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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef
le 03 Mars 2011
Lexbase : Etes-vous favorable à la création du statut d'avocat en entreprise ? Si oui, à quelles conditions ?
Romain Carayol : Il s'agit d'une question extrêmement sensible. Avant tout, je rappelle que nous sommes opposés à toute forme de fusion entre les professions d'avocat et de juriste d'entreprise, telle que souhaitée, à l'origine, par l'AFJE (Association française des juristes d'entreprise). Celle-ci revendiquait le statut des juristes d'entreprises existant dans les autres pays, à l'international, qui disposent du Legal privilege, afin de pouvoir bénéficier de la confidentialité. La FNUJA y est fermement opposé.
S'agissant du statut d'avocat en entreprise, nous acceptons cette idée dans son principe. La fédération a adopté un positionnement intellectuel favorable au statut de l'avocat en entreprise, mais sous certaines conditions, qui sont impératives et cumulatives. Tout d'abord, l'exercice de l'avocat en entreprise ne peut se concevoir que sous réserve qu'il soit conforme aux principes essentiels ainsi qu'aux règles déontologiques de la profession, telles qu'ils existent actuellement en dehors de l'entreprise. Nous exigeons, ensuite, que le CAPA devienne la seule voie d'accès à la profession d'avocat pour les juristes d'entreprise, ce qui suppose la suppression de la passerelle, et ce, sans période transitoire. La finalité de cette condition est d'éviter que la fusion des professions, à laquelle nous sommes opposés, ne soit organisée indirectement. Cette motion a vocation à réunir, c'est une conciliation de toutes les positions. Si les conditions ne sont pas réunies, la fédération restera opposée.
Lexbase : La FNUJA préconise la mise en oeuvre d'une "véritable formation commune" (motion adoptée lors du Congrès de mai 2010). Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Romain Carayol : Si le principe d'une formation commune est acquis, le débat concerne en premier lieu les conditions d'accès. La question se pose de savoir à quel niveau cette formation interviendrait. La FNUJA s'est accordée pour que ce niveau soit situé après le Master 1, après examen. Ainsi, l'idée du CNB de permettre un accès à l'Ecole des professionnels du droit, sur simple entretien après un Master 2 me paraît contestable. En effet, cela reviendra à favoriser la formation du Master 2, ce qui est choquant dans son principe, au nom de la liberté et de l'égalité d'accès à tous. Il ne doit pas y avoir de privilège organisé, la sélection doit être identique à tous les niveaux.
En second lieu, s'agissant de la profession d'avocat, à l'issue de l'Ecole nationale du droit, se pose la question de l'instauration d'une formation complémentaire après le CAPA et de la reconstitution, directe ou indirecte, d'un stage. Cette question est au coeur des débats aujourd'hui. Les jeunes avocats y sont opposés. La FNUJA était en effet favorable à la suppression du stage, et refuse ainsi tout retour à l'ancien statut de l'avocat stagiaire à l'issue de la formation commune, qui illustrerait une vision dépassée de la formation initiale de nos futurs confrères.
Derrière ce positionnement, se cache l'idée d'une égalité d'accès à la profession, et d'une démocratisation de celle-ci. Tous les étudiants doivent avoir accès au métier d'avocat. Nous souhaitons ainsi réduire la formation théorique, dans la mesure où son allongement a pour effet de limiter l'accès aux jeunes qui n'ont pas les moyens de financer leurs études. Nous préconisons que le jeune étudiant nouvellement diplômé poursuive par la voie d'une professionnalisation qui serait intégrée dans la période de formation à l'école. C'est dans cet esprit que nous avions mené, à la FNUJA et à l'UJA de Paris, un combat -lequel a abouti- en vue de lutter contre l'absence de rémunération des avocats stagiaires dans les cabinets. Dans la continuité, nous travaillons à la mise en place d'un contrat de professionnalisation, comme le contrat en alternance, qui serait adapté à la profession d'avocat, et qui ne serait pas à la seule charge du cabinet, mais également de l'Etat. Il s'agit de permettre aux jeunes de financer leurs études indépendamment de leur famille. Cette idée est calquée sur les pays voisins comme l'Espagne, ou l'Allemagne.
Lexbase : S'agissant de la refonte du régime des spécialisations de l'avocat, quelle est la position de la FNUJA ?
Romain Carayol : Si la refonte du régime des spécialisations par le CNB a permis un "dépoussiérage" du système, sur lequel nous avons d'ailleurs contribué, je m'interroge sur la portée de la réforme telle qu'adoptée par le CNB, qui ne répond pas à nos attentes. Nous souhaitions que cette refonte permette, d'une part, un meilleur affichage, clair et précis, des mentions de spécialisation vis-à-vis des citoyens, et d'autre part, un accès plus facile des jeunes avocats à ces mentions. Mais le système préconisé par le CNB n'est pas de nature à favoriser l'essor des mentions de spécialisation.
Lexbase : Pensez-vous qu'il soit nécessaire de réglementer en matière de publicité, notamment par rapport aux réseaux sociaux, aux blogs, aux sites internet ?
