La lettre juridique n°410 du 30 septembre 2010 : Protection sociale

[Jurisprudence] Réforme des retraites et gestion des inégalités de genre (à propos de la Délibération Halde n° 2010-202 du 13 septembre 2010)

Réf. : Délibération Halde n° 2010-202 du 13 septembre 2010, relative à la question des inégalités de genre en matière de retraite (N° Lexbase : X7827AGY)

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N1095BQM

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[Jurisprudence] Réforme des retraites et gestion des inégalités de genre (à propos de la Délibération Halde n° 2010-202 du 13 septembre 2010). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211206-jurisprudence-reforme-des-retraites-et-gestion-des-inegalites-de-genre-a-propos-de-la-deliberation-h
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Protection sociale"

le 07 Octobre 2010

Le projet de loi portant réforme des retraites a été présenté en Conseil des ministres du 13 juillet 2010. Le projet (adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des retraites, n° 713, déposé le 15 septembre 2010, première lecture devant le Sénat depuis le 15 septembre 2010) (1) prévoit le relèvement de l'âge légal à 62 ans d'ici à 2018, contre 60 ans aujourd'hui. Un recul qui se fera progressivement, à raison de quatre mois par an selon l'année de naissance : ceux qui sont nés après le 1er juillet 1951 pourront prendre leur retraite à compter de 60 ans et quatre mois, ceux qui sont nés en 1952 pourront la prendre à 60 ans et huit mois, etc.. L'âge de la retraite sera progressivement augmenté de quatre mois par an dans l'ensemble des régimes de retraite, pour atteindre 62 ans en 2018. L'âge du taux plein sera également relevé progressivement de deux ans dans le secteur privé. Les régimes spéciaux seront, par ailleurs, réformés pour se voir appliquer l'augmentation de l'âge de la retraite à compter de 2017. Le projet de réforme entend améliorer les mécanismes de solidarité, notamment à l'égard des femmes. Les indemnités journalières que perçoivent les femmes au cours de leur congé de maternité seront prises en compte dans le salaire de l'année de leur accouchement pour que ce congé ne fasse plus baisser leur retraite. La Halde s'est saisie d'office de la question des inégalités de genre en matière de retraite. La Halde, confrontée aux situations d'inégalités et de discriminations rencontrées par les femmes, a souhaité, à l'occasion du projet de loi sur les retraites, alerter sur les effets que cette réforme, en l'état, pourrait induire sur la situation des femmes. Avant d'examiner les propositions pour lutter contre les discriminations femmes/hommes (notamment celles formulées par la Halde) (III), il est nécessaire de faire un état des lieux discriminations femmes/hommes dans le champ des assurances vieillesse (I) et de faire le point sur les instruments juridiques destinés à infléchir/interdire/sanctionner de telles discriminations (II).
Résumé

La délibération de la Halde a pour objectifs de rendre effective la loi sur l'égalité professionnelle (loi n° 2001-397 du 9 mai 2001 N° Lexbase : L7076ASU), réduire les causes structurelles des écarts de salaire entre les femmes et les hommes, lutter contre les discriminations, lutter contre le temps partiel subi, développer des modes d'accueil des jeunes enfants.

La Halde propose de :

- permettre aux personnes à temps partiel de cotiser sur la base d'un temps complet avec participation de l'employeur ;

- prendre en compte les 100 meilleurs trimestres et non les 25 meilleures années pour la détermination du montant de la pension ;

- ouvrir le droit au versement de la pension de réversion au partenaire pacsé survivant ;

- maintenir à 65 ans l'âge de départ à la retraite à taux plein pour les personnes ayant pris un congé parental ou pour soins apportés à un enfant ou un parent malade ;

- favoriser et rééquilibrer l'accès au congé parental ;

- intégrer les indemnités journalières versées pendant le congé maternité dans le calcul du montant de la pension.

I - Discriminations femmes/hommes dans le champ des assurances vieillesse : état des lieux

Le Conseil d'orientation des retraites (COR) a constaté dans son rapport publié en 2008 (2), des écarts significatifs entre les femmes et les hommes en matière de retraite. Ces données sont confirmées par de nombreux travaux (les gender studies et autres travaux) (3).

