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N4155BPL
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par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
le 07 Octobre 2010
La fiscalité applicable en matière d'entreprises nouvelles continue de susciter une jurisprudence nourrie témoignant ainsi des enjeux économiques tant pour les contribuables qui en bénéficient, que pour les finances publiques. Les dispositions fiscales codifiées à l'articles 44 sexies du CGI (N° Lexbase : L5610H9N) permettent, dans certaines zones (1), aux entreprises nouvelles soumises au réel à raison, notamment, de leurs activités industrielles, commerciales ou artisanales, de se prévaloir d'une exonération totale -mais plafonnée- des bénéfices et des plus-values (2) réalisés jusqu'au terme du vingt-troisième mois suivant celui de la création de l'entreprise. Puis, un abattement de 25 %, 50 % et 75 % assure une sortie progressive de ce régime d'exception, sauf pour les entreprises créées dans les zones de revitalisation rurale qui bénéficient d'un retour au régime de droit commun sur neuf ans après le terme d'une période d'exonération spécifique de cinq ans.
L'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Lyon, le 16 mars 2010, offre une illustration de ce qu'il faudrait retenir dans la base d'imposition bénéficiant de l'abattement susmentionné. Les faits de l'espèce rapportent qu'un contribuable personne physique, associé unique d'une société à responsabilité limitée relevant de la semi-transparence fiscale (CGI, art. 8 N° Lexbase : L1037HLY) s'est vu notifier un redressement portant sur les exercices 1999 et 2000, dès lors que la thèse du contribuable soutenait que le régime de l'article 44 sexies du CGI devait s'appliquer au résultat déclaré par la société et non au revenu professionnel net de charges revenant à l'associé.
La juridiction d'appel de Lyon dit pour droit que le régime de l'article 44 sexies du CGI s'applique au résultat fiscal dégagé par l'entreprise quelle que soit sa nature juridique et "indépendamment des modalités d'imposition des associés". Elle tire les conséquences des articles 13 (N° Lexbase : L1050HLH), relatif à la notion de revenu net de charges, et 151 nonies (N° Lexbase : L2470HL3) du CGI, dès lors que les cotisations sociales sont imputées sur la quote-part de résultat revenant à l'associé. Elle considère, alors, que "cet abattement doit s'appliquer aux bénéfices dégagés par l'entreprise elle-même, en tant qu'entité juridique distincte de son unique associé, tels qu'elle les a déclarés et incluant donc les cotisations sociales personnelles versées pour le compte de M. de M., et non, ainsi que l'a considéré à tort l'administration, au bénéfice net de cette société, déduction faite desdites cotisations".
La jurisprudence antérieure a déjà eu à traiter de la notion de bénéfice exonéré : ainsi, en 2001, la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 2ème ch., 13 novembre 2001, n° 97PA02129 N° Lexbase : A6583BMR) a estimé que le bénéfice exonéré devait inclure les produits financiers de SICAV inscrites au bilan de l'entreprise.
On peut également comparer l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Paris à d'autres décisions rendues par les juges du fond dont le dispositif était nettement plus défavorable aux intérêts des requérants qui étaient tous associés unique d'une EURL semi-transparente : ainsi, en 2003, le tribunal administratif d'Orléans (TA Orléans, n° 00-2673, M. et Mme Claude, Dr. fisc., 2004, comm. 348) avait rendu un jugement constatant que les cotisations sociales étaient "déductibles dans la mesure où elles grèvent le bénéfice imposable déterminé au niveau de l'entreprise et qu'elles ne sont pas déductibles dans la mesure où elles grèvent une partie de ce bénéfice que la loi a exceptionnellement exonérée d'impôt sur le revenu" pour en déduire l'existence d'une quote-part de cotisations sociales déductible. Une autre décision a également été rendue par la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 2ème ch., 13 mai 2005, n° 01PA01693 N° Lexbase : A4447DIK) aux termes de laquelle il avait été considéré que le bénéfice net attribué à l'associé unique d'une EURL relevant de l'article 8 du CGI -dont les résultats étaient déterminés selon les règles qui présidaient aux bénéfices industriels et commerciaux et étaient éligibles aux dispositions fiscales de faveur alors codifiées à l'article 44 quater du CGI (N° Lexbase : L1509HLH)- devait s'entendre d'un bénéfice après déduction des cotisations sociales. Dans cette affaire, dont la solution proposée par la juridiction d'appel parisienne était critiquable et sensiblement différente de celle retenue par la cour administrative d'appel de Lyon, le contribuable n'a pu se prévaloir d'un déficit imputable sur le résultat d'une autre activité d'auxiliaire de bourse exercée individuellement également constitutive d'une activité industrielle et commerciale. Il reste maintenant au Conseil d'Etat à prendre position sur cet aspect.
