La lettre juridique n°334 du 22 janvier 2009 : Fiscalité financière

[Jurisprudence] Déterminé ou déterminable, le prix de cession d'action dépend de la commune intention des parties

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 11 décembre 2008, n° 296429, M. et Mme Gonnord (N° Lexbase : A7010EBA)

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par Guy Quillévéré, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nantes

le 07 Octobre 2010

Le Conseil d'Etat, sous un arrêt en date du 11 décembre 2008, juge que nonobstant la détermination, postérieure au 31 décembre 1993, du prix d'actions cédées par les époux G., une vente doit être regardée avant cette date, comme pure et parfaite, même si le prix a été déterminé postérieurement à la date de signature des clauses contractuelles et de la clôture de l'exercice au 31 décembre 1993, ce prix étant fixé a posteriori par des éléments ne dépendant pas de la volonté d'une des parties exprimée dès le 27 juillet 1993. Les faits dans cette affaire sommairement résumés sont les suivants : M. et Mme G. détenaient avec leurs enfants 434 actions de la SA Fleury Michon Développement. Ils ont déclaré une plus-value de cession de ces parts en 1995. Les services fiscaux, postérieurement à un contrôle sur pièces, ont alors estimé que cette plus-value devait être rattachée à l'année 1993 et ont établi en conséquence l'imposition supplémentaire résultant de ce rattachement. C'est sur le fondement d'un protocole en date du 27 juillet 1993 que l'ensemble des associés de la société Fleury Michon Développement, qui détenait 84,4 % du capital de la société Callixte Producteur et les associés minoritaires de la société Callixte Producteur, laquelle résultait de la fusion le 30 juillet 1993 de deux autres sociétés, ont cédé leurs actions pour un prix de base global de 100 millions de francs (soit plus de 15 millions d'euros). Ce prix était, en vertu des dispositions de l'article 3 de la convention, susceptible de varier à la hausse ou à la baisse en fonction des résultats ou des situations nettes comptables des sociétés cédées, arrêtés au 31 décembre 1992 ou au 31 juillet 1993. Le protocole stipulait, par ailleurs, que les comptes des sociétés feraient l'objet d'un audit par un premier cabinet et qu'en cas de désaccord sur le rapport de ce cabinet qui devait être remis au plus tard le 15 octobre 1993, une mission d'audit sur les conclusions de ce dernier serait confiée à un second cabinet et qu'en cas de désaccord sur les conclusions de ce dernier, "la partie la plus diligente saisira le président du Tribunal de commerce afin que celui-ci désigne un tiers expert agissant en application des dispositions de l'article 1592 du Code civil" (N° Lexbase : L1678ABR), avec pour mission de résoudre les désaccords révélés par le rapport du second cabinet d'audit.

Le Conseil d'Etat, dans son arrêt "Gonnord", prolongeant sa jurisprudence "Peyrot" du 30 novembre 1990 (CE, 30 novembre, 1990, n° 80567, Peyrot N° Lexbase : A4828AQU), juge que la vente est parfaite au sens des dispositions de l'article 1583 du Code civil (N° Lexbase : L1669ABG), antérieurement au 31 décembre 1993, dès lors que le protocole signé le 27 juillet 1993 permet au vu de ses clauses de déterminer le prix de vente des actions par des éléments ne dépendant pas de la volonté de l'une des parties ou de la réalisation d'accords ultérieurs. La Haute juridiction s'appuie, ainsi, sur une interprétation stricte de la volonté de parties, la circonstance que, sur le fondement des dispositions de l'article 1592 du Code civil, le prix pouvait être déterminé par l'intervention d'un tiers étant inopérante sur la détermination de la date du fait générateur. Cet arrêt complète le courant jurisprudentiel né de l'application des clauses de complément de prix, en précisant que le fait générateur est réalisé si le prix est simplement déterminable et même s'il n'est pas déterminé à la date de signature du protocole.

1. La plus-value de cession se rattache à l'année au cours de laquelle est intervenu le transfert de propriété des actions

Le fait générateur d'une plus value de cession de droits sociaux est constitué par la cession elle-même (1.1), et les modalités et les dates de paiement du prix sont sans influence sur le transfert de propriété (1.2).

