Lecture: 11 min
N1007BQD
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
le 07 Octobre 2010
Laurent Férignac : La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement, dite "Grenelle II", constitue la traduction en termes juridiquement contraignants de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009, de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, dite "Grenelle I".
En 2009, le législateur a fixé à l'Etat et aux collectivités territoriales des orientations générales en matière environnementale. Le "Grenelle I" constituait une déclaration d'intention consensuelle, contenant, certes, quelques dispositions contraignantes, mais dont l'objet était principalement d'établir des objectifs en matière de protection de l'environnement.
Le "Grenelle II" constitue le versant opérationnel du "Grenelle I". Sa philosophie générale est, par conséquent, de permettre la mise en oeuvre des objectifs du "Grenelle de l'environnement", en particulier de l'objectif de développement durable.
Lexbase : Le "Grenelle II" compte plus de 250 articles. Quelles mesures vous semblent plus importantes et significatives que les autres, en particulier en droit de l'urbanisme ?
Laurent Férignac : Une des mesures les plus significatives réside dans la modification en profondeur des documents de planification, au premier plan desquels les schémas de cohérence territoriale (SCOT) et les plans locaux d'urbanisme (PLU).
Ainsi, la loi "Grenelle II" prévoit de généraliser les SCOT à l'ensemble du territoire en 2017, en interdisant progressivement aux communes d'envisager de nouvelles zones à urbaniser.
Surtout, c'est l'équilibre entre les SCOT et les PLU qui semble remis en cause, le SCOT semblant trouver un caractère prescriptif, notamment au travers du document d'orientations et d'objectifs (article 17 de la loi), caractère que la loi "SRU" (loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains N° Lexbase : L9087ARY) avait souhaité supprimer, en limitant sa portée à la définition des orientations fondamentales.
En effet, ce document pourra désormais imposer aux PLU des règles de densité en arrêtant des "objectifs chiffrés de consommation économe de l'espace", ou conditionner l'ouverture à l'urbanisation d'un secteur nouveau à sa desserte par les transports collectifs ou à la réalisation d'une étude d'impact.
Les PLU ont aussi fait l'objet d'une attention particulière de la part du législateur.
Ainsi, l'article 19 de la loi fait de l'échelon intercommunal le niveau privilégié pour établir un PLU qui devra répondre aux nouveaux objectifs environnementaux fixés par la loi (réduction des gaz à effet de serre, maîtrise de l'énergie, préservation de la biodiversité).
Le PLU pourra, notamment, imposer des densités minimales de construction, dans des secteurs situés à proximité des transports collectifs existants ou programmés (article 19), ou encore imposer le respect de performances énergétiques et environnementales renforcées aux constructions, travaux, installations et aménagements.
Le "Grenelle II" intervient aussi sur la problématique de la consommation d'énergie des bâtiments. Ainsi, l'article L. 111-9 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L7427IMZ) prévoit la prise en compte des émissions de gaz à effet de serre dans l'appréciation de la performance énergétique des nouvelles constructions, et ce à partir de 2020. Il indique aussi qu'à l'achèvement des travaux sur des bâtiments neufs ou des parties nouvelles de bâtiments existant soumis à permis de construire, le maître d'ouvrage fournira à l'autorité qui à délivré le permis de construire une attestation de respect de la réglementation thermique.
Le diagnostic de performance énergétique (DPE) est aussi amélioré. Un DPE devra être réalisé d'ici le 1er janvier 2017 dans les bâtiments équipés d'une installation collective de chauffage ou de refroidissement.
Enfin, une disposition importante vient renforcer l'utilisation d'éco-matériaux. L'article 12 de la loi introduit dans le Code de l'urbanisme un article L. 111-6-2 (N° Lexbase : L8934ASP) d'après lequel "nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire, le permis de construire ou d'aménager ou la décision prise sur une déclaration préalable ne peut s'opposer à l'utilisation de matériaux renouvelables ou de matériaux ou procédés permettant d'éviter l'émission de gaz à effet de serre, à l'installation de dispositifs favorisant la retenue des eaux pluviales ou la production d'énergie renouvelable [...]".
Par ailleurs, de nouvelles catégories de documents voient le jour.
