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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne
le 24 Janvier 2011
Cette décision de la Haute juridiction administrative, relative à la TFPB, aborde trois questions. La principale d'entre elles est de savoir quel est le débiteur au titre de la TFPB dans le cas particulier de constructions édifiées sur le domaine public. Cette question n'est pas nouvelle, cependant elle n'est que rarement en jeu d'où l'intérêt de cet arrêt (2). Quant aux deux autres points il s'agit, d'une part, de la reconduction des bases d'imposition d'une année sur l'autre dès lors où il n'y a pas eu de changement (1) et, d'autre part, des termes de la comparaison dans le cadre de l'application de l'article 1498 du CGI (N° Lexbase : L0267HMT) en vue d'établir la valeur locative (3).
En l'espèce, la société NFDB avait été autorisée, en vertu d'un contrat d'amodiation en date du 6 avril 1973 conclu avec le Port autonome de Paris, à occuper un terrain situé dans l'enceinte du port de Gennevilliers. Elle avait été imposée au titre de la TFPB à raison de locaux implantés sur ce terrain. Le litige portait sur les cotisations dues pour les années 1998 et 2000.
Antérieurement au pourvoi formé par le mandataire liquidateur de la société NFDB, par un jugement en date du 25 juin 2008, le tribunal administratif de Paris avait entièrement dégrevé le contribuable de l'imposition établie au titre de 1998, en revanche il avait maintenu à la charge du contribuable la cotisation pour l'année 2000. Le liquidateur judiciaire de la société NFDB venait demander la décharge de cette cotisation.
1 - Le premier moyen invoqué concernait le principe général du respect des droits de la défense. Pour évaluer des immeubles, les propriétaires doivent souscrire une déclaration. Dans l'hypothèse où l'administration procède, en vertu de l'article 1508 du CGI (N° Lexbase : L0289HMN) à un redressement des bases de la TFPB fondé sur l'insuffisance d'évaluation due à l'inexactitude ou au défaut des déclarations prévues aux articles 1406 (N° Lexbase : L9964HLM) et 1502 (N° Lexbase : L0278HMA) du CGI ; par application de ce principe, le contribuable doit avoir été mis en mesure de présenter ses observations. En revanche, si l'administration reconduit les bases d'imposition sans changement, elle n'est pas tenue à l'obligation de mettre à même le contribuable de présenter des observations. En l'espèce, lors de la première année d'imposition -1998-, même si l'administration avait établie son imposition suivant une procédure irrégulière et après avoir mis en demeure le contribuable de souscrire aux déclarations, ce dernier n'ayant pas répondu ; l'administration a pu, à bon droit, prendre en considération les mêmes bases dès lors qu'elles n'ont subi aucun changement.
Il s'agit d'une application du principe général des droits de la défense appliqué au cas particulier des déclarations d'évaluation en matière de TFPB. Si le contribuable n'a pas jugé bon de soumettre ses observations lors de la première imposition, et si les bases de celle-ci ne sont pas modifiées, il ne peut soutenir que ce principe n'a pas été respecté par l'administration lors de l'imposition suivante.
2 - Le second point de droit intéresse l'application de l'article 1400 du CGI (N° Lexbase : L4755IC4) aux termes duquel "sous réserve des dispositions des articles 1403 (N° Lexbase : L9958HLE) et 1404 (N° Lexbase : L9961HLI), toute propriété, bâtie ou non bâtie, doit être imposée au nom du propriétaire actuel". L'autorisation temporaire d'occupation et d'utilisation du domaine public a été consentie à la société NFDB par le Port autonome de Paris en vue de répondre à des besoins de service public. La question était de savoir qui était débiteur de la TFPB assise sur les constructions édifiées par la société ou déjà existantes à la date de la conclusion de la convention autorisant l'occupation temporaire du domaine public. Selon le Conseil d'Etat, ces constructions avaient été édifiées "en vue de satisfaire les seuls besoins de l'activité" de l'entreprise et, a contrario, n'avaient pour finalité de répondre aux besoins de service public. En conséquence, c'étaient des constructions privées dont la société permissionnaire était propriétaire pour toute la durée de l'autorisation d'occupation du domaine public. Dès lors cette société était débitrice de cette imposition.
