La lettre juridique n°334 du 22 janvier 2009 : Procédure civile

[Chronique] La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble II - janvier 2009

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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II. L'actualité de la procédure civile des dernières semaines a été assez riche, de sorte que nous vous proposons de distinguer, dans cette chronique, les arrêts intéressants mais qui méritent simplement d'être signalés (question des conclusions récapitulatives, défaut de comparution du défendeur, astreinte, effet dévolutif de l'appel ou encore arbitrage) et d'autres arrêts qui nous semblent plus importants, voire plus problématiques (régime juridique de la question préjudicielle et compétence du juge de la mise en état pour statuer sur les fins de non-recevoir). I - Arrêts à signaler

La question des conclusions récapitulatives exigées devant le tribunal de grande instance et devant la cour d'appel donne toujours lieu à une jurisprudence importante. On signalera donc en premier lieu l'arrêt rendu par la deuxième chambre civile du 18 décembre 2008 (Cass. civ. 2, 18 décembre 2008, n° 07-20.238, FS-P+B N° Lexbase : A9065EBD). Au cours d'une instance d'appel, l'appelant avait successivement déposé des conclusions tendant à l'infirmation du jugement, puis un autre jeu sollicitant une expertise. Ce second jeu de conclusions n'était pas récapitulatif. La cour d'appel avait donc appliqué strictement la sanction de l'article 954, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1054H4S) selon laquelle les parties sont réputées avoir abandonné les prétentions et moyens invoqués dans des conclusions antérieures.

La Cour de cassation applique, ici, une solution désormais traditionnelle (1), à savoir que les conclusions soumises à l'obligation de récapitulation sont celles qui "déterminent l'objet du litige ou soulèvent un incident de nature à mettre fin à l'instance". Dans l'espèce étudiée, la Cour de cassation constate que "la demande d'expertise était présentée dans des conclusions qui ne déterminaient pas l'objet du litige et ne soulevaient pas un incident de nature à mettre fin à l'instance". Elle en déduit que les conclusions qui contenaient cette demande n'étaient pas soumises à l'obligation de récapitulation.

Dans un autre arrêt du 18 décembre 2008 (Cass. civ. 2, 18 décembre 2008, n° 07-20.889, F-P+B N° Lexbase : A9094EBG), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait à statuer sur le défaut de comparution du défendeur dû à la négligence du demandeur. En l'espèce, une action avait été exercée devant le juge de proximité et ce dernier avait invité le demandeur à citer le défendeur devant lui. Le jour de l'audience, le juge de proximité constatait, d'une part, que le défendeur n'avait pas comparu, mais, d'autre part, qu'il n'avait pas été cité. A l'évidence, la situation était contraire à l'article 14 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1131H4N) qui interdit de juger une personne qui n'a été ni entendue, ni appelée. Mais la solution était rendue plus complexe par l'article 472 du même code (N° Lexbase : L6584H7Y) qui prévoit que, si le défendeur ne comparait pas, "il est néanmoins statué au fond" et que le juge ne peut faire droit à la demande que s'il l'estime "régulière, recevable et bien fondée". Le juge de proximité avait cru pouvoir déclarer la demande irrecevable pour omission de citation du défendeur.

La Cour de cassation casse cette décision. Elle rappelle justement que l'omission imputable au demandeur ne constituait pas une fin de non-recevoir, mais qu'il s'agissait plutôt d'une négligence. La sanction adéquate du défaut de diligence des parties consiste dans la radiation du rôle (C. proc. civ., art. 381 N° Lexbase : L2256H4C). La solution est tout à la fois logique et efficace puisque le demandeur qui a oublié de citer le défendeur ne pourra voir sa demande examinée par le juge en raison, non d'une fin de non-recevoir ou d'une irrégularité procédurale, mais simplement en raison d'un incident d'instance. L'affaire peut être rétablie dans le rôle sur justification de l'accomplissement de la formalité (C. proc. civ., art. 383, al. 2 N° Lexbase : L2268H4R).