Quelle est la conséquence, en droit fiscal, d'une clause de rétroactivité insérée dans un traité d'apport partiel d'actif ? A nouveau, c'est la question de la liberté contractuelle qui est posée dans cet arrêt (v. également notre thèse, L'opposabilité des conventions de droit privé en droit fiscal, Thèse Paris 13, 2009, § 24) : la doctrine administrative admet qu'en matière de rétroactivité des actes d'apports lors d'une restructuration d'entreprises "Dès lors que les traités de fusion, de scission ou d'apport comportent expressément une clause de rétroactivité, cette obligation contractuelle s'impose aux parties comme à l'administration en matière d'impôt sur les sociétés dès lors que le fait générateur de l'imposition des résultats des exercices en cours n'est pas intervenu (date de clôture de l'exercice ou, à défaut, le 31 décembre)" (3).
On sait, en effet, que les parties à une telle opération de restructuration d'entreprises ont la possibilité de l'affecter d'une rétroactivité au jour de l'arrêté des comptes : dès lors, les opérations effectuées durant la période intercalaire sont réputées l'avoir été au nom de la société bénéficiaire de l'apport partiel d'actif. Par conséquent, l'administration fiscale admet le principe de la prévalence des stipulations contractuelles sous réserve du respect du principe de la spécialité comptable interdisant de modifier les résultats d'un exercice déjà clos (CE Contentieux, 12 juillet 1974, n° 81753 N° Lexbase : A7621AYW ; CE Contentieux, 26 mai 1993, n° 78156 N° Lexbase : A9478AMY ; instruction du 3 août 2000, BOI 4 I-2-00, n° 93 et 94 N° Lexbase : X6075AAA).
Au cas particulier, la difficulté provenait du fait que la société bénéficiaire de l'apport partiel d'actif était une société en cours de formation. La loi dispose que les engagements souscrits au nom d'une société en formation, régulièrement constituée et immatriculée, puis repris, sont réputés avoir été souscrits, dès l'origine, par la société (C. civ., art. 1843 N° Lexbase : L2014AB9 ; C. com., art. L. 210-6 N° Lexbase : L5793AIE). A ce titre, la jurisprudence judiciaire est très stricte sur le respect du formalisme lié à la reprise des engagements. En pratique, ce sont les petites SARL et les EURL qui ont eu, bien malgré elles, les honneurs de la jurisprudence de la Cour régulatrice ce qui ne surprend guère : dans de telles structures, le droit des sociétés est considéré comme un pur formalisme rarement suivi à la lettre et dont les conséquences apparaissent plusieurs années après les faits (Cass. com., 6 décembre 2005, n° 03-16.853, F-P+B N° Lexbase : A9812DLY ; Cass. com., 23 mai 2006, n° 03-15.486, F-P+B N° Lexbase : A7316DPN).
En droit des sociétés, l'immatriculation confère la personnalité morale à la société, c'est-à-dire une capacité juridique. Jusqu'à son immatriculation, il faut considérer que la société a été créée inter partes (4) (v. ainsi s'agissant des sociétés en participation : C. civ., art. 1871 N° Lexbase : L2069ABA). Les actes effectués au nom de la société en formation a entraîné une jurisprudence nuancée : si la jurisprudence administrative accepte de recevoir en justice la demande d'une société à responsabilité limitée (SARL) en cours de formation à la condition que les statuts aient été signés et enregistrés (CE 1° et 6° s-s-r.., 23 janvier 2006, n° 284788, N° Lexbase : A5442DMI (5)), la jurisprudence judiciaire considère la situation au jour de l'assignation sans régularisation possible (Cass. com., 20 juin 2006, n° 03-15.957 N° Lexbase : A9595DP3).
