Réf. : Cass. com., 16 décembre 2008, n° 07-13.081, Comptable des impôts de Menton, chargé du recouvrement, agissant sous l'autorité du directeur des services fiscaux des Alpes Maritimes et du directeur général des impôts, FS-P+B (N° Lexbase : A8963EBL)
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par Laura Sautonie-Laguionie, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV, Membre du CERDAC (Centre d'enseignement et de recherche en droit des affaires et des contrats)
le 07 Octobre 2010
En l'espèce, le 15 mai 1995, une SCI a acquis un programme immobilier. Se plaçant sous le régime des marchands de biens, elle s'est engagée à revendre les biens avant le 15 mai 2000. Ayant opté pour le régime de TVA, par application des dispositions des articles 242-0-A (N° Lexbase : L0925HNL) et suivants de l'annexe II au Code général des impôts, elle a obtenu un remboursement de crédit de TVA. Le 16 novembre 1999, la SCI a été placée en redressement judiciaire assorti d'un plan de continuation prorogé jusqu'au 16 octobre 2003. A la suite d'une vérification de comptabilité en mars 2002, l'administration fiscale a considéré que certains biens immobiliers, n'ayant pas été revendus dans le délai légal de cinq ans, étaient sortis du champ de la TVA immobilière et constituaient des livraisons à soi-même. A ce titre, elle a notifié un redressement de TVA. La SCI, le représentant des créanciers ainsi que le commissaire à l'exécution du plan, se sont alors opposés au paiement de cette créance, en soutenant qu'il s'agissait d'une créance antérieure qui se trouvait éteinte faute d'avoir été déclarée dans les délais à la procédure.
Cette thèse, consacrée en appel, est rejetée par la Cour de cassation au visa des articles L. 621-32 (N° Lexbase : L6884AIS) et L. 621-43 (N° Lexbase : L6895AI9) du Code de commerce (dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT), ensemble les articles 257-7° et 257-8°-1-c du Code général des impôts (N° Lexbase : L3554IAU), au motif que "la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé l'acquisition d'un immeuble est regardée comme déductible tant que cet immeuble demeure, pendant la durée du délai de cinq ans fixée à l'article 257-7° du Code général des impôts, destiné à la vente ; que l'immeuble invendu à l'expiration de ce délai, changeant d'affectation, sort du champ d'application de cet article ; qu'à défaut d'un reversement de la taxe sur la valeur ajoutée, celle-ci est due au titre d'une livraison à soi-même de l'immeuble resté en stock, en application des dispositions de l'article 258-8°-1 du même code". Elle reproche donc à la cour d'appel d'avoir retenu que le fait générateur de la créance de l'administration fiscale était antérieur à l'ouverture de la procédure collective, et d'en avoir déduit que, faute de déclaration dans le délai et de relevé de forclusion, la créance était éteinte, alors que ce fait générateur était l'expiration du délai de cinq ans. Ce délai ayant expiré après le jugement d'ouverture, la créance de l'administration n'était pas une créance antérieure et n'avait donc pas à être déclarée. En conséquence la Cour casse et annule l'arrêt d'appel pour violation des textes susvisés.
Cet arrêt de principe du 16 décembre 2008 montre que, en cas de procédure collective, le sort d'une créance est étroitement lié à la date de son fait générateur. En l'espèce, le caractère postérieur du fait générateur de la créance de TVA permet à l'administration fiscale d'échapper à l'extinction de sa créance, et de bénéficier automatiquement du traitement privilégié réservé aux créances postérieures. Du moins en allait-il ainsi avant la loi du 26 juillet 2005, qui n'était pas applicable en l'espèce. Désormais, le privilège n'est plus attribué à toutes les créances postérieures mais seulement à celles d'entre elles qui satisfont à des critères complémentaires, fondés sur la finalité de la créance. Dès lors, si l'arrêt du 16 décembre 2008 conduit à privilégier une créance de TVA au seul titre du caractère postérieur de son fait générateur (I), le traitement privilégié d'une telle créance paraît, en revanche, incertain sous l'empire de la loi du 26 juillet 2005 (II).
