La lettre juridique n°335 du 29 janvier 2009 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Qu'est-ce qu'un syndicat professionnel ?

Réf. : Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-17.692, Syndicat des producteurs du miel de France (SPMF) c/ Union nationale de l'apiculture française (UNAF) et a., FS-P+B+R (N° Lexbase : A3401ECX)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Pour être réglementés par le Code du travail, les syndicats professionnels ne sont nullement réservés aux seuls salariés et employeurs. Cela étant, et bien que le Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6821BH4) affirme que "tout homme" peut adhérer au syndicat de son choix, une telle adhésion n'est pas ouverte à n'importe quelle personne. En effet, il résulte de l'article L. 2131-2 du Code du travail (N° Lexbase : L2110H9Z) que seul un "professionnel" peut être membre d'un syndicat. La loi ne comportant aucune précision quant au fait de savoir ce qu'il convient d'entendre par profession, il importe de se tourner vers la jurisprudence. Or, c'est peu dire que, en la matière, les arrêts de la Cour de cassation ne sont pas nombreux. Partant, la décision rendue le 13 janvier 2009 par la Chambre sociale, promise à une très large publicité, n'en prend que plus de relief. Mais cet arrêt doit surtout retenir l'attention par les précisions qu'il apporte sur la notion de profession et, à titre accessoire, par le rappel de la possibilité pour des syndicats de former des groupements.

Résumé

Selon l'article 2 de la Convention n° 87 de l'OIT, ratifiée par la France, et relative à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical, les travailleurs et les employeurs, sans distinction d'aucune sorte, ont le droit de constituer des organisations de leur choix. Selon l'article 5 du même texte, ces organisations ont le droit de former d'autres groupements.

C'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que l'article L. 411-2 (N° Lexbase : L6304ACH), devenu l'article L. 2131-2, du Code du travail, qui suppose l'existence d'activités rémunérées à l'exclusion des activités désintéressées ou philanthropiques, ne distingue pas selon que ces activités sont exercées à titre exclusif, accessoire ou occasionnel, ni selon que les revenus qui en sont tirés constituent un revenu principal ou accessoire, de sorte que peuvent constituer un syndicat les producteurs de miel et que doit être considéré comme tel tout apiculteur qui commercialise ses produits.

Commentaire

I - La notion de profession

  • Le nécessaire exercice d'une activité

Selon l'alinéa 1er de l'article L. 2131-2 du Code du travail, "les syndicats ou associations professionnels de personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des métiers connexes concourant à l'établissement de produits déterminés ou la même profession libérale peuvent se constituer librement".

Il résulte de ce texte que seules les personnes exerçant une profession peuvent fonder un syndicat ou y adhérer. Cette exigence constitue la différence essentielle entre les syndicats et les associations. Il importe de relever, bien que cela ne faisait pas de difficultés en l'espèce, qu'il est possible d'exercer une profession sans être, par ailleurs, salarié ou employeur. Cela démontre bien que la constitution d'un syndicat ou l'adhésion à un tel groupement ne leur est nullement réservée.

Cela étant précisé, toute la difficulté réside dans la détermination de ce qu'il faut entendre par profession. Ainsi qu'a pu l'affirmer un auteur, "on retiendra que la profession se caractérise par une activité habituelle, procurant des moyens de subsistance et mettant son auteur en relation avec un environnement socio-économique. Il résulte de cette approche qu'une activité qui serait, d'une part, non habituelle et, d'autre part, totalement désintéressée, ne serait pas une activité professionnelle. Un passe-temps [la chasse] ne peut être assimilé à une profession [T. civ. Langres, 9 décembre 1887 ; DP, 1888, 3, p. 136] ; il en est de même de toute activité d'entraide qui serait purement gratuite, inspirée par l'amitié ou la solidarité" (J. Frossard, Syndicats professionnels Liberté syndicale ; J.-Cl. Travail Traité, Fasc. 12-10, 1997, n° 13).

Il ressort, au premier chef, de cette affirmation, qu'il ne peut y avoir profession sans exercice d'une activité. En conséquence, le fait d'être propriétaire ou locataire permet, certes, de faire partie d'une association, mais n'autorise pas la formation d'un syndicat. De même, les étudiants ne sauraient défendre leurs intérêts en constituant un syndicat. La loi prévoit, cependant, une exception : les particuliers occupant des employés de maison peuvent se grouper en syndicat pour la défense des intérêts qu'ils ont en commun en tant qu'employeur de ces salariés (C. trav., art. L. 2131-2, al. 2). En outre, on sait qu'un retraité ou un chômeur peut rester membre de son syndicat ou adhérer à un syndicat (C. trav., art. L. 2141-2 N° Lexbase : L2147H9E). Sans doute cette possibilité doit-elle être, d'ailleurs, étendue à tout ancien professionnel et non seulement aux seuls anciens salariés, nonobstant la lettre du texte.

Si l'exercice d'une activité est nécessaire pour que l'on puisse considérer qu'il y a profession, elle n'est pas suffisante. Il faut, encore, que cette activité soit rémunérée. C'est ce que confirme la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté.

  • L'existence d'une activité rémunérée

En l'espèce, le Syndicat des producteurs du miel de France (SPMF) avait saisi le juge afin qu'il soit fait interdiction à l'Union nationale de l'apiculture française (UNAF) et au Syndicat national de l'apiculture (SNA) de se présenter sous la dénomination de syndicat ou d'union de syndicats, faute de réunir exclusivement des personnes exerçant habituellement l'activité professionnelle d'apiculteur au sens du droit fiscal. Débouté de ses demandes en appel, le SPMF a formé un pourvoi en cassation. A l'appui de celui-ci, il était avancé que la condition de concourir à l'établissement d'un produit déterminé, serait-ce en vendant ce produit et en en retirant des revenus occasionnels, n'est pas suffisants pour satisfaire aux exigences de ce texte, de sorte qu'en statuant par les motifs qui reviennent à faire abstraction de la condition, par ailleurs, énoncée par l'article L. 411-2 (L. 2131-2, nouv.) du Code du travail, relative à la qualité de professionnel des membres d'un syndicat, la cour d'appel a méconnu les dispositions de ce texte.