1.1. La date du transfert de propriété des titres s'apprécie en fonction des règles posées par le Code civil

Deux arrêts du Conseil d'Etat en date du 23 juin 1976 et du 26 juillet 1978 (CE 7° et 9° s-s-r., 23 juin 1976, n° 00051, Finances c/ Sieur X N° Lexbase : A6037B84 ; CE Contentieux, 26 juillet 1978, n° 01885, Sieur X N° Lexbase : A4118AID) ont posé le principe selon lequel la plus-value est imposable au titre de l'année au cours de laquelle les titres ont été cédés. Ce sont les dispositions du Code civil qui éclairent la règle fiscale puisqu'en vertu des dispositions de l'article 1583 du Code civil : "la vente est parfaite entre les parties et la propriété est acquise de plein droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'a pas encore été livrée ni le prix payé". Ainsi, la plus-value est imposable au titre de l'année au cours de laquelle les actions ont été cédées et cette date est celle au cours de laquelle le transfert de propriété a été réalisé entre les parties. La cession d'actions d'une société anonyme est alors réalisée à la date à laquelle s'opère entre les parties le transfert de propriété des titres, conformément aux dispositions de l'article 1583 du Code civil (CE 10 juillet 1981, n° 17953 N° Lexbase : A4886AK8 ; ou encore CAA Nantes, 1ère ch., 22 décembre 1993, n° 92NT00230, Feydieu N° Lexbase : A4383BHS).

Il est cependant possible, pour les parties, de renoncer à fixer elles-mêmes au jour de leur accord le prix de cession et de préférer, lorsque, par exemple, un ensemble de sociétés sur la base d'un même protocole cède ses actions, de confier le soin de cette fixation à un tiers impartial en application des dispositions de l'article 1592 du Code civil. Telle était le cas dans l'arrêt du Conseil d'Etat "Gonnord", la partie la plus diligente pouvant saisir le président du tribunal de commerce afin que celui-ci désigne un tiers expert agissant en application des dispositions de l'article 1592 du Code civil.

1.2. La mise en oeuvre des règles du Code civil est parfois obscurcie par les clauses contractuelles

La mise en oeuvre des dispositions du Code civil s'accorde ordinairement avec un principe fondateur du droit fiscal qui est le principe de l'annualité. L'accord sur la chose et sur le prix est, en principe, concrétisé dans l'acte d'engagement. En l'espèce, l'article 3 de la convention en date du 27 juillet 1993 avait prévu des modalités pratiques complexes de fixation du prix, dans le cadre d'une cession globale. Il est vrai que les clauses contractuelles rendent difficile la mise en oeuvre du principe d'annualité et emportent des interrogations sur le montant qui doit normalement être déclaré par le contribuable ou sur le montant que doit imposer l'administration. L'exigence d'une détermination du prix est une condition de validité du contrat de vente et donc de la cession de droits sociaux. Toutefois, le principe posé par la jurisprudence est que les modalités et les dates de paiement du prix sont sans influence sur le fait générateur de l'imposition. La plus-value se rattache à l'année au cours de laquelle est intervenu le transfert de propriété quelles que soient les modalités et les dates de paiement du prix (CE plénière, 26 juillet 1978, n° 1885, précité ; ou encore CE, 30 novembre 1990, n° 80567, Peyrot, précité, arrêt précisant que la plus-value de cession d'actions est imposable au titre de l'année de cession, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le cédant ait dû ultérieurement, par le jeu de la condition résolutoire, racheter ces actions).

La jurisprudence est venue éclairer quelques situations conventionnelles complexes. Ainsi, lorsque l'acte de cession comporte une clause "d'earn out", le Conseil d'Etat a jugé que ce complément de prix doit être retenu pour calculer la plus-value taxable au titre de l'année de cession, dès lors qu'il est déterminé à partir de données comptables arrêtées au 31 décembre de l'année en cause (CE 9° et 10° s-s-r., 29 décembre 2000, n° 182185, M. et Mme Bellane N° Lexbase : A2136AIX). Elle s'oppose, par ailleurs, à ce que l'assiette de la plus-value, acquise au jour de la cession qui constitue le fait générateur de l'impôt, puisse être remise en cause rétroactivement par la survenance d'un événement postérieur. Une jurisprudence assez fournie est venue préciser l'application de la règle fiscale en cas de non-paiement du prix (CE, 16 juin 2003, n° 241983, Gardet N° Lexbase : A8688C8B ; ou en cas de mise en jeu de la clause de garantie de passif : CE, 22 mars 1991, n° 67966, Domenjoud N° Lexbase : A9308AQS : RJF, 5/91, n° 615 ; ou encore CE 3° et 8° s-s-r., 27 juillet 2006, n° 285579, Minefi c/ Massonnet N° Lexbase : A8042DQW).

En fait, le juge exclut de regarder les clauses contractuelles comme suspensives dès lors que le prix est déterminé par une méthode qui ne nécessite plus de nouvel accord des parties, ou s'appuie sur une méthode objective de calcul à partir de la comptabilité. Lorsque les règles civiles de la vente ne sont pas satisfaites, le contrat de cession encourt une nullité, qui aurait alors pour effet fiscal de faire disparaître le fait générateur de l'imposition de la plus-value.

