Réf. : Cass. civ. 3, 15 septembre 2010, n° 09-15.192, FS-P+B (N° Lexbase : A5788E9A)
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par Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"
le 07 Octobre 2010
I - Sur la possibilité pour une personne publique de consentir un bail commercial
A titre préalable, et même si en l'espèce ce point n'avait pas semblé susciter de difficultés, il doit être relevé que le bail commercial avait été consenti par une personne publique. A certaines conditions, en effet, une personne publique peut consentir un bail soumis au statut des baux commerciaux. Ainsi, l'article L. 145-2, I, 4, du Code de commerce (N° Lexbase : L2371IBG) prévoit l'application des dispositions du chapitre de ce code, relatif au bail commercial, aux baux des locaux ou immeubles appartenant à l'Etat, aux collectivités territoriales et aux établissements publics, à la condition, toutefois, que ces baux entrent dans le champ d'application du statut. L'article L. 145-2, I, 3°, précise cependant que les dispositions du statut des baux commerciaux s'appliquent aux baux d'immeubles ou locaux principaux ou accessoires, nécessaires à la poursuite de l'activité des entreprises publiques et établissements publics à caractère industriel et commercial, à la condition que ces baux "ne comportent aucune occupation du domaine public". L'inapplicabilité du statut des baux commerciaux aux contrats portant sur le domaine public est en réalité générale (1). Elle se fonde sur l'incompatibilité entre la précarité des occupations domaniales et la stabilité des droits découlant d'un bail commercial (droit au renouvellement). En revanche, comme dans l'espèce rapportée, le bail conclu par une personne publique sur son domaine privé peut être soumis au statut des baux commerciaux à la condition qu'il n'ait pas pour effet de faire participer le preneur à l'exécution d'un service public ou qu'il ne contienne aucune clause dérogatoire au droit commun (2).
II - Sur la nullité du congé délivré par lettre recommandée
L'application du statut des baux commerciaux n'étant pas soumise à discussion dans l'arrêt rapporté, la question se posait de la validité du congé notifié par le bailleur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ainsi que du titulaire du droit de se prévaloir de cette nullité.
En effet, aux termes de l'article L. 145-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L2243IBP), "par dérogation aux articles 1736 (N° Lexbase : L1858ABG) et 1737 (N° Lexbase : L1859ABH) du Code civil, les baux de locaux soumis aux dispositions du présent chapitre ne cessent que par l'effet d'un congé donné pour le dernier jour du trimestre civil et au moins six mois à l'avance", le dernier alinéa de ce texte précisant, en outre, que "le congé doit être donné par acte extrajudiciaire". Bien que l'article L. 145-9 ne soit pas visé par l'article L. 145-15 du Code de commerce (N° Lexbase : L5743AIK), qui énumère les dispositions d'ordre public du statut des baux commerciaux, la Cour de cassation a conféré au dernier alinéa de l'article L. 145-9 (relatif à la forme du congé) un caractère impératif auquel il ne peut être contractuellement dérogé (3). L'obligation de délivrer un congé sous la forme d'un acte d'huissier de justice s'impose également au preneur qui entend mettre un terme au bail à l'expiration d'une période triennale, l'article L. 145-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L0803HPG) renvoyant sur ce point aux dispositions de l'article L. 145-9.
Le congé délivré par lettre recommandée avec demande d'avis de réception est en principe nul, sans que son destinataire ait à invoquer l'existence d'un grief (4), l'article 114 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1395H4G), qui subordonne la nullité d'un acte de procédure à l'existence d'un grief, étant inapplicable. Il a été jugé, par ailleurs, que l'irrégularité de la signification devait être soulevée avant toute défense au fond (5), conformément aux dispositions de l'article 112 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1948ADI).
