La lettre juridique n°335 du 29 janvier 2009 : Bancaire

[Jurisprudence] Possibilité pour le juge de relever d'office la méconnaissance par les établissements de crédit, prêteurs de deniers, des règles protectrices des emprunteurs issues du droit de la consommation

Réf. : Cass. civ. 1, 22 janvier 2009, n° 05-20.176, Crédit mutuel de Saint-Marcellin c/ Mme X, FS+P+B+I (N° Lexbase : A5557ECS)

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition privée générale

le 07 Octobre 2010

L'article L. 311-8 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6733ABY) impose à tout établissement de crédit qui consent un crédit à la consommation de remettre à l'emprunteur une offre préalable, l'article L. 311-9 du même code (N° Lexbase : L9650G8W) précisant que, lorsqu'il s'agit d'une ouverture de crédit qui, assortie ou non de l'usage d'une carte de crédit, offre à son bénéficiaire la possibilité de disposer de façon fractionnée, aux dates de son choix, du montant du crédit consenti, l'offre préalable est obligatoire pour le contrat initial et pour toute augmentation du crédit consenti. Si un établissement de crédit accorde un crédit sans saisir l'emprunteur d'une offre préalable satisfaisant aux conditions fixées par les articles L. 311-8 à L. 311-13, il est déchu du droit aux intérêts et l'emprunteur n'est tenu qu'au seul remboursement du capital suivant l'échéancier prévu. (C. consom., art. L. 311-33 N° Lexbase : L6726ABQ). Et, le moyen tiré de la défaillance de la banque peut-il être relevé d'office par le juge ? C'est à cette question, posée déjà à de nombreuses reprises à la Cour de cassation, que la première chambre civile, dans un arrêt du 22 janvier 2009, apporte une réponse inédite, opérant par là même un revirement jurisprudentiel remarquable. Une banque a consenti, le 20 avril 1999, un prêt d'un montant de 23 000 euros remboursable en 57 échéances. Par un jugement en date du 4 décembre 2001, le tribunal d'instance a condamné l'emprunteur au paiement du prêt impayé ainsi que du solde débiteur de son compte bancaire, mais a rejeté la demande tendant au paiement des intérêts contractuels sur ce solde. Par un arrêt du 26 octobre 2004, la première chambre civile de la Cour de cassation (1) a cassé partiellement le jugement en ce qu'il prononçait la déchéance du droit aux intérêts, retenant, au visa des articles L. 311-2 (N° Lexbase : L6712AB9), L. 311-8 et L. 311-10 (N° Lexbase : L6735AB3) du Code de la consommation, que la méconnaissance des exigences des textes susvisés, même d'ordre public, ne peut être opposée qu'à la demande de la personne que ces dispositions ont pour objet de protéger. Le tribunal d'instance de Grenoble, juridiction de renvoi, ne s'est pas rangé derrière la solution de la Cour régulatrice et a débouté, une nouvelle fois, la banque de sa demande tendant au paiement des intérêts contractuels. Cette dernière s'est pourvue en cassation. Reprenant la solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 26 octobre 2004, elle soutenait, une nouvelle fois devant la Cour régulatrice, que la méconnaissance des exigences des articles L. 311-8 et suivants du Code de la consommation en matière de présentation d'une offre de crédit, même d'ordre public, ne peut être opposée qu'à la demande de la personne que ces dispositions ont pour objet de protéger et ne peut être soulevée d'office par le juge devant lequel le bénéficiaire n'a pas comparu. Ainsi, selon elle, en relevant d'office la défense au fond tirée du maintien d'un découvert pendant plus de trois mois sans présentation d'une offre de crédit, le tribunal a violé les textes susvisés et les articles 4 (N° Lexbase : L2631ADS) et 472 (N° Lexbase : L2712ADS) du Code de procédure civile.