2. La commune intention des parties est l'alpha et l'oméga de la détermination du fait générateur de l'imposition pour une cession d'action

Si le prix peut être laissé, en application des dispositions de l'article 1592 du Code civil à l'arbitrage d'un tiers (2.1.), encore faut-il, pour que la vente soit suspensive que les éléments alors pris en compte dépendent de la volonté des parties (2.2.).

2.1. Le prix de cession peut être laissé à l'arbitrage d'un tiers en application des dispositions de l'article 1592 du Code civil

L'article 1591 du Code civil (N° Lexbase : L1677ABQ) dispose que "le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties". Toutefois, si le prix ne peut être déterminé au jour de la conclusion du contrat, il peut être déterminable à partir d'éléments objectifs échappant à la volonté de l'un ou de l'autre des cocontractants. C'est dans ce prolongement que se placent les dispositions de l'article 1592 du Code civil qui prévoient que les parties peuvent renoncer à fixer elles-mêmes au jour de leur accord le prix de cession préférant à cet égard confier le soin de cette fixation à un tiers impartial. Notons qu'il peut naître de la mise en oeuvre de ces dispositions un risque d'indétermination du prix des cessions d'actions, cette indétermination pouvant emporter nullité de la vente. L'arrêt "Gonnord" rappelle de ce point de vue que la nullité de la cession de droits sociaux pour indétermination du prix n'aurait joué que si la fixation de ce prix avait dépendu d'un accord ultérieur des parties à leur engagement réciproque de vendre et d'acheter, le 31 décembre 1993.

Le protocole signé le 27 juillet 1993 indique que l'ensemble des associés de la société Fleury Michon développement qui détenait 84,4 % du capital de la société Callixte Producteur et les associés minoritaires de la société Callixte Producteur, laquelle résultait de la fusion le 30 juillet 1993 de deux autres sociétés, cèdent leurs actions pour un prix de base global de 100 millions de francs (soit plus de 15 millions d'euros). La convention de cession prévoit en application de son article 3 que le prix est susceptible de varier à la hausse ou à la baisse en fonction des résultats ou des situations nettes comptables des sociétés cédées arrêtés au 31 décembre 1992 ou au 31 juillet 1993. En l'espèce, un tiers, sur le fondement des dispositions de l'article 1592 du Code civil a été saisi par le tribunal, il a alors fixé le prix de cession des actions à 52 millions de francs (7,9 millions d'euros). Le Conseil d'Etat juge que les stipulations contractuelles ne portent que sur les conditions d'exécution de la convention et ne peuvent être regardées comme des conditions suspensives édictées au profit des cédants, le prix des actions, s'il n'est pas déterminé à la date de cession, étant, cependant, parfaitement déterminable.

2.2. Le fait générateur intervient si le prix de cession est, aux termes des clauses contractuelles, déterminable sans nouvelle manifestation de la volonté des parties et même s'il n'est pas déterminé à la date de cession des actions

L'accord sur la chose et sur le prix, non pas déterminé mais déterminable, dans le cadre du protocole d'accord en date du 27 juillet 1993 est intervenu dès la date de signature, le 27 juillet 1993. La détermination du prix de cession des actions n'est tributaire d'aucune manifestation de volonté des parties postérieure à la date de signature du protocole, la volonté des parties étant connue et permettant de liquider le prix de la cession des actions, certes après la date de signature du protocole, mais sans nouvelle manifestation de volonté. La vente est alors, dès cette date, au sens du 1583 du Code civil, pure et parfaite. Dans ces conditions, le transfert de propriété est immédiat, la cession des actions en litige survient avant le 31 décembre 1993. La plus-value de cession est donc imposable au titre de l'année 1993, conformément au principe d'imposition de la plus-value à la date du transfert de propriété et indépendamment des modalités de paiement. Seules la réalisation d'accords ultérieurs aurait conduit à une solution différente, le prix de vente étant alors indéterminé, la vente pouvant être regardée comme nulle. Il reste que, si la détermination du prix conditionne, alors, les conditions fiscales de l'acquéreur, la solution retenue par le Conseil d'Etat, dans son arrêt "Gonnord" réserve le cas où le prix de cession est fixé en fonction d'un bilan à établir dont le mode d'établissement (Cass. com., 13 janvier 1971, n° 69-12.174, Estournet c/ Dufour et autres N° Lexbase : A6633AGR) ou encore celui où la détermination du prix nécessite un établissement contradictoire du bilan à la veille de la régularisation de la cession (Cass. com., 14 décembre 1999, n° 97-15.654, Epoux Fin c/ M. Baverez et autres N° Lexbase : A8145AGR).

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