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le 04 Janvier 2011
En droit commun, un créancier ne peut déclarer sa créance à titre provisionnel (1). Si sa créance n'est pas liquide, il doit la déclarer par estimation, en indiquant un montant maximum, qui ne pourra être revu à la hausse, lorsque la créance sera liquidée.
Par exception, les créanciers publics, autorisés à se délivrer à eux-mêmes des titres exécutoires, en application du privilège du préalable, et eux seuls (2), puisqu'il est ici fait exception à la règle de l'arrêt des poursuites individuelles, non seulement peuvent, mais encore doivent impérativement, dans le délai classique de déclaration des créances -deux mois à compter de la publication au Bodacc du jugement d'ouverture-, déclarer leurs créances non couvertes par un titre exécutoire (C. com., art. L. 622-24, al. 3 N° Lexbase : L3455ICX). Puis, dans un deuxième temps, ils doivent liquider leurs créances, si cela n'est pas déjà le cas au jour de la déclaration à titre provisionnel, et se délivrer à eux-mêmes le titre, à savoir, pour l'Urssaf, sur le cas de laquelle on raisonne spécifiquement ici, la contrainte. Il a été jugé, à propos de la contrainte des organismes sociaux, que le titre exécutoire exigé par la législation pour solliciter l'admission à titre définitif de sa créance existe par le seul effet de la délivrance de la contrainte, indépendamment de sa signification au débiteur (3). Alors, dans un troisième temps, le créancier public déclarera sa créance à titre définitif, en étant cette fois enfermé dans un autre délai, celui de l'article L. 624-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3757HBR) : le délai imparti au mandataire judiciaire -ou au liquidateur- pour établir la liste des créances déclarées avec ses propositions d'admission, de rejet ou de renvoi devant la juridiction compétente, autrement dit le délai de vérification des créances.
Une question se pose à ce stade, contenue dans l'espèce rapportée : le créancier social ou fiscal peut-il revoir à la hausse la déclaration de créance faite à titre définitif ?
En l'espèce, l'Urssaf avait initialement déclaré à titre définitif une créance de 4 848 euros et, à titre provisionnel, une créance de 11 118 euros. Quatre mois plus tard, elle déclarait cette deuxième créance à titre définitif pour un montant de 5 663 euros. Puis, se ravisant, deux mois plus tard, elle déclarait à nouveau sa créance à titre définitif, cette fois pour un montant de 10 107 euros. Le mandataire judiciaire contestait cette seconde déclaration de créance à titre définitif, la considérant comme hors délai, et atteinte en conséquence de forclusion.
La cour d'appel ne lui donnait pas satisfaction et admettait la créance de l'Urssaf, déclarée à titre définitif pour le montant déclaré en second lieu.
La Cour de cassation va rejeter le pourvoi en ces termes : "ayant constaté que la déclaration de créance du 5 avril 2007 [déclaration à titre définitif faite en second lieu], d'un montant de 10 107 euros avait été effectuée dans le délai imparti par le tribunal pour l'établissement de l'état des créances et pour une somme inférieure à la déclaration à titre provisionnel, la cour d'appel en a déduit, à juste titre, qu'aucune forclusion n'était encourue".
Commençons par relever une petite confusion commise par la Cour de cassation entre la liste des créances déclarées établie par le mandataire judiciaire et l'état des créances. Ce dernier désigne le recueil des décisions du juge-commissaire statuant sur les créances déclarées et complété par les décisions rendues après reprise d'instance ou après incompétence. Cette confusion reste toutefois sans conséquence sur la pureté du raisonnement ici tenu par la Cour de cassation.
Pour parvenir à sa décision, la Chambre commerciale commence par rappeler une solution désormais bien acquise : la déclaration à titre définitif ne peut dépasser le montant pour lequel a été effectuée la déclaration à titre provisionnel (4). Tel était bien le cas en l'espèce, la déclaration à titre provisionnel ayant été effectuée pour un montant de 11 118 euros, alors que la déclaration à titre définitif, faite en second lieu s'élevait à 10 107 euros.
La deuxième difficulté tenait à la déclaration à titre définitif faite en deux fois. Dès lors que l'on considère, comme le fait la Cour de cassation, que la déclaration de créance équivaut à une demande en justice, il faut admettre que la déclaration de créance à titre définitif équivaut à une demande en justice. Celui qui introduit une demande en justice peut la compléter, par la voie d'une demande incidente. Figure au rang des demandes incidentes, la demande additionnelle.
