La lettre juridique n°398 du 10 juin 2010 : Marchés publics

[Doctrine] Chronique de droit communautaire - Avril et Mai 2010

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 21 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en matière de marchés publics, réalisée par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV. La Cour de justice de l'Union européenne est venue préciser le champ d'application de l'obligation de transparence qui découle de la jurisprudence "Telaustria", qui relevait en effet que cette obligation "consiste à garantir [...] un degré de publicité adéquat permettant une ouverture du marché des services à la concurrence" (CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-324/98, Telaustria Verlags GmbH et Telefonadress GmbH c/ Telekom Austria AG N° Lexbase : A1916AWU) dans deux arrêts rendus au mois d'avril 2010 (CJUE, 13 avril 2010, aff. C-91/08, Wall AG c/ Ville de Francfort-sur-le-Main ; CJUE, 29 avril 2010, aff. C-160/08, Commission européenne c/ République fédérale d'Allemagne). Peu après ces décisions, au cours du mois de mai, dans une affaire d'aides d'Etat, la Cour de Luxembourg a admis que certaines garanties du contentieux administratif français ne méconnaissaient pas le principe d'effectivité du droit de l'Union européenne (CJUE, 20 mai 2010, aff. C-210/09, Scott SA et Kimberly Clark SAS c/ Ville d'Orléans).
  • Concessions de service public : précisions sur le champ d'application de l'obligation de transparence et sur les conséquences de la violation de cette obligation (CJUE, 13 avril 2010, aff. C-91/08, Wall AG c/ Ville de Francfort-sur-le-Main N° Lexbase : A6543EUU)

La ville de Francfort avait conclu avec la société Fes un contrat de concession de services relatif à l'exploitation de toilettes publiques urbaines pour une durée de seize années. Sur ces onze toilettes publiques, deux d'entre elles devaient être reconstruites. La contrepartie de ces prestations était limitée au droit de percevoir une redevance pour l'utilisation des installations, ainsi que d'exploiter, pendant la durée du contrat, des espaces publicitaires situés sur, et dans les toilettes, ainsi que dans d'autres lieux publics du territoire de la ville de Francfort. Le contrat stipulait qu'un changement de sous-traitant n'était autorisé qu'avec le consentement de la ville. L'entreprise Wall qui s'était, par ailleurs, portée candidate pour l'obtention de cette concession était désignée dans le contrat comme sous-traitant de la société Fes. Par la suite, cette dernière a choisi de changer de sous-traitant et, conformément au contrat, a sollicité l'autorisation de la ville. Pour ce qui concerne l'utilisation du matériel publicitaire, la ville a clairement consenti au changement de sous-traitant et, pour la construction des toilettes publiques, a répondu à la société Fes qu'elle ne devait pas être saisie de la question du changement de sous-traitant pour les toilettes publiques, puisqu'elle considérait que cette dernière souhaitait désormais réaliser les travaux par ses propres moyens et sous sa seule responsabilité. L'entreprise Wall a, bien évidemment, contesté devant les juridictions allemandes les changements de sous-traitant opérés. Dans la mesure où les conditions d'exécution du contrat de concession avaient été modifiées, il s'agissait de savoir s'il convenait d'entamer une nouvelle procédure d'attribution.

En application d'une jurisprudence désormais traditionnelle (CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-324/98, Telaustria Verlags GmbH et Telefonadress GmbH c/ Telekom Austria AG, Rec., p. I-10745), la Cour de justice a, tout d'abord, logiquement rappelé qu'une telle concession n'était, certes pas régie par la législation de l'Union relative à la commande publique, mais qu'elle devait respecter les règles fondamentales du Traité relatives au marché intérieur et, spécialement, le principe de la libre prestation de services. L'obligation de transparence qui en découle, impose "que soit garanti, en faveur de tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une ouverture de la concession de services à la concurrence, ainsi que le contrôle de l'impartialité des procédures d'attribution" (point n° 36).