Cette solution avait déjà été établie par la Haute juridiction administrative dans un arrêt en date du 21 avril 1997 (CE Contentieux, 21 avril 1997, n° 147602 N° Lexbase : A9303ADW). Dans cette affaire, il avait été jugé que l'édification d'installations dans le seul objectif des activités privées du permissionnaire et non pour les besoins du service public n'était pas incompatible avec l'inaliénabilité du domaine public. Ainsi, il apparaît que l'inaliénabilité du domaine public n'empêche pas la constitution des droits réels portant sur les constructions établies sur ce domaine dès lors qu'elles ne le sont pas en vue de répondre aux nécessités du service public.
Il faut noter que le II de l'article 1400 du CGI a été modifié par l'article 106 de la loi de finances pour 2004 (loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 N° Lexbase : L6348DM3). Cette disposition prévoit des dérogations au principe selon lequel l'imposition à la TFPB doit être établie au nom du propriétaire pour les titulaires de certains droits spéciaux (immeubles loués par bail emphytéotique, grevés d'usufruit, loués par bail à construction ou par bail à réhabilitation). Outre ces catégories limitativement énumérées, il a été ajouté celle des "titulaires d'autorisation temporaire du domaine public qui est constitutive de droits réels". Cette mesure est entrée en vigueur à compter des impositions établies au titre de l'année 2004.
3 - Enfin, le dernier point de droit abordé par cette décision est relatif à la problématique, toujours d'actualité, de l'évaluation par comparaison en vue de déterminer la valeur locative des bâtiments en vertu de l'article 1498 du CGI. Le contribuable remettait en cause les locaux-types désignés par l'administration au motif que l'état de vétusté de ses locaux ne permettait pas d'effectuer une comparaison pertinente eu égard à ceux choisis par l'administration. En tout état de cause, le choix des termes de la comparaison ne peut être remis en cause par le contribuable sur ce seul motif. Le Conseil d'Etat a, déjà, beaucoup oeuvré en vue de "maintenir à flot le système" (cf. Y. Bénard, Valeurs locatives foncières : panorama de la jurisprudence 2006, RJF, 2/07, p. 95), notamment en développement une jurisprudence très constructive quant aux termes de la comparaison mise en oeuvre sur le fondement du 2° de l'article 1498 du CGI.
Comme exposé dans une chronique précédente (Chronique en impôts locaux - mai 2010, Lexbase Hebdo n° 394 du 13 mai 2010 - édition fiscale N° Lexbase : N0641BPG) à propos de l'arrêt "SARL Agora Cinémas" (CE, 12 mars 2010, n° 306458, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1599ETE), la jurisprudence relative à la détermination de la valeur locative des locaux commerciaux ne semble pas se tarir. Selon les dispositions de l'article 1498 du CGI, il existe trois méthodes permettant d'évaluer la valeur locative des locaux commerciaux, la première est la référence au loyer (CGI, art. 1498-1°), à défaut est appliquée une méthode comparative (CGI, art. 1498-2°), voire en dernier recours la méthode d'appréciation directe (CGI, art. 1498-3°). Au final et eu égard au silence du législateur, la référence au loyer considérée comme la règle générale est devenue l'exception. En revanche l'évaluation par la comparaison est de plus en plus usitée -selon le rapport de la Cour des comptes pour 2009, la méthode d'évaluation par rapport au bail concerne 5,7 % des locaux commerciaux, la méthode comparative 92,7 % et celle de l'appréciation directe intéresse 1,5 % de cette même catégorie de locaux- et génère un important contentieux. C'est précisément cette méthode qui pose problème dans l'affaire commentée.
Les faits de l'espèce sont les suivants : la société immobilière PB6 a demandé par réclamations préalables, l'une en date du 17 décembre 2004 et l'autre du 11 mai 2005, la décharge des cotisations de TFPB au titre de 2003 et de 2004 dues pour un immeuble "tour PB6 - EDF" situé à Puteaux. Par un jugement en date du 7 mai 2008, le tribunal administratif de Versailles n'a fait droit qu'en partie à la demande de la société qui s'est pourvue en cassation afin de voir sa demande en décharge totalement reconnue.
