Réf. : Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-44.398, Société Ericsson France, FS-P+B (N° Lexbase : A3525ECK)
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par Sébastien Tournaux, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Dès lors que l'employeur lui a notifié un licenciement pour motif économique, la salariée est recevable à invoquer une violation de l'ordre des licenciements, peu important qu'elle ait accepté de bénéficier du revenu de substitution mis en place par l'employeur, jusqu'à la liquidation des droits à la retraite. |
Commentaire
I - Licenciement prononcé malgré un départ en préretraite : l'ordre des licenciements doit être appliqué
Les dispositions du Code du travail relatives à l'ordre des licenciements pour motif économique ont pour objet de diriger, au moins pour partie, le choix de l'employeur s'agissant des salariés qui seront concernés par le licenciement envisagé.
L'ancien article L. 321-1-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8922G7L), devenu les articles L. 1233-5 et suivants du nouveau Code (N° Lexbase : L1106H9T), impose, en effet, à l'employeur de prendre en considération, notamment, "les charges de famille et, en particulier, celles de parents isolés, l'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise, la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment, des personnes handicapées et des salariés âgés, les qualités professionnelles appréciées par catégorie", pour déterminer lesquels des salariés devront être licenciés.
Le législateur comme le juge sont, par conséquent, très vigilants quant au respect de cette obligation. En effet, le non-respect des critères imposés constitue une contravention punie de 750 euros d'amende (1). En outre, la Cour de cassation estime que le non-respect des règles relatives à l'ordre des licenciements cause nécessairement au salarié un préjudice qui doit être réparé par l'allocation de dommages-intérêts (2), bien qu'elle n'aille pas jusqu'à considérer que ce manquement puisse priver le licenciement de sa cause réelle et sérieuse (3).
Ces critères, dont l'alinéa 3 de l'article L. 321-1-1 impose la prise en considération, mettent souvent les seniors en situation favorable puisque, par hypothèse, ils ont fréquemment une plus grande ancienneté de service dans l'établissement et (ou) sont susceptibles de présenter des difficultés de réinsertion professionnelle (4). Il peut, dès lors, être tentant, pour l'employeur, d'écarter les règles liées à l'ordre du licenciement pour ces salariés dont la baisse de productivité est, souvent, injustement mise en cause.
L'employeur a, en effet, les moyens de favoriser le départ des salariés les plus âgés, notamment, grâce aux nombreux mécanismes de préretraite qu'il peut leur proposer (5). Cependant, et c'est là l'apport de la décision commentée, cette faculté ne le dispense pas de respecter les règles relatives à l'ordre des licenciements.
Dans le cadre d'un licenciement économique collectif, la société met en place un plan de sauvegarde de l'emploi, lequel prévoit, notamment, la possibilité pour les salariés de conclure une "convention de préretraite d'entreprise". Une salariée, présente dans l'entreprise depuis trente-trois ans, adhère à cette convention le 26 septembre 2002, avant d'être licenciée quatre jours plus tard. A la suite de ce licenciement, la salariée saisit la juridiction prud'homale d'une demande de dommages-intérêts pour non-respect des critères de l'ordre des licenciements, demande à laquelle les juges du fond font droit.
L'employeur, formant pourvoi en cassation, fait valoir que, dès lors que la salariée avait opté pour la convention de préretraite d'entreprise, elle était irrecevable à remettre en cause le respect des critères de l'ordre des licenciements. S'opposant à cette argumentation, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi par cet arrêt rendu le 13 janvier 2009. Pour ce faire, elle estime que, "dès lors que l'employeur lui a notifié un licenciement pour motif économique, la salariée est recevable à invoquer une violation de l'ordre des licenciements, peu important qu'elle ait accepté de bénéficier du revenu de substitution mis en place par l'employeur, jusqu'à la liquidation des droits à la retraite".
En d'autres termes, l'acceptation par la salariée de partir en préretraite n'a pas pour effet de dispenser l'employeur de respecter les règles relatives à l'ordre des licenciements, dès lors qu'il lui a notifié le licenciement. Au premier regard, cette solution pourrait paraître constituer un revirement de jurisprudence puisque la Cour juge habituellement que les règles de l'ordre des licenciements peuvent être écartées lorsque la rupture du contrat de travail intervient en raison d'un départ en préretraite, ce départ fût-il négocié. A l'observation, il n'en est rien et la Cour de cassation ne fait, finalement, que rappeler que l'existence d'un licenciement implique nécessairement que les règles relatives à l'ordre des licenciements soient bien respectées.
II - Licenciement prononcé malgré un départ en préretraite : un problème de cohérence ?
Il semble qu'il soit tout à fait essentiel que la rupture du contrat de travail intervienne par le biais d'un licenciement pour que les critères de l'ordre des licenciements aient à être respectés.