Romain Carayol : Je pense qu'il serait absurde de vouloir réglementer dans ce domaine, parce que l'on ne peut pas figer dans un texte des éléments qui sont en perpétuelle évolution. En revanche, il convient plus que jamais de s'appuyer sur les principes fondamentaux. C'est ainsi que la question a été abordée de manière indirecte, par une modification, tout récemment, du règlement intérieur national (N° Lexbase : L4063IP8), plus particulièrement de son article 10 relatif à la publicité (1), qui, par une reprise des dispositions du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat (N° Lexbase : L6025IGA), rappelle l'obligation de respecter les principes essentiels de la profession et l'interdiction absolue du démarchage.
C'est, en effet, l'occasion de rappeler aux avocats qu'ils sont tous astreints aux règles déontologiques, notamment de loyauté, dans leur façon de communiquer, sachant que cela vise toute forme de communication, qu'il s'agisse des blogs ou des réseaux sociaux tels que facebook ou twitter. Il est normal de rester sous l'égide des règles déontologiques, dès lors que l'on communique à titre professionnel, ces règles nous rappelant la bienséance à respecter entre les confrères et l'attitude à adopter vis-à-vis de nos clients.
Lexbase : Le thème du Congrès 2010 de la FNUJA était intitulé "Jeunes avocats : vers un droit durable". La FNUJA a également adopté une motion "Développement durable". Pouvez-vous nous préciser la portée de cette démarche ?
Romain Carayol : Avant tout, il est important de préciser qu'il ne s'agit pas d'une idée lancée pour être "dans l'air du temps", et je compte bien mettre en place une démarche concrète.
J'ai donc décidé de créer une commission développement durable qui aura vocation à aborder tous les sujets, de manière transversale, sous un angle développement durable. Nous souhaitons ainsi, par exemple, livrer aux cabinets d'avocats une démarche de responsabilité sociétale, dans le cadre du management interne.
La motion développement durable nous donne l'occasion de nous ouvrir sur des univers que l'on ne connaît pas encore très bien, alors qu'il existe des professionnels et des associations spécialisés dans le développement durable. C'est ainsi, par exemple, que l'UJA de Bordeaux, en collaboration avec le Comité 21, le Conseil Départemental des Agenda 21 locaux en Gironde, a organisé, le 12 mai 2010, un colloque intitulé "Le rendez-vous du développement durable et du droit". Je souhaite que les jeunes avocats s'inscrivent dans une démarche active de promotion et de respect de responsabilité sociétale durable. La FNUJA va ainsi adopter une charte développement durable qui deviendra notre base de réflexion.
Lexbase : Quels sont les projets que vous souhaiteriez voir aboutir en priorité pendant votre mandat ?
Romain Carayol : L'une de mes priorités concerne la réforme de la procédure pénale. Je rappelle que nous avons décidé, à la FNUJA, de jouer le jeu de la concertation. Nous avons donc accepté le principe de la suppression du juge d'instruction, mais moyennant la mise en place de contrepouvoirs. Nous revendiquons l'institution d'un juge, indépendant du parquet, qui contrôle l'enquête et qui constituerait un véritable équilibre avec le Parquet.
Indépendamment du problème de la suppression du juge d'instruction, nous avons analysé, article par article, le projet de réforme qui était soumis à la concertation par la Chancellerie et nous avons fait des propositions visant à introduire de la justice pénale au quotidien, lesquelles ont été entendues par Madame le Garde des Sceaux, qui nous a d'ailleurs fait l'honneur de sa présence au dernier Congrès de la FNUJA. J'espère donc que l'on pourra avancer concrètement sur cette question de la justice pénale au quotidien (notamment, la présence de l'avocat à toutes les étapes de la procédure pénale, la communication de pièces, le contradictoire, etc.), afin de rétablir des équilibres.
L'autre urgence, à mon sens, concerne l'aide juridictionnelle. Au-delà du fait que, par principe, nous estimons inacceptable un quelconque désengagement de l'Etat, nous faisons des propositions concrètes pour mettre en place d'autres sources de financement.
La FNUJA propose ainsi l'institution d'une contribution, dont l'assiette serait extrêmement large, puisqu'elle serait prélevée sur l'ensemble des actes juridiques faisant l'objet d'un enregistrement ou d'une publicité légale, ainsi que sur l'ensemble des décisions de justice. Par ailleurs, la contribution serait assise sur l'ensemble des primes ou cotisations d'assurance souscrites pour la protection juridique. Cette contribution viendrait ainsi alimenter, en complément de la dotation annuelle de l'Etat, un "Fonds pour l'accès au droit et à la justice", dont nous proposons la création, et qui serait destiné à gérer les fonds de l'aide juridictionnelle.
Je serais alors le plus heureux des présidents des jeunes avocats si l'on pouvait faire avancer les choses en ce sens. Il existe d'ailleurs une sorte d'"union sacrée" des avocats sur le principe de l'aide juridictionnelle, puisqu'elle représente l'accès au droit et à la justice. C'est ainsi que j'invite l'ensemble des intéressés à participer aux Etats généraux de l'aide juridictionnelle qui se tiendront à Lille, le 25 juin prochain (N° Lexbase : N0682BPX), car j'entends bien en faire une journée nationale de l'aide juridictionnelle !
(1) Décision à caractère normatif n° 2010-002, du 8 mai 2010, portant réforme des dispositions de l'article 10 du règlement intérieur national (RIN) de la profession d'avocat.
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