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N4235BQW
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le 04 Janvier 2011
Le prêt d'argent n'est pas sans soulever un certain nombre de difficultés propres à générer un contentieux non négligeable. Certaines d'entre elles ont d'ailleurs déjà pu être évoquées ici même. Ainsi, quant à la nature du prêt d'argent d'abord, n'ignore-t-on pas que la jurisprudence distingue aujourd'hui selon qu'il est conclu entre particuliers ou bien qu'il est consenti par un professionnel : si, en effet, elle continue de considérer que le prêt de consommation est bien, en principe, un contrat réel (1) -le contrat réel étant celui qui, pour sa formation, exige non seulement l'accord des parties, mais aussi la remise d'une chose au débiteur-, elle décide, en revanche, que tel n'est plus le cas lorsque le prêt est consenti par un professionnel du crédit (2). Ensuite, quant à la preuve de la cause d'une reconnaissance de dettes, la jurisprudence est désormais établie en ce sens que, la cause de l'obligation étant présumée exacte, il incombe aux signataires d'une reconnaissance de dettes qui contesteraient être tenus d'une obligation de prouver que les sommes qu'elle mentionne ne leur ont pas été remises (3). A ces difficultés s'en ajoute encore une autre, ayant suscité une importante controverse : elle tient à la qualification juridique et, partant, au régime de la preuve du paiement effectué ou prétendument effectué par l'emprunteur. Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 16 septembre dernier, largement diffusé puisqu'à paraître au Bulletin et reproduit par la Cour sur son site internet, mérite, sous cet aspect, d'être signalé.
En l'espèce, estimant que le prêt qu'il lui avait consenti n'avait pas été remboursé, le prêteur avait, se fondant sur une reconnaissance de dette, assigné l'emprunteur en paiement d'une somme de presque 40 000 euros aux fins, précisément, de remboursement. L'emprunteur, de son côté, faisait valoir que, ayant déjà exécuté son obligation, il était libéré. Son argumentation n'avait cependant pas emporté la conviction des juges du fond qui, pour accueillir la demande du prêteur, avaient, sur renvoi après cassation, considéré que l'emprunteur ne versait aux débats que des attestations, mais ne produisait aucun écrit constatant qu'il s'était effectivement libéré de sa dette, ni aucun commencement de preuve par écrit. Cette décision est cassée, sous le visa de l'article 1341 du Code civil (N° Lexbase : L1451ABD). Après, en effet, avoir énoncé, dans un attendu de principe, que "la preuve du paiement, qui est un fait, peut être rapportée par tous moyens", la première chambre civile de la Cour de cassation décide "qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé".
L'arrêt est important. Classiquement, la jurisprudence considérait que le paiement d'une obligation monétaire constituait un acte juridique dont la preuve devait, en principe, être rapportée par écrit (4). Ainsi la première chambre civile de la Cour de cassation avait-elle jugé, il y a quelques années, que "celui qui excipe du paiement d'une somme d'argent est tenu d'en rapporter la preuve conformément aux règles édictées par les articles 1341 et suivants du Code civil" (5). Un arrêt plus ancien avait du reste déjà énoncé, plus précisément encore d'ailleurs, que "celui qui excipe du paiement de la totalité d'une dette, afin d'exercer un recours contre son codébiteur, est tenu de rapporter la preuve de l'acte juridique que constitue le paiement conformément aux règles édictées par l'article 1341 du Code civil" (6). Mais l'on n'ignore pas que cette solution de principe avait paru être remise en cause par un arrêt plus récent, de la première chambre civile, en date du 6 juillet 2004, affirmant que "la preuve du paiement, qui est un fait, peut être rapportée par tous moyens" (7). On aura évidemment remarqué que c'est exactement cette formule que reprend l'arrêt du 16 septembre dernier.