Cette argumentation est écartée par la Cour de cassation qui affirme que "c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que l'article L. 411-2, devenu l'article L. 2131-2 du Code du travail, qui suppose l'existence d'activités rémunérées à l'exclusion des activités désintéressées ou philanthropiques, ne distingue pas selon que ces activités sont exercées à titre exclusif, accessoire ou occasionnel, ni selon que les revenus qui en sont tirés constituent un revenu principal ou accessoire de sorte que peuvent constituer un syndicat tous les producteurs de miel et que doit être considéré comme tel tout apiculteur qui commercialise ses produits".

Ce motif de principe est riche d'enseignements. La Cour de cassation confirme qu'il ne saurait y avoir de profession, au sens de l'article L. 2131-2 du Code du travail, sans l'exercice d'une activité rémunérée. Par suite, des personnes exerçant une activité désintéressée ou philanthropique ne sauraient constituer un syndicat, pas plus qu'elles ne peuvent y adhérer. De même, on s'accordera, avec la Cour de cassation, pour considérer qu'il n'y a pas lieu de tenir compte du fait que l'activité rémunérée est exercée à titre exclusif ou accessoire, ni que les revenus qui en sont tirés constituent un revenu principal ou accessoire. Il importe seulement que l'activité soit rémunérée.

En revanche, on pourra s'étonner de l'affirmation selon laquelle il importe, également, peu que l'activité soit exercée à titre occasionnel. On pouvait, en effet, penser, avec le Professeur Frossard (v. supra) que la "profession" devait s'entendre d'une activité habituelle et non point simplement occasionnelle. La Cour de cassation n'est pas de cet avis, ce qui conduit à une certaine extension de la notion de profession. Les faits de l'espèce démontrent, cependant, que cette position n'est pas dénuée de pertinence. En effet, ainsi que le souligne la Chambre sociale, doit être considéré comme producteur de miel, tout apiculteur qui commercialise ses produits. Or, cette production, et par voie de conséquence la commercialisation des produits qui en résulte, peut effectivement n'être qu'occasionnelle sans que, pour autant, ce fait interdise la reconnaissance d'une profession et, donc, la constitution d'un syndicat destiné à défendre les intérêts de cette profession.

II - Le regroupement des syndicats

Les syndicats constitués localement peuvent se regrouper et constituer, selon la terminologie du législateur des "unions" (C. trav., art. L. 2133-1 N° Lexbase : L2129H9Q à L. 2133-3, qui constituent un chapitre III intitulé "Unions de syndicats"). Cette liberté de regroupement des syndicats est, également, affirmée par l'article 5 de la Convention n° 87 de l'OIT, relative à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical, qui précise que les organisations syndicales ont le droit de former d'autres groupements (1). Le regroupement des syndicats conduit à la constitution d'unions, de fédérations et de confédérations.

Il va de soi qu'une union de syndicats ne peut être constituée que de syndicats professionnels au sens de la loi, c'est-à-dire remplissant les exigences de l'article L. 2131-2 du Code du travail. En l'espèce, il était reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté le SPMF de sa demande tendant à voir interdire au SNA et à l'UNAF de se présenter sous la dénomination de syndicat après avoir constaté qu'il résultait de leurs statuts que ceux-ci ne pouvaient avoir pour membres que des groupements constitués en syndicats, d'où il se déduisait que ces entités pouvaient avoir, tout au plus, la qualité d'unions de syndicats et non de syndicats. Une telle argumentation n'est pas recevable. En effet, il ne peut y avoir d'union de syndicats au sens de la loi que si celle-ci résulte du regroupement de syndicats professionnels. Par voie de conséquence, l'absence de syndicats professionnels interdit toute qualification d'union de syndicats.

Il convient, en outre, de relever que, en vertu de l'article L. 2133-3 du Code du travail (N° Lexbase : L2133H9U), "les unions de syndicats jouissent de tous les droits conférés aux syndicats professionnels par le présent titre". Cela démontre qu'il ne saurait y avoir de différences de nature entre les syndicats et les unions qu'ils constituent. Par voie de conséquence, on est tenté de dire qu'il importe peu que le groupement visé soit qualifié de syndicat ou d'union de syndicats.


(1) Cet article dispose précisément que "les organisations de travailleurs et d'employeurs ont le droit de constituer des fédérations et des confédérations, ainsi que celui de s'y affilier, et toute organisation, fédération ou confédération a le droit de s'affilier à des organisations internationales de travailleurs et d'employeurs".

Décision

Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-17.692, Syndicat des producteurs du miel de France (SPMF) c/ Union nationale de l'apiculture française (UNAF) et a., FS-P+B+R (N° Lexbase : A3401ECX)

Rejet, CA Paris, 1ère ch., sect. A, 29 mai 2007, n° 06/03788, Syndicat des producteurs du miel de France (SPMF) (N° Lexbase : A0049DX4)

Textes concernés : Convention n° 87 de l'OIT relative à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical, art. 2 et 5 ; C. trav., art. L. 2131-2 (N° Lexbase : L2110H9Z)

Mots-clefs : syndicats ; constitution ; conditions ; profession ; notion ; regroupement ; unions.

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