La lettre juridique n°408 du 16 septembre 2010 : Licenciement

[Jurisprudence] Montant de l'indemnité "forfaitaire" allouée aux salariés protégés illégalement licenciés : enfin des éclaircissements ?

Réf. : Cass. soc., 1er juin 2010, n° 09-41.507, FS-P+B (N° Lexbase : A2239EYL)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Si la qualification de "salarié protégé" est traditionnellement associée à celle de représentants du personnel, il est bien d'autres salariés qui entrent dans cette catégorie. Il en va par exemple ainsi des administrateurs de mutuelle dont il était question dans l'arrêt rendu le 1er juin 2010. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale dans cette décision, lorsque un salarié investi d'un tel mandat est licencié sans autorisation administrative, il peut prétendre à une indemnité pour violation du statut protecteur égale à la rémunération perçue depuis son éviction jusqu'au terme de son mandat, dans la limite de deux ans, durée minimale légale du mandat des représentants élus du personnel, augmentée de six mois. Au-delà du cas particulier de l'administrateur de mutuelle, cet arrêt paraît devoir retenir l'attention en ce qu'il semble annoncer la solution qui devrait prévaloir pour les représentants élus du personnel illégalement licenciés.
Résumé

Selon l'article L. 114-24 du Code de la mutualité (N° Lexbase : L6306HWH), le licenciement d'un salarié exerçant un mandat d'administrateur de mutuelle ou ayant cessé son mandat depuis moins de six mois est soumis à la procédure prévue par l'article L. 412-18 du Code du travail (N° Lexbase : L0040HDT). Il en résulte que l'administrateur de mutuelle, élu pour un mandat à durée déterminée, licencié sans autorisation administrative, peut prétendre à une indemnité pour violation du statut protecteur égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'au terme de son mandat, dans la limite de deux ans, durée minimale légale du mandat des représentants élus du personnel, augmentée de six mois.

I - La protection du salarié administrateur de mutuelle

Problématique et solution. Depuis la recodification, l'article L. 2411-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3230IML) livre la liste des salariés qui, en raison du mandat qu'ils exercent, bénéficient du statut protecteur contre le licenciement. Est notamment visé le membre du conseil d'administration d'une mutuelle, union ou fédération mentionné à l'article L. 114-24 du Code de la mutualité (C. trav., art. L. 2411-1, 14°). L'administrateur de mutuelle est donc un salarié protégé (1), dont le licenciement doit être autorisé par l'inspecteur du travail.

En l'espèce, une salariée réélue le 27 juin 2006 pour une durée de six ans en qualité d'administrateur d'une mutuelle, avait précisément été licenciée sans autorisation administrative par lettre du 14 mars 2007. Elle avait alors saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement d'une indemnité pour violation du statut protecteur à hauteur de quatre ans et six mois de salaires, en se prévalant de la durée d'indemnisation des représentants élus du personnel irrégulièrement licencié.

Pour limiter le montant de l'indemnité allouée à la salariée pour violation du statut protecteur à un an de salaire, l'arrêt attaqué avait retenu que l'intéressée ne pouvait pas se prévaloir de la similitude existant entre le statut d'administrateur de sécurité sociale et celui d'administrateur de mutuelle pour réclamer une indemnité correspondant à la limite de la durée de protection des représentants du personnel (soit quatre ans), à laquelle s'ajoute la période de protection supplémentaire de six mois, dès lors que les dispositions de l'article L. 114-24 du Code de la mutualité renvoient clairement aux dispositions de l'article L. 412-18 du Code du travail, dans leur ancienne rédaction, lesquelles visent exclusivement la situation des délégués syndicaux.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 114-24 du Code de mutualité et L. 412-12 du Code du travail alors en vigueur. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "selon l'article L. 114-24 du Code de la mutualité, le licenciement d'un salarié exerçant un mandat d'administrateur de mutuelle ou ayant cessé son mandat depuis moins de six mois est soumis à la procédure prévue par l'article L. 412-18 du Code du travail. Il en résulte que l'administrateur de mutuelle, élu pour un mandat à durée déterminée, licencié sans autorisation administrative, peut prétendre à une indemnité pour violation du statut protecteur égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'au terme de son mandat, dans la limite de deux ans, durée minimale légale du mandat des représentants élus du personnel, augmentée de six mois".