I - Le traitement privilégié d'une créance de TVA au titre de son fait générateur postérieur
En l'espèce, l'identification du fait générateur de la créance de TVA posait une difficulté car, pour le recouvrement des mêmes sommes, l'administration fiscale pouvait en réalité agir sur deux fondements. Un reversement de TVA immobilière était dû car les biens à raison desquels un droit à déduction avait été exercé n'en remplissaient plus les conditions. Or, en tant que telle, la créance de reversement de TVA trouvait certainement son origine antérieurement au jugement d'ouverture et constituait, comme l'a retenu la cour d'appel, une créance antérieure. Néanmoins, cet arrêt a, à juste titre, été cassé, car les textes du Code général des impôts permettent à l'administration de percevoir le reversement de la TVA, non en tant que tel, mais au titre d'une nouvelle créance, née du changement d'affectation du bien qui justifie l'application d'un autre régime d'imposition : la livraison à soi-même.
A - Un traitement privilégié exclu au titre d'un reversement de la TVA
Placée sous le régime des marchands de biens, la SCI bénéficiait, au titre du programme immobilier acquis, d'un droit à déduction de TVA, ce qui, en l'espèce, lui avait permis d'obtenir le remboursement d'un crédit de TVA. Toutefois, ce droit à déduction de la TVA n'était pas définitif puisqu'il était subordonné à la revente des biens acquis dans un délai de cinq ans. La SCI était donc titulaire d'un droit à déduction de la TVA sous condition résolutoire, à savoir le défaut de revente des biens dans le délai légal. Cette qualification permet d'identifier les droits de chacune des parties, conformément aux dispositions de l'article 1183, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1285AB9). Selon ce texte, la condition résolutoire "ne suspend point l'exécution de l'obligation", ce qui permettait à la SCI d'obtenir une exécution immédiate de son droit à déduction de TVA. Mais, toujours selon l'alinéa 2 de l'article 1183, la condition résolutoire "oblige le créancier à restituer ce qu'il a reçu, dans le cas où l'évènement prévu par la condition arrive". Ainsi, comme tout débiteur d'une créance sous condition résolutoire, l'administration fiscale était corrélativement dans la situation d'un créancier sous condition suspensive : elle avait le droit d'obtenir le reversement de la TVA si les biens concernés n'étaient pas revendus dans le délai légal.
En conséquence, l'administration fiscale était titulaire d'une créance née avant la procédure collective, même si, à cette date, l'exigibilité de cette créance était encore incertaine. Comme l'a retenu la cour d'appel, le fait générateur de cette créance résultait de la première opération ouvrant droit au versement de la TVA déductible, soit en l'espèce la date d'acquisition du programme immobilier. Dès cette date, l'administration disposait d'une créance sous condition suspensive, et il lui appartenait donc, à l'ouverture de la procédure collective, d'en faire déclaration. Pour cela, il lui suffisait d'identifier les biens non encore vendus à cette date et de déclarer sa créance de reversement de TVA à titre provisionnel, par application de l'ancien article L. 621-43 du Code de commerce (2).
En dépit de cette analyse, la cassation de l'arrêt d'appel était inévitable dans la mesure où, en l'espèce, l'administration fiscale n'agissait pas au titre d'un reversement de TVA mais au titre d'une nouvelle créance de TVA, née du changement d'affectation du bien non vendu à l'expiration du délai légal.
B - Un traitement privilégié fondé sur une nouvelle créance de TVA
Selon la Cour de cassation, lorsque le bien ayant justifié la déduction de TVA n'a pas été revendu dans le délai légal, ce bien "changeant d'affectation, sort du champ d'application de [l'article 257-7° du Code général des impôts] ; à défaut d'un reversement de la taxe sur la valeur ajoutée, celle-ci est due au titre d'une livraison à soi-même de l'immeuble resté en stock", par application de l'article 258-8°-1-c du même code. Autrement dit, à défaut de revente du bien dans le délai, le débiteur peut procéder au reversement de la TVA. Mais si tel n'est pas le cas, le Code général des impôts ouvre un nouveau droit à l'administration, qui n'est pas un droit au reversement de la TVA, mais le droit de percevoir la TVA au titre d'une livraison à soi-même. Or ce nouveau droit résulte, selon la Cour, du changement d'affectation du bien, qui marque l'assujettissement de celui-ci à un nouveau régime fiscal. C'est donc le changement d'affectation du bien qui constitue le fait générateur de la créance de TVA due au titre d'une livraison à soi-même.
Ce changement d'affectation se produisant au jour où les biens concernés ne remplissent plus les conditions ayant justifié le droit à déduction de la TVA, la nouvelle créance fiscale a pour fait générateur l'expiration du délai légal de revente. En l'espèce, ce délai ayant expiré après le jugement d'ouverture de la procédure collective, la Cour de cassation en déduit logiquement que la créance de l'administration fiscale n'était pas une créance antérieure à la procédure.