Selon le 2° de l'article 1498 du CGI, pour certains biens "[...] la valeur locative est déterminée par comparaison. Les termes de comparaison sont choisis dans la commune. Ils peuvent être choisis hors de la commune pour procéder à l'évaluation des immeubles d'un caractère particulier ou exceptionnel". En l'espèce, pour évaluer la valeur locative du bien à raison duquel le contribuable était assujetti à la TFPB (pour rappel, c'est une tour située à Puteaux), l'administration avait proposé comme terme de la comparaison un local-type sis à Neuilly-sur-Seine. L'application de cette disposition n'implique pas que les biens comparés soient de même taille. Il peut exister une différence significative quant à la superficie entre les deux termes de la comparaison : le local-type et l'immeuble à évaluer. Dans cette hypothèse il est fait application de l'article 324 AA de l'annexe III du CGI (N° Lexbase : L3147HMI) qui prévoit une pondération par coefficient permettant l'ajustement de la valeur locative afin de tenir compte des différences entre les immeubles qui sont comparés.
L'immeuble dont était évaluée la valeur locative est une tour de 40 étages d'une hauteur de 165 m dont la surface réelle est de 60 207 m² (surface pondérée de 47 470 m²), en revanche le local-type est constitué d'un ensemble de bureaux situé dans un immeuble de taille moyenne d'une surface réelle de 905 m² (surface pondérée de 486 m²). Pour tenir compte de la différence de surface, il avait été appliqué un ajustement de 40 %. La Haute juridiction administrative a considéré que, en ne remettant pas en cause les termes de la comparaison, les juges du fond avaient commis une erreur de droit et en conséquence a annulé la décision du tribunal administratif.
Le dispositif de l'article 324 AA de l'annexe III du CGI doit permettre un ajustement lors de la comparaison. Cependant, les termes de la comparaison, même si nécessairement ils ne sont pas identiques, sinon la notion d'ajustement n'aurait pas de raison d'être, doivent être, selon le Conseil d'Etat, "pertinents". Au regard des faits exposés dans la décision, les juges de cassation ont pris en considération, à la fois, la différence de surface, la hauteur des immeubles et leur consistance : l'un étant un immeuble de grande hauteur alors que le local-type est défini comme un "immeuble de taille moyenne". Les juges du fond avaient pourtant considéré que ces termes de comparaison étaient valables eu égard à la conception, l'année de construction et le lieu d'implantation.
Le bien immobilier sis à Puteaux est un "immeuble de grande hauteur". Cette notion est définie par d'autres branches du droit, notamment aux termes de l'article R 122 -2 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L7845IEB). Même si cette qualification n'est pas prise en compte en tant que telle par le droit fiscal, il n'en reste pas moins que la méthode comparative de l'article 1498 du CGI ne peut prospérer qu'en étant fondée sur des éléments comparables. En l'occurrence, cette notion de "terme de comparaison pertinent" utilisée par le Conseil d'Etat peut constituer un moyen pour les contribuables dans le cadre des nombreux litiges relatifs à la valeur locative dans le cadre de la TFPB. On ne peut augurer du particulier au général surtout à propos d'une seule décision, il sera nécessaire que le Conseil d'Etat définisse plus avant les caractéristiques de la pertinence des termes de comparaison.
Le dispositif de l'article 1498 du CGI est particulièrement sollicité. On peut se demander si cette décision du Conseil d'Etat ne va pas constituer un nouveau motif de contentieux et augmenter d'autant ce dernier. L'inflation du contentieux en la matière est due à l'évolution des différentes méthodes pour l'évaluation de la valeur locative qui a remis en cause l'équilibre initial de ce dispositif. Face à cette situation, la politique de la Haute juridiction administrative consiste à pallier certaines "déficiences à coup d'expédients jurisprudentiels" (cf. V. Daumas, Valeurs locatives foncières : le mécano jurisprudentiel, RJF, 8-9/09, p. 634). La mise en oeuvre de la notion de pertinence des éléments de comparaison pourrait être un nouveau facteur d'inflation.
