La lettre juridique n°408 du 16 septembre 2010 : Fiscalité internationale

[Jurisprudence] Présomption d'existence de revenus imposables en France des sommes transférées depuis ou vers l'étranger et règles de territorialité

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 1er juillet 2010, n° 309363, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6009E3X)

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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes

le 07 Octobre 2010

Le Conseil d'Etat, par un arrêt du 1er juillet 2010 (CE 9° et 10° s-s-r., 1er juillet 2010, n° 309363, mentionné dans les tables du recueil Lebon) a jugé qu'il résulte des dispositions combinées des articles 4 A (N° Lexbase : L1009HLX) et 1649 quater A (N° Lexbase : L4680ICC) du CGI que les personnes dont le domicile fiscal est situé hors de France ne peuvent être imposées en France que pour leurs revenus de source française et non pour les sommes qu'elles transfèrent en France depuis l'étranger ou de France vers l'étranger.

Les faits, dans cette affaire, sont les suivants : M. et Mme S. ont fait l'objet en 1996 d'un examen d'ensemble de leur situation fiscale personnelle au titre des années 1993 à 1995. Dans le cadre de cette procédure de contrôle, l'administration fiscale a adressé aux contribuables, sur le fondement des dispositions de l'article L. 16 du LPF (N° Lexbase : L5579G4E), des demandes de justifications et d'éclaircissements sur l'origine des sommes créditées sur leurs comptes bancaires français au cours de la période, puis, estimant que les réponses apportées n'étaient pas suffisantes, a procédé à leur taxation d'office sur le fondement des dispositions de l'article L. 69 du même livre (N° Lexbase : L8559AEQ). Par ailleurs, s'appuyant sur les constatations opérées par le service des douanes du Léman dans le cadre d'un procès-verbal établi le 3 juin 1944, aux termes desquelles M. S. a été trouvé en possession, à cette même date lors de son entrée sur le territoire français, de sommes et chèques d'une valeur totale de 1 050 000 francs (soit environ 160 000 euros), l'administration, estimant que les contribuables n'avaient pas apporté de justifications sur l'origine de ces sommes, a fait application de la présomption d'existence d'un revenu imposable en France prévue par les dispositions de l'article 1649 quater A du CGI et les a taxées d'office à l'impôt sur le revenu. M. et Mme S. ont contesté devant la juridiction administrative les redressements qui leur ont été assignés à la suite de cette procédure de contrôle. Ils se pourvoyaient en cassation devant le Conseil d'Etat contre l'arrêt du 3 juillet 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 5ème ch., 3 juillet 2007, n° 05PA03556 N° Lexbase : A5408DYX), après avoir jugé que leur domicile fiscal n'avait été fixé en France qu'à compter du 1er juillet 1994 et prononcé en conséquence la décharge de l'impôt sur le revenu au titre de la période du 1er janvier au 30 juin 1994 correspondant au montant des traitements et salaires perçus pendant cette période, ainsi qu'à la somme de 43 645 francs (soit environ 6 650 euros) créditée sur leurs comptes bancaires pendant cette période et imposée en tant que revenu d'origine indéterminée, avait rejeté le surplus des conclusions de leur requête tendant à la réformation du jugement du 9 juin 2005 par lequel le tribunal administratif de Melun n'avait que partiellement fait droit à leur demande tendant à obtenir la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils avaient été assujettis au titre des années 1993, 1994 et 1995 ainsi que des pénalités correspondantes.

L'arrêt du Conseil d'Etat censure la cour administrative d'appel de Paris qui, dans son arrêt du 3 juillet 2007, avait rejeté partiellement les conclusions en décharge de M. et de Mme S. en jugeant que la présomption d'existence de revenus imposables en France instituée par le troisième alinéa de l'article 1649 quater A s'applique à toute personne physique, qu'elle soit ou non domiciliée en France au sens de l'article 4 A du CGI, et juge que la cour administrative d'appel de Paris a, ce faisant, commis une erreur de droit. Cette solution prend appui sur le principe selon lequel les obligations fiscales des personnes non domiciliées en France sont restreintes. La présomption prévue par le mécanisme institué par les dispositions de l'article 1649 quater A du CGI ne peut donc être mise en oeuvre que dans le respect des règles de territorialité propres à l'imposition mise à la charge du contribuable. Ce faisant, le Conseil d'Etat, par son arrêt du 5 juillet 2010, prolonge sa jurisprudence du 4 décembre 1985 (CE Contentieux, 4 décembre 1985, n° 43383 N° Lexbase : A3065AMH) et confirme une solution retenue par le tribunal administratif de Paris (TA Paris, 28 juin 2007, n° 00-14517, Brossard) qui avait jugé que, si les transferts visés par l'article 1649 quater A du CGI sont présumés constituer des revenus d'origine indéterminée, dans le cas d'un non résident, il ne peut y avoir taxation que si l'administration a réuni des indices sérieux laissant penser que le contribuable a pu disposer de revenus de source française plus importants que ceux qu'il a déclarés.

