Lecture: 3 min
N3668BIP
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Si l'on en croit le nouveau credo -et le terme ainsi choisi n'est pas anodin-, la RSE, en ce qu'elle induit un comportement "éthique" des entreprises par le respect de normes environnementales, sociales et économiques, sur leur propre initiative, ressemble, à s'y méprendre, aux professions de foi qui marquent l'entrée dans une communauté (celle des codes de conduite, des certifications, normes ou labels) d'un nouvel adepte.
Que l'on nous pardonne, ainsi, ce parallélisme aux accents profanes ! Mais, lorsque les professeurs Cozian, Viandier et Deboissy écrivent, dans leur manuel de Droit des sociétés (Litec, 19ème édition, 2006), que "la personne morale n'est pas une personne ; ni souffrante ; ni aimante, sans chair et sans os, la personne morale est un être artificiel. Et Casanova le savait bien, qui poursuivit nonnes et nonnettes, mais ne tenta jamais de séduire une congrégation ; on n'a jamais troussé une personne morale", comment ne pas s'étonner, après, que la RSE, dont l'émergence date des années 1970, mais dont l'essor date du sommet de la Terre de Johannesbourg en 2002, tente, rien de moins, de contrarier l'anarchisme supposé des entreprises ?
Et les pontifes de la RSE n'en sont pas moins institutionnels, à l'aura certaine ; qu'on en juge : la Banque mondiale qui publie des recommandations et propose un cours pour sensibiliser les entreprises en vue de leur permettre la mise en oeuvre du concept de RSE ; l'OCDE qui édicte des recommandations et des lignes directrices que les gouvernements adressent aux entreprises multinationales ; la Commission européenne qui défend une politique volontariste dans le domaine de la RSE depuis son premier livre vert en 2001, suivi d'une communication, en 2002, renouvelée en 2006 ; et, bien évidemment, les gouvernements, eux-mêmes, qui à travers leur législation, principalement fiscale, incitent à l'adoption de comportements "éthiques" (la loi de finances pour 2009 et sa cohorte de réductions et crédits d'impôt en faveur de l'environnement en est un exemple). Une croyance dans la fonction intimement sociale de l'entreprise telle, qu'en juin 2000 fut créée, en France, un observatoire de la RSE (ORSE), afin de rendre plus compréhensible l'ensemble de ses outils qui impactent le fonctionnement des entreprises et de leurs interlocuteurs (investisseurs, salariés...) et d'identifier ses différents enjeux en s'appuyant sur la classification parties prenantes.
Pour autant, que conscience et droit fassent bon ménage n'est pas une première en soi (dans une société laïque s'entend) : la finance et ses codes éthiques et, plus récemment, la finance islamique montrent la voie d'une moralisation normative de l'économie et, au premier, chef de ses actrices principales, les entreprises.
Non, ce qui peut paraître suspect, c'est la communication interne (au titre du management) et externe (au titre du marketing) qui peut être orchestrée autour de l'adoption d'un code bonne conduite, d'un programme de gestion des risques, d'une surveillance accrue des principes de sécurité, d'une veille des projets de gestion des connaissances, de programmes d'assurance qualité, etc. Et, à tout dire, la RSE est-elle un concept visant à accroître la notoriété et à rendre positive l'image de certaines multinationales ou est-elle un véritable pilier de la construction normative ? Par ailleurs, la RSE est-elle un concept qui s'applique aux grandes firmes comme aux TPE ?
"Mieux vaut une conscience tranquille qu'une destinée prospère. J'aime mieux un bon sommeil qu'un bon lit". Par cet aphorisme, Victor Hugo ne nous rappelle-t-il pas que, derrière les personnes morales, il y a des personnes physiques, elles-mêmes enclines ou non à la moralisation de leur activité et à l'éthique de leurs actions. Autrement dit, que les entreprises aient une fonction sociétale et une responsabilité qui en découle n'est pas une nouveauté, ce qu'il l'est plus éminemment, aujourd'hui, c'est qu'il convient, désormais, que les personnes physiques dirigeantes des entreprises (et manifestement des grandes entreprises qui seraient perdues dans un magma amoral) soient convaincues qu'elles ont une responsabilité sociétale elles-mêmes.
Faut-il, alors, abandonner Max Weber pour qui "toute activité orientée selon l'éthique peut être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées : l'éthique de responsabilité ou l'éthique de conviction" ? Il y a des credos qui ont force de la chose jugée bien plus que la loi ou la jurisprudence... Pour y voir plus clair, nous vous invitons à lire un compte-rendu de la conférence organisée par la Cour de cassation, sur le sujet, le 19 janvier dernier, réalisée par Anne Lebescond pour Lexbase Hebdo - édition sociale.
*William Shakespeare, Jules César
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:343668