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par Jean-Jacques Lubin, Consultant au Cridon de Paris
le 04 Janvier 2011
Les décisions en matière de taxation de dons manuels ne sont pas fréquentes. A ce titre, la présente décision mérite qu'on s'y arrête.
- Le principe de taxation des dons manuels
Deux dispositions permettent une taxation de dons manuels.
D'une part, l'article 757, alinéa 1er, du CGI (N° Lexbase : L8104HLQ) prévoit l'exigibilité des droits de mutation à titre gratuit sur tout acte, quelle que soit sa nature ou validité, soumis à l'enregistrement et qui constate la déclaration du don manuel faite par le donataire. Les droits sont, également, dus sur toute décision judiciaire qui constate, même simplement dans les motifs ou les qualités du jugement ou hors la présence du donateur ou donataire, l'existence d'un don manuel (cf. en ce sens DB 7 G 3161 n° 10, 20 décembre 1995). C'est l'objet du présent arrêt. La révélation spontanée ou non par le seul donataire à l'administration fiscale du don manuel est encore un cas de taxation (CGI, art. 757, al. 2). C'est le fameux imprimé fiscal n° 2735.
D'autre part, l'article 784 du CGI (N° Lexbase : L9250HZM) impose le rappel des donateurs antérieurs lors de toute transmission à titre gratuit et, notamment, en cas de succession (rappel fiscal). Les dons manuels sont, bien entendu, visés par la règle du rappel.
- Particularité de la reconnaissance judiciaire
Quels sont les éléments d'une reconnaissance judiciaire de dons manuels ? L'article 757 du CGI est muet. La doctrine administrative évoque toute décision judiciaire constatant l'existence d'un don manuel (cf. DB 7 G 3161, préc.)
Dans la présente décision, la Cour de cassation indique qu'il suffit que "la reconnaissance judiciaire [...] figure ou dans les motifs ou dans les dispositifs du jugement, qu'elle soit exempte de toute équivoque et qu'il y ait constatation certaine de la transmission [...] à titre de libéralité".
L'exigibilité des droits de donation n'est pas subordonnée à la condition que la reconnaissance soit susceptible de créer un lien de droit entre le donateur et le donataire. La perception est justifiée dès l'instant que les termes du jugement ne laissent aucun doute, ni sur la réalité, ni sur la gratuité de la transmission.
En l'espèce, un oncle avait prêté d'importantes sommes d'argent pour l'installation de son neveu. Un procès s'en suivi, ce dernier n'ayant procédé à un aucun remboursement. Le tribunal a écarté l'existence d'un prêt et démontré l'intention libérale. En effet, il résultait d'une attestation manuscrite "qu'en cas de décès avant l'expiration des prêts fixée à 15 ans ceux-ci seraient transformés en donation au décès du préteur [ces pièces] tendent plutôt à démontrer l'intention libérale de ce dernier". Des prêts dont le remboursement est laissé à la discrétion de l'emprunteur et qui sont transformés en donation en cas de décès du préteur mettent assurément en évidence l'intention libérale. En utilisant l'expression "tendent plutôt à démontrer l'intention libérale" le tribunal a, clairement, reconnu que les remises de fond, jamais remboursées, devaient être considérées comme des dons manuels.
La Chambre commerciale de Cour de cassation confirme une jurisprudence constante et ancienne. Les droits de donation sont exigibles sur toute décision judiciaire constatant l'existence d'un don manuel (Cass. civ., 22 janvier 1883, I. 2680, § 5). Il faut que la reconnaissance soit exempte de toute équivoque et qu'il y ait constatation certaine de la transmission de la propriété mobilière à titre de libéralité (Cass. req., 4 novembre 1891, I. 2811, § 6).
Dans bien des cas, la reconnaissance judiciaire du don manuel va au-delà de la simple constatation. Elle nécessite compréhension et analyse de l'opération intervenue entre les protagonistes, pour mettre en évidence la libéralité.
L'exonération de la plus-value de cession de la résidence principale est un dispositif simple. La cession d'une habitation constituant la résidence habituelle et effective au jour de la vente est en principe exonérée (CGI, art. 150 U, II 1° et 3° N° Lexbase : L5249IMD). Mais, la réalité est, parfois, plus complexe ; l'arrêt du Conseil d'Etat du 6 octobre 2010 nous en fournit un bel exemple.