La solution semblait entendue ; à la faveur d'une jurisprudence constante, d'ailleurs énoncée dans l'arrêt du 26 octobre 2004, l'établissement de crédit était quasiment assuré d'obtenir gain de cause devant la Haute juridiction. Pourtant tel ne fût pas le cas.

En effet, dans son arrêt du 22 janvier 2009, la première chambre civile rejette le pourvoi énonçant, dans un attendu de principe, que "la méconnaissance des dispositions d'ordre public du Code de la consommation peut être relevée d'office par le juge". Dès lors, le tribunal pouvait retenir que le compte de l'emprunteur ayant fonctionné en position débitrice plus de trois mois sans qu'une offre de crédit conforme aux dispositions des articles L. 311-1 (N° Lexbase : L6711AB8) et suivants du Code de la consommation lui ait été proposée, de sorte que les dispositions de l'article L. 311-2 du même code n'ont pas été respectées, et donc prononcer la déchéance du droit aux intérêts de la banque.

Jusqu'alors, la position la Cour de cassation était diamétralement opposée, puisque cette dernière considérait que les juges du fond ne pouvaient relever d'office les dispositions protectrices des emprunteurs issues du Code de la consommation (2). Pour la Haute juridiction, en effet, la méconnaissance des exigences en matière de crédit à la consommation ne pouvait être opposée qu'à la demande de la personne que ces dispositions ont pour objet de protéger. Ce faisant, la Cour appliquait une jurisprudence constante, qui veut que le juge ne peut relever d'office un moyen que s'il se rapporte à l'ordre public de direction et non à l'ordre public de protection.

Mais, cette position, notamment, fondée sur le principe selon lequel "le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé" (C. proc. civ., art. 5 N° Lexbase : L2632ADT) souffrait certaines critiques qui portaient tant sur l'opportunité d'une telle position, que sur son fondement juridique.

Ainsi, l'impossibilité pour le juge de relever d'office la méconnaissance par le banquier des obligations découlant des articles L. 311-1 et suivants du Code de la consommation se heurtait, notamment, à l'objectif du droit de la consommation qui est de compenser le déséquilibre contractuel en prescrivant des dispositions protectrices en faveur des consommateurs. Ainsi, dans son rapport (3) sur la loi "Chatel" (loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008, pour le développement de la concurrence au service des consommateurs N° Lexbase : L7006H3U), Gérard Cornu relevait que, la plupart du temps, les litiges en droit de la consommation relèvent de la compétence du tribunal d'instance, devant lequel le ministère d'avocat n'est pas obligatoire et, ignorant souvent les dispositions protectrices du droit de la consommation, le consommateur n'apparaît pas nécessairement en mesure d'invoquer un argument juridique décisif lui permettant de faire valoir son droit. Or, le juge ne pouvant aller au secours du consommateur en soulevant d'office, dans le cadre du débat contentieux, un moyen de droit relatif à l'application du droit de la consommation, le droit de la consommation perd de son effectivité.

Mais, surtout, à côté de cet argument, la doctrine développait, habituellement, une critique plus juridique : en retenant que le juge ne peut relever d'office la méconnaissance des dispositions des articles L. 311-1 et suivants du Code de la consommation, la Cour régulatrice se refuserait à appliquer les dispositions du Code de procédure civil fixant les pouvoirs du juge dans le cadre d'un procès civil, et, notamment, celles issues de l'article 12 (N° Lexbase : L2043ADZ) qui énonce que "le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables". Le juge disposerait bien, dans le cadre d'un litige, du pouvoir de relever d'office un moyen de droit, quelle que soit sa nature, qu'il ait pour objet de protéger un intérêt privé ou l'intérêt général. Comme l'a justement souligné Yannick Dagorne-Labbe (4) "il n'y a donc pas lieu de faire application de l'adage ubi lex non distinguit nec nos distinguire debemus".

A ces critiques, s'ajoutait une opposition de poids, celle de la Cour de justice des Communautés européennes : la solution qu'avait fait sienne la Cour de cassation ne faisait donc pas l'unanimité, loin s'en faut !