A - La situation des femmes sur le marché du travail

Le COR (rapport 2008, préc.) (4) relève que l'activité féminine progresse depuis la fin des années soixante : en 1970, une femme sur deux en âge de travailler était active ; en 2008, c'est le cas de deux femmes sur trois âgées de 15 à 64 ans et de trois femmes sur quatre âgées de 25 à 59 ans. L'inactivité féminine s'est transformée au fil des générations. Il est de plus en plus rare qu'une femme n'entre jamais sur le marché du travail : elles ne sont plus que 5 % dans ce cas parmi les femmes nées vers 1960. Les interruptions d'activité liées aux enfants, qui sont globalement de moins en moins fréquentes, tendent en outre à se raccourcir et à se concentrer autour des naissances.

Mais la croissance de l'activité féminine s'accompagne de chômage et de temps partiel. Les femmes sont plus touchées par le chômage que les hommes, et ce, à tous les âges. Bien que sur les vingt-cinq dernières années l'écart entre les hommes et les femmes se soit réduit, en 2007, le taux de chômage des femmes âgées de 25 à 49 ans était encore de 1,5 points supérieur à celui des hommes : 8,1 % contre 6,6 %. Au total, en 2007, le taux d'emploi des personnes âgées de 15 à 64 ans s'élevait ainsi à 59,7 % pour les femmes et 69,0 % pour les hommes.

Le travail à temps partiel (5) s'est beaucoup développé au cours des années 1980 et 1990, notamment à partir de 1992. En 2007, pour 29 % des femmes et 36 % des hommes travaillant à temps partiel, le temps partiel est subi au sens où, lorsqu'on le leur demande, les salariés expriment le désir de travailler davantage. Pour les mères de jeunes enfants, le travail à temps partiel est devenu une alternative à l'interruption d'activité. Plus fréquemment, les femmes réduisent leur temps de travail au deuxième enfant, alors qu'elles cessent de travailler à partir du troisième.

Selon la Halde (délibération n° 2010-202), le taux d'emploi des femmes s'établit en 2008 à 60,3 % pour 69,4 % pour les hommes (6). 30,2 % des femmes occupent un emploi à temps partiel pour 5,7 % des hommes. Seules 17,4 % des femmes occupent des postes d'encadrement dans les entreprises du secteur privé alors qu'elles représentent 47 % de l'ensemble de la population active (7).

En juillet 2010, il a été montré que les femmes qui n'ont jamais interrompu leur activité professionnelle sont pénalisées et gagnent 17 % en moyenne de moins que les hommes. Une part de cet écart vient du fait que les femmes travaillent plus souvent à temps partiel, qu'elles évoluent dans des métiers moins rémunérateurs et qu'elles font moins d'heures supplémentaires (8).

Enfin, s'ajoutent à ces écarts les conséquences pour les femmes de la maternité sur leur déroulement de carrière et leur rémunération ainsi que les impacts de la répartition des responsabilités en matière de garde d'enfants (selon l'Insee les femmes assument 80 % du noyau dur des tâches domestiques) et de garde des personnes dépendantes.

B - La situation des femmes au regard des assurances vieillesse

Les travaux parlementaires ont montré qu'en 2010, la durée d'assurance des femmes est inférieure de dix trimestres en moyenne à celle des hommes (9). Cependant, alors que la durée moyenne d'assurance devrait stagner chez les hommes entre 2010 et 2020, elle continuerait d'augmenter chez les femmes : à partir de 2020, la durée d'assurance serait équivalente entre hommes et femmes et même légèrement supérieure pour les femmes en fin de projection, celles-ci ayant des carrières plus complètes au fil des générations.

S'agissant du niveau des pensions, le rattrapage est plus lent. En 2007, les pensions des femmes étaient inférieures de 38 % à celles des hommes. En valeur absolue, en 2010, l'écart de pension entre hommes et femmes est de 1 840 euros. A l'horizon 2020, cet écart serait encore de 15 %. Le différentiel de salaire annuel moyen qui explique l'évolution de l'écart sur la pension moyenne entre hommes et femmes.

Le COR (rapport préc.) relève ainsi que dans le secteur privé et semi-public, l'écart de salaire moyen entre les femmes et les hommes se maintient à 20 % pour les emplois à temps complet ; dans la fonction publique d'Etat, il se maintient à 14 % pour les salaires mensuels en équivalent temps complet et à 6 % pour les salaires horaires ; au total, dans les secteurs privé et public, il est stable autour de 10 % pour les salaires horaires.