On constatera que la combinaison des textes applicables fournit une belle occasion à l'administration fiscale d'échapper à l'extinction de sa créance. En effet, sa créance de reversement de TVA, faute d'avoir été déclarée, était forclose ce qui, en l'état du droit alors applicable, emportait son extinction (3). Mais, pouvant se prévaloir d'une créance nouvelle, née postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, l'administration échappe non seulement à la forclusion, mais bénéficie, dans le même temps, du régime favorable des créances postérieures : dispense de déclaration et, surtout, droit immédiat au paiement ou, à défaut, classement privilégié de la créance.
Si elle est incontestable d'un point de vue technique, la solution rendue pervertit, néanmoins, quelque peu la finalité du privilège des créances postérieures. Ce privilège est censé, d'une part, ne pas profiter à ceux dont le droit de créance était déjà né avant la procédure collective, et, d'autre part, bénéficier aux seules créances postérieures utiles à la poursuite de l'activité ou à la procédure (4). Or, sur le premier point, on admettra que la nouvelle créance de l'administration fiscale lui permet en réalité de percevoir des sommes qui, sur le principe, lui étaient déjà dues avant l'ouverture de la procédure collective. Quant au second point, l'utilité de la créance pour la procédure collective paraît discutable, ce qui, sous l'empire de la loi du 26 juillet 2005, pourrait conduire à écarter tout privilège pour l'administration fiscale dans une telle hypothèse.
II - Un traitement privilégié devenu incertain sous la loi du 26 juillet 2005
Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2005, il ne suffit plus qu'une créance ait un fait générateur postérieur au jugement d'ouverture pour bénéficier d'un traitement privilégié. Outre ce critère chronologique, qui est maintenu (5), le nouvel article L. 622-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L3876HB8) (6) pose un critère téléologique qui suppose d'apprécier la finalité de la créance postérieure. Sont seules privilégiées les créances "nées pour les besoins du déroulement la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, pour son activité professionnelle, pendant cette période". L'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, portant réforme du droit des entreprises en difficultés (N° Lexbase : L2777ICT), supprime, pour sa part, pour les procédures ouvertes après le 15 février 2009, la référence à l'activité professionnelle, s'agissant des créances nées en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur (7).
La portée de l'arrêt du 16 décembre 2008 sous l'empire du nouveau droit des procédures collectives suppose d'apprécier la finalité de la créance de TVA, due au titre d'une livraison à soi-même. Faute de satisfaire au nouveau critère téléologique, cette créance ne devrait plus bénéficier du privilège, ce qui pose plus largement la question de la limitation du nombre des créances fiscales privilégiées.
A - L'appréciation nouvelle de la finalité de la créance de TVA
Bien avant la réforme de la loi du 26 juillet 2005, le traitement privilégié des créances au seul titre de leur fait générateur postérieur au jugement d'ouverture était largement critiqué. Il a été relevé que ce privilège, qui déroge au principe d'égalité des créanciers, n'est légitime que s'il est tenu compte de la finalité de la créance (8), ou plus exactement de la finalité de l'opération qui en est la source (9). Il a principalement été avancé qu'une créance ne peut être privilégiée que si elle est liée à la poursuite d'activité (10) ou si elle est née des besoins de la procédure (11). En subordonnant le privilège des créances postérieures à un nouveau critère téléologique, la loi du 26 juillet 2005 a semblé consacrer les voeux ainsi formulés. Le résultat n'est, toutefois, pas pleinement satisfaisant. En identifiant les créances privilégiées comme les créances postérieures nées pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, le législateur n'a pas suffisamment clarifié le domaine du privilège des créances postérieures. Les créances privilégiées sont classées dans trois catégories dont les contours sont flous, au point qu'il est parfois difficile de déterminer si une créance postérieure y trouve sa place. Il en va ainsi de la créance de TVA qui, en tant que créance légale, se prête mal à une telle classification.