Reprenant sa jurisprudence applicable aux marchés publics (CJCE, 19 juin 2008, aff. C-454/06, Pressetext Nachrichtenagentur GmbH c/ Republik Osterreich N° Lexbase : A2000D9X), la Cour de justice estime, ici, qu'"en vue d'assurer la transparence des procédures et l'égalité de traitement des soumissionnaires, des modifications substantielles, apportées aux dispositions essentielles d'un contrat de concession de services, pourraient appeler, dans certaines hypothèses, l'attribution d'un nouveau contrat de concession lorsqu'elles présentent des caractéristiques substantiellement différentes de celles du contrat de concession initial et sont, en conséquence, de nature à démontrer la volonté des parties de renégocier les termes essentiels de ce contrat" (point n° 37). Elle rappelle, également, que "la modification d'un contrat de concession de services en cours de validité peut être considérée comme substantielle lorsqu'elle introduit des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure d'attribution initiale, auraient permis l'admission de soumissionnaires autres que ceux initialement admis ou auraient permis de retenir une offre autre que celle initialement retenue" (point n° 38). Il s'agit là de la première nouveauté, bien que sans surprise, de cet arrêt.

Surtout, dans l'application de ce principe, la Cour se montre peu soucieuse du principe de l'autonomie de la volonté des cocontractants puisqu'elle estime qu'"un changement de sous-traitant, même lorsque la possibilité en est prévue dans le contrat, peut, dans des cas exceptionnels, constituer une telle modification de l'un des éléments essentiels du contrat de concession lorsque le recours à un sous-traitant plutôt qu'à un autre a été, compte tenu des caractéristiques propres de la prestation en cause, un élément déterminant de la conclusion du contrat, ce qu'il appartient en tout état de cause à la juridiction de renvoi de vérifier" (point n° 39). La CJUE se montre ici peu cohérente car, il est certes exact que la société Wall était désignée par le contrat comme le sous-traitant, mais, dans le même temps, le contrat lui-même prévoyait la possibilité de changer de sous-traitant. Dès lors, cette société ne pouvait être considérée, en soi, comme un élément déterminant de la conclusion du contrat. Cette solution de la Cour de justice est finalement très (trop ?) exigeante. Non seulement, il y a matière à procédure à une nouvelle mise en concurrence lorsqu'il y a cession de contrat par le cocontractant de l'administration (1) mais, également, simplement lorsqu'il y a changement de sous-traitant. En outre, la faculté du changement était, en l'espèce, stipulée dans le contrat... La loi des parties n'est donc plus la loi du contrat.

Il était ensuite demandé à la Cour de justice de juger si la société Fes pouvait être liée par l'obligation de transparence qui découle de la jurisprudence "Telaustria". Logiquement, la Cour se réfère à la notion de pouvoir adjudicateur telle qu'elle découle, notamment, de la Directive (CE) 92/50 du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (N° Lexbase : L7532AUI) (2). Deux critères sont alors déterminants : il s'agit d'examiner si l'entité en cause est placée sous le contrôle effectif d'une autorité publique et si elle n'opère pas en situation de concurrence sur le marché. Il s'agit de critères cumulatifs car la Cour a déjà jugé que le fait qu'une entité agisse dans le secteur concurrentiel n'avait pas pour conséquence de lui enlever sa qualification d'organisme public (CJCE, 10 novembre 1998, aff. C-360/96, Gemeente Arnhem et Gemeente Rheden c/ BFI Holding BV N° Lexbase : A1887AWS, Rec. p. I-6821).

Le critère du contrôle effectif d'une autorité publique s'apprécie in concreto (3). En l'espèce, la société Fes est détenue à 51 % par la ville de Francfort, mais n'est pas sous son contrôle, notamment en raison des procédures de décision à l'assemblée générale et au conseil de surveillance de la société. S'agissant de la seconde condition, elle n'est pas non plus remplie dans la mesure où plus de la moitié du chiffre d'affaires de cette société est réalisée grâce à des contrats commerciaux.

La juridiction nationale demandait enfin à la Cour de justice si l'obligation de transparence impose aux autorités nationales de résilier un contrat conclu en violation de ladite obligation de transparence, et aux juridictions nationales d'accorder au soumissionnaire dont l'offre n'a pas été retenue le droit d'obtenir une injonction visant à prévenir une violation imminente ou à faire cesser une violation déjà intervenue de cette obligation.