L'astreinte est une mesure d'exécution qui peut être accessoire à tout jugement (loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d'exécution, art. 33 N° Lexbase : L4632AHZ). La jurisprudence affirme constamment que l'astreinte est distincte de la condamnation sur laquelle elle s'appuie et, notamment, qu'il s'agit d'une mesure personnelle (2). Dans un arrêt du 18 décembre 2008 (Cass. civ. 2, 18 décembre 2008, n° 07-20.562, FS-P+B N° Lexbase : A9084EB3), la question s'est posée de la transmission de l'astreinte aux héritiers. Dans les faits, un locataire avait été condamné sous astreinte à libérer un local. Malgré l'injonction du juge, le locataire n'avait pas exécuté la décision et il était décédé quelque temps plus tard. Le demandeur avait alors poursuivi la liquidation de l'astreinte contre la veuve du locataire en qualité d'héritière.

La cour d'appel avait cru pouvoir rejeter la demande en raison du caractère personnel de l'astreinte. Selon les juges du second degré, cette mesure ne concernait que le défunt et non ses héritiers. La Cour de cassation a, pourtant, censuré cette décision, en affirmant que "le caractère personnel de l'astreinte ne s'oppose pas à ce que sa liquidation, qui tend à une condamnation pécuniaire, puisse être poursuivie contre les héritiers du débiteur pour la période antérieure à son décès". En d'autres termes, l'astreinte, en tant que condamnation pécuniaire, entre dans le patrimoine de la personne condamnée qui en est débitrice jusqu'à son décès. Au cours de la période entre l'injonction et le décès, une "dette d'astreinte" est née de façon définitive et cette dette, même si elle n'a pas été liquidée, se transmet aux héritiers. La personnalité de l'astreinte n'est donc pas assimilable au principe de personnalité des peines du Code pénal.

L'effet dévolutif de l'appel est un principe qui présente encore des zones d'ombre, notamment dans ses rapports avec le principe du contradictoire (Cass. civ. 2, 18 décembre 2008, n° 07-21.906, F-P+B N° Lexbase : A9127EBN). En l'espèce, un litige opposait deux sociétés. Un jugement de première instance avait tranché une partie du litige au fond en condamnant l'une des sociétés, mais sans statuer sur les pénalités de retard. Sans attendre la suite, le demandeur avait formé un appel général de la décision. L'intimé concluait simplement à l'irrecevabilité de l'appel. La cour d'appel décida, pourtant, de trancher le fond du litige, tant sur la condamnation principale que sur les intérêts de retard.

L'intimé reprochait ainsi à la cour d'appel de n'avoir pas respecté le principe du contradictoire en statuant sur le fond sans l'inviter à s'expliquer. Par ailleurs, l'intimé reprochait encore à la cour d'appel d'avoir "évoqué" sur la question des pénalités de retard, toujours en violation du principe du contradictoire. Il est vrai que cette situation ne correspondait pas à une évocation au sens de l'article 568 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6721H73) mais on pouvait reconnaître que la cour d'appel avait été un peu rapide en se prononçant sur l'entier litige sans avoir demandé à l'intimé de s'expliquer sur le fond tranché en première instance et sur la partie du litige jugée pour la première fois en appel (les pénalités de retard).

La Cour de cassation rejette, pourtant, les deux moyens du pourvoi en affirmant que "l'appelant ayant déféré l'entier litige à la cour d'appel par un acte d'appel général et conclu à l'infirmation des chefs du jugement lui faisant grief, la cour d'appel, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, a pu statuer sur l'ensemble des données de ce litige, sans être tenue d'inviter la société Le Nigen industries à s'expliquer sur le fond". Même si elle suit la logique de l'effet dévolutif, la solution est un peu sévère. Elle est certainement inspirée par une certaine idée de la loyauté qui doit conduire les parties à ne pas se retrancher derrière une défense dilatoire pour retarder l'issue inévitable d'une instance. La loyauté consiste, notamment, à ne pas retarder inutilement l'issue d'une instance en présentant dans le même temps des conclusions tendant à une fin de non-recevoir et une défense sur le fond du litige dont la cour d'appel est saisie en raison de l'effet l'évolutif. Plus que d'un équilibre entre l'effet dévolutif et le contradictoire, il s'agit plutôt dans cette décision d'une combinaison de l'effet dévolutif et de la coopération.