Il paraît, tout d'abord, difficile de retenir que la créance de TVA est née en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur. Il s'agit ici de privilégier ceux qui ont fourni au débiteur une prestation en tant que telle mais aussi un bien ou un service (12). Cette catégorie semble avoir été créée pour les créances contractuelles, même s'il est possible d'y faire entrer d'autres créances résultant d'une prestation, telle une indemnité d'occupation (13). Les créances fiscales doivent en être exclues dans la mesure où elles n'ont pas leur cause dans une prestation fournie au débiteur : elles ne sont pas la contrepartie d'une prestation mais une charge imposée par la loi. Tout en relevant que de telles créances ne satisfont pas à la lettre du texte, certains auteurs considèrent, néanmoins, qu'elles doivent être intégrées dans cette catégorie car "on voit mal [...] que la loi de sauvegarde ait entendu permettre au débiteur en sauvegarde, redressement ou liquidation de ne pas payer ses impôts"(14). Il ne s'agit, toutefois, pas d'admettre qu'un débiteur en procédure collective ne paie pas ses impôts mais seulement de déterminer si ce paiement doit être un paiement privilégié ou soumis aux règles ordinaires de déclaration fondées sur le principe d'égalité des créanciers. Dans la mesure où la place des créances fiscales ne ressort pas clairement de la lettre de l'article L. 622-17 (N° Lexbase : L3876HB8), la seule voie possible est d'en identifier le contenu d'après son esprit. A ce titre, la catégorie des créances nées en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur convient mal aux créances fiscales. D'une part, l'intégration de ces créances dans cette catégorie suppose un véritable forçage du texte qui se réfère à la contrepartie d'une prestation. D'autre part, une telle interprétation conduit à intégrer toutes les créances fiscales postérieures dans le domaine du privilège, et c'est alors prendre le risque de retrouver les dérives que la loi du 26 juillet 2005 est censée corriger. Ce risque est d'autant plus grand à la suite de l'ordonnance du 18 décembre 2008 qui, en supprimant la référence à l'activité professionnelle du débiteur, permet aux créances nées en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pour ses besoins personnels d'être privilégiées (15). Placées dans cette catégorie, les créances fiscales postérieures, qu'elles soient dues au titre de l'activité professionnelle ou des besoins personnels du débiteur, seraient alors toutes privilégiées.
Il ne paraît pas davantage possible d'inclure les créances fiscales dans la catégorie des créances nées pour les besoins du déroulement de la procédure. Celle-ci vise les frais judiciaires entendus lato sensu, c'est-à-dire les frais liés à la mise en mouvement de l'institution judiciaire et de ses auxiliaires (16).
Reste alors la catégorie des créances nées pour les besoins de la période d'observation. Si l'on admet qu'il s'agit d'une catégorie distincte de la précédente, elle doit couvrir des créances autres que celles nées pour les besoins du déroulement de la procédure (17). Les textes posant un principe de maintien de l'activité pendant la période d'observation (18), les créances nées pour les besoins de cette période comprennent au moins les différentes créances générées par le maintien de l'activité professionnelle (19). Or, de même que doivent être privilégiés ceux qui se voient imposer la poursuite d'un contrat en cours, doivent être privilégiés ceux dont les droits naissent automatiquement de l'activité poursuivie (20). Entrent alors dans cette catégorie les créances fiscales dont le fait générateur découle de la poursuite de l'exploitation pendant la période d'observation. Cette analyse conduit à limiter les créances fiscales privilégiées.
B - La limitation consécutive des créances fiscales privilégiées
En premier lieu, quel est le sort, comme en l'espèce, d'une créance de TVA due au titre d'une livraison à soi-même ? Une telle créance n'apparaît pas comme une charge liée au maintien de l'activité professionnelle pendant la période d'observation mais comme une créance née du changement d'affectation d'un bien après l'ouverture de la procédure collective. Postérieure au jugement d'ouverture, cette créance n'a pas pour autant à bénéficier d'un statut de faveur dans un contexte de procédure collective qui postule l'égalité des créanciers. La solution de l'arrêt du 16 décembre 2008 ne devrait donc pas être reconduite sous la loi nouvelle, une telle créance relevant, par conséquent, du régime des créances postérieures non privilégiées qui désormais doivent être déclarées (21).
En second lieu, quel est le sort des autres créances fiscales ? Si l'on retient que seules les créances nées du maintien de l'activité professionnelle pendant la période d'observation satisfont aux critères légaux du privilège, il faut distinguer au sein des créances fiscales selon qu'elles sont liées ou non à l'exploitation.
Les créances fiscales liées à l'exploitation peuvent être regroupées en deux catégories.