Ceci explique, en partie, un départ à la retraite en moyenne plus tardif pour les femmes que pour les hommes. Ainsi, si 60 % des hommes et 61 % des femmes sont partis à 60 ans en 2009, avec en moyenne 160 trimestres d'assurance pour les hommes et 161 trimestres pour les femmes, 13 % des hommes et 22 % des femmes sont partis à 65 ans, avec en moyenne 129 trimestres d'assurance pour les hommes et 102 trimestres pour les femmes (10).

Le COR (rapport préc., p. 85) montre également que les écarts de pension entre les hommes et les femmes sont importants : en 2004, les femmes retraitées de 60 ans et plus percevaient une retraite moyenne (droits propres, droits dérivés et minimum vieillesse) de 1 020 euros par mois, soit 62 % de celle des hommes (1 636 euros).

Selon la Halde, en 2004, les femmes retraitées de 60 ans et plus percevaient une retraite en moyenne équivalente à 62 % de celle perçue par les hommes. Ceci en comptant les droits propres comme les droits dérivés, ces derniers représentant 15 % du montant des pensions de retraite (pension de réversion, retraite complémentaire...).

Les femmes parties à la retraite ont validé en moyenne 20 trimestres de moins que les hommes malgré les majorations de durée pour enfant ; seules 44 % d'entre elles ont une carrière complète contre 86 % des hommes. Enfin les femmes partent à la retraite en moyenne plus tardivement que les hommes, respectivement 61,5 ans contre 60,1 ans pour la génération 1938. Ces fortes disparités résultent pour beaucoup des inégalités professionnelles et des discriminations que les femmes subissent en amont tout au long de leur carrière.

II - Assurance vieillesse : instruments juridiques destinés à infléchir/interdire/sanctionner les discriminations femmes/hommes

Il existe de nombreux dispositifs, en droit interne (11), destinés à prendre en compte la situation particulière des mères en matière d'assurance vieillesse et de compenser les écarts de durée d'assurance et de pension entre les femmes et les hommes : droits propres tirés de l'activité professionnelle, droits propres au titre des périodes d'éducation des enfants et droits dérivés de ceux du conjoint. Les droits familiaux et conjugaux représentent environ le quart des retraites versées. A ce titre, doivent être mentionnés, la majoration de durée d'assurance, l'assurance vieillesse des parents au foyer ou enfin les majorations de montant de pension pour les parents de trois enfants ou plus.

D'autres dispositifs, tels que la validation d'un trimestre au titre du congé maternité, la validation des périodes de chômage non indemnisées ou des périodes d'invalidité, permettent également de compenser les aléas de carrière des femmes. Il faudrait également citer : les départs anticipés après quinze ans de service dans la fonction publique et les autres régimes spéciaux ; les majorations pour conjoint ou enfant à charge (12) ; les pensions de réversion, lesquelles ont pour objet le versement, parfois sous certaines conditions, une fraction de la pension du conjoint décédé au survivant du couple, qui est de facto le plus souvent la femme.

A - Majorations de durée d'assurance

La majoration de durée d'assurance au régime général, instaurée en 1971, avait pour objectif initial d'améliorer les droits à pension des femmes qui ne bénéficieraient pas de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), créée à la même période, mais dont la montée en charge est progressive. Elle tendait aussi à permettre aux mères de famille de partir plus tôt à la retraite avec le même niveau de pension.

Ces majorations sont à la charge des régimes de retraite. Le régime général, les régimes alignés sur celui-ci (régimes des salariés agricoles, des commerçants et des artisans) et le régime des non salariés agricoles accordent aux femmes un trimestre d'assurance à la naissance, à l'adoption ou à la prise en charge effective de chaque enfant, puis un trimestre supplémentaire à chaque date anniversaire dans la limite de sept trimestres jusqu'au seizième anniversaire de l'enfant. Le nombre total de trimestres ne peut être supérieur à huit trimestres par enfant.

Les régimes de retraite de la fonction publique ont été qualifiés de régimes professionnels par la CJCE (13) et entrent de ce fait dans le champ de dispositions communautaires qui imposent un traitement identique des hommes et des femmes. De ce fait, la France a dû revoir en 2003, pour ces régimes, le dispositif de majorations de durée d'assurance pour enfant accordées aux femmes (qui sont nommées "bonifications" dans ces régimes).