L'arbitrage vient de donner lieu à une décision importante qui a les honneurs de la publication sur internet et au Bulletin de la Cour de cassation. Cette décision de la première chambre civile rendue le 17 décembre 2008 (Cass. civ. 1, 17 décembre 2008, n° 07-19.915, FS-P+B+I N° Lexbase : A8645EBS) concernait la mission d'amiable compositeur de la cour d'appel statuant sur une décision arbitrale. Un litige entre deux sociétés avait donné lieu à la constitution d'un tribunal arbitral statuant en amiable compositeur et à charge d'appel. Pour autant, la cour d'appel ne s'était prononcée sur l'affaire qu'au regard des règles de droit applicables au litige. La Cour de cassation censure cette attitude en affirmant dans un motif solennel que "l'arbitre tranche le litige conformément aux règles de droit à moins que, dans la convention d'arbitrage, les parties ne lui aient conféré mission de statuer comme amiable compositeur ; que le juge d'appel, lorsque les parties se sont réservé expressément cette possibilité, statue comme amiable compositeur lorsque l'arbitre avait cette mission".

La solution n'est qu'une stricte application de l'article 1483 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6448H7X) in fine et la Cour de cassation en déduit logiquement qu'en "statuant ainsi, sans faire aucune référence à l'équité ou à la mission d'amiable compositeur qui lui avait été conférée, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

L'apport de l'arrêt réside donc principalement dans le fait que la cour d'appel doit se référer expressément dans sa décision à sa mission d'amiable compositeur ou plus généralement à l'équité.

II - Question préjudicielle, régime juridique

La question préjudicielle, qui suit le régime juridique des exceptions de procédure, doit être présentée avant toute défense au fond et fin de non-recevoir. Cette règle ne s'applique pas à la question préjudicielle communautaire (Cass. civ. 2, 18 décembre 2008, n° 08-11.438, FS-P+B N° Lexbase : A9228EBE)

L'arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 18 décembre 2008 rappelle la règle de principe applicable aux exceptions de procédure selon laquelle l'exception doit être soulevée in limine litis, c'est-à-dire avant toute fin de non-recevoir et défense au fond. Les juges font une application fréquente de ce principe au sujet des exceptions de nullité pour irrégularité de forme. En cela, l'arrêt commenté est original puisqu'il concerne une question préjudicielle. En l'espèce, une partie avait formulé, au cours de la procédure, une demande de sursis à statuer jusqu'à une décision à intervenir devant la juridiction administrative, puis une autre liée à une demande de saisine de la Cour de justice des Communautés européennes. La cour d'appel a déclaré ces deux demandes de sursis à statuer irrecevables car elles n'avaient pas été présentées in limine litis.

Les arguments du pourvoi sont intéressants et méritent d'être détaillés. Le premier moyen visait la question préjudicielle devant la CJCE. L'auteur du pourvoi considérait que cette question préjudicielle concernait l'interprétation du droit communautaire et touchait le fond du litige. Il s'agissait donc d'une action au fond susceptible d'être présentée en tout état de cause. Le second moyen alléguait que la question préjudicielle devant le juge administratif portait sur les statuts d'une mutuelle et sur sa capacité à agir. Elle touchait donc le droit d'action en justice et pouvait être présentée à toute hauteur de la procédure.

La question posée à la Cour de cassation consistait donc à qualifier juridiquement la question préjudicielle pour lui appliquer ensuite le régime juridique adéquat. La question est délicate, car la question préjudicielle n'est pas visée par le Code de procédure civile (3). Plus particulièrement, elle ne figure pas dans la liste des moyens de défense du titre V du livre premier du Code de procédure civile.

