée au regard du principe de proportionnalité.

En l'espèce, le Conseil d'Etat n'a pu qu'écarter le moyen tiré de l'existence d'un motif impérieux d'intérêt général tiré de la cohérence du système fiscal et de l'efficacité des contrôles fiscaux. Là encore, son raisonnement trouve une inspiration dans l'affaire "Centro di musicologia" : la Cour de justice y avait comparé les situations au regard de l'intérêt qu'il y aurait pour un Etat confiant des missions d'intérêt général à un organisme sans but lucratif de l'exonérer d'impôt alors qu'il n'y aurait pas le même intérêt à exonérer un organisme semblable étranger. La Cour avait toutefois écarté cette argumentation, au motif que pour "qu'un argument fondé sur une telle justification puisse prospérer, il faut que soit établie l'existence d'un lien direct entre l'avantage fiscal et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé" (cf. point 53). L'argumentation relative à l'efficacité des contrôles fiscaux avait également été écartée, la Cour admettant toutefois qu'un Etat membre était autorisé, avant d'accorder une exonération à un organisme étranger, à appliquer des mesures lui permettant de vérifier, de façon claire et précise, si l'organisme en cause remplissait les conditions pour bénéficier de l'exonération (cf. points 48 et 49).

Dans l'espèce jugée par le Conseil d'Etat, aucun lien n'était établi entre l'avantage fiscal accordé aux caisses de retraite françaises et la compensation de cet avantage par un prélèvement déterminé. Il est vrai que les dividendes perçus par les caisses françaises sont directement versés aux bénéficiaires des prestations de ces caisses et imposés entre les mains de ceux-ci, alors que ce n'est pas le cas pour les fonds néerlandais. Toutefois, si l'avantage fiscal accordé aux caisses est ainsi compensé par l'imposition des pensions de retraite des affiliés, la jurisprudence communautaire de justice exige que l'avantage fiscal et sa compensation relèvent du chef du même contribuable, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. Par ailleurs, la restriction en cause ne pouvait être regardée comme étant justifiée par l'efficacité des contrôles fiscaux puisque les critères de la non-lucrativité d'un organisme peuvent être contrôlés relativement facilement, a fortiori dans le cadre de la coopération administrative entre Etats de l'Union, étant précisé que de simples inconvénients administratifs ne sont pas suffisants pour justifier une restriction (voir, en ce sens, CJCE, 4 mars 2004, C-334/02, Commission c/ France N° Lexbase : A4317DBI, Rec. p. I-2229, point 29).

Les instructions de 2005, en tirant les conséquences de la suppression de l'avoir fiscal et en supprimant la neutralisation de la retenue à la source, ont donc bien méconnu les dispositions de l'article 56 du Traité instituant les Communautés européennes.

En conséquence, le Conseil d'Etat a annulé le refus d'abroger les circulaires des 28 février et 28 avril 2005 en tant qu'elles ne prévoient pas de neutraliser l'application de la retenue à la source au paiement de dividendes de sociétés françaises à des organismes tels que les fonds de pension néerlandais qui seraient en mesure d'apporter la preuve qu'ils pourraient bénéficier, s'ils étaient établis en France, de l'exonération d'impôt sur les sociétés prévues au c) du 5 de l'article 206 à raison de la perception de dividendes de sociétés françaises.

Soulignons que cette solution est tout à fait compatible avec le récent arrêt par lequel la Cour de justice des Communautés européennes a admis la possibilité d'assujettir à la retenue à la source les intérêts versés à un non-résident, alors qu'aucune retenue n'était exigible pour un résident (CJCE, 22 décembre 2008, aff. C-282/07, Truck center SA N° Lexbase : A9974EBZ). En effet, les dividendes de source française en cause dans l'affaire jugée par la Cour étaient exonérés d'impôt sur les sociétés aux Pays-Bas, comme en France, ce qui n'était pas le cas dans l'affaire jugée par le Conseil d'Etat le 13 février 2009.

Eu égard à l'injonction prononcée en outre par celui-ci, l'administration française devra donc mettre fin à l'application de la retenue à la source sans neutralisation au paiement de dividendes de sociétés françaises à des organismes tels que les fonds de pension néerlandais.

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