B - L'assurance vieillesse des parents au foyer

Créée en 1972, l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) visait à comptabiliser les périodes passées au foyer pour élever des enfants comme des périodes d'assurance dans le calcul des pensions de vieillesse. L'objectif était de limiter les effets des diminutions ou arrêts d'activité professionnelle liés à la charge d'enfants. A l'origine, l'affiliation ne concernait que les mères de famille, qui avaient à charge un enfant de moins de trois ans ou au moins quatre enfants, qui étaient inactives et qui bénéficiaient de l'allocation de salaire unique (créée en 1941) ou de l'allocation de mère au foyer (créée en 1956) versées par les caisses d'allocations familiales. Ces prestations familiales, initialement versées sans condition, ont été soumises à des conditions de ressources avec la création de l'Assurance vieillesse des mères au foyer en 1972. Progressivement, l'accès à l'AVPF est étendu à de nouvelles populations avec des conditions assouplies quant au nombre d'enfants et aux prestations familiales versées ou non sous condition de ressources.

L'ouverture de droit à l'AVPF induit le versement de cotisations forfaitaires à l'assurance vieillesse par la CNAF au titre des mois au cours desquels le parent bénéficie des prestations familiales. Ces cotisations sont calculées sur la base du salaire forfaitaire annuel et du taux de cotisation vieillesse. Les cotisations forfaitaires varient selon que le bénéficiaire perçoit la prestation familiale à taux plein ou partiel pour le CLCA et selon la durée de perception de l'allocation sur l'année.

L'ouverture de droit à l'AVPF induit le versement de cotisations forfaitaires à l'assurance vieillesse par la CNAF au titre des mois au cours desquels le parent bénéficie des prestations familiales. L'AVPF a un double effet (14) : elle permet, comme les majorations de durée d'assurance, d'accroître la durée d'assurance validée, ce qui permet dans certains cas d'atteindre la durée d'assurance requise pour bénéficier du taux plein, et réduit également le coefficient de proratisation de la pension ; toutefois, les trimestres d'AVPF (comme ceux de majoration de durée d'assurance) n'entrent pas dans le calcul de la durée cotisée, qui compte pour le minimum contributif majoré et l'accès aux retraites anticipées pour carrière longue ; elle peut également avoir un effet sur le salaire annuel moyen au régime général, qui est calculé sur la base des 25 meilleures années, et peut donc inclure des années d'AVPF. L'AVPF est cumulable avec les majorations de durée d'assurance.

C - Les majorations de montant de pension pour les parents de trois enfants ou plus

La majoration proportionnelle à la pension est accordée dans presque tous les régimes aux hommes et aux femmes ayant eu ou élevé au moins trois enfants pendant neuf ans avant leur 16e anniversaire. Ainsi, un même enfant peut ouvrir droit à une majoration de pension à plus de deux adultes, dans le cadre de familles recomposées. Le taux de la majoration est de 10 % au régime général pour les parents de trois enfants et plus. Cette majoration bénéficie d'un traitement fiscal et social particulier : alors qu'elle est assujettie à la CSG et à la CRDS au taux auquel est soumis le ménage (elle est donc considérée, dans ce cas, comme partie intégrante de la retraite), elle n'entre pas dans l'assiette de l'impôt sur le revenu (au même titre que certaines prestations à caractère social et familial).

III - Propositions pour lutter contre les discriminations femmes/hommes

A - Propositions formulées par le législateur

Le projet de loi portant réforme des retraites contient des dispositions propres aux femmes, destinées à prendre en compte les inégalités de traitement face à l'assurance vieillesse.

Le report au compte de l'assurée des indemnités journalières versées lors du congé maternité. Le congé maternité donne lieu aujourd'hui à la validation d'un trimestre d'assurance au titre de la retraite. Cette validation forfaitaire permet de neutraliser l'impact du congé maternité sur la durée d'assurance de l'assurée. L'article 30 du projet de loi y ajoute une prise en compte des indemnités journalières dans le salaire annuel moyen qui va servir au calcul de la pension. Il y aura donc un "report au compte" des sommes touchées pendant le congé de maternité, ce qui devrait à terme permettre une majoration de 1,6 % en moyenne de la pension des bénéficiaires.

Les mesures en faveur de la réduction des inégalités professionnelles. Les écarts importants des pensions servies aux hommes et aux femmes devraient s'atténuer progressivement mais, selon les évaluations du COR en 2007, ils ne disparaîtront pas. Le législateur souhaite à cet effet agir sur les conditions d'emploi des femmes. L'article 31 du projet de loi propose la création :

- d'une pénalité financière, pour les employeurs de plus de 300 salariés, qui ne respecteraient pas l'obligation de transmettre annuellement, au comité d'entreprise, un rapport de situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des hommes et des femmes dans l'entreprise ;

- d'une obligation, pour les entreprises de plus de 300 salariés, de publier les indicateurs et objectifs présents dans le rapport de situation comparée avant le 31 décembre 2011, date à laquelle l'employeur sera tenu de les communiquer à toute personne qui en formulera la demande.