En l'espèce, un couple de fonctionnaires résidant à Aix-en-Provence avait obtenu leur mutation professionnelle en région parisienne à compter respectivement des mois de janvier et septembre 1997. Ils ont mis leur habitation en vente en juin de la même année. Une promesse de vente a été signée en novembre 1998 assortie de conditions suspensives relatives à l'évolution de la réglementation d'urbanisme applicable dans le secteur et à l'obtention d'autorisations de démolir et de construire. La vente étant intervenue en décembre 1999, soit plus de deux ans après le déménagement, l'administration fiscale a redressé la plus-value placée en exonération. Compte tenu de ce délai, la résidence ne pouvait plus être regardée comme constituant la résidence principale des contribuables lors de la cession.
La décision intervient dans le cadre de l'ancien régime des plus-values immobilières des particuliers (CGI, art. 150 C N° Lexbase : L2347HLI). L'actuel régime, en place depuis 2004, reprend les mêmes dispositions. La présente décision est donc transposable.
- Les assouplissements doctrinaux
La règle est simple. Le logement doit être la résidence principale du cédant au jour de la cession.
Cette condition exclut de l'exonération les cessions portant sur des immeubles qui, bien qu'ayant été antérieurement la résidence principale du propriétaire, n'ont plus cette qualité au moment de la vente. Ainsi, l'exonération ne s'applique pas aux cessions portant sur des immeubles qui, au jour de la cession, sont donnés en location, sont occupés gratuitement par des membres de la famille du propriétaire ou des tiers, sont devenus vacants ou sont encore à la disposition d'une personne titulaire d'un logement de fonction (cf. instruction du 14 janvier 2004, BOI 8 M-1-01, Fiche 2, n° 20 N° Lexbase : X7629AAS).
L'exonération est, également, refusée lorsque l'occupation au moment de la vente répond à des motifs de pure convenance et, notamment, lorsque le propriétaire revient occuper le logement juste avant la vente et pour les besoins de cette dernière.
Ces principes comportent plusieurs assouplissements lorsque, par exemple, le logement est occupé par le futur acquéreur ou cédé par des couples séparés ou divorcés dont l'un époux a quitté le domicile avant la vente.
Le cas de l'immeuble occupé jusqu'à sa mise en vente fait l'objet de mesures particulières. Dans cette situation, même si le cédant n'occupe plus le logement, l'exonération s'applique à condition que la cession intervienne dans les délais normaux de vente (douze mois).
Tolérante, l'administration fiscale a précisé qu'il convenait de "faire une appréciation circonstanciée de chaque situation, y compris au vu des raisons conjoncturelles qui peuvent retarder la vente, pour déterminer si le délai de vente peut ou non être considéré comme normal".
Pour tenir compte de la situation actuelle du marché immobilier, il est admis, pour les cessions intervenues en 2009 ou en 2010, qu'un délai de vente de deux ans constitue, dans tous les cas, un délai "normal" (cf. instruction 3 mars 2009, BOI 8 M-1-09 N° Lexbase : X5934AEI).
- L'appréciation souveraine par le juge du délai normal de vente
On l'aura compris, le délai de revente est une question d'appréciation. Telle est la démarche du Conseil d'Etat dans la présente affaire. Les requérants faisaient valoir qu'à l'époque des faits, la commune d'Aix-en-Provence envisageait la création de nouvelles zones d'aménagement concerté et une modification du plan d'occupation des sols. Ces éléments pouvaient-ils emporter la conviction des juges ? Manifestement, oui.
La cour administrative d'appel de Versailles devait apprécier si le délai de vente devait être considéré comme normal compte tenu notamment de la procédure d'urbanisme en cours (CAA Versailles, 3ème ch., 29 mai 2007, n° 06VE00682 N° Lexbase : A2048DX7). Ce qu'elle n'a pas fait. Le Conseil d'Etat se rappelle de façon explicite.
Par ailleurs, on remarquera dans la présente affaire que vingt-six mois séparent le déménagement des propriétaires et la vente effective du logement. Le Conseil d'Etat n'est en aucune manière lié au délai de deux ans maximum préconisé par l'administration fiscale.
La translucidité fiscale des sociétés de personnes est, pour le fiscaliste, un sujet inépuisable tant par la subtilité du mécanisme que par ses multiples implications (détermination du résultat social, déduction des charges professionnelles personnelles des associés, plus-values de cession de droit sociaux, contrôle fiscal, etc.).