Ainsi, tout d'abord, dans son arrêt "Oceano" du 27 juin 2000, la CJCE posait le principe selon lequel la protection que la Directive 93/13 du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (N° Lexbase : L7468AU7), assure à ceux-ci implique que le juge national puisse apprécier d'office le caractère abusif d'une clause du contrat qui lui est soumis lorsqu'il examine la recevabilité d'une demande introduite devant les juridictions nationales (5). Elle a, par la suite, confirmé cette solution dans l'arrêt "Cofidis" du 21 novembre 2002, dans lequel elle affirme qu'une loi interne ne peut limiter dans le temps la faculté qu'il convient de reconnaître au juge de relever d'office le caractère abusif d'une clause. Elle considère, ainsi, que "la fixation d'une limite temporelle au pouvoir du juge d'écarter d'office ou à la suite d'une exception soulevée par le consommateur de telles clauses [abusives] est de nature à porter atteinte à l'effectivité voulue" par la Directive.

Enfin, dernièrement, dans l'arrêt "Franfinance" du 4 octobre 2007, les juges communautaires (7) devaient, logiquement, élargir la règle qu'ils ont dégagée en matière de clause abusive aux crédits à la consommation, énonçant que la Directive 87/102 (Directive du 22 décembre 1986, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de crédit à la consommation N° Lexbase : L9737AU8), telle que modifiée par la Directive 98/7 (Directive du 16 février 1998 N° Lexbase : L9949AUZ), doit être interprétée en ce sens qu'elle permet au juge national d'appliquer d'office les dispositions transposant en droit interne son article 11 § 2. En d'autres termes, la CJCE considère que le juge français doit pouvoir relever d'office un moyen tiré de la méconnaissance par le professionnel des conditions de régularité de l'offre de crédit à la consommation.

Dans ce contexte, le revirement, opéré par la première chambre civile de la Cour de cassation dans l'arrêt du 22 janvier 2009, doit donc être salué. Toutefois, le changement de cap de jurisprudence est-il uniquement motivé par les critiques doctrinales et les solutions énoncées par la juridiction communautaire, alors, que durant plusieurs années, la Haute juridiction semble y avoir fait la sourde oreille, maintenant sa position antérieure ? En témoigne, d'ailleurs, l'arrêt du 26 octobre 2004, où, ayant à connaître pour la première fois des faits ayant donné lieu à l'arrêt du 22 janvier 2009, elle avait confirmé l'impossibilité pour le juge de relever d'office la méconnaissance aux dispositions du Code de la consommation.

Nous nous permettons d'en douter. En effet, il convient de rappeler qu'entre temps, le droit a changé. La loi "Chatel", publiée au Journal officiel du 5 janvier 2008, a introduit une réforme fondamentale : la saisine d'office du juge. Désormais, l'article L. 141-4 du Code de la consommation (N° Lexbase : L5771H9M) dispose que "le juge peut soulever d'office toutes les dispositions du présent code, dans les litiges nés de son application". Si l'introduction de cette disposition dans le Code de la consommation, à l'initiative de Gérard Cornu, alerté par le Médiateur de la République, ne fait pas l'unanimité, elle a le mérite de clarifier les règles et de mettre fin aux débats houleux opposant la Cour de cassation à la majorité de la doctrine et la CJCE.