A cette question, on peut imaginer plusieurs réponses. La première, évoquée par le pourvoi, consiste à dire que la nature procédurale de la question préjudicielle dépend du contenu de cette question. Si la question qui relève de la compétence d'une autre juridiction (juge administratif, communautaire) porte sur le fond du litige, elle suit le régime d'une défense au fond. Si cette question porte sur la capacité pour agir, elle suit le régime d'une nullité de fond (4). Une deuxième réponse pourrait consister à assimiler la question préjudicielle au sursis à statuer. Le sursis n'est pas un moyen de défense, mais un incident d'instance. D'un point de vue purement théorique, il ne doit pas subir la rigueur procédurale de présentation des exceptions. La jurisprudence décide même que la décision de surseoir à statuer est une mesure d'administration judiciaire (5). La troisième réponse se déduit de l'article 73 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1290H4K) qui définit les exceptions de procédure comme "tout moyen qui tend soit à déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours". La question préjudicielle et le sursis qui lui est attaché tendent à suspendre le cours de la procédure. On parle ainsi traditionnellement d'exception préjudicielle.

La réponse de la Cour de cassation emprunte partiellement son raisonnement à la troisième analyse. S'agissant de la demande de sursis à statuer en vue d'une question préjudicielle devant le juge administratif, la Cour affirme "qu'en vertu de l'article 74 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1293H4N), l'exception tirée de l'existence d'une question préjudicielle, qui tend à suspendre le cours de la procédure jusqu'à la décision d'une autre juridiction, doit, à peine d'irrecevabilité, être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public".

La décision est ici sans ambiguïté. La Cour de cassation parle bien d'une "exception tirée de l'existence d'une question préjudicielle". Dès lors, cette exception tombe sous le coup du principe énoncé à l'article 74 du Code de procédure civile selon lequel "les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir".

Ce raisonnement peut recevoir l'approbation, car il est marqué par une certaine rigueur juridique. Une fois qualifiée d'exception de procédure, la question préjudicielle entre dans le régime général des exceptions. Cela correspond, d'ailleurs, à une jurisprudence initiée il y a déjà plusieurs années (6). Mais l'on s'étonne alors que la Cour de cassation apporte une autre réponse s'agissant de la question préjudicielle devant la Cour de justice des Communautés européennes.

En effet, la cour d'appel avait rejeté la demande de sursis comme tardive. La Cour de cassation prend le contre-pied de cette décision en affirmant "qu'en statuant ainsi, alors qu'une telle demande, qui tend au renvoi de l'affaire devant cette Cour pour interprétation des textes communautaires, peut être présentée en tout état de cause et même à titre subsidiaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

On retient donc que la question préjudicielle communautaire peut être présentée en tout état de cause devant le juge civil. La solution est simple, mais son explication n'est pas évidente. Du reste, la Cour de cassation ne fournit qu'un embryon d'analyse en qualifiant l'exception préjudicielle communautaire de "renvoi [...] pour interprétation des textes communautaires". Cette analyse n'est pas convaincante dans la mesure où le renvoi préjudiciel vers le juge administratif peut poursuivre la même finalité.

Il faut donc explorer une autre hypothèse et considérer que la question préjudicielle communautaire ne relève pas du mécanisme de l'exception de procédure. Il y a, peut-être ici, un embryon de réponse, car le recours préjudiciel communautaire ne peut être sollicité que par une juridiction. La doctrine parle ainsi du "dialogue des juges" (7). La question préjudicielle communautaire ne constituerait donc pas une action en défense au sens du Code de procédure civile, mais une procédure entre juridictions, qui peut être sollicitée par une partie, mais aussi décidée d'office par le juge.

On retiendra donc surtout de l'arrêt sa double solution. Par principe, l'exception préjudicielle doit être présentée avant toute défense au fond et fin de non-recevoir. Par dérogation, la question préjudicielle communautaire peut être soulevée par une partie en tout état de cause.

III - Juge de la mise en état et fin de non-recevoir

Le juge (ou le conseiller) de la mise en état peut se prononcer sur les fins de non-recevoir (solution implicite). Seule la décision d'irrecevabilité acquiert l'autorité de la chose jugée. Si elle est rejetée par le juge de la mise en état, l'allégation d'irrecevabilité peut à nouveau être présentée devant la cour d'appel (Cass. civ. 2, 18 décembre 2008, 2 arrêt, n° 08-11.103, F-P+B N° Lexbase : A9221EB7 et n° 07-20.599, F-P+B N° Lexbase : A9086EB7).

