Réf. : Cass. soc., 26 octobre 2010, n° 09-42.740, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6143GCI)
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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 04 Janvier 2011
Résumé Cass. soc., 26 octobre 2010, n° 09-42.740, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6143GCI) Dès lors que le règlement intérieur fixe les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur, une sanction ne peut être prononcée contre un salarié que si elle est prévue par ce règlement intérieur. En outre, une mise à pied prévue par le règlement intérieur n'est licite que si ce règlement précise sa durée maximale. |
Commentaire
I - Le rôle joué par le règlement intérieur en matière de sanctions disciplinaires
Le règlement intérieur, lointain descendant des règlements d'atelier du XIXème siècle, est une norme patronale à laquelle on attache généralement la qualification d'acte réglementaire de droit privé (1).
Adopté unilatéralement par l'employeur, après consultation des représentants du personnel et contrôle de l'inspection du travail, le règlement intérieur comporte un objet précisément défini à l'article L. 1321-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1837H9W). Ainsi, le règlement comporte "exclusivement [...] les mesures d'application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l'entreprise, les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l'employeur, au rétablissement de conditions de travail protectrices de la santé et de la sécurité des salariés, dès lors qu'elles apparaîtraient compromises" et, surtout, "les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur".
La détermination du contenu du règlement intérieur relatif à la discipline a régulièrement fait difficulté, principalement en raison du caractère flou et mal déterminé de la notion de discipline. En effet, quoique l'énumération de l'article L. 1321-1 du Code du travail soit considérée comme limitative (2), il était parfois jugé que ce caractère limitatif n'était que d'apparence, "la notion d'hygiène et de sécurité comme celle de discipline laissant une grande marge de manoeuvre au chef d'entreprise" (3).
Le caractère limitatif impliquait, en tous les cas, qu'aucune disposition étrangère au domaine du règlement intérieur ne puisse utilement y figurer. Outre les mesures de nature discriminatoire (4) ou les sanctions pécuniaires prohibées par le Code du travail (5), il n'était donc, généralement, pas admis que des dispositions ressortissant d'autres domaines que l'hygiène et la sécurité et à la discipline puissent y être intégrées (6).
Si le caractère limitatif semblait donc interdire que des dispositions complémentaires soient prévues par le règlement, il n'était, en revanche, pas expressément prévu que ce dernier doive nécessairement comporter toutes les mesures relatives à la discipline, la jurisprudence considérant ainsi que des sanctions disciplinaires qui n'avaient pas été envisagées par le règlement pouvaient malgré tout être adoptées par l'employeur, par simple effet de son pouvoir de direction dont découle son pouvoir disciplinaire (7). Plus spécialement, la mise à pied était jugée comme constituant "une sanction inhérente au pouvoir disciplinaire de l'employeur" (8).
Le caractère mal assuré du contenu disciplinaire du règlement intérieur était encore accentué par la rareté des décisions précisant les conditions particulières entourant telle ou telle sanction. En effet, rares sont les décisions à s'être prononcées sur le degré de précision nécessaire du règlement en matière de sanctions. Ce sont ces questions qui faisaient l'objet de l'arrêt rendu par la Chambre sociale le 26 octobre 2010.
Un salarié avait été sanctionné par une mise à pied d'une durée de 5 jours ouvrés en raison de propos diffamatoires tenus à l'encontre de l'employeur. Il contesta la sanction devant les juridictions du fond. La cour d'appel de Rennes, saisie de l'affaire, refusa d'annuler la sanction, jugeant que le silence du règlement intérieur, qui ne limitait pas la durée d'une éventuelle mise à pied, ne constituait pas un obstacle à la licéité de la sanction. Les juges de Rennes prenaient, pour argument, qu'une telle sanction était inhérente au pouvoir disciplinaire de l'employeur, lequel a la faculté, en l'absence de dispositions restrictives du règlement intérieur ou d'une convention collective, d'en faire usage sous le contrôle du juge judiciaire (9).
Cette décision est cassée par la Chambre sociale de la Cour de cassation. L'arrêt revêt tous les atours d'une décision recouverte de la plus grande solennité. Il fait l'objet d'une large publicité (P+B+R+I) et est accompagné, comme cela est de coutume dans cette situation, d'un communiqué de presse publié sur le site de la Cour de cassation (10). L'arrêt comporte également un double chapeau qui, à lui seul, renferme toute l'argumentation de la Chambre sociale. Ainsi, la Cour de cassation juge que "dès lors que le règlement intérieur fixe les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur, une sanction ne peut être prononcée contre un salarié que si elle est prévue par ce règlement". A l'énoncé de cette règle générale, la Chambre sociale ajoute que la "mise à pied prévue par le règlement intérieur n'est licite que si ce règlement précise sa durée maximale".