La première est celle des créances fiscales liées à l'exercice de l'activité professionnelle. Celles dont le fait générateur est postérieur au jugement d'ouverture seront alors privilégiées.
Il en va ainsi pour l'impôt sur les sociétés ou l'impôt sur le revenu. Deux précisions sont, toutefois, nécessaires. Tout d'abord, s'agissant de l'impôt sur le revenu, seule la fraction d'impôt due au titre des bénéfices (catégorie des BIC, BA ou BNC) devrait être privilégiée puisqu'il s'agit là de la seule créance fiscale due au titre de la poursuite d'activité. Mais l'impôt sur le revenu étant un impôt global, on voit mal en pratique comment identifier cette fraction pour y limiter le privilège. Ensuite, seul l'impôt dû au titre du maintien de l'activité pendant la période d'observation doit être privilégié. Or, en droit fiscal, le principe d'annualité conduit à retenir une appréciation formelle du fait générateur de ces impôts, date d'expiration de l'année civile pour l'impôt sur le revenu ou date de clôture de l'exercice comptable pour l'impôt sur les sociétés (22). Cette appréciation formelle du fait générateur n'est toutefois guère satisfaisante en cas de procédure collective : si une procédure est ouverte le 1er décembre 2008, il n'y a pas lieu de privilégier tout l'impôt dû au titre de l'année 2008 alors même que le 31 décembre survient pendant la période d'observation. Sans doute convient-il dans ce contexte de retenir une approche plus substantielle du fait générateur de l'impôt pour apprécier sa cause, sa raison d'être. Cela conduit alors, tout en retenant un fait générateur au 31 décembre ou à la clôture de l'exercice comptable, à fractionner prorata temporis l'impôt dû, pour ne privilégier que la somme correspondant à l'imposition des bénéfices dégagés par l'activité pendant la période d'observation (23).
La catégorie des créances fiscales liées à l'exploitation comprend ensuite la TVA due au titre de la poursuite d'une activité économique, à savoir la TVA due au titre de livraisons de biens ou de prestations de services pendant la période d'observation. De même, la taxe professionnelle doit être privilégiée si son fait générateur (existence de l'entreprise au 1er janvier) est postérieur au jugement d'ouverture. Enfin, les cotisations sociales et les taxes sur les salaires, dues au titre de l'activité pendant la période d'observation, doivent également être privilégiées.
La seconde catégorie des créances fiscales liées à l'exploitation vise les impôts dus à raison d'un bien affecté à l'exploitation. Ainsi, la taxe foncière d'un immeuble affecté à l'exploitation doit être privilégiée si son fait générateur (1er janvier, selon l'article 1415 du Code général des impôts N° Lexbase : L3728IC3) est postérieur au jugement d'ouverture. Certains contestent le fait qu'un tel impôt soit né pour une opération de la période d'observation (24). Pourtant, dès lors qu'il est affecté à l'exploitation, l'immeuble est l'un des éléments nécessaires à la poursuite de l'activité pendant cette période (25).
Les créances fiscales qui ne sont pas liées à l'exploitation pendant la période d'observation doivent être exclues du domaine du privilège. Il s'agit là d'impôts dus à titre personnel par le débiteur. Il en va ainsi de la taxe foncière ou de la taxe d'habitation due au titre du logement personnel du débiteur (26), ou encore de l'impôt de solidarité sur la fortune, au titre duquel les biens professionnels sont exonérés.
La limitation du domaine du privilège des créances postérieures introduite par la loi du 26 juillet 2005 avait, notamment, pour but d'inciter les créanciers à contracter avec une entreprise en procédure collective, en les assurant d'un privilège plus efficace bénéficiant aux seules créances utiles à la procédure ou à la poursuite d'activité (27). Face à l'imprécision du critère téléologique retenu, et faute d'une clarification par l'ordonnance du 18 décembre 2008, c'est, désormais, à la jurisprudence qu'il revient d'identifier quelles sont les créances postérieures privilégiées, en espérant qu'elle prenne garde à ne pas rétablir l'ensemble des solutions antérieures, alors dictées par la seule considération du fait générateur de la créance et non de sa finalité.
(1) D., 2009, act. jur., p. 164, obs. A. Lienhard ; Dr. Fiscal, 2009, n° 4, comm. 87.
(2) Devenu l'article L. 622-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L3744HBB).
(3) Ancien article L. 621-46, alinéa 4, du Code de commerce (N° Lexbase : L6898AIC).