Appréciation de la solution. A l'évidence le litige ne portait pas sur l'application du statut protecteur à la salariée, ni sur l'illicéité de son licenciement, mais sur les conséquences indemnitaires de celui-ci. On se bornera ici à rappeler que le salarié illégalement licencié, qui ne demande pas sa réintégration, a le droit d'obtenir :

- au titre de la méconnaissance du statut protecteur, une indemnité d'un montant égal à la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction et la fin de la période de protection ;

- les indemnités de rupture (indemnités compensatrices de préavis et de licenciement) ;

- une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l'article L. 1235-3 du Code du travail (N° Lexbase : L1342H9L) (non inférieure aux salaires des six deniers mois) (2).

En l'espèce, c'est le montant de la première de ces indemnités qui faisait problème. Alors que la salariée demandait le paiement de quatre ans et six mois de salaires, les juges du fond avaient limité le montant de l'indemnité allouée à un an de salaire. Cette solution peut se justifier (3). Ainsi que le précise en effet l'article L. 2411-19 du Code du travail (N° Lexbase : L0165H9Y), "la procédure d'autorisation de licenciement et les périodes et durées de protection du salarié membre du conseil d'administration d'une mutuelle [...] sont prévues à l'article L. 114-24 du Code de la mutualité". Selon l'alinéa 5 de ce dernier texte, "le licenciement par l'employeur d'un salarié exerçant le mandat d'administrateur ou ayant cessé son mandat depuis moins de six mois est soumis à la procédure prévue par l'article L. 412-18 du Code du travail". Devenue l'article L. 2411-3 (N° Lexbase : L0148H9D) postérieurement à la recodification, cette disposition vise les seuls délégués syndicaux. Or, on se souvient qu'à leur égard, la Cour de cassation a fait le choix de plafonner le montant de l'indemnité précitée à douze mois de salaire (4).

Par voie de conséquence, et ainsi qu'il a été souligné, "aucun fondement textuel ne permet de faire bénéficier les salariés chargés d'un mandat d'administrateur de mutuelle de la protection offerte aux représentants du personnel élus ce qui explique que, pour la cour d'appel, la salariée ne pouvait prétendre à une indemnisation équivalente à 4 années de salaire et six mois supplémentaires courant à compter de l'expiration du mandat" (5). Si cette assertion nous paraît recevable, il reste contestable de vouloir limiter l'indemnité à douze mois de salaire. Sans doute l'article L. 114-24 du Code de la mutualité renvoie-t-il à un texte relatif aux délégués syndicaux. Mais, il se borne à viser "la procédure prévue à l'article L. 412-18", c'est-à-dire l'exigence d'une autorisation préalable de licenciement donnée par l'inspecteur du travail. Déduire de cela des conséquences sur l'indemnisation du salarié illégalement licencié paraît excessif. Cela est d'autant plus vrai que la solution précitée s'explique par le fait que le délégué syndical est titulaire d'un mandat à durée indéterminée (6), ce qui n'est nullement le cas de l'administrateur de mutuelle, dont la Cour de cassation relève à juste titre qu'il est élu pour un mandat à durée déterminée. On en vient par la suite à considérer que ce dernier est plus proche d'un délégué du personnel ou d'un représentant élu au comité d'entreprise, dont le mandat est également à durée déterminée (7). La censure de la Cour de cassation nous paraît dès lors justifiée. On doit, en revanche, s'interroger sur le montant de l'indemnité forfaitaire tel qu'il est fixé par la Cour de cassation dans le présent arrêt.