La compétence du juge de la mise en état pour statuer sur les fins de non-recevoir est une question délicate. L'article 771 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6999H7D) énonce ainsi que "lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal" pour statuer sur un certain nombre de questions (exceptions de procédures, incidents mettant fin à l'instance...). Pour autant, les fins de non-recevoir ne sont pas prévues par l'article 771. Dans un avis rendu le 13 novembre 2006 (8), la Cour de cassation avait, d'ailleurs, affirmé que les "incidents mettant fin à l'instance" de l'article 771 ne visaient pas les fins de non-recevoir. On aurait pu en déduire que le juge de la mise en état n'était pas compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir mais certains auteurs ont estimé que l'avis rendu par la Cour de cassation induisait simplement que les fins de non-recevoir pouvaient être aussi soulevées devant la juridiction de jugement (9). En d'autres termes, l'article 771 ne viserait que les mesures relevant de la compétence exclusive du JME alors que d'autres mesures (non visées) pourraient relever de la compétence conjointe du JME et de la formation de jugement.

Deux décisions du 18 décembre 2008 viennent s'ajouter au débat sans toutefois lever toutes les ambiguïtés sur la question des fins de non-recevoir devant le juge de la mise en état.

Dans la première espèce (n° 08-11.103), le litige avait donné lieu à un arrêt de cassation avec renvoi et l'une des parties alléguait que la cour d'appel de renvoi avait été saisie tardivement (au-delà du délai de quatre mois prévu par le Code). Cette allégation fut présentée, une première fois, devant le conseiller de la mise en état, lequel la rejeta. Puis l'allégation fut portée, une seconde fois, devant la cour d'appel statuant en formation de jugement.

La question se posait de savoir si la juridiction de jugement pouvait statuer une seconde fois sur une prétention formulée devant le conseiller de la mise en état et tranchée par lui.

L'auteur du pourvoi estimait implicitement que le délai de quatre mois constituait un délai de péremption et que le moyen tiré de ce délai constituait un incident d'instance. Selon l'argumentation, la décision du conseiller de la mise en état sur cet incident d'instance avait acquis l'autorité de la chose jugée de sorte que la cour d'appel ne pouvait plus en être saisie.

La Cour de cassation rejette cette argumentation. Elle reprend, d'abord, la solution dégagée dans l'avis précité du 13 novembre 2006 selon lequel "les incidents mettant fin à l'instance visés par le deuxième alinéa de l'article 771 du Code de procédure civile comme relevant de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état sont ceux mentionnés par les articles 384 (N° Lexbase : L2272H4W) et 385 (N° Lexbase : L2273H4X) du même code et n'incluent pas les fins de non-recevoir" (10). Elle considère, ensuite, que "le délai de saisine de la cour de renvoi prévu par l'article 1034 (N° Lexbase : L1309H4A) de ce code étant, non un délai de péremption, mais un délai de forclusion dont la sanction est soumise au régime des fins de non-recevoir". Elle en déduit que la cour d'appel a statué à juste titre sur le moyen tiré de l'inobservation de ce délai.

En matière de fin de non-recevoir, la Cour de cassation semble donc admettre dans cet arrêt la compétence conjointe ou successive du juge de la mise en état puis de la juridiction de jugement. Le rejet d'une fin de non-recevoir par le juge de la mise en était n'aurait donc pas autorité de la chose jugée.

C'est en ce sens que statue le second arrêt étudié (n° 07-20.599). Dans cette affaire, le conseiller de la mise en état avait été saisi d'une prétention tendant à voir déclaré l'appel irrecevable (11). Le magistrat avait rejeté cette prétention et l'intimé soulevait, à nouveau, l'irrecevabilité de l'appel devant la juridiction de jugement. La cour d'appel ne répondit, pourtant, pas aux conclusions d'irrecevabilité.

La Cour de cassation sanctionne cette attitude en affirmant que la cour d'appel "était tenue de statuer sur cette fin de non-recevoir, peu important qu'elle ait été écartée par le conseiller de la mise en état par une ordonnance qui, n'ayant pas mis fin à l'instance, était dépourvue de l'autorité de la chose jugée au principal".

