La lettre juridique n°418 du 25 novembre 2010 : Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Un nouveau président national à l'ACE - Questions à Maître William Feugère, Avocat au barreau de Paris

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

le 04 Janvier 2011

Le 23 octobre 2010, le Comité directeur de l'Association des Avocats conseils d'entreprises (ACE), seul syndicat professionnel à représenter le barreau d'affaires, a élu à l'unanimité Maître William Feugère au poste de Président national, en remplacement de Pierre Lafont, dont le mandat venait à son terme. Avocat au Barreau de Paris, âgé de 38 ans, William Feugère est depuis plusieurs années membre du bureau national. Président d'honneur de la Commission droit pénal de l'ACE, il était également vice-président de l'ACE-Paris, et ancien vice-président l'ACE-JA. Il siège également au conseil de l'Ordre du barreau de Paris. Afin de faire le point sur ce nouveau mandat et les ambitions qu'il nourrit pour l'ACE, Lexbase Hebdo - édition professions l'a rencontré. Lexbase : Nouveau président de l'ACE, quels sont les axes et les actions que vous souhaitez mettre en pratique durant votre mandat ?

William Feugère : Les avocats conseils d'entreprises ont démontré ces dernières années leur capacité de prospective, d'innovation. Tous les grands débats actuels de la professions sont nés à l'ACE : l'acte d'avocat, l'avocat en entreprise, l'interprofessionalité, la nécessaire réforme du statut des collaborateurs... Nous devons poursuivre notre action pour que ces idées soient enfin mises en pratique. Le relais de nos élus au sein des institutions représentatives de la profession, et nos relations privilégiées avec la Chancellerie nous y aideront. Par ailleurs, il faut continuer à innover, je souhaite lancer auprès de nos adhérents un grand chantier de réflexion pour proposer de nouvelles idées, contribuer à dessiner ainsi l'avenir de notre profession, qui est en constante évolution. Dans cette tâche, le rôle des commissions techniques de l'ACE, de nos conseils régionaux, et de nos deux sections -la section jeunes avocats et la section internationale- sera essentiel. Le rôle du Président national, c'est d'animer, de fédérer, mais le travail essentiel est un travail d'équipe. L'ACE est jeune, elle vient de fêter ses dix-huit ans, et elle est déjà le premier syndicat en nombre d'adhérents. Ce sont nos idées ambitieuses et novatrices, et une vraie convivialité de nos réunions, qui expliquent ces adhésions. J'observe une augmentation considérable du nombre de jeunes adhérents, dont je me réjouis particulièrement : l'avenir est assuré.

Lexbase : Lors du Congrès annuel de l'ACE à La Baule, les 21 et 22 octobre 2010, l'une des tables rondes organisées était consacrée au thème du droit continental, outil stratégique du développement des entreprises. Quelles sont les préconisations de l'ACE pour le développement du droit continental ?

William Feugère : La section internationale de l'ACE, présidée par Christian Connor, travaille au quotidien sur la promotion et le développement du droit continental. Nous avons soutenu activement la mise en place de la Fondation pour le droit continental. Le système juridique d'un pays a une incidence économique majeure : soutenir le développement du droit continental, c'est favoriser également celui de nos entreprises, qui s'implante plus facilement dans des Etats dont elles reconnaissent l'environnement juridique.

Lors de notre congrès annuel, Jean-Marc Baissus, directeur général de la Fondation pour le droit continental a insisté sur le caractère de produit culturel du droit qui reflète les valeurs de la société et a terminé sur une note positive reprise par Marc Frilet, secrétaire général de l'institut français d'experts juridiques internationaux (IFFJI), secrétaire général adjoint de l'International Bar Association (IBA), qui, toujours à la pointe du combat, appelle à la mobilisation et à la coordination des expertises en mettant en avant, en particulier, que notre droit continental peut parfaitement satisfaire le besoin de sécurité juridique des différents acteurs du marché et sécuriser pleinement leurs transactions.

Lexbase : Le 14 septembre 2010, la CJUE a refusé de reconnaître le legal privilege au juriste d'entreprise (1). Quel est votre sentiment justement sur cet arrêt et sur la perspective de créer un statut d'avocat en entreprise ?

William Feugère : De mon point de vue l'arrêt "Akzo", qui ne fait que reprendre une jurisprudence ancienne et n'a donc rien de nouveau, a été interprété à contresens par les opposants à l'avocat en entreprise.

D'abord, cet arrêt ne concerne que le droit communautaire et les contrôles de la Commission européenne. Il s'agit donc d'un arrêt limité dans ses effets. Rien n'empêche aujourd'hui un Etat membre de modifier, s'il se souhaite, sa législation pour accorder le legal privilege dans tous les autres domaines.

Ensuite, cet arrêt est fondé sur le fait que la Cour de justice de l'Union européenne, après une étude de droit comparé, n'a pas constaté de mouvement européen allant dans le sens d'une reconnaissance du legal privilege au juriste d'entreprise. Il s'agit donc, à mon sens, d'un appel à faire évoluer les législations. Si la France se lance, et d'autres avec elle, cela pourra bien évidemment modifier la position de la Cour de justice : une nouvelle étude conduirait alors à un autre constat, et donc à un autre arrêt.

Cet arrêt doit donc être interprété comme une incitation à faire évoluer les choses. Et c'est tant dans l'intérêt de la profession que dans celui de l'entreprise.

