La lettre juridique n°413 du 21 octobre 2010 : Éditorial

De la quête d'identité à la recherche identitaire : les juges, marquis des temps modernes

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"Pour être confirmé dans mon identité, je dépends entièrement des autres" écrivait, si justement, Hannah Arendt.

Et, qu'y a-t-il de commun entre une femme naturalisée française et autorisée à porter un prénom francisé (Louise), qui sollicite du juge aux affaires familiales le changement de son prénom afin de recouvrir l'usage de son prénom de naissance (Malika), et monsieur Alain de C. (Carabas ?) qui sollicite être le porteur légitime du titre de marquis ? La recherche identitaire, pardi ! Et, par-delà, l'expression d'une fragilité du creuset républicain dont la loi du 11 octobre 2010, interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public, est l'expression la plus topique.

Entendons nous bien, il ne s'agit pas de savoir si Louise/Malika et Alain de C. se cherchent une identité ; on laissera le divan et les états d'âmes à d'autres -et surtout, on laissera de côté la décision de la cour d'appel de Nancy du 11 octobre 2010, qui, rejetant la demande d'un transsexuel hormonal à changer de prénom et de genre sur ses papiers d'identité, n'éclaire en rien notre propos et ne relève pas de la recherche identitaire-. En revanche, l'une, en renonçant à l'expression la plus visible de l'intégration, de son appartenance à l'identité française (expression plus ou moins pertinente, on en conviendra), et l'autre, en courant derrière le mythe d'une noblesse à la fois singularisante et exclusive des autres, montrent deux exemples traduisant, moins le rejet de l'identité française, ici, à travers sa langue et son principe baptismal d'égalité, que la remise en cause du cadre politique et sociétale qui permet, justement, de définir sa propre identité (qui suis-je ? que fais-je ? où vais-je ?).

Et, au final, cette recherche identitaire peut conduire à une ethnocratie, plus dangereuse encore que le communautarisme qui n'en est que l'expression pratique, qui en contestant la légitimité d'une mesure législative destinée à favoriser l'intégration dans la société française ; qui en contestant la légitimité de la fin des privilèges et de l'égalité de droit, par snobisme -lâchons le mot, car en matière nobiliaire, on est et l'on ne prétend pas- antirépublicain (nous avions déjà évoqué, dans ces colonnes, le snobisme des décorations, bien entendu, la particule et le titre sont de rigueur pour "singer" Montesquiou).

Il est alors heureux que les juges aient contrarié cette recherche identitaire ; la Cour de cassation, estimant le 6 octobre 2010 que la justification d'un intérêt légitime à changer de prénom suppose l'obligation, pour le demandeur, de motiver, et non pas seulement d'exposer, cet intérêt légitime, pour rejeter les prétentions de Louise/Malika ; la cour d'appel de Paris rejetant la demande de transmission du titre de marquis formée par un parent collatéral, Alain de C., le 10 juin 2010, le titre en question s'étant éteint avec son titulaire -malgré les neuf vies du Chat botté-.

Ce faisant, les magistrats, gardiens de nos principes à vocation universelle, consacrent l'idée d'une identité républicaine évolutive face à une recherche identitaire, nécessairement, confinée à la tradition, au passé, à l'immobilisme. Ainsi, certaines identités préfèrent se réfugier dans de l'identitaire afin de pouvoir refuser telle ou telle pratique jugée libératrice ou révolutionnaire. C'est alors au juge de montrer le chemin de la raison, des Lumières et du progrès.

Mais, enfin, citoyen Alain de C., qu'as tu fais pour mériter le titre de marquis ? As-tu seulement fait attention à la marche ? Pardon pour l'anachronisme, le titre revendiqué ayant été accordé par décret du 14 avril 1866, signé par Napoléon III... Noblesse d'Empire n'oblige donc pas... Tu es bon pour rester meunier, le peuple souverain ayant déjoué les manoeuvres de ton Maître chat ; à moins que tel le fou d'Alexandrie (Carabas), tes voisins te traitent comme un roi pour se moquer de celui de Judée, Hérode Agrippa (la République laïque)...

Chacun l'aura compris, "je suis un de ces démocrates qui croient que le but de la démocratie est de faire accéder chaque homme à la noblesse" comme le soufflait Romain Gary dans Chien blanc.

En revanche, qu'il me soit permis d'être plus tendre avec Louise/Malika ; non que sa demande doive être accordée avec légèreté, il ne s'agit pas de pouvoir changer de prénoms comme de chemises, privilège des artistes et écrivains sous pseudonymes. Mais, convenons que la francisation des prénoms des jeunes naturalisés n'est pas exactement une réponse à la hauteur des défis de l'intégration. Il en va du prénom francisé qui peut faire illusion sur le papier (d'identité) comme du CV anonyme. Et, l'important n'est il pas que chacun soit en phase avec son identité affirmée, le plus simplement du monde, afin d'intégrer au mieux l'identité collective de la Nation qui l'accueille ; et ce quelle que soit son origine : la problématique intéressant les nationaux, dont l'intégration des valeurs républicaines ne se présume pas, comme les non nationaux. Quant à motiver l'intérêt légitime à changer de prénom, pour retrouver son ancien prénom à consonance étrangère, gare à ne pas ouvrir, par trop, la boîte de Pandore. Les difficultés de l'intégration à la collectivité identitaire française et le communautarisme rampant avec son lot de traditions vernaculaires pourraient laisser, seul, dans la boîte, l'espoir d'une affirmation identitaire, certes évolutive, mais Lumière universelle de la quête d'identité individuelle.

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