Quand un créancier demande en justice plus que ce qu'il a initialement demandé, il présente une demande additionnelle. Il en est donc ainsi du créancier qui déclare une créance au passif.
Le demandeur peut-il, à tout moment, présenter une demande additionnelle ? Non ! En droit commun de la procédure civile, la demande additionnelle, comme toute demande incidente, doit être présentée dans le délai de l'action. En raisonnant sur une demande additionnelle présentée à l'occasion d'une déclaration de créance, cette demande doit être faite dans le délai de la déclaration de créance (5).
Si l'on raisonne sur la déclaration de créance à titre provisionnel, la déclaration complémentaire de créance devra être faite dans le délai de deux mois de la publication au Bodacc du jugement d'ouverture.
Si la déclaration de créance complémentaire intéresse la déclaration de créance à titre définitif, elle doit impérativement être présentée dans le délai de déclaration des créances à titre définitif, c'est-à-dire le délai de l'article L. 624-1 du Code de commerce, c'est-à-dire le délai d'établissement de la liste des créances déclarées et non dans le délai d'établissement de l'état des créances comme l'énonce la Cour de cassation. C'est bien ce qui avait été fait en l'espèce.
La suite du raisonnement est simple : l'Urssaf n'avait encouru aucune forclusion, laquelle ne peut exister sans texte.
Ainsi, le créancier public, dont la tâche, il faut le reconnaître, n'est pas facile, dans le cadre des déclarations de créances, exposé en effet à une forclusion que nous avions qualifiée de forclusion à double détente, peut-il se rattraper tant qu'il est dans le délai de l'action, non seulement pour déclarer sa créance non couverte par un titre exécutoire à titre provisionnel, mais également pour déclarer à titre définitif sa créance, lorsqu'il se sera délivré à lui-même le titre.
En revanche, la session de rattrapage n'existe pas, dans certains cas.
L'admission des créances couvertes par un titre, au jour de la déclaration de créance, ne pourra intervenir qu'à titre définitif, et cela même si le titre exécutoire est contesté. Le juge-commissaire ne pourra donc admettre la créance correspondante simplement à titre provisionnel (6). A fortiori, en sera-t-il ainsi, si la créance est établie par un titre exécutoire non contesté (7).
Il en est également ainsi lorsque le créancier public déclare à titre provisionnel pour un montant inférieur à celui de sa créance. Il ne pourra, par voie de déclaration à titre définitif, déclarer plus que ce qu'il a déclaré à titre provisionnel. Il lui reste néanmoins, en ce cas, la possibilité de se faire relever de forclusion, au titre de la déclaration effectuée à titre provisionnel, dans les conditions du droit commun du relevé de forclusion.
Il en est ensuite ainsi si le créancier déclare à titre définitif pour moins que ce qui lui est finalement dû. Ici encore, il pourra tenter le relevé de forclusion, au titre de sa déclaration à titre définitif, mais il sera rarement dans les délais pour présenter cette demande.
Il reste la dernière hypothèse, qui est assez fréquente : au terme du délai de déclaration à titre définitif, le créancier n'a pas encore pu liquider sa créance, notamment parce que le cotisant ne lui a pas donné les éléments de calcul. En ce cas, lorsque le créancier social se rend compte, à l'approche de l'expiration du délai de déclaration de créance à titre définitif, c'est-à-dire le délai imparti au mandataire judiciaire ou au liquidateur pour établir la liste des créances déclarées, qu'il ne sera pas dans les délais pour procéder à sa déclaration à titre définitif, faute de pouvoir délivrer le titre exécutoire, il lui faut impérativement, avant expiration de ce délai, obtenir un relevé de forclusion pour être autorisé à différer sa déclaration de créance à titre définitif. Il lui suffira d'invoquer que le cotisant ne lui a pas fourni en temps utile les éléments de calcul, dès lors du moins qu'ils lui auront été demandés en temps utile, pour démontrer que la défaillance à déclarer sa créance à titre définitif n'est pas due à son fait.