1. Le régime juridique des dispositions de l'article 1649 quater A : un mécanisme en apparence autonome de lutte contre la fraude fiscale

Les dispositions édictées par l'article 98 de la loi de finances pour 1990 et l'article 23 de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990 (N° Lexbase : L4741AQN) sont venues renforcer les mécanismes de lutte contre le blanchiment des capitaux.

1.1. L'article 1649 quater A du CGI : un mécanisme de lutte contre le blanchiment

Les dispositions qui viennent d'être rappelées, codifiées sous l'article 1649 quater A du CGI, dans sa rédaction applicable à l'année 1994, qui était en litige en l'espèce prévoient que les sommes, titres ou valeurs transférés vers l'étranger ou en provenance de l'étranger et qui n'ont fait l'objet d'aucune déclaration constituent, sauf preuve contraire, des revenus imposables. Une déclaration est établie pour chaque transfert à l'exclusion des transferts dont le montant est inférieur à 50 000 francs (aujourd'hui, ce montant s'établit à 10 000 euros). Les sommes titres ou valeurs transférés vers l'étranger ou en provenance de l'étranger constituent sauf preuve contraire des revenus imposables lorsque le contribuable n'a pas rempli ses obligations déclaratives.

Dans l'affaire M. et Mme S., les contribuables n'avaient pas apporté d'éléments de réponse suffisants aux demandes de justifications et d'éclaircissements demandées par le fisc sur le fondement de l'article L. 16 du LPF. Par ailleurs, il ressortait d'un procès-verbal établi le 3 juin 1994 par le service des Douanes du Léman que M. S. avait été trouvé en possession, à la date de son entrée sur le territoire français, de sommes et chèques d'une valeur totale de 1 050 000 francs. Or, lorsque le contribuable n'apporte pas de justification sur l'origine des sommes qui sont en sa possession, l'administration peut faire application de la présomption d'existence d'un revenu imposable en France prévue par les dispositions de l'article 1649 quater A du CGI, ce qu'elle a fait en l'espèce.

Si le troisième alinéa de l'article 1649 A du CGI prévoit que les sommes, titres ou valeurs transférés à l'étranger ou en provenance de l'étranger par l'intermédiaire de comptes non déclarés constituent, sauf preuve contraire, des revenus imposables, le régime fiscal de ces sommes a été progressivement précisé.

1.2. Les incidences fiscales de la mise en oeuvre de la présomption de l'article 1649 quater A du CGI appliquées à la personne physique

Tout d'abord, le fait générateur de l'impôt sur le revenu dû au titre des sommes, titres ou valeurs transférés vers l'étranger ou en provenance de l'étranger sans déclaration est constitué par le passage des fonds en douane et non par la perception initiale du revenu (CAA Bordeaux, 4ème ch., 8 décembre 2005, n° 02BX00360 N° Lexbase : A5108DM7). Par ailleurs, l'article ne précise pas la catégorie d'imposition de ces revenus. Le Conseil d'Etat est venu préciser, dans un avis du 6 février 1996 (CE, 6 février 1996, n° 358557), que cet article doit être interprété comme instituant une présomption légale spécifique d'existence de revenus d'origine indéterminée. La solution repose sur une logique par défaut, dès lors que la taxation d'office, comme en l'espèce, est mise en oeuvre, les revenus sont taxés comme revenu d'origine indéterminée si aucun élément ne permet de les rattacher à une catégorie précise de revenus (CE, 9° et 10° s-s., 13 mars 2006, n° 249895 N° Lexbase : A5907DN4). La présomption de revenus d'origine indéterminée est toutefois réfragable comme l'a jugé la cour administrative d'appel de Marseille le 10 juillet 2009 (CAA Marseille, 4ème ch., 10 juillet 2009, n° 06MA03457 N° Lexbase : A1996EK7). Lorsque l'origine des revenus est déterminée ceux-ci doivent alors être imposés dans la catégorie correspondante.

Les conséquences financières pour le contribuable taxé d'office sont importantes. En effet, en application de l'article 1759 du CGI (N° Lexbase : L1751HN8), les rappels d'impôt correspondants sont assortis de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 de ce code (N° Lexbase : L2931IGN), au taux de 0,75 % par mois, et d'une majoration de 40 %. Le contribuable peut éviter la taxation en apportant la preuve que les transferts ne constituent pas des revenus imposables. La présomption instituée par le législateur est, en effet, une présomption simple. Ainsi, le contribuable peut apporter la preuve que les transferts effectués par l'intermédiaire d'un compte non déclaré, en provenance de l'étranger ou vers l'étranger ne constituent pas des revenus imposables lorsque ces sommes sont des revenus déjà soumis à l'impôt. Il a aussi été jugé qu'un contribuable qui a transféré des pièces d'or vers l'étranger sans avoir déposé la déclaration prévue à l'article 1649 quater A du CGI apporte la preuve que la contre valeur de ces pièces ne constitue pas un revenu imposable pour la totalité des sommes en cause en établissant qu'il n'est pas le seul propriétaire desdites pièces (CAA Paris, 1er juin 2006, n° 03PA03361 N° Lexbase : A3338DQP).