II - Le montant de l'indemnité forfaire

La solution retenue. Ainsi que l'affirme la Cour de cassation, si l'administrateur d'une mutuelle illégalement licencié est en droit de prétendre à une indemnité pour violation du statut protecteur égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'au terme de son mandat, celle-ci est limitée à deux ans, durée minimale légale du mandat des représentants élus du personnel, augmentée de six mois.

Cette solution est troublante à deux égards. Tout d'abord, on peut trouver curieux que la Cour de cassation renvoie au mandat des représentants élus du personnel. Sans doute, ainsi qu'il a été relevé précédemment, ces derniers ont en commun avec l'administrateur de mutuelle d'être élus pour une durée déterminée. Mais l'analogie s'arrête là. Tandis que les premiers sont élus pour quatre ans, le second l'avait été en l'espèce pour six années. Par voie de conséquence, on pouvait concevoir que le montant de l'indemnité due à la salariée soit borné par cette durée et elle seule.

Ensuite, on s'explique mal que l'assimilation aux représentants élus du personnel conduise à limiter le montant de l'indemnité à la durée minimale légale du mandat, augmentée de six mois. Il faut ici rappeler que la loi permet à un accord collectif de fixer, de manière dérogatoire, une durée du mandat des délégués du personnel ou des représentants élus au comité d'entreprise comprise entre deux et quatre ans (8). Les six mois supplémentaires correspondent quant à eux à la durée de la protection postérieurement à la cessation des fonctions. Mais, et on y revient, en application de la loi ces représentants du personnel sont élus pour quatre ans.

Comment, par voie de conséquence, expliquer la double limitation du montant de l'indemnité forfaire à laquelle procède la Cour de cassation. On peinera à trouver un fondement juridique à cela. La raison doit sans doute être recherchée dans la crainte que la solution de principe retenue en la matière conduise à faire peser sur l'employeur fautif une charge financière par trop importante. Cette solution n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle qui avait été retenue à propos d'un conseiller prud'homme dont le contrat de travail avait été rompu en violation du statut protecteur. Dans un arrêt en date du 2 mai 2001, la Cour de cassation avait décidé que "le conseiller prud'homme, dont le contrat de travail est rompu sans autorisation administrative, a le droit, s'il ne demande pas sa réintégration, d'obtenir à titre de sanction de la méconnaissance du statut protecteur par l'employeur une indemnité au moins égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis la date de son éviction jusqu'à l'expiration de la période de protection résultant du seul mandat en cours à la date de la rupture, peu important sa réélection ultérieure, et ce dans la limite de la durée de la protection des représentants du personnel, qui comporte une période de six mois après l'expiration des fonctions" (9).

Sachant qu'à l'époque, le mandat des délégués du personnel et des représentants élus du personnel avait une durée de deux ans, la proximité de la solution retenue en 2001 avec celle issue de l'arrêt sous examen est évidente. Mais, et il est important de le relever, la Cour de cassation ne se réfère plus à la durée du mandat des représentants élus, mais à sa durée "minimale". Cela laisse à penser que la solution retenue dans le présent arrêt pourrait s'appliquer à d'autres salariés protégés.

Une solution de portée générale. Postérieurement à l'adoption de la loi du 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises (N° Lexbase : L7582HEK), portant la durée du mandat des délégués du personnel et des représentants élus au comité d'entreprise de deux à quatre ans, nous avions pu nous interroger quant au fait de savoir si la Cour de cassation accepterait de calquer le montant maximal de l'indemnité forfaitaire sur la durée nouvelle du mandat. L'arrêt précité du 2 mai 2001 relatif au conseiller prud'homme pouvait en faire douter (10). La décision du 1er juin 2010 semble le confirmer. En effet, si telle avait été l'option retenue par la Cour de cassation, on peut penser qu'elle aurait limité le montant de l'indemnité forfaitaire à quatre ans et six mois et non à la durée minimale "légale" de deux ans.

