La lettre juridique n°417 du 18 novembre 2010 : Contrat de travail

[Jurisprudence] Le lieu d'accomplissement du travail au coeur du régime juridique du contrat de travail international

Réf. : Cass. soc., 29 septembre 2010, 2 arrêts, n° 09-68.851, FS-P+B (N° Lexbase : A7691GA4) et n° 09-40.688, FS-P+B (N° Lexbase : A7604GAU)

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par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Bretagne Occidentale (IODE UMR CNRS 6262-Université de Rennes I)

le 04 Janvier 2011

Le 29 septembre 2010, la Cour de cassation a rendu deux arrêts dans des affaires où était en cause un contrat de travail international. Donnant lieu à publication, les décisions méritent attention. Elles permettent de revenir sur deux questions au coeur de la plupart des contentieux en la matière : d'une part, la loi applicable à la relation de travail comportant un ou plusieurs éléments d'extranéité (I) et, d'autre part, la compétence juridictionnelle en cas de litiges survenant entre les parties (II) (1). Bien que ces questions appellent des développements différenciés, il ressort assez nettement de la lecture croisée des arrêts que le lieu d'exécution du travail est déterminant des solutions rendues et se trouve plus généralement au coeur de régime juridique gouvernant le contrat de travail international. Cela ne peut surprendre puisque la localisation du travail représente très souvent le centre de gravité de ce type particulier de contrat.
Résumé

Cass. soc., 29 septembre 2010, n° 09-68.851, FS-P+B (N° Lexbase : A7691GA4)

C'est à celui qui prétend écarter la loi du lieu d'accomplissement habituel du travail de rapporter la preuve que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays. En outre, les éléments caractérisant les relations entre les parties, mais résultant de l'application d'une loi choisie par elles, ne peuvent être retenus pour rattacher le contrat à une loi autre que celle de son lieu d'exécution.

Cass. soc., 29 septembre 2010, n° 09-40.668, FS-P+B (N° Lexbase : A7604GAU)

Une clause attributive de compétence incluse dans un contrat de travail international ne peut faire échec aux dispositions impératives de l'article R. 1412-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2861IA9) applicables dans l'ordre international.

Commentaire

I - La loi applicable au contrat de travail international (Cass. soc., 29 septembre 2010, n° 09-68.851)

Au cas d'espèce, on était en présence d'une société de droit suisse exerçant des activités de prestations de services dans plusieurs endroits, notamment sur l'aéroport de Bâle-Mulhouse situé sur le territoire français où elle y employait plusieurs salariés. Un contentieux a surgi entre cinq d'entre eux et l'employeur, consécutivement aux licenciements pour motif économique dont ils avaient fait l'objet.

Dans cette affaire, les parties avaient fait élection de loi et décidé de soumettre la relation de travail au droit suisse. Cependant, se posait la question de l'application des dispositions impératives de la loi qui aurait été applicable à défaut de choix contractuel (Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, art. 6 § 1 N° Lexbase : L7558AIR). Au terme de l'article 6 de la Convention de Rome I (2), il s'agit de la loi du lieu d'accomplissement habituel du travail (3) "à moins qu'il ne résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de cet autre pays est applicable" (4).

En l'occurrence, le travail s'accomplissait habituellement en France, ce qui avait conduit la cour d'appel de Colmar à faire application d'un certain nombre de dispositions impératives du droit du travail français plus favorables aux salariés que le droit helvétique (indemnité au titre d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, rappel de salaire pour heures supplémentaires, indemnité compensatrice de repos compensateur, prime d'ancienneté, gratification annuelle). Il n'est dès lors guère surprenant que le pourvoi ait visé pour l'essentiel à démontrer que la loi française -dans ses seuls dispositions impératives puisqu'il y avait eu élection du droit suissen'était pas la loi qui aurait été applicable à défaut de choix. Il entendait que le juge conclut que la situation présentait des liens plus étroits avec la Suisse.

  • Processus de détermination de la loi applicable à défaut de choix

C'est ici que la décision de la Cour de cassation présente le plus d'intérêt et apporte d'utiles précisions. Tout d'abord, la Chambre sociale affirme indirectement mais sans ambiguïté que c'est la loi du lieu d'accomplissement habituel du travail qu'il convient de "privilégier". Elle considère que le "jeu" des liens plus étroits ne peut intervenir qu'au titre d'une exception ; elle en déduit logiquement que la charge de la preuve de l'existence de liens plus étroits pèse sur "celui qui prétend écarter la loi du lieu d'accomplissement habituel du travail". Ainsi, au cas d'espèce, les salariés bénéficient d'une sorte de présomption que la loi, par défaut, est la loi française et il appartient à l'employeur de démontrer que des éléments probants rattachent davantage la situation à un autre pays.