La prorogation annoncée de l'allocation veuvage. Parallèlement à la suppression progressive de la condition d'âge minimum pour toucher une pension de réversion, la loi du 21 août 2003 (loi n° 2003-775, portant réforme des retraites N° Lexbase : L9595CAM), a prévu l'abrogation, au 1er janvier 2011, de l'assurance veuvage. Or, cette condition d'âge a été rétablie par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009 (15), ce qui pourrait avoir des effets financiers importants pour les veuves dites "précoces", qui perdent leur conjoint avant 55 ans. Il est donc urgent de trouver une solution pour les veuves et veufs "précoces", qui ont souvent des enfants à charge. Le législateur envisage de rétablir l'assurance veuvage.

B - Propositions formulées par la Halde

La Halde propose d'agir sur le parcours professionnel des femmes (c'est-à-dire, rendre effective la loi sur l'égalité professionnelle, réduire les causes structurelles des écarts de salaire entre les femmes et les hommes, lutter contre les discriminations, lutter contre le temps partiel subi, développer des modes d'accueil des jeunes enfants) et d'agir sur la retraite.

Le projet de loi portant réforme des retraites prévoit l'augmentation progressive de quatre mois par an, de l'âge légal de départ à la retraite pour atteindre 62 ans en 2018.

Compte tenu du mode de calcul des retraites, les femmes totalisent avec difficulté le nombre de trimestres nécessaires pour bénéficier de la retraite à taux plein. C'est pourquoi elles sont plus nombreuses à devoir travailler jusqu'au seuil de départ à taux plein. Le relèvement progressif de l'âge du départ à taux plein de 65 à 67 ans, risque donc de pénaliser les femmes plus que les hommes, selon la Halde. Pour éviter que la réforme ait un impact disproportionné sur les femmes qui soit constitutif d'une discrimination indirecte, la Halde suggère de construire des systèmes de compensation.

Mise en place d'actions positives en faveur des femmes afin de corriger les inégalités actuelles dans leur déroulement de carrière. Des actions positives doivent être désormais envisagées pour assurer concrètement une pleine égalité des femmes et des hommes dans la vie professionnelle. La Cour de justice européenne a admis dès 1984 le principe de ce type de mesures qui permettent de promouvoir l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes dans l'accès à l'emploi, y compris la promotion, la formation professionnelle et les conditions de travail. Selon la CJCE, ces mesures peuvent prévoir des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle (16). Elle s'est prononcée ensuite aux travers de différentes affaires sur les dispositifs qui répondaient ou non à cette définition (17).

Aussi, la Halde recommande en mesure immédiate que :

- soit adopté un dispositif législatif ou réglementaire définissant ce type d'action et permettant d'en assurer le développement ;

- soient adoptées et mises en oeuvre les dispositions notamment de l'article 31 du projet de loi sur les retraites , relatives à la pénalisation des entreprises qui ne répondent pas à leurs obligations en matière d'égalité professionnelle, que cela soit en termes d'accords collectifs, de rapports et de plans d'action ;

- soit rendue effective la suppression des écarts de salaires au sein des entreprises par le dégagement annuel obligatoire d'enveloppes financières permettant d'assurer les rattrapages ;

- soient proposées aux femmes dans les entreprises et les administrations des actions de sensibilisation et de formation, d'accompagnement individuel et collectif, afin de faciliter leur accès aux responsabilités, de valoriser leurs compétences et de dépasser les mécanismes d'autocensure qui les handicapent. Ces actions pourraient être financées pour partie par le produit des pénalités dues par les entreprises en vertu de l'article 31 du projet de loi.

Mise en place d'actions en matière de retraite. Le système des pensions doit mieux prendre en compte la situation des femmes. Pour cela, la Halde souhaite que soient examinées dans le cadre de la réforme en cours les propositions suivantes, sous l'égide de l'expertise et du chiffrage du Conseil d'orientation des retraites.