A ce stade, une observation s'impose, que pourrait peut-être prendre en compte le ministère de la Justice, à l'occasion d'une petite retouche des textes : le créancier public n'a aucun moyen direct d'accès à l'information sur la date d'expiration de son délai de déclaration de créance à titre définitif. En effet, et comme l'a, en l'état actuel des textes, exactement jugé la Cour de cassation, le délai imparti au mandataire judiciaire ou au liquidateur pour établir la liste des créances déclarées n'est pas mentionné dans l'avis d'insertion au Bodacc du jugement d'ouverture. Ce délai est opposable aux créanciers confrontés à devoir déclarer leurs créances à titre définitif dans ce délai par le seul fait de la publicité du jugement d'ouverture qui le mentionne (8). De lege ferenda, devrait constituer une mention obligatoire du jugement d'ouverture, le délai imparti au mandataire judiciaire ou au liquidateur pour établir la liste des créances déclarées. Il apparaît en effet pour le moins singulier de faire courir un délai avec un buttoir inconnu contre un créancier. Le droit au procès équitable n'y retrouve pas son compte...
Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe) et Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises
Quel est le rang attribué au créancier hypothécaire antérieur dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire ? Telle est la question abordée par un arrêt du 21 septembre 2010, rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L4126BMR).
En l'espèce, un créancier hypothécaire avait été admis à titre privilégié au passif d'une société en liquidation judiciaire. Par suite de la réalisation de l'immeuble hypothéqué, un état de collocation avait été dressé par le liquidateur, lequel prévoyait le règlement de la créance hypothécaire en quatrième rang, derrière la créance super privilégiée des salaires, les frais de justice, et le privilège des salaires. La cour d'appel avait fixé l'ordre des créanciers conformément à cet état de collocation. Estimant que sa créance hypothécaire devait primer les frais de justice postérieurs au jugement d'ouverture ainsi que les créances de salaire ne bénéficiant pas du super privilège, la banque s'était pourvue en cassation.
La Chambre commerciale a accueilli le pourvoi et cassé l'arrêt d'appel au motif, d'une part, "que la créance hypothécaire de la BNP primait les frais de justice postérieurs au jugement d'ouverture" et que, d'autre part, "sans rechercher [...] si les créances de salaire qui ne bénéficiaient pas du super privilège étaient postérieures au jugement d'ouverture et si, dans ce cas, elles n'étaient pas primées par la créance hypothécaire de la BNP" la cour d'appel avait privé sa décision de base légale.
Est ainsi clairement tranchée la question du classement, en liquidation judiciaire, des créanciers titulaires d'une sûreté immobilière. Cette question était particulièrement épineuse sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, applicable en l'espèce. Son article 40, alinéa 2, (C. com., art. L. 621-32 N° Lexbase : L6884AIS) énonçait, depuis la loi de réforme du 10 juin 1994 (loi n° 94-475, relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises N° Lexbase : L9127AG7), qu'"en cas de liquidation judiciaire, [les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture] sont payées par priorité à toutes les autres créances, à l'exception de celles qui sont garanties par le privilège établi aux articles L. 143-10 (N° Lexbase : L0050HD9), L. 143-11 (N° Lexbase : L0051HDA), L. 742-6 (N° Lexbase : L6766ACL) et L. 751-15 (N° Lexbase : L6788ACE) du Code du travail [devenus C. trav., art. L. 3253-2 N° Lexbase : L0955H9A et L. 3253-3 N° Lexbase : L0957H9C, L. 3253-4 N° Lexbase : L0959H9E et L. 7313-8 N° Lexbase : L3442H9D], des frais de justice, de celles qui sont garanties par des sûretés immobilières ou mobilières spéciales assorties d'un droit de rétention ou constituées en application de la loi n° 51-59 du 18 janvier 1951 relative au nantissement de l'outillage et du matériel d'équipement (N° Lexbase : L7516AI9)".
La rédaction de ce texte avait soulevé plusieurs interrogations.
La première était de savoir si l'expression "assorties d'un droit de rétention" se rapportait à la fois aux sûretés immobilières et aux sûretés mobilières spéciales ou uniquement à ces dernières. La doctrine avait considéré que l'ensemble des sûretés immobilières était concerné par le texte et non seulement celle assortie d'un droit de rétention (l'antichrèse). Il était logique que l'antichrèse, oubliée par la pratique, n'ait pas été spécifiquement visée par le législateur. La mention "assorties d'un droit de rétention" ne devait donc concerner que les sûretés mobilières spéciales. Cette interprétation doctrinale (9) a été entérinée par le législateur du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT), puisque le texte de l'article L. 641-13, II, (N° Lexbase : L3405IC4) vise désormais les créances garanties par "des sûretés immobilières ou par des sûretés mobilières spéciales assorties d'un droit de rétention". L'équivoque est donc dissipée.