En effet, la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de juger, par exemple, que le fait qu'une proposition de modification du contrat de travail soit acceptée par un salarié et refusée par un autre justifiait que ne soient pas mises en oeuvres les règles relatives à l'ordre des licenciements (6). De la même manière, des accords de rupture négociée, conclus dans le cadre de départs volontaires prévus par le plan de sauvegarde de l'emploi, n'impliquent pas que les salariés concernés par une telle mesure bénéficient des règles relatives à l'ordre des licenciements (7). Enfin, des mesures de reclassement mises en oeuvre à l'égard de certains salariés sans qu'aucun licenciement ne soit prononcé dispensent l'employeur de mettre en oeuvre les critères d'ordre des licenciements (8). Cependant, dans l'ensemble de ces espèces, aucun licenciement n'avait été formellement prononcé à l'encontre des salariés.
Pour en revenir aux mécanismes de préretraite, il ne fait aucun doute que ceux-ci puissent être inclus dans un plan de sauvegarde de l'emploi (9). Dans cette hypothèse, la Cour de cassation estimait habituellement que l'employeur, qui s'était borné à prévoir la mise en préretraite ou le reclassement des salariés occupés dans le service qu'il entendait supprimer sans qu'aucun licenciement n'ait été décidé, n'avait pas à mettre en oeuvre les dispositions relatives à l'ordre des licenciements (10).
Mais il ne faut pas s'y tromper, la Chambre sociale reste bien fidèle à sa jurisprudence antérieure puisque, dans cette affaire, la salariée, à qui était proposée une préretraite, avait bien fait l'objet d'un véritable licenciement. Autrement dit, la rupture du contrat de travail ne découlait pas de la convention de préretraite, laquelle aurait, pourtant, parfaitement pu intégrer une rupture négociée.
Si, sur le plan formel, il n'y a donc là qu'application mécanique de la distinction posée par la Cour de cassation entre existence et absence de licenciement, il faut bien reconnaître que l'harmonie de ces solutions n'est guère assurée sur le fond.
En effet, qu'intervienne, ou non, un licenciement, quelle est la différence fondamentale entre, d'une part, un salarié qui accepte d'être placé en préretraite et qui, de ce fait, voit son contrat rompu et, d'autre part, un salarié qui accepte un même mécanisme de préretraite, mais dont la rupture du contrat de travail ne découle pas de la "convention de préretraite", mais d'un licenciement prononcé quelques jours plus tard, en bonne et due forme ? Cette question se fait d'autant plus lancinante en l'espèce puisque le salarié et l'employeur avaient conclu une "convention de préretraite d'entreprise". La salariée avait donc manifestement accepté le principe de son départ en préretraite, si bien qu'il s'agissait probablement plus d'un départ négocié que d'une résiliation unilatérale de l'employeur, nonobstant les formes respectées par l'employeur. Certes, les apparences sont sauves, puisque la Cour de cassation voit dans l'acceptation de cette convention de préretraite la seule acceptation de "bénéficier du revenu de substitution mis en place par l'employeur".
Une autre question mérite d'être posée, celle du maintien de la jurisprudence antérieure, selon laquelle le départ négocié en préretraite sans licenciement dispense l'employeur de mettre en oeuvre les critères de l'ordre des licenciements. Dans le sillage de l'article L. 1233-3, alinéa 2, du Code du travail, l'ensemble de la procédure de licenciement économique, y compris celle de l'ordre des licenciements, doit trouver à s'appliquer "à toute rupture du contrat de travail, à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants", lorsque la rupture résulte d'une cause économique.
Si cette règle peut, à juste titre, être atténuée lors d'un départ volontaire du salarié à la retraite (11), il paraît très discutable de l'évincer pour une rupture conventionnelle. Or, en réaffirmant, au détour de sa motivation, que les règles de l'ordre des licenciements s'appliquent "dès lors que l'employeur lui avait notifié un licenciement pour motif économique", la Chambre sociale laisse entendre qu'en l'absence d'un tel licenciement formellement notifié, les critères de l'ordre des licenciements n'auraient pas eu à être respectés.
(1) C. trav., art. R. 1238-1 (N° Lexbase : L2267IA9).
(2) Cass. soc., 5 décembre 2006, n° 04-48.800, M. Joël Niguet, F-D (N° Lexbase : A8293DSX).
(3) V. Cass. soc., 18 novembre 2003, n° 01-43.028, M. François Harmand c/ Société Spie Enertrans, F-D (N° Lexbase : A1977DAH) ; Cass. soc., 7 février 1990, n° 87-42.383, M. Buisson, ès qualités de syndic à la liquidation des biens de la c/ Mme Augeard et autres (N° Lexbase : A9086AAR).