Paramètres liés au marché du travail. La Halde propose de :

- permettre aux personnes à temps partiel de cotiser sur la base d'un temps complet avec participation de l'employeur. 2 % des femmes occupent des emplois à temps partiel, ces derniers sont pénalisants pour la retraite, les salaires pris en compte sont bas et de plus, il est difficile, pour le salarié de réunir le nombre de trimestres nécessaires. La possibilité ouverte par l'article L. 241-3-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7685DKT) pour les salariés à temps partiel qui souhaitent cotiser à temps complet de bénéficier d'une prise en charge du surcoût par l'employeur reste en pratique peu répandue. Gouvernement et partenaires sociaux doivent rendre cette possibilité effective ;

- prendre en compte les 100 meilleurs trimestres et non les 25 meilleures années pour la détermination du montant de la pension, ce qui correspond à la même durée de cotisation. L'importance du temps partiel subi par les femmes et des contrats à durée déterminée, expliquent la faiblesse de la rémunération qu'elles peuvent faire valoir sur une année complète. La prise en compte pour la détermination du montant de la pension non pas de la meilleure année mais du meilleur trimestre permettrait de ne pas aggraver au moment de la retraite, les effets de la précarité qu'elles ont déjà connus tout au long de leur activité.

Paramètres qui touchent aux droits conjugaux et familiaux. En France, les écarts entre les femmes et les hommes en matière de retraite seraient plus importants si on ne prenait en compte que les droits propres et non les droits dérivés, tels que les pensions de réversion. Des actions compensatrices doivent donc être envisagées :

- ouvrir le droit au versement de la pension de réversion au partenaire pacsé survivant. Avec le développement des unions par Pacs dont 95 % concernent des couples hétérosexuels, et au regard de la diminution des unions par mariage, si les pensions de réversion restent subordonnées à une condition exclusive de mariage, les écarts entre les femmes et les hommes ne peuvent que se creuser. Par ailleurs, cette condition exclusive de mariage constitue, selon la Halde, une discrimination directe fondée sur l'orientation sexuelle, dans la mesure où le mariage en France n'est pas accessible aux couples de même sexe et le statut juridique des conjoints et celui des partenaires sont comparables au regard de l'objet de la pension. La Halde avait déjà émis des recommandations précises en 2008 (19) ;

- maintenir à 65 ans l'âge de départ à la retraite à taux plein pour les personnes ayant pris un congé parental ou pour soins apportés à un enfant ou un parent malade (20). Cette mesure, qui s'adresse aux hommes comme aux femmes, permet de mieux prendre en compte, au moment du départ à la retraite, les interruptions d'activité liées aux responsabilités en tant qu'enfant et/ou parent qui pèsent, dans les faits, davantage sur les femmes et de valoriser un meilleur partage de ces interruptions entre les hommes et les femmes ;

- favoriser et rééquilibrer l'accès au congé parental. Une augmentation de l'allocation versée durant le congé parental sur une devrait, selon la Halde, faciliter l'accès à ce type de congé et rééquilibrer le choix parents. Il est important de soutenir l'engagement professionnel en encourageant le partage des tâches domestiques entre parents, et, pour les femmes, de meilleures conditions de retour à l'activité professionnelle ;

- intégrer les indemnités journalières versées pendant le congé maternité dans le calcul du montant de la pension, comme proposé par le projet de loi sur les retraites Le congé maternité est pris en compte en ce qui concerne la validation des trimestres mais les indemnités journalières ne sont pas aujourd'hui portées au compte et n'entrent donc pas dans le calcul du montant de la pension, ce qui est préjudiciable aux femmes.