Les juges s'intéressent, ensuite, aux éléments de preuve susceptibles d'être admis. En effet, afin de montrer la prééminence des liens avec la Suisse, l'employeur mettait en exergue plusieurs éléments : rémunération en francs suisses, bénéfice des régimes suisses de retraite et de prévoyance, bénéfice du même statut que les salariés employés sur d'autres sites. La liste aurait pu emporter la conviction mais la Cour se montre vigilante et appelle in fine les juges du fond à opérer un tri parmi les éléments pouvant être mis en avant. De façon très pertinente, elle décide que celui qui doit prouver l'existence de liens plus étroits (l'employeur) ne peut valablement faire état des éléments qui ne seront en réalité que la conséquence de l'application de la loi choisie par les parties (ici, le droit suisse). Très logiquement, elle approuve la cour d'appel d'avoir constaté l'absence de liens plus étroits avec un autre pays que celui d'exécution du travail (en l'occurrence, la France). Les dispositions impératives de la loi française pouvaient donc être invoquées au bénéfice des salariés ès qualité de loi qui aurait été applicable "par défaut".

  • Conséquences de l'application des dispositions impératives plus favorables de la loi française

Si l'apport de la décision se situe indubitablement sur l'aspect probatoire, elle est également l'occasion d'évoquer les conséquences emportées par le "jeu" de la loi par défaut.

Dans un premier temps, les juges rappellent une solution prétorienne constante depuis de nombreuses années : le terme "loi applicable" ne doit pas être entendu au sens organique. Il y a lieu de retenir une conception extensive de la loi française incluant, non seulement, les sources étatiques du droit du travail (lois et textes de nature réglementaire) mais également les conventions collectives qui font partie intégrante du système du droit du travail hexagonal (5)... d'où le bénéfice pour les salariés d'avantages prévus par la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien (indemnité conventionnelle de licenciement, prime d'ancienneté et gratification).

Dans un second temps, la Cour de cassation apporte une intéressante précision sur la portée qu'il convient de donner aux conséquences de l'application des dispositions impératives de la loi française. En l'espèce, le licenciement ayant été jugé sans cause réelle et sérieuse, l'employeur avait été condamné à leur verser une indemnisation ; mais il entendait que les effets des dispositions impératives en ce domaine se limitent aux seuls salariés au motif que l'article 6 de la Convention de Rome a vocation à prendre en compte leur besoin de protection. Mais les Hauts magistrats estiment qu'il convient de tirer toutes les conséquences de l'application de ces règles, de leur donner une portée générale. Dès lors, c'est à bon droit que la cour de Colmar a condamné l'employeur à rembourser l'assurance chômage qui avait indûment supporté la charge d'indemniser les salariés licenciés (6).

II - Clause attributive de juridiction dans un contrat de travail international (Cass. soc., 29 septembre 2010, n° 09-40.688)

La question de la compétence juridictionnelle se résout par la mise en oeuvre d'un instrument international, le Règlement "Bruxelles I" (7). Cependant, lorsque l'on se situe hors de son champ d'application (spécialement quand l'employeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un Etat membre), la jurisprudence issue de l'arrêt "Pelassa" pose le principe de l'extension à l'ordre international des règles françaises internes de compétence (8), d'où l'application de l'article R. 1412-1 du Code du travail (ancien art. R. 517-1) (N° Lexbase : L2861IA9), dont les dispositions fixent les règles de compétence territoriale des conseils de prud'hommes.

Le jeu de ces règles peut, toutefois, faire difficulté lorsque le contrat de travail international comporte une clause attributive de juridiction emportant compétence de juridictions étrangères alors que le travail est accompli en France. Tel était le cas en l'espèce. Une salariée avait été embauchée à Rabat par le Royaume du Maroc pour un emploi de secrétariat au sein de l'ambassade de Paris ; son contrat contenait une clause attribuant compétence exclusive aux juridictions marocaines. Ayant été licenciée, elle avait saisi les juridictions françaises. En appel, la cour de Paris avait jugé celles-ci incompétentes, les conditions de licéité des clauses prorogeant la compétence internationale étant, selon elle, réunies. Or, dans un attendu très bref, les juges de cassation affirment que, la salariée travaillant à l'ambassade du Maroc à Paris, le conseil de prud'hommes de cette ville était compétent.

La décision devant être publiée, il convient de lui prêter attention et de s'interroger sur sa portée. L'exercice est délicat en raison du laconisme de la solution.

  • Ce que pourrait signifier la solution : la condamnation des clauses attributives ?

Parmi les trois textes figurant au visa de la décision, se trouvent l'article L. 1221-5 du Code du travail (N° Lexbase : L0776H9M) qui prévoit la nullité des clauses attributives de juridiction incluses dans un contrat de travail et l'article R. 1412-4 (N° Lexbase : L1720IAX) qui répute non écrite toute clause qui dérogerait aux règles de compétence territoriale des conseils de prud'hommes. On sait, cependant que, malgré la formulation de ces dispositions, la jurisprudence admet la validité de principe des clauses attributives dans le cadre de contrats de travail internationaux (9). Or, dans l'affaire litigieuse, en raison de l'exécution du travail en France, compétence est reconnue au conseil de prud'hommes de Paris. On peut, dès lors, se demander si, en creux, la Cour ne revient pas sur cette validité de principe. Il est, toutefois, permis d'en douter car l'arrêt n'invalide, ni n'annule la clause attribuant compétence exclusive aux juridictions marocaines et le visa n'est suivi d'aucune formulation générale pouvant s'apparenter à l'énoncé d'une nouvelle règle jurisprudentielle en la matière. La compétence territoriale des conseils de prud'hommes demeure donc d'une impérativité relative en présence d'un contrat de travail international.