La deuxième interrogation née de la rédaction du texte de l'ancien article L. 621-32, applicable en la cause, touchait à une question aussi épineuse que sensible : celle de la place des frais de justice de la procédure collective -essentiellement les honoraires des mandataires de justice- par rapport à celle des créanciers hypothécaires dans le cadre de la répartition du prix de vente d'un immeuble grevé de la sûreté.
L'article 40 de la loi du 25 janvier 1985, modifié par la loi du 10 juin 1994 (C. com., art. L. 621-32, anc.), mentionnait deux fois les frais de justice dans l'énonciation de l'ordre du paiement des créanciers. Les frais de justice étaient, en effet, visés :
- d'une part, au II, juste après les créances assorties du super privilège des salaires et juste avant les créances garanties par des sûretés immobilières ou mobilières spéciales assorties d'un droit de rétention ou constituées en application du chapitre V du titre II du livre V du Code de commerce (nantissement sur matériel et outillage) et avant les créances postérieures ;
- d'autre part, au III, énonçant le classement interne des créances postérieures, et plus précisément au deuxième rang de ce classement.
Puisque les frais de justice sont visés deux fois dans le classement des créanciers, cela signifie qu'ils sont différents. Les frais de justice visés au III de l'article L. 621-32 sont nécessairement postérieurs car visés dans le classement interne des créances postérieures. Par conséquent, les frais de justice visés au II de l'article L. 621-32 sont les frais de justice antérieurs au jugement d'ouverture.
Ainsi, pour répondre à la question de savoir si les honoraires du mandataire de justice devaient être ou non réglés prioritairement par rapport aux créanciers titulaires d'une hypothèque, il suffisait de déterminer la date de naissance, c'est-à-dire le fait générateur, de cette créance de frais de justice. Par essence, les honoraires des mandataires de justice et les frais de greffe inhérents à la procédure trouvent leur fait générateur postérieurement au jugement d'ouverture. En conséquence, ce sont des frais de justice visés au III de l'article L. 621-32 qui doivent, ainsi que l'énonce la Chambre commerciale dans l'arrêt rapporté, être réglés après le créancier hypothécaire. Cette position soutenue par la doctrine (10) est ainsi entérinée par la jurisprudence. La solution doit être totalement approuvée, compte tenu de l'absence d'ambiguïté de la lettre du texte même si, vraisemblablement, l'intention du législateur n'était pas en adéquation avec elle.
La solution doit-elle être reconduite sous l'empire de la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 ?
La réponse à cette question est différente selon que l'on se place sous l'empire de la loi de sauvegarde dans sa rédaction initiale ou dans celle résultant de l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345, portant réforme du droit des entreprises en difficulté N° Lexbase : L2777ICT).
Au lendemain de la loi de sauvegarde, comme sous l'empire des dispositions résultant de la loi du 10 juin 1994, les frais de justice postérieurs demeurent visés en second rang au sein du classement des créanciers postérieurs (11). Ainsi le III de l'article L. 641-13 (N° Lexbase : L3904HB9), dans sa rédaction initiale, énonçait que le paiement des créances postérieures éligibles au traitement préférentiel non payées à leur échéance se fait dans l'ordre suivant : "1° les créances de salaire dont le montant n'a pas été avancé [par l'AGS...] , 2° les frais de justice".
L'article L. 641-13 du Code de commerce énonçait, pour sa, part que "si elles [les créances nées régulièrement après le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire, ou dans ce dernier cas, après le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire qui l'a précédée] ne sont pas payées à l'échéance, elles sont payées par privilège avant toutes les autres créances à l'exception de celles qui sont garanties par le privilège établi aux articles L. 143-10, L. 143-11, L. 742-6 et L. 751-15 du Code du travail [devenus C. trav., L. 3253-2 et L. 3253-3, L. 3253-4 et L. 7313-8], de celles qui sont garanties par le privilège des frais de justice, de celles qui sont garanties par le privilège établi par l'article L. 611-11 du présent Code (N° Lexbase : L3235ICS) et de celles qui sont garanties par des sûretés immobilières ou par des sûretés mobilières spéciales assorties d'un droit de rétention ou constituées en application du chapitre V du titre II du livre V". Il faut donc comprendre que le visa des créances "garanties par le privilège des frais de justice" ne peut concerner que les créances antérieures de frais de justice, et seulement celles garanties par le privilège des frais de justice. Ce visa ne concerne pas les frais de justice postérieurs à l'ouverture de la procédure collective, qui sont, quant à eux, visés au rang 2 du III de l'article L. 641-13.
