La lettre juridique n°418 du 25 novembre 2010 : Rupture du contrat de travail

[Questions à...] Facebook m'a licencié ! - Questions à Maître Grégory Saint Michel, avocat au Barreau de Paris

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[Questions à...] Facebook m'a licencié ! - Questions à Maître Grégory Saint Michel, avocat au Barreau de Paris. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211361-questions-a-i-facebook-i-ma-licencie-b-questions-a-maitre-gregory-saint-michel-avocat-au-barreau-de-
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par Grégory Singer, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 04 Janvier 2011

Le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt a tranché, le 19 novembre 2010 (CPH Boulogne-Billancourt, 19 novembre 2010 n° 09/00316 N° Lexbase : A6710GKQ et n° 09/00343 (N° Lexbase : A6712GKS). Des propos tenus sur le réseau social Facebook peuvent justifier un licenciement pour faute grave. Si la presse s'est fait l'écho d'un retour de Big Brother, issu du roman de Georges Orwell, 1984, Lexbase Hebdo - édition sociale a rencontré Maître Grégory Saint Michel, avocat au barreau de Paris, représentant les deux salariées licenciées, afin de faire un point précis sur les faits reprochés. Ce dernier s'inquiète, à terme, d'un manque de protection de la vie privée des salariés. Lexbase : Les salariés ont donc été licenciés pour une faute grave au motif que leurs propos, tenus sur le site internet Facebook, constituent un "dénigrement de l'entreprise" et une "incitation à la rébellion". Quel était le contenu de ces écrits ?

Grégory Saint Michel : Au regard du contentieux classique portant sur la proportionnalité de la faute, je suis extrêmement déçu par la motivation du jugement du conseil des prud'hommes. Un licenciement fondé sur des propos diffusés sur le site Facebook et plus spécifiquement sur le "mur" d'une personne, que l'on peut assimiler à une sorte de chat, renvoie à vérifier la chronologie des évènements. Ce fameux "mur", qui d'ailleurs, il est à noter, n'existait plus le lendemain, se composait de la façon suivante. Un des salariés licenciés (salarié ayant conclu une transaction avant le jugement) craignait de devoir rejoindre "le club des néfastes". A cela, l'une des salariées licenciées répondait simplement "bienvenue au club" ponctué d'un smiley. Une ancienne salariée de l'entreprise ajoutait, ensuite, notamment, "[...] il y a tout un rite, tout d'abord vous devez vous foutre de la gueule de votre supérieure hiérarchique, [...] lui rendre la vie impossible". A ce commentaire, l'autre salariée licenciée répondait "[...] va falloir respecter ce rite [...], agrémenté d'un "hi hi hi". Au regard du jugement, nous constatons que le conseil de prud'hommes a fait une mauvaise appréciation de la chronologie pour la première salariée, en plaçant ses paroles après celles de l'ancienne salariée. Cela modifie complètement le contexte. Par ailleurs, le conseil estime que "l'usage des smiley et d'onomatopées dans les propos échangés ne peut en rien permettre de les qualifier d'humoristiques". Nous remarquons que les propos pouvant, éventuellement, relever "d'incitation à la rébellion" sont uniquement tenus par une ancienne salariée de l'entreprise. Les salariés ont donc été licenciés pour des propos tenus sur un site privé alors qu'ils n'avaient fait l'objet d'aucun avertissement au préalable, ils étaient des salariés classiques de l'entreprise.

Lexbase : Le Code du travail protège la vie privée des salariés. Les salariés ayant écrit ces propos en dehors de leur lieu et de leur temps de travail, le licenciement ne peut-il être fondé que sur la qualification d'un trouble caractérisé au sein de l'entreprise ?