Sur le plan du droit fiscal, le juge de l'impôt administratif a eu à connaître de situations relatives à la reprise d'engagements effectués au nom d'une société en formation (v., en matière d'intégration fiscale : CAA Marseille, 4ème ch., 3 novembre 2009, n° 07MA01103 N° Lexbase : A1266EQX ; en matière de BIC, une décision de la Haute juridiction administrative considère que, quelle que soit la date de début d'exploitation mentionnée dans les statuts, la société n'a d'existence fiscale qu'à compter du jour d'ouverture de l'exercice au cours duquel elle a été immatriculée : CE Contentieux, 28 février 1997, n° 141459 N° Lexbase : A8344ADE).
Au cas particulier, la société F. Construction a été constituée le 10 novembre 1996 et elle a été immatriculée au RCS le 10 décembre de la même année. Après approbation par l'assemblée générale extraordinaire du 23 décembre 1996, la société F. Construction a bénéficié d'un apport partiel d'actif d'une tierce société à effet au 1er août 1996, date d'ouverture de l'exercice de la société apporteuse. La société F. Construction a, alors, déduit de ses résultats la perte intercalaire correspondant à l'activité de la branche apportée pour la période du 1er août 1996 au 31 décembre 1996.
A la suite d'une vérification de comptabilité, le service a remis en cause l'imputation de la perte pour la période antérieure à la date d'immatriculation de la société F. Construction. Le tribunal administratif de Melun ayant fait droit à la requête de la société bénéficiaire de l'apport partiel d'actif et l'ayant déchargée des cotisations d'IS et de contributions additionnelles, le ministre a alors relevé appel du jugement.
La cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 2ème ch., 8 avril 2009, n° 07PA02934 N° Lexbase : A9965EUM), annulant le jugement rendu en première instance, dès lors que les pièces déposées par la requérante n'avaient pas été communiquées à l'administration (CJA, art. R. 611-1 N° Lexbase : L3096ALA), va, en évoquant l'affaire, considérer que l'administration fiscale ne pouvait s'opposer à l'effet rétroactif de l'apport avant la date d'immatriculation de la société : selon la cour administrative d'appel, d'une part, les actes accomplis en 1996 au nom de la société en formation ont bien été repris et ils doivent alors être considérés comme ayant été souscrits dès l'origine par la société (loi n° 66-537, 24 juillet 1966, art. 5 N° Lexbase : L6397AHE) ; d'autre part, les dispositions légales (loi n° 66-537, 24 juillet 1966, art. 372-2 N° Lexbase : L6246AHS ; aujourd'hui : C. com., art. L 236-4 (6) N° Lexbase : L6354AI8) sur lesquelles s'appuyait le service, ne concernaient que les fusions ou les scissions. Or, le juge d'appel rappelle que ces dispositions, qui dérogent au principe de la liberté de contracter, doivent être interprétées restrictivement et qu'elles ne pouvaient s'appliquer à un apport partiel d'actif.
Selon les autorités publiques, les entreprises individuelles représentent près de la moitié des entreprises françaises (7). Certaines d'entre elles ont vocation à dépasser le stade de l'entreprise de subsistance et le chef d'entreprise peut alors éprouver la nécessité de créer une société en apportant le fonds de commerce de l'entreprise individuelle : il s'agit alors de faire participer des tiers au capital de la société et de lever des fonds auprès d'établissements financiers ou d'investisseurs providentiels, ou bien de faciliter une succession ou encore acquérir une crédibilité vis-à-vis des créanciers que ne peut avoir une entreprise individuelle à partir d'un certain niveau de développement économique.
Le Code général des impôts (CGI, art. 151 octies N° Lexbase : L2463HNK) contient des dispositions spécifiques, qui ont fait l'objet de récentes modifications (loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005, art. 38 N° Lexbase : L6430HEU ; loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009, de finances pour 2010 (8) N° Lexbase : L1816IGD).