La solution dégagée par la Chambre commerciale dans l'arrêt rapporté, rendu sous l'empire des dispositions de la loi du 25 janvier 1985, aurait donc été la même sous l'empire de la loi de sauvegarde, dans sa rédaction initiale.
En revanche, du fait de modifications introduites par l'ordonnance du 18 décembre 2008, la solution n'est plus la même pour les procédures ouvertes depuis le 15 février 2009.
L'ordonnance de réforme de la loi de sauvegarde emporte modification du II de l'article L. 641-13 du Code de commerce (ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, art. 107), en prévoyant que si les créances postérieures éligibles au traitement préférentiel "ne sont pas payées à l'échéance, elles sont payées par privilège avant toutes les autres créances à l'exception de celles qui sont garanties par le privilège établi aux articles L. 143-10, L. 143-11, L. 742-6 et L. 751-15 [devenus L. 3253-2 et L. 3253-3, L. 3253-4 et L. 7313-8] du Code du travail, de celles qui sont garanties par le privilège des frais de justice nés régulièrement après jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure, de celles qui sont garanties par le privilège établi par l'article L. 611-11 du présent code et de celles qui sont garanties par des sûretés immobilières ou par des sûretés mobilières spéciales assorties d'un droit de rétention ou constituées en application du chapitre V du titre II du livre V". Pour sa part, le III de l'article L. 641-13 qui énonce le classement des créances postérieures, ne mentionne plus, en deuxième rang, les frais de justice.
En conséquence, la situation du créancier hypothécaire par rapport aux créanciers de frais de justice est désormais la suivante :
- si la créance de frais de justice est née antérieurement à l'ouverture de la procédure, elle sera réglée après les créances postérieures et donc après le créancier hypothécaire antérieur qui, rappelons-le, prime, par principe, les créanciers postérieurs. Elle sera déclarée au passif -éventuellement à titre privilégié si la créance de frais de justice est assortie du privilège de frais de justice et déclarée comme telle- ;
- si la créance de frais de justice est née régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure, elle sera payée avant la créance garantie par la sûreté immobilière (cf. C. com., art. L. 641-13, II) ;
- si, en revanche, la créance de frais de justice, bien que née postérieurement au jugement d'ouverture, ne répond pas aux besoins du déroulement de la procédure (ce serait le cas, par exemple, d'une créance née au titre d'une action en divorce du débiteur), elle sera, certes, couverte par le privilège des créanciers postérieurs, puisque née en contrepartie d'une prestation fournie débiteur mais, en tant que telle, elle figurera au quatrième rang et dernier rang du classement des créances postérieures. Son règlement se fera donc après celui du créancier antérieur titulaire d'une sûreté immobilière.
Une seconde question intéressait l'arrêt du 21 septembre 2010. Elle concernait le positionnement du créancier hypothécaire antérieur par rapport au créancier de salaire ne bénéficiant pas du super privilège. Dès lors que la créance salariale n'est pas couverte par le super privilège des salaires, elle est réglée selon l'ordre prévu au III de l'article L. 641-13, c'est-à-dire au premier rang des créances postérieures méritantes si son montant n'a pas été avancé par l'AGS en application des articles L. 143-11-1 (N° Lexbase : L7703HBW) à L. 143-11-3 du Code du travail ou en troisième position dès lors que leur montant a été avancé en application du 3° de l'article L. 143-11-1 du Code du travail. Ainsi, en liquidation judiciaire, le créancier hypothécaire primera le créancier de salaire postérieur ne bénéficiant pas du super privilège. C'est la raison pour laquelle l'arrêt de la cour d'appel qui avait placé, conformément à l'état de collocation contesté, l'intégralité des créances salariales avant le créancier hypothécaire est censuré par les Hauts magistrats reprochant à la juridiction d'appel de n'avoir pas recherché si les créances de salaire qui ne bénéficient pas du super privilège étaient postérieures au jugement d'ouverture et si, dans ce cas, elles n'étaient pas primées par la créance hypothécaire de la banque.
Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon
(1) Cass. com., 15 février 2000, n° 97-14.406 (N° Lexbase : A1853AZN), Act. proc. coll., 2000/7, n° 72 ; Cass. com., 7 avril 2004, n° 01-17.601, F-D (N° Lexbase : A7457DDK) ; CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 8 septembre 2009, deux arrêts, n° 08/10028 (N° Lexbase : A0431ELK) et n° 08/10025 (N° Lexbase : A0515ELN).
