La lettre juridique n°398 du 10 juin 2010 : Éditorial

Au nom du Peuple français... mais pas trop tout de même...

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N3021BPL

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


La réforme de la procédure pénale s'apparente, quelque peu, à un soap brésilien : une trame compliquée, des acteurs aux rôles bien campés, une intrigue à vitesse géologique, et, à peine l'une d'elle est enterrée ou dissipée en eaux troubles, qu'il en naît une suivante, sans que l'on sache vraiment le "pourquoi du comment" de son incursion dans l'histoire... Traduction : on a peine à faire le deuil de la suppression du juge d'instruction reportée aux calendes grecques -qui comme chacun le sait n'existent pas, puisque les calendes sont d'origine romaine-, que l'on nous annonce, tout de go, la suppression du jury populaire. Sans doute que les chantres de la révolution judiciaire permanente (depuis trois ans maintenant) auront jugé l'institution has been -comprendre lente, coûteuse donc inefficace- et qu'il s'agissait, à l'occasion du nettoyage des "écuries d'Augias", auxquelles la procédure pénale semble être comparée, aujourd'hui, d'en profiter pour condamner, du moins en première instance, le recours au juge-citoyen fondamentalement incompétent pour juger des affaires criminelles du point de vue proprement juridique.

"Un jury est un groupe de douze personnes d'ignorance moyenne, réunies par tirage au sort pour décider qui, de l'accusé ou de la victime, a le meilleur avocat". Et bien, c'est par ce magnifique trait de plume qu'Hebert Spencer nous livre, ici bas, toute l'argumentation multiséculaire anti-jury (lire l'excellente étude de Benoît Frydman, Professeur à la Faculté de droit de l'Université libre de Bruxelles).

Premier postulat : les jurés ont une connaissance du droit si limitée -même si nul n'est censé ignorer la loi (chercher l'erreur)- que leur justice s'apparente plus à de l'équité qu'à l'application du droit. Leur interprétation du droit (pénal en l'occurrence) laisserait franchement à désirer, diront certains ; leur incompétence manifeste fait craindre la pire vilénie juridique en matière de répression pénale, l'erreur judiciaire diront les autres.

Second postulat : l'audiencement avec jury est le siège de la rhétorique plus que de la technique juridique, et pour cause, il s'agit plus d'emporter l'intime conviction des jurés que de faire une démonstration de droit implacable. Les effets de manche, s'ils font les beaux jours des chroniques judiciaires, desserviraient nécessairement l'application du droit dans toute sa complexité, puisque pour le juré béotien, il s'agit de faire synthétique voire simple. Une économie et un style que critiquait, déjà, Platon, en son temps, en raillant le triomphe du sophisme.

A priori, la complexité et l'inflation législative plaident pour la première série d'arguments, la nécessité d'instaurer, dernièrement, en sus de la cassation, une procédure d'appel, plaide pour la seconde série.

Sauf que... Sauf que supprimer le jury populaire, c'est autre chose que de supprimer un tribunal d'instance, ici, ou un tribunal de commerce, là ! Ce n'est pas supprimer une institution judiciaire, mais institution politique : le dernier avatar de l'expression démocratique directe, né de la méfiance aussi bien en la Justice du roi, qu'en celle des Parlements d'Ancien régime. Avec le jury, c'est le peuple qui s'installe sur le trône du juge, nous confiait Tocqueville ; c'est le seul réel exercice de représentation démocratique issue de la désignation par le sort, donc parfaitement égalitaire, plutôt que par l'élection, donc nécessairement aristocratique, nous précisait, déjà, Aristote. Par conséquent, aussi louables que soient les intentions des pourfendeurs du jury populaire, aussi technique que puisse être le droit du XXIème siècle, abandonner le recours aux jurés-citoyens, c'est abandonner une part de notre démocratie, la dernière part d'expression directe de la souveraineté populaire, afin de parachever la souveraineté nationale.

Et, à l'heure où l'on nous abreuve de laïcité à tout va, l'on se souviendra que l'introduction du jury populaire dans l'Europe médiévale s'est faite, pour un moindre coût, en représentation du pouvoir royal séculier et en réaction à l'inquisitio catholique, c'est-à-dire de la procédure inquisitoire menée par des clercs savants... Il est loin le temps de l'anglomanie révolutionnaire, terreau de la loi fondamentale des 16-24 août 1790, ayant instauré en France, notamment, le jury populaire ; l'époque où Sieyès avait failli étendre le recours aux jurés-citoyens aux contentieux civils... Et l'on se souviendra, enfin, que, souvent, là où le jury trépasse, la dictature ou l'autoritarisme passe : nombre de monarchies restaurées après la chute de l'Aigle supprimeront l'institution, jusqu'à la République de Weimar et le régime de Vichy qui préférèrent, conscients de l'émoi populaire, sous tutelle de la magistrature.

Ah ! Dernière explication dans un climat du "tout sécuritaire", même si le taux d'acquittement a baissé de 40 % à 9 % en un siècle, les autorités publiques se sont toujours méfiés de ces jurés-citoyens, au point que Bergson écrivit, en 1913, dans Le temps, que "le jury se montre dans beaucoup de cas, scandaleusement indulgent". Pourtant, "le dossier est le pire ennemi des débats [...] Le dossier n'a pas d'oreilles, il n'a même pas d'intelligence. Il ne contient que des procès verbaux" livrait Giono, à l'occasion du procès "Dominici". Demandez donc aux protagonistes de l'affaire "d'Outreau", ce qu'ils pensent de la seule instruction du dossier criminel et des jurés-citoyens qui finirent, à force probatoire, par décréter leur acquittement. "Heureuses les Nations chez qui la connaissance des lois ne serait pas une science" écrivait Beccaria, fondateur du droit pénal moderne avec son "modeste" Des délits et des peines.

Allez, prenons comme acquis la disparition programmée de ce brontosaure institutionnel ; l'occasion de nous demander ce qu'il reste, finalement, de la loi fondamentale des 16-24 août 1790. La séparation entre les deux ordres de juridictions, judiciaire et administratif, ne fait que traduire la méfiance de l'administration à être jugée selon les mêmes règles que les citoyens de droit commun (cf. l'article 13 de la loi fondamentale est explicite : "Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront [...] troubler de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leur fonction". Elle est indéboulonnable ! Le principe de l'égalité devant la justice et de la gratuité a, en revanche, du plomb dans l'aile avec la mise en péril de l'aide juridictionnelle. Le droit de faire appel, s'il a été institutionnellement renforcé avec l'instauration de la procédure d'appel en matière criminelle, régresse aux abords de la médiation et du "plaider coupable". La professionnalisation des magistrats doit subir "l'hérésie" des nouveaux juges de paix que sont les juges de proximité -sans parler de la sempiternelle question des juges consulaires-. Enfin, l'idée que les ressorts des juridictions doivent coïncider avec les circonscriptions administratives aura vécu... jusqu'à la promulgation de la nouvelle carte judiciaire.

"Une justice digne de ce nom, non payée, non achetée [...] sortie du peuple et pour le peuple" ; il commence à s'éloigner quelque peu l'idéal révolutionnaire de Justice de Michelet...

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