(4) On rappellera, d'ailleurs, que l'emploi des seniors constitue l'une des grandes préoccupations contemporaines, v., sur ce thème : M.-C. Amauger-Lattes, I. Desbarats, La démocratie sociale est-elle possible en France ? L'exemple de l'emploi des seniors, JCP éd. G, 2008, I, 151 ; M.-C. Amauger-Lattes, I. Desbarats, Ch. Vicens, L'emploi des seniors : la politique des petits pas, SSL du 11 février 2008, p. 6.
(5) Bien que nombre d'entre eux aient été abrogés, il subsiste, encore, aujourd'hui de nombreux mécanismes de préretraite, ce qui ne va d'ailleurs pas sans une certaine contradiction avec l'objectif avancé par les pouvoirs publics de promouvoir l'emploi des seniors. Au risque d'un inventaire "à la Prévert", on trouve :
- la préretraite totale du FNE, qui assure aux salariés âgés licenciés pour un motif économique, et qui ne peuvent bénéficier de mesures de reclassement, un revenu de remplacement jusqu'à liquidation de leur retraite à taux plein (C. trav., art. L. 5123-2 N° Lexbase : L2054H9X) ;
- la préretraite progressive du FNE, cependant, abrogée par la loi n° 2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L9595CAM) ;
- la préretraite amiante, instituée par la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998, de financement de la Sécurité sociale pour 1999, art. 41 (N° Lexbase : L9058ASB) ;
- la préretraite totale UNEDIC, mise en place par l'ANI du 6 septembre 1995, relatif au développement de l'emploi en contrepartie de la cessation d'activité de salariés totalisant 160 trimestres, et plus, de cotisations aux régimes de base d'assurance vieillesse. Il a été mis fin au dispositif puisque de telles préretraites ne peuvent plus être mises en place depuis le 1er juillet 2003 ;
- la préretraite dite de pénibilité (C. trav., art. R. 5123-22 N° Lexbase : L2695IA3) ;
- la préretraite pour les agriculteurs en difficulté, instituée par le décret n° 2007-1516 du 22 octobre 2007, relatif à la mise en oeuvre d'une mesure de préretraite pour les agriculteurs en difficulté (N° Lexbase : L7526HYE), dispositif abrogé par le décret n° 2008-1111 du 30 octobre 2008, modifiant et abrogeant le décret n° 2007-1516 du 22 octobre 2007, relatif à la mise en oeuvre d'une mesure de préretraite pour les agriculteurs en difficulté (N° Lexbase : L7123IBG).
(6) Cass. soc., 18 décembre 2000, n° 98-44.577, M. Pascal Remazeilles c/ Société Moorea Underwater Scuba-Diving Tahiti (MUST) (N° Lexbase : A9844ATR).
(7) Cass. soc., 12 juillet 2004, n° 02-19.175, Comité central d'entreprise Elf exploration production c/ Société Elf Exploration Production, F-D (N° Lexbase : A1037DDR).
(8) Cass. soc., 10 mai 1999, n° 96-19.828, Fédération française des syndicats CFDT banques et sociétés c/ Société générale et autre (N° Lexbase : A4551AGN).
(9) Pour des illustrations de mécanismes de préretraite prévus par le plan social ou le plan de sauvegarde de l'emploi, v. Cass. soc., 16 mai 2007, n° 05-45.943, M. Raymond Reignoux, F-D (N° Lexbase : A2528DWK) ; Cass. soc., 29 janvier 2003, n° 00-46.322, Société Total raffinage distribution c/ M. Fernand Fresquet, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7667A4Q).
(10) V. Cass. soc., 3 décembre 1996, n° 94-22.163, Comité d'établissement de l'usine IBM de Montpellier c/ Société IBM France (N° Lexbase : A9605AAY) ; Cass. soc., 19 mai 1999, n° 96-45.653, M. Alphonse Scheck c/ Société Secométal, société anonyme (N° Lexbase : A8448AX8).
(11) Sur la question plus générale de la mise à la retraite ou du départ à la retraite dans le cadre d'un licenciement économique, v. Cass. soc., 18 mars 2008, n° 07-40.269, Société Helvétia compagnie suisse d'assurances, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4953D7L) et les obs. de Ch. Willmann, La mise en retraite pour raisons économiques ne constitue pas un licenciement, Lexbase Hebdo n° 299 du 3 avril 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6296BEW).
Décision
Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-44.398, Société Ericsson France, FS-P+B (N° Lexbase : A3525ECK) Rejet, CA Paris, 21ème ch., sect. C, 5 juillet 2007 Textes cités : C. trav., art. L. 321-1-1 (N° Lexbase : L8922G7L), devenu les articles L. 1233-5 et suivants (N° Lexbase : L1106H9T) ; C. trav., art. L. 321-4-1 (N° Lexbase : L8926G7Q), devenu les articles L. 1233-61 et suivants (N° Lexbase : L1236H9N) Mots-clés : licenciement économique ; ordre des licenciements ; plan de sauvegarde de l'emploi ; préretraite. Lien base : |
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