(2) Cass. com., 5 juillet 2005, n° 03-18.947, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8851DIN), Bull. civ. IV n° 155, Act. proc. coll., 2005/16, n° 204, note C. Régnaut-Moutier, RJ com., 2006/1, p. 46, note J.-P. Sortais, RTDCom., 2006/2, p. 475, n° 1, obs. A. Martin-Serf, Gaz. proc. coll., 2005/3, p. 41, n° 5, nos obs. ; Cass. com., 5 juillet 2005, n° 03-18.948, FS-D (N° Lexbase : A8852DIP) ; Cass. com., 4 octobre 2005, n° 04-15.383, F-D (N° Lexbase : A7140DKN), JCP éd. E, 2006, chron. 1066, p. 75, n° 12, obs. M. Cabrillac ; Cass. com., 21 mars 2006, n° 04-20.278, F-D (N° Lexbase : A7987DN7) ; Cass. com., 4 avril 2006, n° 04-19.788, F-D (N° Lexbase : A1226DP4), Gaz. proc. coll., 2006/3, p. 36, n° 6, nos obs., Rev. proc. coll., 2007/1, p. 47, n° 6, obs. F. Legrand.
(3) Cass. com., 10 juin 2008, n° 07-14.017, F-D (N° Lexbase : A0573D94) ; Cass. com., 15 décembre 2009, n° 08-70.173, F-D (N° Lexbase : A7231EPI), Gaz. pal., 16 et 17 avril 2010, n° 106 et 107, p. 32, note Ph. Roussel Galle.
(4) Cass. com., 29 avril 2003, n° 00-13.678, FS-P+B (N° Lexbase : A8183BSU), Bull. civ. IV, n° 64, D., 2003, AJ, p. 1565, Act. proc. coll., 2003/10, n° 127, obs. C. Régnaut-Moutier, nos obs., La déclaration complémentaire de créance du créancier fiscal, Lexbase Hebdo n° 80 du 17 juillet 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N8082AAL), JCP éd. E, 2003, chron. 1396, p. 1571, n° 6, obs. M. Cabrillac ; Cass. com., 19 mai 2004, n° 02-19.376, F-D (N° Lexbase : A2741DCI) ; CA Paris, 3ème ch., sect. B, 18 juin 2004, n° 2003/11182 (N° Lexbase : A3170DDR) ; CA Paris 3ème ch., sect. B, 27 septembre 2007, n° 06/12952 (N° Lexbase : A4497D3X).
(5) Cass. com., 26 mai 1998, n° 96-12.207, publié (N° Lexbase : A2642ACT), Bull. civ. IV, n° 165, Gaz. pal., somm. 26-27 juin 1998, p. 21 ; Cass. com., 4 juillet 2000, n° 97-21.324 (N° Lexbase : A5480CMW) ; Cass. com., 2 mai 2001, n° 98-11.912 (N° Lexbase : A3390ATQ) ; Cass. com., 7 avril 2004, n° 01-17.601, F-D ([LXb=A7457DDK]) ; Cass. com., 28 septembre 2004, n° 03-11.820, F-D (N° Lexbase : A5723DDC) ; CA Rennes, 28 février 2001, Rev. proc. coll., 2002, p. 94, n° 3, obs. F.-F. Legrand ; CA Paris, 3ème ch., sect. B, 17 décembre 2004, n° 03/16914 (N° Lexbase : A6992DDC).
(6) Cass. com., 29 mai 2001, n° 98-18.783, (N° Lexbase : A5501ATW), RJDA, 2001/10, n° 998 ; Cass. com., 10 mars 2004, n° 01-01.265, F-D (N° Lexbase : A5902DB9) ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 18 décembre 2007, n° 07/01186 (N° Lexbase : A8012D37).
(7) Cass. com., 1er décembre 2009, n° 08-15.781, F-D (N° Lexbase : A3418EPB).
(8) Cass. com., 9 février 2010, n° 08-22.054, F-D (N° Lexbase : A7740ER4), Gaz. pal., éd. sp. Droit des entreprises en difficulté, 2 et 3 juillet 2010, n° 183 et 184, p. 32, note E. Le Corre-Broly.
(9) En ce sens P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action 2010/2011, n° 456.57.
(10) P.-M. Le Corre, préc..
(11) V. Rapport de Xavier de Roux, n° 2095, 11 février 2005, p. 222.
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