La lettre juridique n°418 du 25 novembre 2010 : Droit de la famille

[Jurisprudence] Mariage homosexuel : en route pour le Conseil constitutionnel !

Réf. : Cass. QPC, 16 novembre 2010, n° 10-40.042, FP-D (N° Lexbase : A1739GIA)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 04 Janvier 2011

Alors que la question de l'accès au mariage des couples de même sexe a déjà été soumise tour à tour à la Cour de cassation et à la Cour européenne des droits de l'Homme, sans succès, c'est au tour du Conseil constitutionnel d'être sollicité à travers une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) transmise par la Cour de cassation dans un arrêt du 16 novembre 2010. La décision de cette dernière de transmettre la QPC qui lui a été soumise par le tribunal de grande instance de Reims, lui-même saisi par un couple de femmes qui voulait obtenir l'autorisation de se marier, n'est certainement pas anodine. La Cour de cassation n'était en effet pas obligée de prendre cette décision et si elle ne l'avait pas fait, aucun recours n'aurait pu remettre en cause son refus. Les médias ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, puisqu'ils ont tous relayé l'information, de manière plus ou moins exacte... Avant même que le Conseil constitutionnel ne rende sa décision, il paraît donc opportun de s'intéresser à cette décision de la Cour de cassation et de préciser à la fois l'objet de la QPC (I) et son fondement (II) (1). I - L'objet de la QPC

La question soumise au Conseil constitutionnel. En réalité ce sont deux questions qui ont été transmises au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation :

1°/ "Les articles 144 (N° Lexbase : L1380HIX) et 75 (N° Lexbase : L3236ABH), dernier alinéa, du Code civil sont-ils contraires, dans leur application, au préambule de la Constitution de 1946 et de 1958 en ce qu'ils limitent la liberté individuelle d'un citoyen français de contracter mariage avec une personne du même sexe ?"

2°/ "Les articles 144 et 75 du Code civil sont-ils contraires, dans leur application, aux dispositions de l'article 66 de la Constitution de 1958 (N° Lexbase : L0895AHM) en ce qu'ils interdisent au juge judiciaire d'autoriser de contracter mariage entre personnes du même sexe ?"

Interprétation des textes relatifs au mariage. Il s'agit de soumettre au Conseil constitutionnel les deux seuls textes relatifs au mariage qui fondent l'exigence de la différence de sexe, au travers d'une référence à l'homme et à la femme. La Cour de cassation, saisie dans l'affaire du mariage de Bègles, avait en effet affirmé, dans un arrêt du 13 mars 2007 (2), à la suite du tribunal de grande instance (3) et de la cour d'appel de Bordeaux (4), et conformément à la doctrine quasi unanime, que "selon la loi française, le mariage est l'union d'un homme et d'une femme". C'est cette interprétation que les deux femmes, empêchées de se marier, contestaient devant le tribunal de grande instance de Reims. Cette juridiction judiciaire avait été saisie en sa qualité de garante des libertés individuelles en vertu de l'article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L0895AHM). Les deux requérantes se plaignaient, en effet, également du fait que le juge judiciaire ne puisse pas, au nom de la liberté matrimoniale, les autoriser à se marier.

Intégration de la jurisprudence dans le contrôle de constitutionnalité. Moins que les textes eux-mêmes c'est leur application qui est contestée par la QPC. L'intégration dans l'objet du contrôle de constitutionnalité de l'application des textes et donc de leur interprétation par la jurisprudence a été récemment admise par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010, relative à l'adoption de l'enfant du concubin (5). Cette intégration élargit, à n'en pas douter, de manière importante, le domaine du contrôle de constitutionnalité. Elle est, en outre, de nature à donner un rôle nouveau au Conseil constitutionnel, très différent de celui qu'il avait jusqu'à présent dans le cadre du contrôle a priori de la constitutionnalité des lois, lesquelles, par hypothèse, ne font l'objet d'aucune interprétation au moment où elles sont soumises au Conseil. Celui-ci ne se privait pas cependant d'anticiper sur d'éventuelles interprétations auxquelles ces lois pouvaient donner lieu.