Ce régime optionnel permet principalement de se prévaloir :
- d'un sursis pour les stocks ;
- d'un étalement de l'imposition, au nom de la société bénéficiaire de l'apport, pour les plus-values sur immobilisations amortissables (cf. régime des fusions : CGI, art. 210 A N° Lexbase : L3936HLD) ;
- d'un report d'imposition pour les plus-values sur immobilisations non amortissables constatées lors de la mise en société de l'entreprise individuelle ;
- d'une exonération de droits d'enregistrement si l'apporteur s'engage, notamment, à conserver les titres rémunérant l'apport pendant trois ans (CGI, art. 809 I bis N° Lexbase : L3484IAB).
Le régime de l'article 151 octies a entraîné un contentieux important avec l'administration fiscale et, par ricochet, avec les rédacteurs d'acte (Cass. civ. 1, 18 décembre 2001, n° 98-20.246 N° Lexbase : A7099AX9 ; M. Cozian, Manuel du parfait gaffeur : comment rater fiscalement la mise en société de son entreprise ?, JCP éd. E, 2005, p. 1458).
Au cas particulier, un contribuable personne physique exploitait une entreprise individuelle de distribution de matériel informatique par correspondance depuis 1986. En novembre 1991, une société anonyme a été créée et 2 494 actions sur 2 500 ont été attribuées à l'exploitant individuel. Puis, en 1992, il a fait apport à cette SA de l'ensemble des éléments d'actif de l'entreprise individuelle sous le bénéfice du régime de l'article 151 octies du CGI dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce. A la suite d'un ESFP, l'administration fiscale a, notamment, remis en cause le bénéfice du report d'imposition entraînant un rappel d'impôt sur le revenu et de prélèvement social au titre de 1992. Après rejet de leur appel (CAA Paris, 5ème ch., 7 mai 2007, n° 05PA02999N° Lexbase : A4108DW3), les contribuables se pourvoient en cassation.
Le Haut Conseil, dans sa décision du 16 avril 2010, dit pour droit que l'apport de l'ensemble des éléments de l'actif immobilisé affectés à l'exercice d'une activité professionnelle peut comprendre des éléments de passif mais que cela ne peut pas concerner des dettes personnelles de l'apporteur sans lien avec l'exploitation. Le bénéfice du report d'imposition suppose que l'actif immobilisé, net des éléments de passif éventuellement apportés, ait été exclusivement rémunéré sous la forme d'actions ou de parts de la société qui a bénéficié de l'apport en question.
Au cas particulier, la rémunération en actions pour un montant de 10 000 000 de francs (1 524 490 euros) ne couvrait pas la valeur de l'actif immobilisé apporté qui s'élevait à 11 015 411 francs (1 679 289 euros). Les contribuables n'ont pas soutenu que cet apport était grevé d'un passif propre. De plus, la somme de 9 711 163 francs (1 480 457 euros), qui ne figurait pas au passif du bilan de l'entreprise bénéficiaire, mais était inscrite au crédit du compte courant d'associé de l'apporteur en application du contrat d'apport n'a pu être considéré comme un passif professionnel ou une dette d'exploitation de l'entreprise individuelle reprise par la société anonyme en l'absence de toute précision et justificatif quant à l'origine et à la constitution de ce crédit. Il s'agissait alors d'un apport à titre onéreux. Le Conseil d'Etat écarte donc le bénéfice de l'application du régime de l'article 151 octies du CGI.
Cette décision va dans le même sens que plusieurs arrêts rendus par les juges du fond qui énonçaient que "le report d'imposition prévu par ces dispositions ne s'étend qu'aux apports exclusivement rémunérés par des titres de la société qui en est bénéficiaire" (CAA Bordeaux, 5ème ch., 31 décembre 2004, n° 01BX00349 N° Lexbase : A4919DGB ; CAA Bordeaux, 4ème ch., 23 décembre 2004, n° 01BX00671 N° Lexbase : A3622EGA (9) ; comp., en matière de droits d'enregistrement, et relativement aux mêmes protagonistes : Cass. com., 12 février 2008, n° 07-15.218, F-P+B N° Lexbase : A9334D4H).
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