Grégory Saint Michel : Cette qualification me pose problème. Il n'est pas contesté que les faits incriminés se sont déroulés en dehors du lieu et du temps de travail, soit un samedi soir, sur les ordinateurs personnels des salariés. Le licenciement d'un salarié pour un motif tiré de sa vie privée n'est donc justifié que si le comportement de ce salarié, en raison de ses fonctions et de la finalité de l'entreprise, a créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière (1). Mais quel est ce trouble caractérisé au sein de cette entreprise ? La jurisprudence admet, afin de caractériser une faute grave, des faits pouvant créer un discrédit pour l'image de l'entreprise ou dans sa gestion (2). Or, dans notre affaire, il n'y a pas eu de nuisance à l'image de la société, le trouble ne peut donc être qu'à l'intérieur de cette dernière. Cependant, il n'est apporté aucune attestation de salariés alors que l'entreprise énonce que plusieurs d'entre eux ont été choqués par ces fameux propos (le salarié ayant quelques salariés de l'entreprise dans ses contacts). Il en va, de même, quand le conseil énonce que le "profil" dudit salarié est ouvert aux "amis d'amis", aucun élément n'est apporté. Il s'agissait d'une discussion entre amis à l'instar d'un dîner au restaurant. Nous n'avons pas trace d'une quelconque jurisprudence autorisant un licenciement à la suite d'une conversation entendue dans un restaurant ou dans un bar.

Lexbase : Cet arrêt ne se fonde-t-il pas sur l'obligation de loyauté inhérente à chaque salarié ? Obligation qui prime sur la liberté d'expression ?

Grégory Saint Michel : Il est vrai que chaque salarié doit respecter une obligation de loyauté, jouant même après la rupture du contrat de travail. Nous ne sommes pas ici dans l'exercice de la liberté d'expression, il ne s'agit pas de syndicalisme, il n'y a pas de critique de l'entreprise, on ne parle pas de mauvais management. Les propos ne sont pas diffusés sur un blog, à la vue de tous. Les salariés ont répété qu'il ne s'agissait que d'humour, d'une simple plaisanterie, ce que le conseil des prud'hommes n'a malheureusement pas retenu.

Lexbase : N'y a-t-il pas un problème lié à l'obtention de la preuve ?

Grégory Saint Michel : Les salariées étaient de bonne foi et n'ont jamais contesté être les auteurs des propos reprochés, arguant du fait qu'elles plaisantaient. Il n'y pas eu donc besoin d'intervention d'un huissier pour saisir le disque dur d'un des protagonistes afin de démontrer la réalité des propos incriminés. La principale preuve est ainsi une capture d'écran, effectuée par un salarié délateur, ne participant pas à cette conversation, transmise, ensuite, à la direction de l'entreprise.

Lexbase : Que conseiller aux salariés présents sur les réseaux sociaux ?

Grégory Saint Michel : De faire attention, il n'y a pas "d'amis" sur ces réseaux au sens de la jurisprudence du conseil de prud'hommes en cause.. Nous pouvons relever, enfin, une contradiction sur les traitements des données informatiques entre la vie privée et la vie personnelle. Il existe une protection dans l'entreprise par le biais d'une information précise des salariés par l'employeur. Ce dernier doit les prévenir, au préalable, que leur téléphone et leur ordinateur peut faire l'objet de vérifications. Les mails dits "personnels", ne peuvent être consultés (3). Cette protection, et c'est un comble, est ainsi plus forte que dans la vie privée. On peut vous "fliquer" plus facilement...

A terme, cela pose la question du traitement des données exposées sur les réseaux sociaux. Nombre de recruteurs admettent, désormais, les utiliser avant un éventuel recrutement. Ils ne vont pas vérifier sur ces sites les diplômes et expériences professionnelles des candidats mais les convictions politiques, syndicales, les comportements plus ou moins festifs de leurs futurs salariés. C'est en parfaite contradiction avec les dispositions du Code du travail (4). Mais ceci est un autre débat...


(1) Cass. soc., 22 janvier 1992, n° 90-42.517, (N° Lexbase : A3737AAN).
(2) Sur le comportement fautif du salarié relevant de sa vie privée, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E2761ETG).
(3) Sur cette question ; v. notamment, Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 06-45.800 (N° Lexbase : A6205D9P), les connexions établies par un salarié sur des sites internet, pendant son temps de travail, grâce à l'outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l'exécution de son travail, sont présumées avoir un caractère professionnel ; Cass. soc., 6 avril 2004, n° 01-45.227 (N° Lexbase : A8004DB3), à défaut de déclaration à la Cnil d'un traitement automatisé d'informations nominatives concernant un salarié, son refus de déférer à une exigence de son employeur impliquant la mise en oeuvre d'un tel traitement ne peut lui être reproché. Cf. l’Ouvrage "Droit du travail" et (N° Lexbase : E2632ETN).
(4) C. trav., art. L. 1132-1 (N° Lexbase : L6053IAG) : "Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, [...] en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap". Sur cette question, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E7290ESS).

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