La lettre juridique n°408 du 16 septembre 2010 : Procédure pénale

[Questions à...] L'égalité des armes et le droit pour l'avocat d'une partie d'assister à l'audition d'un expert - Questions à Maître Nicolas Pasina, Avocat associé, SCP C.R.C, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Saint-Dié-des-Vosges

Réf. : Cass. crim., 11 mai 2010, n° 10-80.953, F-P+F (N° Lexbase : A2758E3K)

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[Questions à...] L'égalité des armes et le droit pour l'avocat d'une partie d'assister à l'audition d'un expert - Questions à Maître Nicolas Pasina, Avocat associé, SCP C.R.C, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Saint-Dié-des-Vosges. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211153-questions-a-legalite-des-armes-et-le-droit-pour-lavocat-dune-partie-dassister-a-laudition-dun-expert
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition privée générale

le 07 Octobre 2010

Le principe de la contradiction, aujourd'hui devenu essentiel, est étroitement associé à l'égalité des armes : les plaideurs en conflit devant le juge civil, comme en matière pénale l'accusateur et la personne poursuivie, doivent être en mesure de s'apporter mutuellement la contradiction, de discuter les preuves présentées et de verser aux débats tous les éléments qu'ils détiennent. Le procès équitable, dont se déduisent les principes fondamentaux du contradictoire, des droits de la défense et de l'exigence de loyauté des débats, et qui implique aussi l'égalité des armes, traduit le passage du droit du plus fort au droit du plus juste, fondement essentiel de l'Etat de droit. Pour Bruno Oppetit (1), l'égalité des armes est un véritable principe de droit naturel en droit processuel en raison du lien indissociable entre égalité, justice et Etat de droit. Il peut, néanmoins, apparaître surprenant d'évoquer l'existence et l'emploi d'armes à propos de la justice, en ce début de troisième millénaire. Pourtant, la Cour européenne des droits de l'Homme fait référence à l'égalité des armes, en tant qu'exigence du procès équitable, qu'il soit civil ou pénal, depuis plus de trente ans. Ce principe, qui figure aussi, depuis la loi du 15 juin 2000 (loi n° 2000-516, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes N° Lexbase : L0618AIQ), dans le premier article préliminaire du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8532H4R) qui énonce les principes qui doivent "éclairer" l'ensemble des règles que contient ce Code, a même fait son entrée dans notre jurisprudence nationale, si bien que devant la Cour de cassation il est, depuis une quinzaine d'années, fréquemment invoqué au soutien de moyens. En témoigne un arrêt de la Chambre criminelle du 11 mai 2010, qui, au-delà de ces considérations presque théoriques, vient apporter une précision inédite en procédure pénale et dont la portée doit impérativement être prise en compte. Pour faire le point sur cet arrêt, Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Maître Nicolas Pasina, Avocat associé, SCP C.R.C, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Saint-Dié-des-Vosges, et représentant des mis en examen dans cette affaire.

Lexbase : En quoi l'arrêt rendu par la Chambre criminelle le 11 mai 2010 est-il important ?

Maître Nicolas Pasina : Cet arrêt est important car la Cour de cassation ne s'était jusque là jamais prononcée sur la question de savoir si les avocats devaient ou non assister à un acte qu'effectue le juge d'instruction en présence du procureur sur une question technique.

Lexbase : Quel était le problème plus spécifiquement posé dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 11 mai 2010 ?

Maître Nicolas Pasina : Ici, au cours d'une information suivie contre deux mis en examen du chef de meurtre, faux, escroquerie, tentative d'escroquerie et vol, deux experts graphologues, commis par le juge d'instruction, ont eu des conclusions différentes. Après le dépôt de leurs rapports, le procureur a demandé au juge d'instruction d'organiser une confrontation entre les deux experts afin qu'ils s'expliquent sur leurs divergences. Le juge d'instruction a donc organisé leur audition, à laquelle a assisté le procureur de la République et à laquelle il a participé activement en posant des questions.
Rappelons qu'en application des dispositions du Code de procédure pénale, le procureur de la République est partie à tous les actes de la procédure. En revanche, l'avocat n'assiste qu'aux auditions, confrontations ou reconstitution de son client. Il peut, en outre, à sa demande, assister aux actes qu'il sollicite (ex. : l'audition d'un témoin), mais avec l'autorisation du juge d'instruction.
Dans l'affaire qui nous intéresse, le problème était quelque peu différent, puisque le juge d'instruction avait organisé une "réunion technique", en présence du procureur de la République mais en l'absence de l'avocat des mis en examen alors que cet acte n'est nullement prévu par le Code de procédure pénale.
Or, à partir du moment où le procureur y assiste et pose des questions, l'accusation est dans une situation différente de celle de la défense ; il y a donc, à mon sens, à l'évidence, une rupture d'égalité.