La présomption instituée par les dispositions de l'article 1649 quater A du CGI ne s'applique toutefois pas indépendamment de la domiciliation de la personne physique, notamment lorsqu'elle est non résidente. Les obligations fiscales des non-domiciliés sont restreintes, ces derniers étant seulement imposables sur leurs revenus de sources françaises. Il faut donc pour l'administration établir que le contribuable a pu disposer de revenus de source française d'un montant plus important que celui qu'il a déclaré. Le mécanisme de lutte contre le blanchiment qui aboutit à une taxation à l'impôt sur le revenu n'opère donc pas indépendamment des règles qui encadrent et articulent la détermination de l'impôt sur le revenu et en particulier des règles de territorialité.

2. La territorialité de l'impôt sur le revenu est une limite à la mise en oeuvre de la présomption de revenus imposables au sens de l'article 1649 quater A du CGI

La domiciliation d'une personne physique au sens des dispositions de l'article 4 A du CGI encadre et borne la présomption d'existence de revenus imposables en France instituée par les dispositions du troisième alinéa de l'article 1649 quater A.

2.1. Les dispositions de l'article 1649 quater A du CGI doivent se combiner avec les dispositions de l'article 4 A du même code pour l'imposition de non-résident

Les obligations fiscales des non-résidents sont restreintes, ils ne sont imposables que sur leurs revenus de source française : les personnes dont le domicile fiscal est situé hors de France ne peuvent donc être imposées en France que pour leurs revenus de source française et non pour les sommes qu'elles transfèrent en France en provenance de l'étranger. La présomption de revenus imposables de l'article 1649 quater A ne peut donc être mise en oeuvre dans l'ignorance de la territorialité de l'impôt sur le revenu. La solution retenue dans l'arrêt du Conseil d'Etat du 1er juillet 2010 avait été proposée par le tribunal administratif de Paris dans un jugement rendu le 26 juin 2007 (TA Paris, 26 juin 2007, n° 00-14517, Brossard). Le tribunal administratif de Paris avait jugé que la présomption de revenus imposables de l'article 1649 quater A ne peut s'appliquer en cas de transfert de sommes opéré de l'étranger vers la France par une personne fiscalement domiciliée hors de France, imposable en France sur ses seuls revenus de source française.

Dans son arrêt du 1er juillet 2010, c'est sous la forme d'un considérant de principe que le Conseil d'Etat juge que les personnes dont le domicile fiscal est situé hors de France ne peuvent être imposées en France depuis l'étranger ou en France vers l'étranger. L'étendue des obligations fiscales des personnes domiciliées en France est en principe illimitée ; celle des non-domiciliées est restreinte. Ce principe peut, cependant, comporter des dérogations résultant des conventions fiscales internationales. La notion de résident prévaut, en effet, sur celle de domicile fiscal, ce qui entraîne qu'une personne considérée comme non-résidente en France au sens d'une convention fiscale bilatérale conclue par la France ne pourra en aucun cas être considérée comme fiscalement domiciliée même si elle remplit l'un des critères de domiciliation au sens de l'article 4 B, 1 du CGI. En droit interne, les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu et l'étendue de leur obligation dépend, donc, du seul critère du domicile. Si le contribuable n'est pas résident, il n'est pas pour autant dispensé de toute imposition française, il est imposé sur le seuls revenus de source française, il s'agit d'une obligation fiscale restreinte.

2.2. La domiciliation du contribuable comme limite à la mise en oeuvre de la présomption de revenus imposables instituée par l'article 1649 quater A du CGI

En l'espèce, M. et Mme S. devaient être regardés comme ayant transféré leur domicile fiscal d'Irlande en France à partir du 1er juillet 1994. Ils n'étaient donc soumis à une obligation fiscale illimitée qu'à compter de cette date. Dans le cas d'un non-résident imposable en France sur ses seuls revenus de source française, il ne peut y avoir taxation de revenus d'origine indéterminée que si l'administration a réuni des indices sérieux laissant penser que l'intéressé a pu disposer de revenus de source française plus importants que ceux qu'il a déclarés. Or, dans l'affaire M. et Mme S., le ministre n'a produit aucun élément de nature à établir que les sommes en litige pouvaient se rattacher à des revenus de source française acquis préalablement au transfert de leur domicile fiscal en France et que M. et Mme S. n'avaient pas déclarés à tort. Le Conseil d'Etat, sur ce point, reprend à son compte dans son arrêt du 1er juillet 2010, le raisonnement qu'il avait retenu dans son arrêt du 4 décembre 1985 (CE, 4 décembre 1985, n° 43383 N° Lexbase : A3065AMH).

La lutte contre le blanchiment trouve, avec l'arrêt du 1er juillet 2010, une limite dans la détermination de ses modalités de mise en oeuvre et dans ses effets ; la présomption de revenus imposables de l'article 1649 quater A du CGI ne peut être mise en oeuvre que dans le respect des règles de détermination du revenu imposable s'agissant, notamment, de non-résident. Il appartient alors à l'administration, lorsqu'elle met en oeuvre les dispositions de l'article 1649 quater A du CGI, d'apporter la preuve de l'existence d'indices sérieux établissant que l'intéressé a pu disposer de revenus de source française plus important que ceux qu'il a déclarés.

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