L'apport de l'arrêt nous paraît ainsi indiscutable. Il confirme l'existence du revirement opéré par la première chambre civile en 2004, abandonnant l'ancienne qualification juridique du paiement, ce qui, naturellement, emporte un certain nombre de conséquences sur le régime de la preuve de celui-ci. Il serait sans doute d'ailleurs plus exact de dire qu'il confirme que l'arrêt de 2004 constituait bien un revirement de jurisprudence, ce dont certains avaient pu douter. En effet, dans la mesure où, dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt de 2004, le litige portait seulement sur la preuve du montant du versement effectué, on s'était demandé si la Cour n'avait pas en réalité confondu versement et paiement, ce qui n'est sans doute pas la même chose : alors que le paiement a un effet extinctif puisqu'il éteint l'obligation du débiteur, la remise de fonds au créancier d'une obligation monétaire ne constitue pas nécessairement un paiement (ce qui explique d'ailleurs que le créancier dispose, en vertu de l'article 1244 du Code civil N° Lexbase : L1357ABU, du pouvoir de refuser un paiement partiel). L'hypothèse d'une confusion avait au demeurant paru à certains d'autant plus facilement envisageable que, avaient-ils encore fait valoir, l'examen de la jurisprudence révèle que la terminologie de la Cour de cassation est, en la matière, "plutôt flottante" (8). L'arrêt du 16 septembre 2010, rendu dans une affaire dans laquelle il n'était pas simplement question de la preuve du montant du versement effectué par l'emprunteur en remboursement de sa dette, mais bien du principe même de l'exécution de son obligation, autrement dit de son paiement, permet ainsi de clarifier les choses : la Cour de cassation ne confond pas versement et paiement ; elle entend bien décider que "la preuve du paiement, qui est un fait, peut être rapportée par tous moyens", entérinant ainsi un courant doctrinal qui considère effectivement que le paiement relève, y compris dans sa dimension extinctive de l'obligation, de la catégorie des faits juridiques (9).
Il n'est pas rare qu'un immeuble soit vendu avant qu'il ne soit achevé, autrement dit à un moment où il n'existe qu'à l'état de plans : le vendeur s'oblige à édifier une construction dans un délai donné, à en transférer la propriété, à la délivrer et à en garantir l'achèvement. Techniquement, deux types de vente permettent de réaliser l'opération : la vente à terme, d'une part, et la vente en l'état futur d'achèvement, d'autre part, la distinction tenant à la manière dont s'opère le transfert de la propriété et le paiement du prix. Alors, en effet, que, dans la vente à terme, le transfert de la propriété a lieu, par acte authentique, lorsque l'immeuble est achevé et "produit ses effets rétroactivement au jour de la vente" (C. civ., art. 1601-2 N° Lexbase : L1699ABK) et que l'acheteur paie le prix au jour de la livraison, le vendeur, dans la vente en l'état futur d'achèvement, transfère immédiatement à l'acquéreur ses droits sur le sol et les constructions existantes, tandis que les constructions à venir deviennent la propriété de l'acquéreur au fur et à mesure de l'exécution. Et, dans cette hypothèse, l'acquéreur échelonne ses paiements au fur et à mesure de l'avancement des travaux (C. civ., art. 1601-3 N° Lexbase : L1700ABL). Quel que soit le cas de figure retenu, la vente d'immeuble à construire est en pratique généralement précédée d'un avant-contrat destiné à "fixer" l'acquéreur éventuel. Mais c'est là le risque d'un engagement pris à la légère accompagné d'un versement de fonds plus ou moins important susceptible de ne pas être restitué dans le cas où l'intervenant ne donnerait pas suite. C'est pourquoi dans le secteur dit protégé des ventes d'immeubles à construire, c'est-à-dire lorsque la construction porte sur un immeuble à usage d'habitation ou mixte professionnel et d'habitation, le législateur est intervenu : un seul avant-contrat est possible, régi par les dispositions particulières de l'article L. 261-15 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L1971HPP), aux termes duquel "est nulle toute autre promesse d'achat ou de vente". Précisément, ce texte prévoit que la vente prévue à l'article L. 261-10 du même code (N° Lexbase : L1965HPH), c'est-à-dire la vente d'immeuble à construire qui se situe dans le champ d'application du "secteur protégé", peut être précédée d'un contrat préliminaire, dont il fixe le régime, par lequel, en contrepartie d'un dépôt de garantie effectué à un compte spécial, le vendeur (réservant) s'engage à réserver à un acheteur (réservataire) un immeuble ou une partie d'immeuble (à usage d'habitation ou mixte). Les obligations des parties sont, pour le vendeur, de réserver et, pour le bénéficiaire, d'effectuer un dépôt de garantie. Encore faut-il relever que des conditions strictes encadrent ce dépôt de garantie, ce qu'un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 22 septembre dernier, à paraître au Bulletin, est venu rappeler.