Retenue à propos du cas très particulier d'un administrateur de mutuelle élu pour six ans, cette solution devrait sans doute valoir pour le conseiller prud'homme illégalement licencié, dont on sait qu'il est élu pour cinq ans. Sachant que les délégués syndicaux et les conseillers du salarié font l'objet d'un traitement particulier (11), il reste à savoir quel sort sera réservé aux délégués du personnel et aux représentants élus au comité d'entreprise illégalement licenciés. Les décisions les concernant ont été rendues sous l'empire des textes antérieurs à la loi de 2005, ce qui revient à dire que le montant de l'indemnité forfaitaire était pour eux limité à deux ans et six mois. A supposer que la Cour de cassation entende maintenir cette solution, elle leur appliquera celle retenue dans l'arrêt commenté.

Si tel est le cas, on pourra juger que la solution est raisonnable en ce qu'elle ne fait pas peser sur l'employeur fautif une charge financière trop lourde. Mais elle n'en demeurera pas moins contestable au regard de la solution de principe selon laquelle le salarié protégé licencié sans autorisation administrative peut prétendre à une indemnité pour violation du statut protecteur égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'au terme de son mandat. N'est-ce pas là le signe que cette règle devrait être, sinon abandonnée, du moins modifiée (12) ?


(1) Cela est d'autant plus avéré que celui-ci est encore visé par l'article L. 2421-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3242IMZ).
(2) V. J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 24ème éd., 2008, avec notre coll., § 915 et la jurisprudence citée. Ce cumul d'indemnité est, non sans raisons, critiqué (v. J. Mouly, Quelle indemnisation pour les salariés protégés irrégulièrement licenciés ?, Dr. soc., 2009, p. 1204).
(3) Pour une approbation v. Th. Lahalle, note ss. l'arrêt en cause : JCP éd. S, 2010, 1337.
(4) Cass. soc., 6 juin 2000, n° 98-40.387 (N° Lexbase : A9384ATQ).
(5) Th. Lahalle, note précitée.
(6) Sans doute conviendrait-il d'écrire au passé, étant entendu que, consécutivement aux modifications apportées par la loi du 20 août 2008, le mandat de délégué syndical, comme celui de représentant de la section syndicale, prend fin de plein droit à chaque élection.
(7) Et l'on comprend de ce fait la demande de la salariée en l'espèce.
(8) C. trav., art. L. 2314-27 (N° Lexbase : L2650H9Z) et L. 2324-25 (N° Lexbase : L9781H8R). La durée minimale de deux ans est donc plus conventionnelle que "légale", même si la dérogation n'est possible que parce que la loi l'autorise.
(9) Cass. soc., 2 mai 2001, n° 98-46.319 (N° Lexbase : A3414ATM).
(10) V. notre art., L'indemnisation du salarié protégé illégalement licencié, Lexbase Hebdo n° 198 du 19 janvier 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N3190AKD). V. aussi, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, ouvrage préc., p. 1176, note 7.
(11) Pour les premiers, v. Cass. soc., 6 juin 2000, préc. et pour les seconds, v. Cass. soc., 2 mai 2001, n° 98-46.055 (N° Lexbase : A3425ATZ).
(12) V. en ce sens les pertinentes propositions du Professeur Mouly (art. préc.).

Décision

Cass. soc., 1er juin 2010, n° 09-41.507, FS-P+B (N° Lexbase : A2239EYL)

Cassation partielle de CA Chambéry (chambre sociale), 28 octobre 2008

Textes visés : C. mut., art. L. 114-24 (N° Lexbase : L6306HWH) et C. trav., art. L. 412-18 (N° Lexbase : L0040HDT) alors en vigueur

Mots-clefs : administrateur de mutuelle, statut protecteur, violation, licenciement, indemnité forfaitaire, montant

Lien base : (N° Lexbase : E9603ESH)

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