Cet arrêt confirme la compétence conjointe ou simultanée du conseiller de la mise en état et de la cour d'appel pour statuer sur cette fin de non-recevoir. Elle en déduit logiquement que la décision de rejet de la fin de non-recevoir par le conseiller de la mise en état n'a pas d'autorité de la chose jugée dans la mesure où elle ne met pas fin à l'instance. A l'inverse, si le conseiller déclare l'appel irrecevable, sa décision, qui met fin à l'instance, peut être déférée par simple requête à la cour (12). Au-delà de ce délai, la décision du conseiller qui n'a pas été déférée à la cour acquiert l'autorité de la chose jugée.

Les deux décisions commentées ne sont pas tout à fait explicites, mais elles confirment tout de même l'approche doctrinale selon laquelle les fins de non-recevoir relèvent de la compétence du juge de la mise en état, puis de la cour d'appel. Si cette jurisprudence devait être confirmée, on se trouverait alors face à deux hypothèses :

- soit, le juge de la mise en état (ou le conseiller) rejette la fin de non-recevoir. Cette décision est dépourvue de l'autorité de la chose jugée et la prétention peut être à nouveau soulevée devant la juridiction de jugement ;

- soit, le juge de la mise en état prononce l'irrecevabilité de l'action (ou de l'appel). Cette décision mettant fin à l'instance, elle peut être attaquée par les voies de recours adéquates. En l'absence de recours dans le délai imparti, la décision acquiert l'autorité de la chose jugée.

Il n'en reste pas moins que l'article 771 demeure ambigu dans sa formulation et qu'une meilleure rédaction permettrait de connaître exactement le champ de compétence du juge de la mise en état.

Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble II


(1) Voir, not., Cass. civ. 1, 24 septembre 2002, n° 00-21.060, M. Famara Dieme c/ Procureur général près la cour d'appel de Paris, F-D (N° Lexbase : A4930AZM), Procédures, 2002, com. 223.
(2) Not., Cass. civ. 1, 3 avril 2002, n° 00-10.893, Mme Yvette Vernhet c/ Syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Cordoue, F-P (N° Lexbase : A4265AYM), Bull civ. I, n° 104.
(3) Si l'on excepte certaines dispositions particulières sur la nationalité (C. proc. civ., art. 1041 N° Lexbase : L1328H4X à 1043).
(4) Le pourvoi parle du droit d'action et semble donc évoquer une fin de non-recevoir, mais l'on sait que le défaut de capacité est visé dans la liste limitative des nullités de fond de l'article 117 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1403H4Q).
(5) Cass. soc., 3 février 1986, n° 83-43.487, La Société Barton-Guestier c/ Manceau (N° Lexbase : A2821AAQ), JCP éd. S, 1986, IV, 107.
(6) Cass. com., 8 février 1982, n° 79-12.174, Société Assurances et Prévoyance Internationales API (N° Lexbase : A5705CGE), Bull. civ. IV, n° 49 ; Cass. civ. 1, 16 octobre 1985, n° 84-12.323, Repiquet, Mme Blanchard c/ Epoux Guignard (N° Lexbase : A5300AAK), Bull. civ. I, n° 264.
(7) S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais, Procédure civile, Dalloz, 29ème éd., 2008, p. 369 ; L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, Litec, 5ème éd., p. 151 (les auteurs évoquent l'expression "de juge à juge" utilisée par la CJCE).
(8) Cass. avis., 13 novembre 2006, JCP éd. G, 2007, II, 10027.
(9) R. Perrot, Procédures, janvier 2007, comm. 8.
(10) On note, au passage, que la Cour de cassation applique au conseiller de la mise en état les dispositions relatives au juge de la mise en état de l'article 771 conformément aux prescriptions de l'article 910, alinéa 1er (N° Lexbase : L0954H44).
(11) Il faut remarquer ici que la recevabilité de l'appel est une compétence du conseiller de la mise en état expressément prévue par l'article 911 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0955H47).
(12) C. proc. civ., art. 914 (N° Lexbase : L0963H4G).

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