(1) V. D. Jacquat, Rapport Assemblée nationale n° 2270, 23 juillet 2010, Tome I Exposé général, Travaux de la commission.
(2) COR, Retraites : droits familiaux et conjugaux, 6ème rapport, 17 décembre 2008.
(3) V. not. C. Aliaga et K. Winqvist (2003), Comment les femmes et les hommes utilisent leur temps ? Résultats de 13 pays européens, Eurostat, Statistiques en bref, population et conditions sociales, Thème 3, n° 12/2003 ; D. Anxo, L. Flood et Y. Kocoglu, Offre de travail et répartition des activités domestiques et parentales au sein du couple : une comparaison entre la France et la Suède, Economie et statistique, 2002 n° 352-353 ; T. Couppié et D. Epiphane, Vivre en couple et être parent : impacts sur les débuts de carrière, CEREQ, 2007, n° 241 ; A. Chenu, La charge de travail professionnel et domestique des femmes : cinquante années d'évolution, INSEE, Données sociales 2002-2003, pp. 467-474 ; D. Fermanian et S. Lagarde, Les horaires de travail dans le couple, INSEE, Economie et statistique, 1999 pp. 321-322 ; D. Jacquat, Rapport Assemblée nationale n° 2270, 23 juillet 2010, Tome I Exposé général, préc. ; M. Koubi, Les carrières salariales par cohorte de 1967 à 2000, INSEE, Economie et statistique, n° 369-370, 2003, pp. 149-171 ; M.-T. Letablier et M.-T. Lanquetin, Concilier travail et famille en France : approches socio-juridiques, Centre d'études de l'emploi n° 22, juin 2005 ; M. Maruani, Travail et emploi des femmes, Collection Repères - La Découverte, février 2003 ; A. Pailhé et A. Solaz, Inflexions des trajectoires professionnelles des hommes et des femmes après la naissance d'enfants, INED, Recherches et Prévisions, 2007 n° 90, décembre ; S. Ponthieux et A. Schreiber, Dans les couples de salariés, la répartition du travail domestique reste inégale, INSEE, Données Sociales 2006, pp. 43-51 ; C. Tavan, Inactivité et temps partiel des générations 1925 à 1964 : une évaluation sur cycle de vie, INSEE, Document de travail, 2007 n° 01/MK3-G210/ct.
(4) V. aussi C. Afsa et S. Buffeteau, L'activité féminine en France : quelles évolutions récentes, quelles tendances pour l'avenir ?, Economie et statistique, 2006 n° 398-399, pp. 85-97.
(5) G. Bel, Les femmes face au travail à temps partiel, Conseil économique et social, 2008 ; C. Bourreau-Dubois, O. Guillot et E. Jankeliowitch-Laval, Le travail à temps partiel féminin et ses déterminants, INSEE, Economie et statistique, 2001 vol. 9/10, n° 349-350 ; Conseil économique et social, Les femmes face au travail à temps partiel, 2008, p. 118 ; J. Bué, Temps partiel des femmes : entre "choix" et contraintes, DARES, Premières synthèses, 2002 n° 08.2 ; B. Galtier, Les temps partiels : entre emplois choisis et emplois "faute de mieux", INSEE, Economie et statistique, 1999 n° 321-322 ; V. Ulrich et S. Zilberman, De plus en plus d'emplois à temps partiel au cours des vingt-cinq dernières années, DARES, Premières synthèses, n° 39-3, septembre 2007 ; Le travail à temps partiel, rapport d'activité de la délégation aux droits des Femmes et à l'égalité des chances entre hommes et femmes de l'Assemblée nationale, octobre 2003-juillet 2004.
(6) Chiffres clés 2009, L'égalité entre les femmes et les hommes, Service des droits des femmes et de l'égalité (SDFE).
(7) Chiffres clés 2008 - Service des droits des femmes et de l'égalité (SDFE).
(8) Revue de l'OFCE, juillet 2010, Les discriminations entre les femmes et les hommes, sous la direction de F. Milewski et H. Perivier (chercheures), D. Meurs, A. Pailhe, S. Ponthieux (INSEEINED).
(9) D. Jacquat, rapport préc. ; C. Bonnet et C. Colin, Les retraites des femmes : une grande variété de situations, Retraite et société, 2004, n° 43, p. 207.
(10) Les écarts de salaire mensuel entre les hommes et les femmes renvoient principalement à des écarts de durée effective du travail, ainsi qu'à des différences de secteur d'activité et de qualification des emplois. Compte tenu de leur durée de carrière réduite par les interruptions d'activité et du temps partiel, l'expérience acquise par les femmes à travers leur activité professionnelle est plus limitée.
(11) Le droit européen et communautaire n'est pas traité ici, même s'il a influencé directement l'évolution du droit positif interne. V. l'excellente et très utile synthèse dans COR, Rapport annuel 2008, préc., spéc. p. 146-150.
(12) La majoration pour conjoint à charge, servie dans un nombre limité de régimes (régime général et régimes alignés, régime des mines et des marins), est accordée au titulaire d'une pension si son conjoint a plus de 65 ans, ne dispose pas de ressources personnelles supérieures à un certain montant et n'est pas titulaire d'une pension, rente ou allocation. Ce dispositif est financé par les régimes. Au régime général, le montant, fixé à 610 euros par an (maximum car cette majoration est versée sous condition de revenus) est gelé à ce niveau depuis 1977.