Lexbase : Pourtant tel n'a pas été l'avis de la chambre de l'instruction. Pouvez-vous nous expliquer son raisonnement ?

Maître Nicolas Pasina : En effet, la chambre de l'instruction ne m'a pas suivi sur ce point là et a refusé de prononcer la nullité de l'audition des experts graphologues ; elle s'est d'ailleurs faite censurée par la Cour de cassation. Les juges nancéens ont considéré d'abord, que la demande d'audition des experts, par le procureur de la République, n'entre pas dans le cadre des articles 119 (N° Lexbase : L5537DYQ) et 120 (N° Lexbase : L0932DY8) du Code de procédure pénale, l'audition des experts constituant une mesure d'instruction pouvant être utile à la manifestation de la vérité. Or, aux termes de l'article 82, alinéa 1er, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5912DYM) "dans son réquisitoire introductif et à toute époque de l'information par réquisitoire supplétif, le procureur de la République peut requérir du magistrat instructeur tous actes lui paraissant utiles à la manifestation de la vérité, et toutes mesures de sûreté nécessaires ; il peut également demander à assister à l'accomplissement des actes qu'il requiert". Selon la chambre de l'instruction, la demande d'audition des experts par le procureur de la République par réquisitoire supplétif aux fins que ceux-ci s'expliquent sur leurs conclusions respectives était donc recevable par application du texte précité et la présence du procureur de la République durant l'audition des experts par le magistrat instructeur était tout aussi recevable par application du même texte. Or, la cour d'appel considère que cette présence, prévue par l'article 82 du Code de procédure pénale, induit nécessairement la possibilité pour le procureur de la République d'intervenir et de poser des questions aux experts, une assistance passive à l'acte sollicité vidant de son sens la faculté donnée au procureur d'être présent à l'acte d'instruction qu'il a sollicité et, ajoute la cour, aucune disposition légale ne prévoit, ni ne fait obligation au juge d'instruction de convoquer les autres parties ou leurs avocats lorsqu'il fait droit à une telle demande de la part du procureur de la République. Elle relève même, en faisant une sorte de parallèle, que, sur le fondement de l'article 82-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7152A4N), les avocats peuvent demander l'accomplissement de certains actes et y assister sur autorisation du juge d'instruction (audition de témoins, notamment) ; sauf qu'ici, il ne s'agissait pas de témoins mais d'experts ! Les juges de la cour d'appel de Nancy en ont conclu que le magistrat instructeur s'était en fait conformé aux prescriptions légales. C'était finalement bien vite oublier certains principes de notre procédure pénale que leur ont rappelés les magistrats de la Chambre criminelle.

Lexbase : Pouvez-vous nous éclairer sur la réponse apportée par la Cour régulatrice ?

Maître Nicolas Pasina : La solution de bon sens de la Cour de cassation s'explique aisément, même s'il ne faut pas en sous-estimer l'importance ! La Chambre criminelle rappelle un principe bien connu de tout juriste et notamment des pénalistes, aux termes duquel, le principe de "l'égalité des armes", tel qu'il résulte de l'exigence d'une procédure équitable et contradictoire, impose que les parties au procès pénal disposent des mêmes droits. Pour la Cour, fort logiquement, il doit en être ainsi, spécialement, du droit pour l'avocat d'une partie d'assister à l'audition d'un expert effectuée sur réquisitions du procureur de la République, en présence de celui-ci. Cette décision est rendue au visa des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) et préliminaire du Code de procédure pénal. En substance que nous dit la Cour ? Finalement, elle affirme que lorsqu'un acte de procédure est accompli et qu'il n'est pas expressément prévu par le Code de procédure pénale, comme ici la confrontation d'experts, le juge d'instruction doit s'inspirer de l'article préliminaire du Code de procédure pénale et se demander si son acte doit être fait de manière contradictoire ou non. En tout état de cause son acte doit respecter le principe de l'égalité des armes entre la défense et l'accusation.
Cette solution ne se limite donc pas à la seule confrontation d'experts mais déborde tous les actes que pourraient accomplir le juge d'instruction sans que ceux-ci ne soient encadrés par notre procédure pénale.
Il est important de soulever que le visa explicite de cet arrêt indique que la Cour de cassation s'inspire directement des principes généraux de l'article préliminaire du Code de procédure pénale et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, ce qui conforte indéniablement ce texte comme étant une véritable source du droit en matière pénale.


(1) B. Oppetit, Philosophie du droit, Dalloz, 1999, p. 117.

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