L'arrêt du 6 octobre 2010 en est une parfaite illustration. Une société civile de construction-vente soumise au régime fiscal des sociétés de personnes (CGI, art. 239 ter N° Lexbase : L4961HLC) avait été créée pour assurer la maîtrise d'oeuvre de la construction d'un hypermarché. A ce titre, elle a déduit, pour la détermination de son résultat, des travaux immobiliers et des prestations d'études.
Le service des impôts a rejeté les charges ainsi déduites au motif qu'elles étaient dépourvues de réalité. En l'absence de contrepartie réelle pour la SCI de construction-vente, le paiement de ces prestations fictives étaient constitutif d'un acte anormal de gestion. Sur ce point, l'affaire était, semble-t-il, entendue.
Un des associés étant le principal bénéficiaire de ces facturations, le vérificateur a cru bon d'imposer exclusivement ce dernier à raison du redressement opéré. C'était méconnaître les principes même d'imposition des sociétés de personnes.
- Répartition du résultat en fonction des droits des associés résultant des statuts
Chaque associé d'une société de personnes est personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part de bénéfices sociaux correspondant à ses droits dans ladite société (CGI, art 8 N° Lexbase : L2311IB9), c'est-à-dire normalement par référence aux droits résultant des statuts. En l'absence d'une clef de répartition des résultats prévue expressément par ces derniers, la répartition du bénéfice de la société est déterminée sur la base des droits détenus par chaque associé, c'est-à-dire au prorata de leur participation dans le capital social.
Doctrine administrative et jurisprudence s'accordent pour admettre que les associés d'une société peuvent déroger aux règles fixées par els statuts. Sans recourir à une modification statutaire -autonomie du droit fiscal oblige-, les associés peuvent conclure entre eux une convention prévoyant une répartition différente : le Conseil d'Etat n'est pas exigeant sur le formalisme. Néanmoins, elle doit être conclue entre tous les associés. Pour produire un plein effet, la convention doit être impérativement conclue avant la date de clôture de l'exercice social. A titre d'exemple, l'acte notarié chargé de la vente d'un immeuble précisant le produit de la vente réalisé par la SCI venderesse serait réparti selon une clé de répartition différente (et, notamment, pour les associés minoritaires) est une convention opposables à l'administration fiscale (TA Dijon, 2ème ch., 6 février 1996, n° 95-2044, BF, 3/97).
L'un des rares tempéraments admis concerne les associés de société de fait. Ces dernières étant généralement dépourvues de statuts, la répartition des résultats sociaux s'effectue en général selon des modalités conventionnelles traduites dans les déclarations de revenus des associés. Le Conseil d'Etat n'exige pas que les associés apportent la preuve formelle d'une modification de la répartition des bénéfices avant la clôture de l'exercice (CE Contentieux, 9 mai 1990, n° 55621 N° Lexbase : A4634AQP). La preuve résulte, alors, des déclarations des revenus des associés au titre de l'exercice considéré.
- Condamnation de toute modification tacite de la répartition des résultats d'une société de personnes
Dans la présente affaire, la cour administrative d'appel de Bordeaux du 29 mai 2007 avait jugé que l'accord des associés à une modification des statuts pouvait être tacite et résulter de la connaissance de ces derniers des agissements de l'un d'entre eux ayant une incidence sur la répartition de résultat de la société et de leur absence d'opposition (CAA Bordeaux, 3ème ch., 29 mai 2007, n° 04BX00468 N° Lexbase : A8102DXD).
Le Conseil d'Etat rejette l'analyse de la cour. Cette dernière devait rechercher au préalable l'accord formel des autres associés sur la modification de la répartition des résultats. Le fait que la société civile de construction-vente accepte des facturations fictives et s'en acquitte auprès de son créancier, principal associé, ne vaut pas acceptation par les autres associés d'une nouvelle répartition des résultats. Il en résulte que le redressement opéré par l'administration a une incidence sur le résultat fiscal de cette dernière et doit être supporté par tous les associés. L'associé bénéficiaire ne peut, en conséquence, supporter seul la charge.
Le fait qu'un associé soit le principal bénéficiaire des facturations ne change pas la règle. Aucun parallèle n'est possible avec le régime des revenus distribués (réintégration du redressement dans le résultat imposable pour le calcul de l'IS et taxation du bénéficiaire à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des RCM, -CGI, art. 109, 1 N° Lexbase : L2060HLU-).
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