C'est ainsi que sont créés des directives territoriales d'aménagement et de développement durables (DTADD) qui ont vocation à déterminer les objectifs et orientations de l'Etat "en matière d'urbanisme, de logement, de transports et de déplacements, de développement des communications électroniques, de développement économique et culturel, d'espaces publics, de commerce, de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, des sites et des paysages, de cohérence des continuités écologiques, d'amélioration des performances énergétiques et de réduction des émissions de gaz à effet de serre", sur des "territoires présentant des enjeux nationaux dans un ou plusieurs de ces domaines" (article 13).
Les objectifs de ces DTADD, qui seront élaborées par l'Etat, en association avec la région, le département et les groupements de communes compétentes en matière de SCOT, sont donc bien plus larges que ne l'étaient ceux des DTA, et mentionnent en particulier l'impératif de "continuité écologique", mesure phare du "Grenelle II" traduite dans la mise en place des "trames".
Il convient, enfin, de noter la création de nouveaux documents à prendre en compte lors de l'élaboration d'un PLU. Il s'agit des schémas régionaux de cohérence écologique et des plans climats-énergie, mais aussi les plans de gestion des risques inondation.
Dans le domaine de la gouvernance, l'on peut encore constater que le "Grenelle II" vient réformer les études d'impact.
Désormais, les projets qui y sont soumis seront énumérés par voie décrétale en fonction de critères et de seuils et, pour certains d'entre eux, après un examen au cas par cas effectué par l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement (C. envir., art. L. 122-1-I N° Lexbase : L7979IMH).
En outre, parmi les dispositions intéressant les études d'impact, il faut noter l'instauration d'un mécanisme de sanctions administratives en cas de non-respect des prescriptions figurant dans l'étude d'impact. Ainsi, après mise en demeure préalable de l'autorité compétente non suivie d'effet, celle-ci peut consigner la somme correspondant au coût des mesures à réaliser, faire procéder d'office aux travaux aux frais du pétitionnaire, ou encore suspendre la réalisation des travaux (C. envir., art. L. 122-3-4 N° Lexbase : L7971IM8).
S'agissant des enquêtes publiques, la loi introduit la possibilité, lorsque la réalisation d'un projet, plan ou programme est soumise à l'organisation de plusieurs enquêtes dont l'une au moins relève du Code de l'environnement, de procéder à une seule enquête relevant de ce code sous certaines conditions (C. envir., art. L. 123-6 N° Lexbase : L8000IMA).
Le champ d'application des enquêtes publiques à finalité environnementale est, ensuite, modifié et, ainsi, clarifié. Ainsi, il convient, notamment, de relever, qu'hormis les projets de création d'une zone d'aménagement concerté et ceux de faible importance ou temporaire, les projets soumis à étude d'impact doivent faire l'objet d'une enquête publique.
Parmi les mesures importantes, il faut, enfin, relever la possibilité d'effectuer une enquête publique complémentaire si, au vu des conclusions du commissaire enquêteur, des changements modifiant l'économie générale du projet semblent nécessaires (C. envir., art. L. 123-14-II N° Lexbase : L7992IMX), ou encore la possibilité de suspendre l'enquête pendant six mois après l'audition du commissaire enquêteur si des modifications substantielles sont nécessaires (C. envir., art. L. 123-14-I).
Lexbase : Des moyens coercitifs d'application efficients sont-ils prévus par les pouvoirs publics dans des domaines sensibles pouvant interagir sur certains intérêts économiques, tels que les transports (péages urbains) ou la qualité de l'air (émission de gaz à effet de serre) ?
Laurent Férignac : Le "Grenelle II" rappelle certains engagements en matière environnementale et prévoit certaines mesures coercitives.
Ainsi, l'article 68 de la loi prévoit la création de schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie. Ce schéma doit fixer "à l'échelon du territoire régional et à l'horizon 2020 et 2050" les orientations permettant de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050.
Chaque région devra adopter un tel schéma "dans un délai d'un an à compter de l'entrée en vigueur" du "Grenelle II", soit le 15 juillet 2011.