La Caisse d'Epargne Languedoc-Roussillon a subi une vérification de comptabilité pour la période du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2000. A la suite de cette vérification, la Caisse d'Epargne a été assujettie à une cotisation supplémentaire de taxe professionnelle (TP) au titre de l'année 1999. Ce supplément d'imposition résultait de la prise en compte, taxe sur la valeur ajoutée (TVA) comprise, des véhicules de tourisme qu'elle avait loué. Le tribunal administratif de Montpellier, dans un jugement du 14 avril 2005, avait prononcé une réduction de la cotisation de TP à hauteur de 367 euros pour 1999. Sur appel formé par l'administration fiscale, la cour administrative d'appel de Marseille, dans une décision rendue le 13 mai 2008 (CAA Marseille, 4ème ch., 13 mai 2008, n° 05MA02108 N° Lexbase : A8935D9S), est venue infirmer le jugement.
L'arrêt présentement commenté de la Haute juridiction administrative est venu confirmer la décision des juges d'appel. Le contribuable qui a formé le pourvoi développait plusieurs moyens à l'appui d'annulation de la décision de la cour administrative d'appel venant mettre à sa charge une cotisation supplémentaire de TP. Outre un premier moyen relatif à la régularité externe de l'arrêt des juges d'appel sur le fondement de l'article R. 222-26 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2815ALT), les moyens suivants concernaient les aux règles applicables en matière de détermination d'un véhicule de tourisme pris en location.
Pour déterminer l'assiette de la TP, selon les dispositions du second alinéa de l'article 1469 du CGI (N° Lexbase : L4903ICL), la valeur locative des biens pris en location et dont la durée d'amortissement est inférieure à 30 ans est égale au montant du loyer pour la période de référence sauf s'il diffère de plus de 20 % de la valeur locative qui serait obtenue en multipliant le prix de revient par 16 %. Dans cette hypothèse la valeur locative est égale à 16 % du prix de revient diminué ou majoré de 20 % selon que le loyer est plus proche de l'une ou l'autre de ces limites. Le prix de revient est celui qui sert de base de calcul des amortissements pratiqués par le propriétaire qui donne les biens en location. S'agissant d'un véhicule de tourisme, aux termes de l'article 237 de l'annexe II du CGI (N° Lexbase : L0913HN7) l'acquisition n'ouvre pas au propriétaire le droit à déduire la TVA, la base est ainsi constituée par le prix d'acquisition TVA comprise. Cette solution avait été déjà admise par le Conseil d'Etat dans une décision du 28 juillet 1999 (CE Contentieux, 28 juillet 1999, n° 1674 N° Lexbase : A4610AXZ). Ainsi à la question de savoir si le prix de revient servant de base au calcul de la valeur locative devait être hors TVA ou, au contraire TVA comprise, la haute Juridiction administrative réaffirme, dans cette décision, qu'il s'agit du prix de revient TVA comprise.
Cependant le contribuable assujetti à la cotisation supplémentaire de TP remettait cette solution en cause sur le fondement de l'article L. 80 A du LPF. Notamment, il se fondait sur une réponse ministérielle en date du 9 mai 1988 (Rép. min. n° 8689 à M. Michel Chauty, JO Sénat, 9 mai 1988, p. 645 ; DF 1988, n° 28, comm. 1471) au terme de laquelle, il était admis in fine "que le prix de revient servant de référence soit le prix auquel l'utilisateur pourrait acquérir un matériel neuf du même modèle". Or dans un arrêt en date du 12 mai 1998, la cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 1ère ch., 12 mai 1998, n° 95NT01417 N° Lexbase : A2408BHN, DF, 1999, n° 7, comm. 128) avait fait droit à une demande portant sur le même fondement. En effet, pour la cour administrative d'appel, il résultait de la réponse ministérielle que la valeur locative du bien pris en location était calculée en prenant en compte le prix de revient hors TVA, dès lors que le propriétaire avait été en droit de déduire la TVA ayant grevé l'acquisition pour l'imposition des loyers à la TVA.
Or, pour le Conseil d'Etat, et confirmant la cour administrative d'appel de Marseille, la réponse ministérielle invoquée concerne les biens acquis pour être donnés en location mais ne se prononce pas sur la question de l'inclusion dans le prix de revient de la TVA eu égard au régime d'assujettissement à cette imposition du locataire du bien. En conséquence, la solution fondée sur les articles 1469 et 237 de l'annexe II du CGI telle que décrite ci-dessus ne pouvait être remise en cause par la réponse ministérielle sur le fondement de l'article L. 80 A du LPF.
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