J'observe enfin que ceux qui se réjouissent de cet arrêt n'ont pas réalisé qu'il est fondamentalement dramatique : il affirme une distinction en matière de secret professionnel selon qu'on est en matière juridique ou judiciaire. C'est une méconnaissance profonde de la réalité du travail de l'avocat. Conseil et contentieux sont intimement liés, cette dissociation est un recul qui aura de lourdes incidences.

Lexbase : Justement sur ce thème de l'avocat en entreprises, quelle est votre position ?

William Feugère : Les opposants à cette réforme n'ont en réalité qu'un argument, celui de l'indépendance. L'avocat en entreprise perdrait son indépendance, qui est un principe essentiel de l'avocat. On croit réentendre les arguments de ceux qui s'opposaient à ce que les avocats puissent exercer comme salariés en cabinet. L'indépendance, de mon point de vue, n'est pas en danger avec cette réforme. Soyons réalistes, l'avocat peut actuellement se trouver en situation de grande dépendance -économique- avec un client important, représentant une part substantielle de son chiffre d'affaires. Il faut distinguer l'indépendance intellectuelle et l'indépendance statutaire, qui fixe les conditions de travail. Un avocat en entreprise, comme d'ailleurs un juriste actuellement, ne sert à rien s'il ne donne pas un conseil libre. Le chef d'entreprise a besoin que son juriste ou avocat le conseille, pas qu'il l'approuve à tout prix même quand il a tort.

Cette réforme est très importante pour les avocats, qui gagneraient en liberté d'exercice, dont les carrières seraient plus fluides et plus diversifiées. Elle est importante pour les juristes actuels, qui dans les plus grands groupes ne sont pas sur un pied d'égalité avec leurs homologues étrangers, qui sont souvent avocats. Qu'a donc de si spécial l'avocat français pour ne pas pouvoir adopter un statut qu'on ses confrères étrangers, qui ne sont pas moins avocats que lui, et certainement pas moins indépendants ? Cessons de nous croire uniques. Par ailleurs, lorsque que l'avocat externe négocie dans des dossiers avec un directeur juridique, ce qui arrive quand même assez souvent, cela pose de réels problèmes puisque nous ne sommes pas en train de négocier avec un confrère, et, partant, nous n'avons pas le bénéfice de la confidentialité des échanges, essentielle dans une négociation. Enfin, et surtout, c'est l'intérêt des entreprises, qui seront encore plus sécurisées.

Je constate objectivement que la majorité des oppositions sur cette réforme émane de personnes qui ne sont pas concernées, qui ne côtoient pas les entreprises. D'autres, soyons clairs, craignent de perdre leur clientèle d'institutionnels... alors qu'au contraire le développement du droit dans l'entreprise augmente le recours aux avocats externes : la conscience des besoins est plus vive.

Lexbase : Vous évoquiez vouloir favoriser la réforme de l'interprofessionnalité. Comment imaginez-vous cette grande profession du droit ?

William Feugère : Les entreprises veulent un conseil complet. Elles ne comprennent pas que les professions du droit et du chiffre s'opposent, au contraire elles peuvent être parfaitement complémentaires. Réunir dans des structures communes les professionnels du droit et du chiffre, c'est proposer une offre globale et cohérente à nos clients. C'est aussi s'assurer du respect des rôles et prérogatives de chaque professionnel : associés, le développement de l'un bénéficie aussi à l'autre. Enfin, les professionnels du conseil, du droit comme du chiffre, sont tous soumis à une concurrence accrue. La meilleure réaction, c'est de s'ouvrir et de s'adapter, au lieu de se recroqueviller.

Tout cela, bien évidemment, doit être garanti par les règles déontologiques, l'indépendance des avocats doit être assurée, ce qui est le cas avec le projet actuel.

Pour que ce rapprochement puisse s'effectuer, il faudra adapter nos structures car nos futurs partenaires peuvent exercer tant au sein de la société d'exercice libéral qu'au sein de structures de droit commun. A cet égard je rappelle que, lors du Congrès de La Baule, l'ACE a adopté une motion sur point. C'est une demande constante de l'ACE depuis 18 ans. Les règles régissant les structures d'exercice sont inutilement complexes, au détriment de leur développement. On sait que le recours au droit commun des sociétés, conformément à notre tradition civiliste, permettrait d'atteindre les objectifs poursuivis par les dispositions spéciales instituant les associations d'avocats. C'est pourquoi l'ACE réitère son souhait que la profession d'avocat puisse utiliser les sociétés de droit commun, civiles ou commerciales.

Lexbase : Les élections à l'Ordre de Paris sont prévues à la fin du mois de novembre. Combien de candidats sont soutenus par l'ACE ?

William Feugère : Pour le Bâtonnat, l'ACE a toujours veillé à une parfaite neutralité. Nous soutenons, en revanche, trois candidats au conseil de l'Ordre, qui sont des membres actifs de notre syndicat : Irène Arnaudeau, Rédactrice en chef de la revue de l'ACE, Emmanuel Raskin, Président de la commission procédure de l'ACE, et Antoine Diesbecq, vice-président de la commission "entreprises en difficultés" de l'ACE.

Et bien évidemment nous apportons aussi notre amical soutien aux autres candidats, émanant du barreau d'affaires. Les réformes à venir sont importantes, il faut que le barreau d'affaires soit fortement représenté au sein de nos institutions pour imposer une vision moderne de notre profession, dans le respect absolu de notre déontologie et de nos principes essentiels.


(1) CJUE, 14 septembre 2010, aff. C-550/07 P, Akzo Nobel Chemicals Ltd c/ Commission européenne (N° Lexbase : A1978E97).

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