(4) Pour ce fondement du privilège, avant même la loi du 26 juillet 2005, v. M. Cabrillac et Ph. Pétel, JCP éd. E, 2003, 1396, n° 16.
(5) Tout comme le critère de régularité de la créance.
(6) Applicable à la sauvegarde, et, sur renvoi de l'article L. 631-14 (N° Lexbase : L4025HBP), au redressement judiciaire. Adde, au stade de la liquidation, l'article L. 641-13 du Code de commerce (N° Lexbase : L3904HB9), qui retient les mêmes critères, en procédant aux adaptations nécessaires.
(7) V. les articles 29 et 107 de l'ordonnance qui modifient respectivement les articles L. 622-17 et L. 641-13 du Code de commerce.
(8) C. Saint-Alary-Houin, La date de naissance des créances en droit des procédures collectives, LPA, 9 novembre, 2004, n° 224, p. 11 et s., spéc. n° 23.
(9) V. F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 7ème éd., 2006, n° 303.
(10) V., notamment, Y. Guyon, Droit des affaires, tome II, 8ème éd., 2001, n° 2148. Adde, le rapport annuel de la Cour de cassation, pour 2002, p. 30.
(11) V. Ph. Pétel, Pour une relecture de l'article L. 621-32 du Code de commerce (ancien article 40 de la loi du 25 janvier 1985), Mélanges en l'honneur de Y. Guyon, Dalloz, 2003, p. 917 et s. ; C. Saint-Alary-Houin, art. préc. n° 23.
(12) V. F. Pérochon et R. Bonhomme, op. cit., n° 312.
(13) Ibid..
(14) M. Jeantin et P. Le Cannu, Droit commercial. Entreprises en difficulté, Dalloz, 7ème éd., 2006, n° 770.
(15) V., en ce sens, le rapport remis au Président de la République sur l'ordonnance n° 2008-1345. Comp. l'actuel article L. 622-7 du Code de commerce, qui permet le paiement immédiat des seules créances liées aux besoins de la vie courante du débiteur personne physique et des créances alimentaires.
(16) V. F. Gréau, Pour un véritable privilège de procédure, LPA, 12 juin 2008, n° 118, p. 4 et s., n° 16.
(17) V. en ce sens, M. Jeantin et P. Le Cannu, op. cit., n° 767.
(18) V., pour la sauvegarde, article L. 622-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L3868HBU) ; également applicable sur renvoi de l'article L. 631-14 au redressement judiciaire. Au titre de la liquidation, les créances visées sont celles nées "pour les besoins, le cas échéant, de la période d'observation antérieure", laquelle a donc bien supposé, au titre des textes précités, une poursuite de l'activité.
(19) Rappr. F. Pérochon et R. Bonhomme, op. cit., n° 303 et s., qui traitent du privilège des créances postérieures au titre "du financement de la période d'observation".
(20) Comp. F. Gréau, Pour un véritable privilège de procédure, art. préc., selon lequel le privilège a pour fondement de récompenser, outre les créanciers auxquels la poursuite du contrat est imposée, les seuls créanciers ayant volontairement décidé de contracter avec l'entreprise en difficulté. Cela conduit l'auteur, en matière fiscale, à écarter toutes les créances fiscales du domaine du privilège, sauf celles de TVA ou de cotisations salariales, au motif que "l'entreprise n'est pas le véritable débiteur mais collecte ces sommes pour le compte du consommateur final ou du salarié" (n° 32).
(21) C. com., art. L. 622-24, al. 5 (N° Lexbase : L3744HBB).
(22) V., en ce sens, Cass. com. 16 décembre 2008, n° 08-12.142, Société Network music group, F-P+B (N° Lexbase : A9237EBQ) qui, en conséquence, refuse de déterminer le sort de la créance due au titre de l'impôt sur les sociétés dans une procédure collective en référence à la date de perception de l'impôt.
(23) V. en ce sens, F. Pérochon et R. Bonhomme, op. cit. n° 314-1.
(24) V. F. Pérochon et R. Bonhomme, op. cit., n° 314-1.
(25) Rappr. C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, Domat-Montchrestien, 5ème éd., 2006, n° 604.
(26) V. en ce sens, Ph. Pétel, art. préc. ; C. Saint-Alary-Houin, op. cit., n° 604.
(27) Rappr. F. Pérochon et R. Bonhomme, op. cit., n° 303 et 304.
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