II - La prévision impérative des sanctions disciplinaires à la disposition de l'employeur
La Chambre sociale rappelle donc la règle instituée par l'article L. 1321-1 du Code du travail en matière de discipline, à savoir que le règlement intérieur "fixe" la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur. Si le texte n'a pas changé, les Hauts magistrats lui font pourtant produire un effet radicalement différent. En effet, toute la puissance du présent de l'indicatif auquel est conjugué le verbe fixer est déployée. Si l'employeur ne prévoit pas la mise à pied comme pouvant constituer une sanction disciplinaire dans l'entreprise, une telle sanction ne pourra être prononcée contre un salarié.
L'argumentation engagée par les termes "dès lors que le règlement intérieur fixe [...]" ne doit pas tromper. Il ne s'agit nullement de permettre à l'entreprise d'utiliser la sanction disciplinaire absente du règlement lorsqu'aucune mesure de celui-ci ne porte sur la discipline dans l'entreprise ce qui, au demeurant, paraît assez improbable. Il semble plutôt que la formule ménage une exception pour les entreprises ne comportant pas de règlement intérieur parce que la loi ne leur impose pas, ces entreprises demeurant utilement libres de recourir à la mise à pied disciplinaire (11).
La règle nouvelle paraît en parfaite harmonie avec les exigences imposées au règlement intérieur en matière de droits de la défense (12) et, plus généralement, avec une certaine conception de la sécurité juridique. A partir du moment où le règlement intérieur a pour fonction de déterminer la nature et l'échelle des sanctions, le salarié est, en effet, fondé à croire que seules les sanctions prévues par ce texte pourront être prononcées à son encontre.
Si cette règle constitue une véritable innovation de la part de la Chambre sociale de la Cour de cassation, elle ne devrait pas avoir trop d'impact sur les règlements intérieurs existants. En effet, il aurait pu être craint que la jurisprudence nouvelle, dont il n'est guère de coutume de moduler les effets dans le temps (13), porte atteinte à de nombreux règlements en vigueur. La validité des règlements intérieurs n'est cependant pas mise en cause, seule la faculté de prononcer une mise à pied disciplinaire étant atteinte.
Il n'en demeure pas moins qu'il conviendra de modifier les règlements intérieurs en vigueur sous peine de voir la sanction annulée comme cela était le cas en l'espèce. En outre, des mises à pied disciplinaires, prononcées sous l'empire de la jurisprudence antérieure, devraient pouvoir être annulées.
Cette décision pourrait-elle avoir des conséquences au-delà de la simple mise à pied disciplinaire ? Il nous semble que cette perspective est parfaitement envisageable, quoiqu'elle ne puisse aller jusqu'à s'appliquer au licenciement.
En effet, comme la mise à pied disciplinaire, l'avertissement, la rétrogradation, la mutation ne sont pas spécialement envisagés comme des sanctions disciplinaires par le Code du travail (14). L'article L. 1331-1 du Code, visé par l'arrêt, définit les sanctions disciplinaires par leurs effets sur l'emploi sans en donner la moindre illustration. L'exigence de sécurité juridique invoquée ne peut, dès lors, être assouvie par le Code du travail, si bien que seul le règlement intérieur peut assumer ce rôle.
Il en va autrement du licenciement disciplinaire. Si celui-ci n'est pas directement envisagé comme une sanction pouvant être prononcée par l'employeur, le Code du travail détermine cependant les conséquences d'un tel licenciement en privant le salarié coupable de faute grave de l'indemnité de préavis et de l'indemnité de licenciement et le salarié licencié pour faute lourde d'indemnité de congés payés. L'employeur devrait donc conserver la faculté de prononcer un licenciement pour faute quand bien même le règlement intérieur resterait silencieux sur cette sanction.
L'arrêt apporte une autre précision quant à la durée de la mise à pied disciplinaire.
III - La précision de la durée maximale de la mise à pied disciplinaire par le règlement intérieur
Outre le principe de la mise à pied qui doit donc désormais être déterminé par le règlement intérieur, c'est également la durée de celle-ci qui doit être établie. La règle ne surprend guère, cela pour deux types de raisons.
D'abord, parce que la Chambre sociale a longtemps affirmé que l'un des critères de distinction entre la mise à pied disciplinaire et la mise à pied conservatoire tient au caractère déterminé de la durée de l'une ou de l'autre (15). Si la Cour reconnaît désormais qu'une mise à pied conservatoire peut comporter une durée déterminée, elle n'est jamais revenue sur l'exigence que la mise à pied disciplinaire comporte une durée déterminée (16). Cette règle est parfaitement logique, logique qui se comprend par un raisonnement par l'absurde. En effet, si la mise à pied ne comportait pas une durée déterminée, le salarié pourrait être sanctionné par la suspension de son contrat de travail pour une durée illimitée (17).
Ensuite, parce que le Conseil d'Etat a déjà eu l'occasion de juger que le règlement intérieur comportant une stipulation relative à la mise à pied disciplinaire devait déterminer la durée maximale de cette mise à pied (18). L'exigence d'une durée maximale de la mise à pied prévue par le règlement faisait donc déjà l'objet d'un contrôle de la part de l'inspection du travail, si bien que les cas, comme en l'espèce, dans lesquels le règlement serait dépourvu d'une telle précision, devraient demeurer rares et n'impliquer qu'un nombre limité de remises en cause.