Réserve d'interprétation. Confronté à une interprétation jurisprudentielle de la loi, le Conseil constitutionnel est susceptible de proposer des solutions plus nuancées que l'abrogation, qui porteraient davantage sur l'interprétation du texte que sur le texte lui-même. Ainsi, l'objectif poursuivi dans le cadre de la QPC relative au mariage homosexuel est sans doute moins de faire abroger les textes visés que d'imposer une interprétation différente susceptible d'ouvrir le mariage aux couples de même sexe, sans recours au Parlement. Il s'agirait d'obtenir du Conseil constitutionnel qu'il émette une réserve d'interprétation et affirme que les textes en question ne seraient conformes à la Constitution que dans la mesure où ils sont interprétés de manière à permettre l'accès du mariage aux couples homosexuels. Cette interprétation s'imposerait au juge judiciaire qui devrait alors autoriser le mariage d'un couple de même sexe...

Conditions de transmission de la QPC. La Cour de cassation constate que les différentes conditions de transmission de la QPC au Conseil constitutionnel sont satisfaites. Elle affirme, d'une part, que "les dispositions contestées sont applicables au litige", ce qui ne faisait aucun doute puisque les textes en cause étaient ceux qui avaient été opposés au couple de même sexe pour leur refuser l'accès au mariage et que l'objet de l'action judiciaire était pour les deux requérantes d'obtenir l'autorisation de se marier. D'autre part, la Cour de cassation a-t-elle pu affirmer que lesdites dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

Question nouvelle. Le troisième critère, alternatif, de saisine du Conseil constitutionnel réside dans le caractère nouveau ou sérieux de la question posée. Dans l'arrêt du 16 novembre 2010, la Cour de cassation considère que la question satisfait au premier critère, ce qui constitue une première depuis le 1er mars 2010, au motif que " les questions posées font aujourd'hui l'objet d'un large débat dans la société, en raison, notamment, de l'évolution des moeurs et de la reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe dans les législations de plusieurs pays étrangers". Ce faisant, la Cour de cassation manifeste clairement sa volonté de pousser le Conseil constitutionnel à se positionner, lui aussi, après la Cour de cassation elle-même et la Cour européenne des droits de l'Homme (6), sur cette question délicate.

Dans cette optique le fondement de la QPC était évidemment essentiel.

II - Le fondement de la QPC

Principe d'égalité. Echaudés par les réponses précédemment apportées à la question de l'accès du couple homosexuel aux institutions familiales, les auteurs de la QPC ont évité de se fonder sur le principe d'égalité pour revendiquer l'accès au mariage. Ils auraient, en effet, vraisemblablement été déboutés en vertu de l'argument, désormais classique, de la différence de situations qui justifie la différence de traitement. C'est ainsi que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 6 octobre 2010, a considéré qu'en "maintenant le principe selon lequel la faculté d'une adoption au sein du couple est réservée aux conjoints, le législateur a, dans l'exercice de la compétence que lui attribue l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC), estimé que la différence de situation entre les couples mariés et ceux qui ne le sont pas pouvait justifier, dans l'intérêt de l'enfant, une différence de traitement quant à l'établissement de la filiation adoptive à l'égard des enfants mineurs ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conséquences qu'il convient de tirer, en l'espèce, de la situation particulière des enfants élevés par deux personnes de même sexe" (7).

Liberté du mariage. De manière plus originale et plus subtile, les auteurs de la QPC se sont fondés sur la liberté du mariage. La liberté du mariage est, en effet, une liberté constitutionnellement garantie depuis la décision du Conseil constitutionnel du 13 août 1993 (8). D'abord rattachée à la liberté individuelle, visée par l'article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L0895AHM), la liberté du mariage est devenue une composante de la liberté personnelle consacrée par les articles 2 et 4 (N° Lexbase : L1368A9K) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, dans la décision du 20 novembre 2003 (9). Dans cette dernière décision, le Conseil constitutionnel considère, ainsi, que "le respect de la liberté du mariage, s'oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d'un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l'intéressé". Selon la QPC soumise au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation, l'impossibilité pour les couples de même sexe de pouvoir se marier serait une atteinte à la liberté constitutionnelle du mariage.

Définition de la liberté du mariage. Le raisonnement contenu dans la QPC est, toutefois, contestable et ne devrait pas être de nature à convaincre le Conseil constitutionnel. La liberté du mariage signifie que le droit de se marier appartient à chacun. Ainsi, "l'universalité de la liberté du mariage ainsi affirmée par le juge constitutionnel exclut tout critère discriminant comme par exemple celui qui découlerait de l'orientation sexuelle" (10). Mais le refus opposé au couple de même sexe de se marier n'est pas fondé sur leur orientation sexuelle, il est fondé sur la définition du mariage. La liberté du mariage garantit seulement l'accès au mariage tel que défini par la loi. C'est d'ailleurs à partir de ce raisonnement que la Cour européenne des droits de l'Homme a refusé d'admettre, dans son arrêt du 24 juin 2010, que le refus opposé à un couple d'hommes de se marier constituait une violation de l'article 12 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4745AQS) selon lequel "A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit". Constatant que seuls quelques pays européens ont admis pour l'instant le mariage homosexuel, la Cour européenne souligne dans cet arrêt que "les autorités nationales sont mieux placées pour apprécier les besoins sociaux en la matière et pour y répondre, le mariage ayant des connotations sociales et culturelles profondément ancrées qui diffèrent largement d'une société à l'autre".