  • Ce que signifie probablement la solution : la "primauté" du lieu d'exécution du travail

En réalité, la contribution de l'arrêt se situe très probablement au plan des conditions de validité de ces clauses attributives. La décision peut apporter un utile éclairage dans un domaine marqué du sceau de l'incertitude. En effet, depuis l'admission de leur validité en 1991, subsistent des zones d'ombre sur les conditions de cette validité. Certains ont pensé pouvoir déduire que la ligne de partage dépendait du point de savoir si le rattachement de la situation globale à la France était faible ou fort : en cas de rattachement fort, il n'y aurait pas lieu d'admettre la validité de clauses attribuant compétence à une juridiction étrangère ; au contraire, en présence d'un rattachement faible, une clause de renonciation à la compétence du juge français pourrait produire effet. Or, un arrêt de 2004 (10) avait pu faire douter la doctrine de la pertinence de ce distinguo. La décision du 29 septembre 2010 le réactive mais en lui donnant, à notre avis, une meilleure assise. La lecture de la solution permet en effet d'émettre l'hypothèse que le lieu d'exécution du travail est érigé en critère essentiel -voire peut-être même exclusif- du lien fort... ce qui serait d'une implacable logique car il s'agit là de l'élément-clé des instruments internationaux traitant des conflits de lois ou de juridictions pour les contrats de travail internationaux. Par conséquent, serait valable une clause attribuant compétence à des juridictions étrangères uniquement lorsque le lieu d'exécution du travail n'est pas situé en France. Reste à savoir s'il doit s'agir du lieu d'exécution habituelle du travail ou non. La confrontation des circonstances de fait de l'arrêt de 2004 et de celui 2010 laisse penser que c'est le lieu d'accomplissement habituel du travail qui est déterminant.


(1) Sur l'ensemble des aspects juridiques de la mobilité salariale, voir S. Hennion, M. Le Barbier-Le Bris et M. Del Sol, Droit social européen et international, PUF, coll. Thémis, 1ère éd., octobre 2010.
(2) Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (N° Lexbase : L6798BHA), JOCE L 266 du 9 octobre 1980, pp.1-19. La Convention a récemment été transformée en instrument communautaire. Pour les contrats conclus à compter du 17 décembre 2009, fait désormais référence le Règlement CE n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (dit Règlement "Rome I") (N° Lexbase : L7493IAR) qui remplace la Convention sans modifier substantiellement la teneur des dispositions antérieures, JOUE L 177 du 4 juillet 2008, pp. 6-16.
(3) Ou, si le travailleur n'accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, la loi du pays où se trouve l'établissement qui a embauché le travailleur.
(4) On retrouve des dispositions identiques sur le fond, quoique formulées un peu différemment, dans l'article 9 du Règlement "Rome I".
(5) Cass. civ. 1, 5 novembre 1991, n° 90-40.163 (N° Lexbase : A5640AHD), Bull. civ. I, n° 293 ; Rev. crit. DIP, 1992, p. 314, note H. Muir Watt.
(6) "La clause d'un contrat de travail soumettant les relations entre les parties à une loi étrangère ne peut être opposée aux organismes visés à l'article L. 1235-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1345H9P), dans le cas où ils seraient tenus d'indemniser les salariés bénéficiant des dispositions impératives et plus favorables de la loi française ".
(7) Règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ("Bruxelles I") (N° Lexbase : L7541A8S), JOCE L 12 du 16 janvier 2001.
(8) Cass. civ. 1, 19 octobre 1959, n° 58-10.628 (N° Lexbase : A6656DP9).
(9) Cass. soc., 30 janvier 1991, n° 87-42.086 (N° Lexbase : A3311AH4), Bull. civ. V, n° 41.
(10) Cass. soc. 21 janvier 2004, n° 01-44.215 (N° Lexbase : A8715DAZ), Bull. civ. V, n° 24.

Décision

Cass. soc., 29 septembre 2010, n° 09-68.851, FS-P+B (N° Lexbase : A7691GA4)

Rejet, CA Colmar, 9 juin 2009

Cass. soc., 29 septembre 2010, n° 09-40.688, FS-P+B (N° Lexbase : A7604GAU)

Cassation, CA Paris, 22ème ch., sect. C, 11 décembre 2008, n° 07/01970 (N° Lexbase : A0393ECK)

Mots-clés : contrat de travail international, compétence juridictionnelle, loi applicable.

Lien base : (N° Lexbase : E3738ETM)

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