Cet engagement chiffré avait déjà été confirmé dans le "Grenelle I", à son article 2. Le "Grenelle II" vient aujourd'hui donner l'outil de mise en oeuvre de cet objectif, les collectivités territoriales et leurs groupements compétents ayant, désormais, la charge de le réaliser.
Le suivi des évolutions en matière d'émission de gaz à effet de serre sera rendu possible par la réalisation de bilans.
L'article 75 de la loi oblige les sociétés employant plus de 500 personnes, l'Etat, les collectivités territoriales et groupements de collectivités comptant plus de 50 000 habitants, ainsi que les personnes morales de droit public employant plus de 250 personnes à établir tous les trois ans un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre et une "synthèse des actions envisagées" pour les réduire.
C'est ainsi qu'un bilan de consommation énergétique sera transmis par les fournisseurs d'électricité, de gaz naturel ou de chaleur aux consommateurs finaux, accompagné de conseils visant à réduire leur consommation et d'une évaluation financière des économies éventuelles (article 79).
De même, des "certificats d'économie d'énergie", biens meubles négociables dont l'unité de compte est le "kilowattheure d'énergie finale économisé", devront être produits pour prouver le respect de l'obligation d'économie d'énergie.
Le "Grenelle II" instaure, également, un mécanisme de sanction qui existait en cas de détournement ou de mauvais emploi de ces certificats (loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005, de programme fixant les orientations de la politique énergétique, art. 15 N° Lexbase : L5009HGM), sans modifier le dispositif existant en cas d'absence de production des dits certificats (article 14 de cette même loi).
Parmi les instruments financiers figure la possibilité (article 64 de la loi) d'instituer une taxe forfaitaire sur le produit de la valorisation des terrains nus et des immeubles bâtis résultant de la réalisation d'infrastructures de transports collectifs en site propres au profit des autorités organisatrices de transports urbains (hors Ile-de-France, une taxe spécifique ayant, d'ores et déjà, été créée par la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010, relative au Grand Paris N° Lexbase : L4020IMT). Par ailleurs, à titre expérimental, des péages urbains pourront être institués pour une durée de 3 ans, à la demande de l'autorité en charge des transports urbains, dans les agglomérations de plus de 300 000 habitants dotées d'un plan de déplacements urbains approuvé prévoyant la réalisation d'un transport collectif en site propre.
Lexbase : Pouvez-vous nous présenter les mesures emblématiques du "Grenelle II" en matière de préservation de la biodiversité, plus particulièrement la trame verte et bleue ?
Laurent Férignac : Le "Grenelle II" consacre un titre entier à la biodiversité et précise, notamment, la notion de "trame".
Le Code de l'environnement comporte désormais un article L. 371-1 (N° Lexbase : L7662IMQ) d'après lequel "la trame verte et la trame bleue ont pour objectif d'enrayer la perte de biodiversité en participant à la préservation, à la gestion et à la remise en bon état des milieux nécessaires aux continuités écologiques, tout en prenant en compte les activités humaines, et notamment agricoles, en milieu rural".
L'objectif de ces trames, tel qu'il est défini dans l'article L. 371-1 du Code de l'environnement, est d'assurer une continuité entre les espaces naturels. Outre la protection des habitats, envisagée par le livre IV du Code dans sa rédaction issue du "Grenelle II", le législateur a entendu contribuer à diminuer la "fragmentation et la vulnérabilité des habitats naturels et habitats d'espèces".
La trame verte comprend "tout ou partie des espaces protégés" au titre du livre III du Code de l'environnement (littoral, parcs et réserves), et le "patrimoine naturel" décrit par le titre 1er du livre IV du Code, "ainsi que les espaces naturels importants pour la préservation de la biodiversité" et les corridors écologiques reliant l'ensemble de ces espaces naturels.
La trame bleue concerne, pour sa part, les cours d'eaux, canaux et zones humides.
Pour prendre en compte ces trames, un document-cadre intitulé "orientations nationales pour la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques" sera élaboré par l'Etat avec l'aide d'un Comité national trames verte et bleue. Les grandes infrastructures de l'Etat et de ses établissements publics devront être compatibles avec ce document.