Renvoi au législateur. C'est donc la définition même du mariage et partant du contenu de la liberté matrimoniale que la QPC transmise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel vise à remettre en cause. Mais il est alors fort probable que le Conseil constitutionnel, comme la Cour de cassation l'a fait dans l'arrêt du 13 mars 2007 et la Cour européenne des droits de l'Homme, dans l'arrêt du 24 juin 2010, estime que seul le législateur est compétent pour modifier la définition du mariage. Ce faisant, et conformément à la volonté qu'il a manifesté à plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel adopterait une interprétation de la liberté du mariage au moins convergente voire conforme à celle de la Cour européenne.

Constitutionnalité du mariage homosexuel. La seule question que le Conseil constitutionnel aurait alors à résoudre est celle de savoir si l'ouverture du mariage aux couples de même sexe serait compatible avec la Constitution, dans l'hypothèse où le législateur déciderait de modifier la législation actuelle. On peut penser qu'aucun obstacle n'exclurait une réponse positive. Le Conseil pourrait ainsi adopter, sur des fondements différents, la même position que la Cour européenne consistant à refuser d'imposer le mariage homosexuel mais à l'admettre si le législateur décidait de le consacrer. Evidemment on n'en est pas encore là...

En attendant, il y a fort à parier que le Conseil constitutionnel referme la dernière porte vers une reconnaissance du mariage homosexuel en dehors d'une consécration législative et c'est peut-être finalement l'objectif poursuivi par la Cour de cassation.


(1) Sur cet arrêt, lire également, La question du mariage homosexuel soumise au Conseil constitutionnel - Questions à Maître Caroline Mécary, avocat au barreau de Paris, Lexbase Hebdo n° 418 du 25 novembre 2010 - édition privée (N° Lexbase : N6906BQT).
(2) Cass. civ. 1, 13 mars 2007, n° 05-16.627, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6575DU3), Dr. fam., 2007, comm. n° 76, note M. Azavant ; RJPF, 2007-5/22, note A. Leborgne ; D., 2007, pan. 1567, obs. J-J. Lemouland et D. Vigneau.
(3) TGI Bordeaux, 27 juillet 2004, n° RG 6427/2004 (N° Lexbase : A4937DD9), D., 2004, somm. p. 2965, obs. J.- J. Lemouland et D. Vigneau ; RTDCiv., 2004, p. 719, obs. J. Hauser ; Dr fam., 2004, comm. n° 138, note V. Larribeau-Terneyre.
(4) CA Bordeaux, 19 avril 2005, n° 04/04683 (N° Lexbase : A1807DIR), D., 2006 pan. P. 1414 obs. J.- J. Lemouland et D. Vigneau ; RTDCiv., 2005 p. 574, obs. J. Hauser ; Dr. fam., 2005, comm., n°124, obs. M. Azavant.
(5) Cons. const., décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010 (N° Lexbase : A9923GAR) ; Cons. const., décision n° 2010-52 QPC du 14 octobre 2010 (N° Lexbase : A7696GBN).
(6) CEDH, 24 juin 2010, Req. 30141/04 (N° Lexbase : A2744E3Z), nos obs., La sévérité de la Cour européenne des droits de l'Homme à l'égard des couples de même sexe : ni droit au mariage, ni droit à un statut légal alternatif, Lexbase Hebdo n° 402 du 8 juillet 2010 (N° Lexbase : N6180BPL).
(7) Cons. const., décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010 , préc., obs. C. Tahri, De la constitutionnalité de l'article 365 du Code civil, Lexbase Hebdo n° 414 du 28 octobre 2010 - édition privée (N° Lexbase : N4414BQK).
(8) Cons. const., décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France (N° Lexbase : A8285ACT), Rec., p. 224.
(9) Cons. const., décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, Loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité (N° Lexbase : A1952DAK), Rec., p. 438.
(10) A. Pene-Soler, Le renouveau du statut constitutionnel de la liberté du mariage au regard de la liberté personnelle, in La liberté fondamentale du mariage, PUAM, 2009, p. 49.

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