En l'espèce, l'acquéreur d'une maison d'habitation en l'état futur d'achèvement avait conclu avec le vendeur un contrat de réservation et lui avait, à cette fin, remis un chèque de près de 10 000 euros à titre de dépôt de garantie. Le projet d'acte de vente étant intervenu avec un certain retard, le réservataire avait adressé au notaire un courrier demandant de réduire le prix, compte tenu de deux avenants de moins-value, d'y inclure les frais d'acte et exigeant que le délai de livraison soit précisé et qu'il soit fixé à une date déterminée avec application de pénalités en cas de retard. Le vendeur avait cependant refusé ces exigences et le notaire avait procédé à la restitution du dépôt de garanti au réservataire. C'est dans ce contexte que le réservataire avait finalement assigné le réservant en nullité du contrat de réservation et en indemnisation de ses préjudices. Les juges du fond, pour le débouter de sa demande en nullité du contrat de réservation et de paiement de dommages-intérêts, avaient retenu que le réservant n'avait certes pas respecté les dispositions de l'article R. 261-28 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L8232IA7) puisque le chèque émis au titre du dépôt de garantie par le réservataire avait été libellé au nom du réservant, mais que ce manquement était relatif dans la mesure où, par la suite, la somme avait été transférée vers la comptabilité du notaire qui l'avait consignée à la Caisse des dépôts et consignations et que l'irrégularité invoquée par le réservataire ne lui avait en définitive causé aucun préjudice de nature économique, le dépôt de garantie lui ayant été restitué dès la notification de la dénonciation, pour des motifs légitimes, du contrat de réservation. Leur décision est cassée, sous le visa des articles L. 261-15 et R. 261-29 (N° Lexbase : L8449IA8) du Code de la construction et de l'habitation. Après, en effet, avoir énoncé que "la vente en l'état futur d'achèvement peut être précédée d'un contrat préliminaire par lequel, en contrepartie d'un dépôt de garantie effectué à un compte spécial, le vendeur s'engage à réserver à un acheteur un immeuble ou une partie d'immeuble ; que le dépôt de garantie est fait à un compte spécial ouvert au nom du réservataire dans une banque ou un établissement spécialement habilité à cet effet ou chez un notaire", la Haute juridiction décide qu'en statuant comme ils l'ont fait, "alors que l'absence de remise du dépôt de garantie sur un compte spécial ouvert au nom du réservataire entraîne la nullité du contrat de réservation", les juges d'appel ont violé les textes susvisés.
L'arrêt confirme ainsi une solution acquise (10). Pour la comprendre, il faut rappeler que les dispositions de l'article L. 261-15 précité et celles réglementaires prises pour leur application (CCH, art. R. 261-25 N° Lexbase : L8617IAE à R. 261-31) sont impératives, de telle sorte que toute autre forme de réservation est nulle et que toute clause contraire est réputée non écrite (11). Or, de manière extensive, la jurisprudence considère manifestement que cette nullité sanctionne non seulement le fait d'établir une convention autre qu'un contrat préliminaire de réservation, mais également celui d'établir un contrat préliminaire ne satisfaisant pas à toutes les conditions légales et règlementaires qui lui sont applicables (12). Précisément, en dehors des mentions que le contrat doit, à peine de nullité, comporter afin d'informer le réservataire sur le sens et la portée de son engagement, et qui consistent, pour l'essentiel, dans un certain nombre d'indications techniques et financières ainsi que de délai d'exécution des travaux (13), l'élément substantiel du contrat de réservation réside dans le dépôt de garantie effectué par le réservataire en contrepartie de la réservation (14). Et c'est bien, précisément, parce qu'il s'agit là de l'élément substantiel du contrat de réservation que le dépôt de garantie fait l'objet d'une réglementation assez minutieuse. Ainsi, quant au montant du dépôt d'abord, qui varie en fonction du délai prévu pour la réalisation de la vente, est-il prévu qu'il ne peut excéder 5 % du prix prévisionnel de vente si le délai de réalisation de la vente n'excède pas un an ou bien 2 % si ce délai n'excède pas deux ans, et qu'aucun dépôt ne peut être exigé si ce délai excède deux ans (CCH, art. R. 261-28). Ensuite, quant au dépôt lui-même, il doit être effectué à un compte spécial ouvert au nom du réservataire dans une banque ou un établissement spécialement habilité à cet effet ou chez un notaire (CCH, art. R. 261-29) : les fonds déposés sont alors "indisponibles, incessibles et insaisissables jusqu'à la conclusion du contrat de vente" (CCH, art. L. 261-15). Et c'est d'ailleurs bien parce que ce dépôt à un compte spécial est un élément constitutif de la réservation que l'absence de remise de dépôt de garantie sur un compte spécial au nom du réservataire entraîne la nullité du contrat de réservation (15) : l'encaissement du chèque est ainsi une condition de validité du contrat préliminaire de réservation, peu importe, sous cet aspect, que le réservant se soit contenté de conserver par devers lui le chèque établi par le réservataire, sans l'encaisser et sans qu'il en résulte aucun préjudice pour le réservataire (16).
David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)
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