L'on sait que, pour les contrats régis par la Directive (CE) 2004/18 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU) (4) et la Directive (CE) 2004/17 du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux (N° Lexbase : L1895DYT) (5), il existe des Directives "recours" (Directive (CE) 89/665 du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux N° Lexbase : L9939AUN (6) et Directive (CE) 92/13 du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications N° Lexbase : L7561AUL (7)), qui ont d'ailleurs été révisées, afin d'améliorer leur efficacité, par la Directive (CE) 2007/66 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 (N° Lexbase : L7337H37).

Les concessions de service public n'entrent donc pas dans le champ des Directives "recours". La Cour de justice ne peut donc que réitérer une jurisprudence fort classique relative à l'autonomie procédurale des juridictions nationales et à son encadrement (CJCE, 16 décembre 1976, aff. C-33/76, Rewe Zentralfinanz EG et Rewe Zentral AG c/ Lanwirtschatskammer fuer das Saarland N° Lexbase : A7216AUS, Rec., p. 1989 ; CJCE, 16 décembre 1976, aff. C-45/76, Comet BV c/ Productschap voor Sieegewasen N° Lexbase : A7206AUG, Rec., p. 2043). En l'absence de réglementation de l'Union, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque Etat membre de régler les voies de droit destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l'Union. Mais de telles voies ne doivent pas être moins favorables que les voies similaires de nature interne (principe de l'équivalence) et ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivité) (CJCE, 13 mars 2007, aff. C-432/05, Unibet (London) Ltd c/ Justitiekanslern N° Lexbase : A6516DUU). Dès lors, la Cour en conclut logiquement que "l'obligation de transparence en découlant n'imposent pas aux autorités nationales de résilier un contrat, ni aux juridictions nationales d'accorder une injonction dans chaque cas d'une prétendue violation de cette obligation lors de l'attribution de concessions de services" (point n° 65).

  • La soumission des services de secours au droit européen de la commande publique (CJUE, 29 avril 2010, aff. C-160/08, Commission européenne c/ République fédérale d'Allemagne N° Lexbase : A7851EWP)

Dans cet arrêt en manquement, l'Allemagne avait été poursuivie par la Commission au motif qu'elle aurait méconnu le droit de l'Union relatif à la commande publique en matière de service de secours (transport d'urgence et transport de secours). En Allemagne, dans le domaine des services publics de secours, les collectivités locales concluent, en leur qualité d'autorités responsables de l'organisation de ces services, des contrats avec des prestataires en vue de la fourniture desdits services à l'ensemble de la population du territoire de leur ressort. Or, il était reproché à cet Etat que ces marchés de services publics de transport sanitaire ne font, en règle générale, pas l'objet d'un avis de marché publié au niveau de l'Union européenne et ne sont pas attribués dans la transparence.

Pour examiner s'il y avait bien manquement, la Cour de justice devait d'abord examiner si l'Allemagne pouvait se prévaloir des exceptions prévues par les Traités au principe de la libre prestation de services. En effet, dans la mesure où l'obligation de transparence qui pèse sur les pouvoirs adjudicateurs découle du principe de la libre prestation de service, les Etats peuvent faire valoir de telles exceptions pour échapper à cette obligation. Echappent, ainsi, au principe, "les activités participant dans cet Etat, même à titre occasionnel, à l'exercice de l'autorité publique" .

Conformément à une jurisprudence à maints égards classique, la Cour de justice rappelle que les "dérogations aux règles fondamentales de la liberté d'établissement et de la liberté de prestation de services, les articles 45 CE et 55 CE doivent recevoir une interprétation qui limite leur portée à ce qui est strictement nécessaire pour sauvegarder les intérêts que ces dispositions permettent aux Etats membres de protéger" (point n° 76). Elle a ensuite rejeté tous les arguments de l'Allemagne tendant à démontrer que les activités de secours relevaient de l'exercice de l'autorité de secours. Ni la protection de la santé publique, ni l'utilisation des gyrophares, ou sur le droit de passage prioritaire, l'indispensable collaboration entre les services de secours et les services de police, n'ont paru pertinents à la Cour de justice.