Le second document-cadre est le schéma régional de cohérence écologique (SRCE). L'élaboration de ce document sera assurée par la région et l'Etat, en association avec un Comité régional trames verte et bleue.
Ce SRCE (codifié à l'article L. 371-3 du Code de l'environnement N° Lexbase : L7660IMN) devra prendre en compte les orientations nationales pour la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques et comprendre une cartographie des trames. Les collectivités territoriales devront obligatoirement respecter ce document lors de l'élaboration et la révision de leurs documents d'urbanisme.
Lexbase : Plusieurs drames récents en France liés aux inondations (tempête Xynthia, inondations dans le Var) ont montré l'insuffisance des mesures de prévention en France. La transposition de la Directive (CE) 2007/60 du 23 juillet 2007, relative à l'évaluation et à la gestion des risques d'inondation (N° Lexbase : L2221H3N), par le "Grenelle II" vous semble-t-elle susceptible d'y remédier ?
Laurent Férignac : Le "Grenelle II" a effectivement introduit dans le Code de l'environnement un chapitre intitulé "Evaluation et gestion des risques d'inondation", qui vient transposer en droit interne la Directive (CE) 2007/60 du 23 juillet 2007.
La loi crée un plan de gestion des risques d'inondation (PGRI), qui, pour son élaboration, adopte la logique du bassin en tant qu'unité de gestion et d'adoption.
Ainsi, les territoires dans lesquels il existe un risque d'inondation important ayant des conséquences de portée nationale seront identifiés et scindés en bassins ou groupements de bassins pour lesquels un PGRI devra être adopté. Au niveau des territoires, des cartes des surfaces inondables et des cartes des risques d'inondation devront être arrêtées avant le 22 décembre 2013.
Enfin, adopté avant le 22 décembre 2015 et mis à jour tous les six ans, le PGRI devra comprendre des mesures concernant la surveillance, la prévision, l'information, sur les phénomènes d'inondation, mais aussi des dispositions visant à réduire la vulnérabilité des territoires face aux risques d'inondation et même, des mesures plus générales relatives à l'éducation et à la "conscience du risque".
Dans ces conditions, l'on peut penser que le "Grenelle II" apporte un début de réponse en mettant en place de véritables mesures de prévention. Toutefois, il convient de noter que le rapport du Sénat relatif à la tempête Xynthia a regretté une transposition a minima de la Directive, mentionnant, notamment, "la faiblesse du volet relatif à la réduction des conséquences d'une inondation, l'absence de distinction entre submersion marine et inondations classiques, ainsi que le flou persistant autour de la composition du plan de gestion des risques d'inondation".
Lexbase : La longueur du texte et sa complexité peuvent-elles compromettre sa bonne application dans la durée ?
Laurent Férignac : Ce texte modifie de nombreuses législations, codifiées et non codifiées, dans des domaines du droit extrêmement variés : environnement, urbanisme, droit des collectivités territoriales, fiscalité...
Le "Grenelle II" souffre de cette ambition et perd en intelligibilité. Il n'est pas le texte opérationnel que l'on aurait pu souhaiter et s'en tient bien souvent au simple "effet d'annonce".
Les renvois multiples à des décrets simples ou en Conseil d'Etat mettent à la charge du pouvoir réglementaire la lourde responsabilité de clarifier ce texte, et d'assurer son avenir, afin de faire en sorte que les outils qu'il propose soient utilisés par les collectivités territoriales.
Les entrées en vigueur différées de certaines dispositions, parfois accompagnées de mesures transitoires, font que l'entrée totale dans le droit issu du "Grenelle II" sera lente. Sans compter que les Codes de l'urbanisme et de l'environnement devraient encore changer puisque les articles 25 et 256 de la loi autorisent le Gouvernement à en modifier la partie législative par ordonnance.
Lexbase : Compte tenu de tous ces éléments, la perspective d'un "Grenelle III" évoquée par la secrétaire d'Etat chargée de l'Ecologie vous paraît-elle réaliste ?
Laurent Férignac : Alors qu'il vient à peine d'être voté et qu'il n'est, en grande partie, pas entré en vigueur en l'absence de décrets d'application, envisager un "Grenelle III" paraît prématuré.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:401007