Si, malgré tout, un règlement intérieur, passé par les fourches caudines de l'administration du travail, comporte une faculté de prononcer une mise à pied sans que la durée maximale de celle-ci ne soit envisagée, l'employeur doit se garder de prononcer une telle sanction au risque de voir celle-ci annulée. Dans ce cas de figure, il convient alors de choisir une autre sanction elle aussi prévue par le règlement et de modifier rapidement le contenu du règlement intérieur.
(1) N. Catala, L'entreprise, Traité de droit du travail, t. IV, Dalloz, 1980, n° 180 ; Cass. soc., 25 septembre 1991, n° 87-42.396 (N° Lexbase : A3864ABQ) ; J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud, E. Dockès, Les grands arrêts du droit du travail, Dalloz, 4ème éd., 2008, n° 171.
(2) Cass. soc., 12 décembre 1990, n° 87-45.799 (N° Lexbase : A1483AA8) ; RJS, 1991, n° 176.
(3) F. Favennec-Héry, P.- Y. Verkindt, Droit du travail, LGDJ, 2ème éd., 2009, p. 208.
(4) C. trav., art. L. 1321-3 (N° Lexbase : L1843H97).
(5) Par extension de l'article L. 1331-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1860H9R).
(6) Il faut cependant ajouter que le règlement intérieur doit comporter des dispositions rappelant les règles applicables dans l'entreprise en matière de harcèlements moral et sexuel et aux droits de la défense : C. trav., art. L. 1321-2 (N° Lexbase : L1840H9Z).
(7) Cass. civ., sect. soc., 16 juin 1945 (N° Lexbase : A3214C8K) ; Dr. soc., 1946, p. 427, note P. Durand ; Cass. soc., 10 mai 1978, n° 77-40.459 (N° Lexbase : A9095CGX) ; JCP éd. Cl, 1978, I, 7287, obs. B. Teyssié et R. Descotte.
(8) Cass. soc., 25 juin 1987, n° 84-42.314 (N° Lexbase : A2073ABE) ; D., 1988, somm. p. 98 ; Dr. soc., 1988, p. 252.
(9) Sur l'articulation entre l'échelle des sanctions du règlement intérieur et celles de la convention collective, voir un arrêt jugeant que lorsque la mise à pied ne figure pas au nombre des sanctions prévues par la convention collective, l'introduction d'une telle sanction dans l'échelle des mesures disciplinaires fixées par le règlement ne constitue pas une disposition plus favorable aux salariés, si bien que cette stipulation ne peut trouver à s'appliquer. V. CE Contentieux, 28 janvier 1991, n° 84586 (N° Lexbase : A0990AII).
(10) Voir le communiqué de presse.
(11) Rappelons que l'entreprise n'a l'obligation de mettre en place un règlement intérieur qu'à compter de vingt salariés, v. C. trav., art. L. 1311-2 (N° Lexbase : L1835H9T).
(12) Cf. note n° 6.
(13) V. tout de même Cass. soc., 26 mai 2010, n° 09-60.400, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7362EXX), et v. les obs. de Ch. Radé., L'aménagement des effets d'un revirement de jurisprudence : la Chambre sociale de la Cour de cassation ouvre la voie, Lexbase Hebdo n° 409 du 23 septembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N0948BQ8) ; Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 09-40.968, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2304GAL) et v. les obs. de Ch. Radé, Sécurité juridique et revirement de jurisprudence : la Chambre sociale de la Cour de cassation fait de la résistance, Lexbase Hebdo n° 411 du 7 octobre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N1111BQ9).
(14) Il faut nuancer ce propos s'agissant de l'avertissement, l'article L. 1332-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1864H9W) excluant l'avertissement des sanctions pour lesquelles le respect de la procédure disciplinaire est requis.
(15) Cass. soc., 6 novembre 2001, n° 99-43.012 (N° Lexbase : A0675AXB) ; Cass. soc., 9 avril 2008, n° 06-45.323, F-D (N° Lexbase : A8772D7Z).
(16) Cass. soc., 18 mars 2009, n° 07-44.185, F-P+B (N° Lexbase : A0824EEA).
(17) La Cour de cassation avait autrefois jugé qu'une mise à pied disciplinaire "doit connaître une stricte limite dans le temps et qu'infligée pour une durée indéterminée, elle constitue en fait une résiliation du contrat de travail", Cass. soc., 1er juin 1961, Bull. civ. IV, n° 591.
(18) CE 1° et 4° s-s-r., 21 septembre 1990, n° 105247 (N° Lexbase : A9875AH9).
Décision Cass. soc., 26 octobre 2010, n° 09-42.740, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6143GCI) Cassation partielle, CA Rennes, 5ème ch. soc., 12 mai 2009 Textes visés : C. trav., art. L. 1321-1 (N° Lexbase : L1837H9W) et L. 1331-1 (N° Lexbase : L1858H9P) Mots-clés : règlement intérieur, discipline, mise à pied disciplinaire prévision de la sanction durée de la mise à pied. Liens base : (N° Lexbase : E2773ETU) |
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