Alors que les nouvelles dispositions issues de la loi pour le développement de la concurrence n'étaient pas applicables au litige, la Cour de cassation a donc cru bon d'opérer un revirement jurisprudentiel qui s'imposait à elle. En effet, si en principe, les lois de procédure ont un effet immédiat et régissent donc sans attendre les instances en cours (8), lorsqu'une loi nouvelle intervient alors que le pourvoi est pendant devant la Cour de cassation, elle ne peut recevoir application devant cette juridiction (9). Or, en l'espèce, le jugement contre lequel le pourvoi est formé ayant été rendu par le tribunal d'instance de Grenoble le 6 avril 2005, on doit en déduire, en application des principes relatifs à l'application des lois de procédure dégagés ci-dessus, que la règle énoncée par le nouvel article L. 141-4 du Code de la consommation, issue de la loi du 3 janvier 2008, ne devait pas recevoir application devant la Cour de cassation. Cela explique, notamment, que l'arrêt du 22 janvier 2009 n'ait pas été rendu au visa de l'article L. 141-4 du Code de la consommation. Toutefois, la Haute juridiction ne pouvait conserver une position qui s'avèrerait être contra legem au regard des nouvelles règles ; on ne peut que se féliciter du revirement opéré dans l'arrêt du 22 janvier 2009, que celui-ci ait été motivé par une application anticipée des dispositions de l'article L. 141-4 du Code de la consommation ou par une prise en compte des critiques faites à l'égard de son ancienne position.

Cet arrêt mais, finalement surtout, la consécration légale de la possibilité offerte au juge de soulever d'office les dispositions du Code de la consommation, dans les litiges nés de son application, devraient ainsi conduire à une application plus générale et systématique du droit de la consommation, qui a enfin reçu "ses lettres de noblesse et on ne peut que s'en féliciter" (10).


(1) Cass. civ. 1, 26 octobre 2004, n° 02-12.658, Caisse de Crédit mutuel de Saint-Marcellin, F-D (N° Lexbase : A6648DDL).
(2) Cf., notamment, Cass. civ. 1, 15 février 2000, n° 98-12.713, Société Cofica c/ M. Grine (N° Lexbase : A3612AUC), Contrats conc. conso., 2000, comm. 16 ; Cass. civ. 1, 10 juillet 2002, n° 00-22.199, Société Cofinoga c/ Mme Patricia Villelga, F-P (N° Lexbase : A1058AZ9) ; Cass. civ. 1, 16 mars 2004, deux arrêts, n° 99-17.955, Société Cofica c/ M. Jean-Michel Lavaud, F-P+B (N° Lexbase : A5657DB7) et n° 99-17.957, Société Cofidis c/ M. Jean-Pierre Dutrey, FP-D (N° Lexbase : A5658DB8).
(3) Rapport n° 111 (2007-2008) de M. Gérard Cornu, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 5 décembre 2007.
(4) Y. Dagorne-Labbe, La violation de l'article L. 311-9 du Code de la consommation ne peut être relevée d'office par le juge, JCP éd. G, 2004, II, 10129, note sous Cass. civ. 1, 16 mars 2004, deux arrêts, préc..
(5) CJCE, 27 juin 2000, aff. C-240/98, Océano Grupo Editorial SA (N° Lexbase : A5920AYW), JCP éd. G, 2001, II, 10513, note M. Carballo Fidalgo et G. Paisant.
(6) CJCE, 21 novembre 2002, aff. C-473/00, Cofidis SA c/ Jean-Louis Fredout (N° Lexbase : A0407A79), JCP éd. E, 2003, 279, note C. Baude-Texidor et I. Fadlallah.
(7) CJCE, 4 octobre 2007, aff. C-429/05, Max Rampion c/ Franfinance SA (N° Lexbase : A2716DZM).
(8) Roubier, Le droit transitoire, 2ème éd., 1960, n° 101 à 106 ; L. Bach , Contribution à l'étude de la notion de "rétroactivité de la loi", Baden-Baden, Nomos, 1981 ; J. Héron, Etude structurale de l'application de la loi dans le temps, RTDCiv., 1985, 77.
(9) Normand, obs. Rev. trim., 1976, 390, n° 1. La Cour de cassation juge les jugements et non pas les litiges et ne peut apprécier la décision des juges du fond qu'au vu de la loi applicable ; en revanche cette même loi s'appliquera devant la cour de renvoi.
(10) G. Raymond, Les modifications au droit de la consommation apportées par la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008, JCP éd. E, 2008, 1383.

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