La lettre juridique n°408 du 16 septembre 2010 : Éditorial

Trafic de médailles : le revers de l'influence

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Trafic de médailles : le revers de l'influence. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211149-trafic-de-medailles-le-revers-de-linfluence
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Maladie chronique du quinquennat oblige, la "commissionnite" refait surface après les déboires estivaux d'un ministre à l'orée de la retraite. Le Conseil des ministres du 8 septembre 2010 sonne, d'ailleurs, le glas de la présomption d'innocence dont pouvait se draper ce ministre, pourtant en courre, il y a peu, en proposant de mettre en place une commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique. Toute coïncidence avec des affaires médiatiques rocambolesques actuelle ne serait que purement fortuite, pourrait-on lire à la fin du générique de présentation de cette nouvelle commission. Et, pourtant les acteurs ne sont pas moins sérieux que les ambitions affichées : M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat, qui en assurera la présidence ; M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes ; M. Jean-Claude Magendie, ancien premier président de la cour d'appel de Paris ; excusez du peu...

Ce qui interpelle, de prime abord, outre l'habitude mandarine bien française de créer des commissions pour la moindre réflexion du politique, c'est qu'il nous avait semblé que le chemin déontologique des ministres et autres hauts fonctionnaires ou dirigeants d'entreprises publiques était bien balisé. Il existe deux infractions majeures : l'abus de confiance et le trafic d'influence dont les définitions légales et la jurisprudence permettent d'appréhender tout le sens et toute la rigueur nécessaire au maintien des principes démocratiques.

Si la commission ad hoc nouvellement sortie des fonds baptismaux élyséens a pour mission de recenser tous les cas imaginables où la fonction ministérielle ou haute administrative peut faire acte de bienfaisance à l'égard de tiers, pas si tiers que cela : c'est évidemment impossible ; pas moins que de déterminer à l'avance au cas par cas si tel ou tel "arrangement" peut être considéré comme bénéfique pour la République et non pour son préposé -sauf à établir un catalogue jurisprudentiel des cas de mise en cause de la déontologie de ces "puissants"-. C'est d'ailleurs pour cette raison que les incriminations précédemment rappelées sont larges et font l'objet d'une appréciation casuelle d'orfèvre par nos magistrats.

Reste un domaine dans lequel on ne peut pas engorger les prétoires : le "trafic" de médailles. Allez dire que la remise de la Légion d'honneur relève du trafic d'influence est un pléonasme doux-amer... Mais c'est encore là, le seul domaine qui, s'il met en exergue les accointances particulières entre les politiques, le monde des affaires et le showbiz, ne relève pas, sauf à en tirer quelque ressource pécuniaire, d'une incrimination. Et compte tenu du mode de sélection des heureux épinglés, qui ne souffre pas vraiment la transparence, la majorité des ministres et autres hauts fonctionnaires pourrait dès lors se retrouver sur le banc des accusés.

Mais à la fin, que reproche-t-on à nos responsables de la cité ? De ne pas se désocialiser une fois le maroquin obtenu ? Les hommes politiques et leurs avatars, les hauts fonctionnaires, gravitent dans les sphères du pouvoir économique et culturel : première nouvelle ? Comment ? Certains d'entre eux appartiennent même à la société civile -qui à l'économie, aux affaires étrangères...- voire au monde du sport ou du spectacle -qui au sport, à la culture-. Et l'on voudrait que ces altruistes d'un temps, dont l'avenir professionnel n'est pas garanti et dont les rémunérations sont dégressivement proportionnelles à leurs responsabilités, jettent les amarres et coupent les ponts avec leurs anciens amis, candidats à un marché public, éditorialiste à la plume respectée, animateur vedette d'une émission d'influence, chanteur populaire leader d'opinion ou simple particulier en délicatesse avec le fisc ?

Allez, quelques médailles pour raviver l'atmosphère d'Ancien régime qui embaume si bien notre République ? Nous venons de perdre la garde à vue, on peut bien nous laisser l'arbitraire des décorations ? Une animatrice télé décorée au même titre qu'un grognard d'Austerlitz ! Un gestionnaire de fortune -et quelle fortune !- gratifié par la République au même titre qu'un soldat tombé en Afghanistan... Quelle importance ?

Bon, certes un Président de la République, Jules Grévy pour ne pas le citer, avait été contraint à la démission en 1887 parce que son gendre, Daniel Wilson, avait mis sur pied un véritable trafic de légions au profit particulièrement juteux et sans honneur dans cette France bourgeoise en mal de titres nobiliaires. Mais le snobisme c'est l'identité française, voyons ! Et tout le monde le savait en 1802 : décorer la société civile et non plus les seuls militaires c'était ouvrir la boîte de Pandore. L'épinglé le plus célèbre du moment avait déjà la particule, pourquoi lui refuser la broche ? Quoi ? Comment ? Parce que la femme du ministre travaillait pour lui ? Que de persuasion doit on faire preuve pour obtenir la rosace...

Oui, décidément, c'est bien d'une commission dont les politiques ont besoin pour satisfaire à un minimum de déontologie... ou peut être du bon sens tout simplement... pour éviter que ce ne soit les ministres qui se fassent épingler pour avoir par trop épinglé.

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