III - Sur le caractère relatif de la nullité du congé irrégulier en la forme
S'appuyant sur cette solution, le bailleur arguait de la nullité de son congé notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception pour échapper au paiement d'une indemnité d'éviction. En effet, cette indemnité n'est due, par hypothèse, qu'en cas de refus de renouvellement (C. com., art. L. 145-14 N° Lexbase : L5742AII), ce qui implique une cessation du bail. Si le congé irrégulier en la forme n'a pas produit d'effet, le bail ne devrait pas avoir pris fin et, en théorie du moins, il devrait se poursuivre par tacite prorogation pour une durée indéterminée (6). C'était la thèse du bailleur qui soutenait, le bail s'étant poursuivi, que le locataire n'avait pas été évincé et qu'il n'avait pas droit à une indemnité d'éviction.
Toutefois, ce raisonnement faisait fi de la nature de la nullité frappant le congé irrégulier faute d'avoir été délivré par acte extrajudiciaire. En effet, et aux termes d'une jurisprudence désormais ancienne, "la nullité sanctionnant l'inobservation du mode de notification du congé est une nullité relative qui ne peut être invoquée que par la partie que la loi entend protéger" (7). Ni le bailleur (8), ni le preneur (9), ne peuvent donc se prévaloir de l'irrégularité du congé qu'ils ont eux-mêmes notifié, la partie que la loi a entendu protéger étant, selon ces décisions, le destinataire du congé. L'arrêt rapporté rappelle cette règle en affirmant que "le bailleur qui a notifié à son locataire un congé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ne peut se prévaloir de la nullité de l'acte qu'il a lui-même délivré".
Cette solution n'est pas éloignée, dans son esprit, de celle consacrée par l'adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans. Toutefois, elle trouve son fondement dans le caractère relatif de la nullité du congé irrégulier en la forme, l'adage précité ayant une portée limitée à la paralysie des restitutions après nullité d'un contrat pour immoralité de l'objet ou de la cause (10).
Dans l'arrêt commenté, la Cour de cassation approuve, enfin, les juges du fond d'avoir considéré que le fait que le preneur n'ait pas usé du droit qu'il avait de contester le congé et de rester dans les lieux n'autorisait pas le bailleur à inverser la situation de fait telle qu'elle résultait du congé en prétendant que le locataire aurait mis volontairement fin au bail.
Le preneur ne s'étant pas prévalu de la nullité du congé, et étant le seul à pouvoir s'en prévaloir, le bail avait pris fin. Le locataire évincé pouvait donc solliciter le règlement d'une indemnité d'éviction.
(1) Voir, par ex., CE 6° et 2° s-s-r., 18 mai 1977, n° 95541 (N° Lexbase : A2329B8R) et Cass. civ. 3, 20 décembre 2000, n° 99-10.896 (N° Lexbase : A2078AIS).
(2) Voir, par ex., Cass. civ. 3, 30 janvier 2002, n° 00-17.342, FS-P+B (N° Lexbase : A8905AX4) et Cass. civ. 1, 6 mars 2007, n° 05-14.586 (N° Lexbase : A5919DUR).
(3) Ass. plén., 17 mai 2002, n° 00-11.664 (N° Lexbase : A6534AYN).
(4) Cass. civ. 3, 13 décembre 2000, n° 99-14.878 (N° Lexbase : A1161AIT).
(5) Cass. civ. 3, 27 mai 2003, n° 02-11.515, F-P+B (N° Lexbase : A6872CKQ) ; voir, également, en ce sens Cass. civ. 3, 2 juin 2010, n° 09-14.194, FS-P+B (N° Lexbase : A2174EY8).
(6) Cass. civ. 3, 7 décembre 2004, n° 03-19.226, F-P+B (N° Lexbase : A3705DEX).
(7) Cass. civ. 3, 20 décembre 1982, n° 81-13.495 (N° Lexbase : A7585AGZ).
(8) Cass. civ. 3, 19 mai 1993, n° 91-16.254 (N° Lexbase : A8443AGS).
(9) Cass. civ. 3, 18 mai 1994, n° 92-17.028 (N° Lexbase : A7140AB3).
(10) A. Bénabent, Droit civil, Les obligations, Montchrestien, 11ème éd., n° 233.
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