Celle-ci ne pourra, toutefois, pas conclure à la violation par l'Allemagne des règles du Traité pour des raisons procédurales liées aux maladresses commises par la Commission durant la phase précontentieuse de l'action en manquement. Pour le reste, l'Allemagne a reconnu, en ne publiant pas d'avis concernant les résultats de la procédure de passation des marchés, avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 10 de la Directive (CE) 92/50, lu en combinaison avec l'article 16 de cette Directive, ou, depuis le 1er février 2006, en vertu de l'article 22 de la Directive (CE) 2004/18, lu en combinaison avec l'article 35, paragraphe 4, de cette Directive, dans le cadre de la passation de marchés de services publics de transport médical d'urgence et de transport sanitaire.

Il demeure, toutefois, surprenant que l'Allemagne n'ait pas tenté de se défendre sur le terrain de l'exception de l'article 46 CE également applicable aux services en vertu de l'article 55 CE, voire des raisons impérieuses d'intérêt général. Cette éventualité a été admise par la Cour de justice dans une affaire où était en cause un marché public de services sanitaires de thérapies respiratoires à domicile (CJCE, 27 octobre 2005, aff. C-234/03, Contse SA, Vivisol Srl, Oxigen Salud SA c/ Instituto Nacional de Gestión Sanitaria (Ingesa), anciennement Instituto Nacional de la Salud (Insalud) N° Lexbase : A0981DLW, Rec., p. I-9315). Reste qu'il est difficile de passer le test de proportionnalité qui est imposé pour justifier la restriction.

L'Allemagne s'était, en revanche, prévalue de l'article 86, paragraphe 2 CE , selon lequel "les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles des Traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie". La Cour de justice avait déjà eu l'occasion de juger que les services de secours constituaient des services d'intérêt économique général (CJCE, 25 octobre 2001, aff. C-475/99, Firma Ambulanz Glöckner c/ Landkreis Südwestpfalz N° Lexbase : A1515EYR).

L'Allemagne avait plaidé devant la Cour la nécessité d'assurer, en matière de services de transport sanitaire, un subventionnement croisé entre les zones géographiques rentables et moins rentables en fonction de la densité de population. Elle avait, également, mis l'accent sur l'importance d'un service de proximité et de la collaboration avec les autres services impliqués dans les missions de secours, ce qui implique la mise à disposition de personnels résidant près des lieux d'intervention et facilement mobilisables en cas d'urgence ou de catastrophe. Toutefois, pour la Cour de justice, cette argumentation ne permet pas de démontrer en quoi l'obligation d'assurer la publicité des résultats de l'attribution du marché concerné serait de nature à faire échec à l'accomplissement de cette mission d'intérêt économique général.

  • Les conséquences de l'illégalité d'un acte national ordonnant la récupération d'une aide illégale (CJUE, 20 mai 2010, aff. C-210/09, Scott SA et Kimberly Clark SAS c/ Ville d'Orléans N° Lexbase : A4817EXP)

La ville d'Orléans avait fait bénéficier la société Scott SA de certains avantages qui avaient été qualifiés d'aides illégales par la Commission. En application de cette décision, la ville a émis trois titres de recette afin d'obtenir la récupération des aides. Ces titres ont fait l'objet d'un recours devant le tribunal administratif d'Orléans qui les a rejetés. Ce jugement a été exécuté et les aides ont été restituées. Toutefois, la société Scott SA a fait appel et a soulevé un vice de forme des titres de recette. En effet, les nom et prénom du signataire de l'acte n'étaient pas mentionnés, contrairement aux exigences de l'article 4 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative au droit des citoyens dans leurs relations avec les administrations (N° Lexbase : L0380AIW). La cour administrative d'appel de Nantes a, toutefois, interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d'une telle annulation pour vice de forme avec les exigences de l'article 14, paragraphe 3, du Règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article 93 du Traité CE (N° Lexbase : L4215AUN) (9), selon lequel "sans préjudice d'une ordonnance de la Cour de justice des Communautés européennes prise en application de l'article, la récupération s'effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l'Etat membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l'exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. À cette fin, et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les Etats membres concernés prennent toutes les mesures prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit communautaire".