(13) CJCE, 29 novembre 2001, aff. C-366/99 (N° Lexbase : A5833AXC).
(14) COR, 6ème rapport, Retraites : droits familiaux et conjugaux, 17 décembre 2008, préc., p. 25.
(15) Nos obs., LFSS 2009 : de quelques réformes des branches maladie, accident du travail/maladie professionnelle et famille, Lexbase Hebdo n° 332 du 8 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N2160BIT), commentaire de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, de financement de la Sécurité sociale pour 2009 (N° Lexbase : L2678IC8).
(16) Cf., CJCE, 12 juillet 1984, aff. C-184/83 (N° Lexbase : A8276AU3).
(17) L'arrêt "Kalanke" : incompatibilité des quotas avec le principe de l'égalité de traitement (CJCE, 17 octobre 1995, aff. C-450/93 N° Lexbase : A7261AHE). Par cet arrêt du 17 octobre 1995 la CJCE a apprécié la conformité à la Directive du 9 février 1976 (N° Lexbase : L9232AUH) de la loi du Land de Brême du 20 novembre1990, relative à l'égalité entre femmes et hommes dans les services publics. Cette loi prévoyait une priorité en faveur des femmes pour le recrutement ou la promotion, dans les cas où celles-ci ont une qualification égale à celle de leurs concurrents masculins et où elles sont sous-représentées dans le secteur concerné. Après avoir rappelé que le principe de l'égalité de traitement impliquait l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe, la CJCE a estimé que le paragraphe 4 de l'article 2 de la Directive de 1976 avait pour "but précis et limité d'autoriser des mesures qui, tout en étant discriminatoires selon les apparences, visent effectivement à éliminer ou à réduire les inégalités de fait pouvant exister dans la réalité de la vie sociale". Rappelant qu'en tant que dérogation à un droit individuel consacré par la directive, le paragraphe 4 de l'article 2 était d'interprétation stricte, la Cour a censuré la loi du Land de Brême au motif qu'elle garantissait une priorité absolue et inconditionnelle aux femmes lors d'une nomination ou promotion, et substituait ainsi à la promotion de l'égalité des chances le résultat auquel seule la mise en oeuvre d'une telle égalité des chances pourrait aboutir. L'arrêt "Johnston" de la CJCE du 15 mai 1986 (CJCE, 15 mai 1986, aff. C-222/84 N° Lexbase : A7291AHI). La Cour rappelle que, si l'article 2 de la Directive 76/207 autorise une dérogation au droit de l'égalité de traitement entre femmes et hommes en matière d'accès à l'emploi et de conditions de travail, cette dérogation doit être interprétée strictement et son application doit s'effectuer dans le respect du principe de proportionnalité.
(18) L'article 31 du projet de loi précise : "Les entreprises d'au moins cinquante salariés sont soumises à une pénalité à la charge de l'employeur lorsqu'elles ne sont pas couvertes par un accord relatif à l'égalité professionnelle mentionné à l'article L. 2242-5 ou, à défaut d'accord, par les objectifs et les mesures constituant le plan d'action défini dans les rapport prévus aux articles L. 2323-47 et L. 2323-57".
(19) La Halde a demandé la modification des dispositions du Code des pensions civiles et militaires de retraites (pour les fonctionnaires) ainsi que celles du Code de la Sécurité sociale (pour les salariés du régime général). Ces recommandations n'ayant pas été suivies d'effet, le Collège a décidé de publier un rapport spécial et les délibérations 2010-20 et 2010-21 au Journal officiel du 1er février 2010.
(20) La Directive 79/7/CEE du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, dispose son article 7 § 1 que les Etats membres tout en prenant les mesures nécessaires à la suppression de dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe d'égalité de traitement (article 5) peuvent néanmoins exclure de son champ d'application "les avantages accordées en matière d'assurance vieillesse aux personnes qui ont élevé des enfants".

Référence

Délibération Halde n° 2010-202 du 13 septembre 2010, relative à la question des inégalités de genre en matière de retraite (N° Lexbase : X7827AGY)

Textes concernés : Directive 79/7/CEE du 19 décembre 1978 (N° Lexbase : L9364AUD)

Mots-clés : Egalité hommes/femmes ; pension de retraite ; majorations de durée d'assurance ; assurance vieillesse des parents au foyer; majorations de montant de pension pour les parents de trois enfants ou plus

Liens base : (N° Lexbase : E5499AAW)

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