Pour la Cour de justice, le Règlement laisse les Etats libres de déterminer les procédures à suivre pour le recouvrement de l'aide à la condition, toutefois, que celle-ci soit finalement effective. Il s'agit donc d'une expression ponctuelle du principe d'effectivité qui encadre l'autonomie procédurale des Etats membres tant au niveau juridictionnel qu'au niveau administratif. C'est donc à l'aune de ce principe qu'il convient d'examiner les règles françaises du contentieux administratif relatives au vice de forme.

La Cour se montre d'emblée assez bienveillante car elle estime, tout d'abord, que "le contrôle, par le juge national, de la légalité formelle d'un titre de recette émis pour la récupération d'une aide d'Etat illégale et l'éventuelle annulation de ce titre, au motif que les exigences résultant de l'article 4 de la loi n° 2000-321 n'ont pas été respectées, doivent être considérés comme la simple émanation du principe de protection juridictionnelle effective constituant, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, un principe général du droit de l'Union" (point n° 25). Mais elle rappelle aussi que l'annulation du titre de recette aurait logiquement pour conséquence de permettre au bénéficiaire de l'aide d'obtenir le remboursement des sommes acquittées en exécution de ce titre, autrement dit "la restitution de la restitution". La Cour précise logiquement que, "si l'annulation des titres de recette en cause devait entraîner, même provisoirement, le reversement de l'aide déjà restituée par les bénéficiaires de celle-ci, ces dernières disposeraient, de nouveau, des sommes provenant des aides déclarées incompatibles avec le marché commun et bénéficieraient de l'avantage concurrentiel indu en résultant. Ainsi, le rétablissement immédiat et stable de la situation antérieure serait compromis et l'avantage concurrentiel indu serait rétabli au profit des requérantes au principal" (point n° 31).

Mais le Gouvernement français avait précisé devant la Cour de justice qu'un tel vice de forme pouvait faire l'objet d'une régularisation. Dès lors, la Cour estime que, s'il n'y a pas "restitution de la restitution", l'annulation du titre de recette n'est pas contraire au principe d'effectivité tel qu'il est énoncé à l'article 14, paragraphe 3 du Règlement (CE) nº 659/1999. Il convient de préciser qu'un vice de forme ne peut, en lui-même, faire l'objet d'une régularisation (10). Les formalités imposées par l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 revêtent, en effet, un caractère substantiel, selon la jurisprudence du Conseil d'Etat (CE 2° et 7° s-s-r., 27 juillet 2005, n° 271637, Martineau N° Lexbase : A1494DKK). L'administration ne peut donc pas régulariser l'acte, mais peut toujours émettre un nouveau titre de recette pendant la durée de l'instance. Contrairement à ce qui est affirmé dans l'arrêt de la Cour à la suite des observations du Gouvernement français, ce n'est donc pas l'acte en lui-même qui est susceptible d'être régularisé, mais la demande de restitution. La flexibilité du contentieux administratif s'inscrit donc dans les exigences du principe d'effectivité.

Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) P. Proot, Cession de contrat : où en est-on un an et demi après l'arrêt Pressetext ?, JCP éd. A, 2010, n° 2071.
(2) JOCE n° L 209, p. 1.
(3) Voir, au sujet des organismes français d'habitations à loyer modéré qui entrent dans la catégorie des organismes publics : CJCE, 1er février 2001, aff. C-237/99, Commission des Communautés européennes c/ République française (N° Lexbase : A0296AWU), Rec. p. I-939.
(4) JOCE n° L 134 du 30 avril 2004, p. 114.
(5) JOCE n° L 134 du 30 avril 2004, p. 1.
(6) JOCE n° L 395 du 30 décembre 1989, p. 33.
(7) JOCE n° L 76 du 23 mars 1992, p. 14.
(8) JOCE n° L 335 du 20 décembre 2007, p. 31.
(9) JOCE n° L 083 du 27 mars 1999, p. 1.
(10) P.-L. Frier, Vice de forme, Rép. Dalloz, contentieux administratif, spéc. n° 113.

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